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International Encyclopaedia
of the Histories of Anthropology

Le fonds d’archives La Villemarqué : une source précieuse pour l’histoire de l’ethnographie et des études celtiques en France

Fañch Postic

CRBC, Université de Bretagne Occidentale, Brest.

2015
To cite this article

Postic, Fañch, 2015. « Le fonds d’archives La Villemarqué : une source précieuse pour l’histoire de l’ethnographie et des études celtiques en France », in BEROSE International Encyclopaedia of the Histories of Anthropology, Paris.

URL BEROSE: article748.html

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Published as part of the research theme “Networks, Journals and Learned Societies in France and Europe (1870-1920)”, directed by Claudie Voisenat (Ministère de la Culture, Héritages) and Jean-Christophe Monferran (CNRS, Héritages)

Étant donné la personnalité de La Villemarqué, l’ensemble de ses archives constitue, à l’évidence, un fonds très précieux tant pour l’histoire de la littérature orale et de l’ethnographie, ou celle du développement des études celtiques, en France et en Europe, que pour la connaissance de l’histoire et de la culture régionales et locales.
La Villemarqué a en effet joué un rôle à l’échelle

  • locale : né et décédé à Quimperlé, il y a fait construire un nouveau manoir sur la terre de Keransquer. Il a été conseiller municipal de Quimperlé, initiateur de la Société Saint-Vincent de Paul, etc.
  • départementale et régionale : il a assuré des responsabilités dans plusieurs sociétés savantes : à l’Association Bretonne dont il dirige la classe d’archéologie, et à la Société Archéologique du Finistère qu’il présidera de 1876 jusqu’à sa mort en 1895, et dont dépendait le musée archéologique de Quimper (aujourd’hui Musée départemental breton).
  • nationale : il est membre de l’Institut à partir de 1858, élu à l’Académie des Inscriptions et belles-lettres, et membre de diverses institutions dont le Comité de la langue, de l’Histoire et des arts de la France, du Comité des travaux historiques et scientifiques, etc.
  • internationale : en 1838, il se rend au pays de Galles à la tête d’une délégation bretonne pour participer aux fêtes de l’Eisteddfod d’Abergavenny où il est fait barde, inaugurant les premières relations « interceltiques ». « Envoyé littéraire du gouvernement français », il séjourne en Angleterre en 1839 pour étudier les manuscrits conservés à Oxford. Il s’y rendra à nouveau en 1855. Il échange des correspondances avec des érudits gallois, irlandais, allemands (Jacob Grimm), italiens.

Les archives de Théodore Hersart de la Villemarqué se limitent bien souvent dans les esprits aux seuls carnets de collecte manuscrits sur lesquels il a commencé, dès 1833, à noter des chants qui lui ont permis d’élaborer le Barzaz-Breiz, dont la première édition paraît à Paris en 1839. L’ouvrage, réédité en 1845 et en 1867, qui a valu à son auteur une belle notoriété en France et en Europe, a pris une place prépondérante dans sa vie et son œuvre : pas moins de trois thèses lui ont été consacrées qui, soutenues par Francis Gourvil (1959), Donatien Laurent (1974) et Nelly Blanchard (2004), ont fait l’objet de publications. [1]
Depuis les années 1860, dans la presse comme parmi les chercheurs, tout le débat s’est en effet focalisé sur la question de l’authenticité de son contenu. Or cet ouvrage n’est qu’un élément dans un ensemble. Le fonds d’archives, consciencieusement conservé par ses descendants, permet de mesurer la diversité de l’œuvre de La Villemarqué grâce notamment à une abondante correspondance et à de nombreux manuscrits.
Les archives sont évidemment une source importante pour retracer la biographie et l’œuvre de La Villemarqué : bulletins scolaires, diplômes, passeports ou images pieuses, faire-part… Il faut noter par ailleurs la présence de nombreux cahiers ou feuillets manuscrits qui montrent, par exemple, que, dès son arrivée à Paris, il fréquente assidûment les bibliothèques. Les archives permettent d’établir qu’il connaît dès cette époque des historiens et écrivains de renom tels que Francisque Michel, Alexis-Paulin Paris, Louis-Jean-Nicolas Monmerqué ou encore Pierre-Hyacinthe-Jacques-Baptiste Audiffret, au département des manuscrits de la bibliothèque du roi, Jean-Joseph Poujoulat.
D’autres documents le montrent préparant son voyage de 1838 au pays de Galles avec bien plus de minutie que certains ont pu le laisser entendre. La Villemarqué avait d’ailleurs le projet d’écrire un ouvrage qui aurait eu pour titre « Le Dragon rouge ou les Bretons de Galles » ; il en précise même le plan.

Le contenu du fonds

La correspondance, qui constitue la part la plus importante du fonds d’archives, ne contient en fait que peu de lettres de La Villemarqué lui-même qui ne gardait pas de doubles de ses envois, tout au plus quelques projets et brouillons.
Les correspondances les plus importantes, en quantité, proviennent du cercle des amis proches : les frères Alfred et Pol Potier de Courcy, Vincent Audren de Kerdrel qui fut vice-président du Sénat, Aurélien de Courson, etc. Parmi les correspondances les plus suivies, on peut également relever celles échangées avec Arthur de La Borderie (notamment autour de l’Association Bretonne, de la question de l’édition du cartulaire de Landévennec), avec l’historien Henri Martin, Charles de Gaulle, l’oncle celtisant du général avec lequel il entretient une correspondance suivie à partir de 1861, Émile Ernault… ou celles échangées avec Whitley Stokes, celtisant, collaborateur régulier de la Revue Celtique, qui habitait Calcutta en Inde, etc.
Mais la correspondance intéresse plus largement l’histoire culturelle et littéraire. On relève ainsi les noms d’un certain nombre de personnalités connues telles que Jacob Grimm, Alphonse de Lamartine, Prosper Mérimée, Augustin Thierry, George Sand, Ernest Renan, Jean-Jacques Ampère, Frédéric Ozanam, le comte Charles de Montalembert, etc. sans compter, à partir de 1858, les lettres des candidats aux élections successives de l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres qui viennent solliciter l’appui de La Villemarqué.
Précieuses sont évidemment les lettres de correspondants qui ont été mêlés de près ou de loin à la « Querelle du Barzaz-Breiz », tant en Bretagne (l’abbé Jean-Guillaume Henry, François-Marie Luzel, René-François Le Men, Jean-Marie Le Jean, Jean-Pierre-Marie Le Scour, Gabriel Milin…), qu’à Paris (Henri d’Arbois de Jubainville, Paul Meyer, Gaston Paris…). Pour la Bretagne, on peut mentionner encore les lettres d’Auguste Brizeux, de Jean-Marie de Penguern, de Paul Sébillot, de Henri Gaidoz, de Prosper Proux, de Dom François Plaine…
L’ensemble du fonds d’archives est d’un grand intérêt pour l’histoire des sources de l’ethnographie ou des études celtiques. Les lettres de François-Marie Luzel et de René-François Le Men nous renseignent sur la constitution des collections du musée de Quimper. La correspondance adressée par Paul Sébillot nous informe sur un programme de travail mené tambour battant par ce dernier à partir de 1880, sur la naissance de la Revue des Traditions Populaires. Les lettres reçues par La Villemarqué de la part de Eugène Halléguen, de Jean-Pierre-Marie Le Scour, de Jean-Marie Le Jean, de Prosper Huguet, Jules Geslin de Bourgogne, Hippolyte Raison du Cleuziou… nous éclairent sur la ténébreuse affaire du devenir de la collection manuscrite des chansons de Jean-Marie de Penguern. Les lettres échangées avec le comte Théodore de Puymaigre, montrent comment le collecteur de chants lorrains met l’auteur du Barzaz-Breiz en relation avec Giuseppe Pitrè, le grand collecteur sicilien.
Le fonds contient de nombreux documents en breton, des lettres de prêtres notamment : les abbés Caris, Kersalé, Perrot, Durand, Stanguennec, Quémar, Morvan, Castrec, Le Pon, le chanoine Alexandre (Lizeriou Breuriez ar Feiz). On peut également signaler que Émile Ernault, Gabriel Milin, Jean-Pierre-Marie Le Scour, Amable Troude, Jean-Marie Le Jean, Vincent Coat … écrivent parfois en breton. La Villemarqué leur répondait-il en breton à l’exemple de certaines lettres à Prosper Proux ?
La Villemarqué avait également rassemblé des chansons sur feuilles volantes et quelques manuscrits intéressants de mystères bretons.
Le fonds contient naturellement quantité de lettres à caractère purement familial qui peuvent toutefois avoir leur intérêt, à l’exemple de celles échangées par Clémence de La Villemarqué avec son mari ou ses enfants : elles font, à l’occasion, état des personnalités rencontrées à Paris et sont instructives quant au réseau de sociabilité de l’auteur du Barzaz-Breiz.
Si les trois carnets manuscrits de chansons ont retenu toute l’attention, il faut souligner la présence dans les archives d’un cahier de 45 pages sur lequel La Villemarqué a également noté des contes populaires recueillis sans doute vers 1840 dans la région de Quimperlé. La quinzaine de contes constitue, semble-t-il, la toute première collecte suivie de ce genre en France.
Parmi les différents manuscrits conservés dans le fonds, figurent également des documents que La Villemarqué a reçus de différentes personnalités, dont certains sont très importants pour la connaissance et l’étude de la langue bretonne : ainsi figure dans les archives le manuscrit rédigé en 1833 par Yves-Marie-Gabriel Laouënan de ce qui constitue le tout premier roman en langue bretonne : il a été édité en 2004 aux éditions du CRBC, avec traduction française, par Yves Le Berre sous le titre Kastel Ker Iann Koatanskour/ Le château de Kerjean.

Une numérisation est donc essentielle pour assurer la pérennité d’un fonds dont l’intégrité future n’est pas garantie. Les documents qu’il contient sont susceptibles de mieux faire connaître la vie et l’œuvre d’une personnalité majeure du mouvement européen de collecte et d’étude de la culture populaire qui se développe en Europe au XIXe siècle et permettra de mettre à la disposition des chercheurs français et européens une source très importante pour la connaissance et la compréhension de l’histoire politique, littéraire et culturelle du XIXe siècle.

Petite histoire du fonds

À la mort de La Villemarqué en décembre 1895, la famille – notamment son fils Pierre (1854-1933) à qui revient la responsabilité du fonds –, se montre partagée entre le souci de défendre la mémoire de l’auteur du Barzaz-Breiz et celui de respecter la demande que ce dernier aurait formulée de ne pas réveiller et envenimer après sa mort la controverse suscitée par la question de l’authenticité des chants contenus dans l’ouvrage. Contacté en 1908 par Émile Ernault, l’ami de son père auquel celui-ci avait un temps envisagé de confier une édition critique du Barzaz-Breiz, Pierre de la Villemarqué se montre curieusement peu enclin à lui soumettre les manuscrits et plus tard, en 1913, sollicite même François Vallée qui, « malade et fatigué », ne donne pas suite. À quelques rares exceptions (le chanoine Jérôme Buléon, l’abbé Germain Horellou), la famille se refuse désormais à communiquer les documents.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le nouveau Keransquer, manoir construit au début des années 1850 par Théodore Hersart de la Villemarqué et son épouse, née Clémence Tarbé des Sablons (1827-1870), est occupé par les Allemands ; les archives et la bibliothèque sont transférés dans le vieux manoir du XVe qui sert alors de dépendance. On a longtemps cru que les précieux documents avaient alors été détruits.
Il faut en fait attendre septembre 1964 pour que l’ethnologue Donatien Laurent ait plus de chance que ses prédécesseurs : en 1963, le colonel de La Villemarqué, avec lequel il est entré en contact, lui confirme l’existence du fonds et, surtout, l’autorise à le consulter : en septembre 1964, le propriétaire des lieux lui montre, réparties dans deux petites pièces, la bibliothèque et les archives de son aïeul. Les archives, dont les précieux carnets manuscrits, sont rassemblées dans deux armoires datant de l’occupation allemande. Donatien Laurent peut consulter à loisir le fonds d’archives et son travail aboutit en 1974 à une thèse d’État reposant sur l’étude du premier des trois carnets manuscrits. [2] Pour son travail, il s’est également appuyé sur un certain nombre de documents – la correspondance notamment – et certains ouvrages conservés dans la bibliothèque de travail.
En 1995, le fonds est réintégré dans le nouveau manoir où il se trouvait à l’origine.
Le fonds se présente aujourd’hui sous la forme d’une série de dossiers, résultats d’un premier travail de classement effectué par Pierre de La Villemarqué à la mort de son père : un certain nombre de ces dossiers correspondent aux différents chapitres de La Villemarqué, sa vie et ses œuvres qu’il fait paraître chez Lafolye à Vannes en 1908. [3] Réservé à la famille, cet ouvrage se veut, en quelque sorte, une réponse à différents articles qui, au tout début du XXe siècle, ravivent la polémique autour de l’authenticité des chants du Barzaz-Breiz. Pierre de la Villemarqué y publie un certain nombre de documents issus du fonds d’archives, des lettres notamment, et donne en annexes quelques brefs extraits des carnets manuscrits. Les archives familiales conservent les différents documents préparatoires à l’ouvrage et un certain nombre de transcriptions de chansons réalisées par Pierre de La Villemarqué qui confirment son intention de répondre aux critiques en rendant public les originaux dont s’était servi son père pour élaborer le Barzaz-Breiz. Mais il abandonnera le projet face aux réticences exprimées par ses proches.
Un peu plus tard, en 1911-1912, Pierre de La Villemarqué entreprend un inventaire sommaire du fonds d’archives et de la bibliothèque de travail. Il commence également un répertoire alphabétique des correspondants, mais finit par renoncer devant l’ampleur de la tâche. Les quatre cahiers d’écoliers qui contiennent ses notes sont cependant précieux. Ils permettent, par exemple, de constater que certains documents – mais c’est heureusement très rare – ne figurent plus aujourd’hui dans le fonds : c’est le cas notamment de lettres de Charles-Augustin Sainte-Beuve qui auront probablement été confiées à l’éditeur de la correspondance de l’écrivain et qui n’auront pas été restituées : sur les six lettres mentionnées dans l’inventaire, une seule se trouve encore dans le dossier.
En 1990, Dans le cadre d’un accord passé avec le Centre de recherche et de documentation sur la littérature orale, antenne du CRBC mise en place au manoir de Kernault à Mellac, la famille La Villemarqué accepte que soit réalisée par le centre de Kernault, une copie et un inventaire du fonds. L’ensemble des archives a donc été photocopié en respectant l’ordre des dossiers préparés par Pierre de La Villemarqué. Cela représente environ 25.000 pages. A été ensuite réalisé un inventaire, en respectant, là encore, l’ordre des dossiers, leur attribuant un numéro ainsi qu’à chaque pièce du dossier, ce qui, aujourd’hui, facilite les recherches et aidera grandement l’indexation des documents appelés à être numérisés et mis progressivement à disposition des chercheurs sur la bibliothèque numérique du CRBC.





[1Francis Gourvil, Théodore-Claude-Henri Hersart de la Villemarqué (1815-1895) et le Barzaz-Breiz (thèse), Rennes, Oberthur, 1960.
Donatien Laurent, Aux sources du Barzaz Breiz. La mémoire d’un peuple, Douarnenez, Chasse-Marée/ArMen, 1989.
Nelly Blanchard, Barzaz-Breiz. Une fiction pour s’inventer, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2006.

[2La Villemarqué collecteur de chants populaires : étude des sources du premier Barzaz-Breiz à partir des originaux de la collecte : 1833-1840.

[3La Villemarqué, sa vie et ses œuvres. Une édition revue et augmentée, publique, paraîtra en 1926 chez l’éditeur Champion à Paris.