Né à Quimperlé le 6 juillet 1815, Théodore Hersart de la Villemarqué partage son enfance entre cette ville et la campagne de Nizon, près de Pont-Aven (Finistère), où ses parents possèdent le manoir du Plessix. Député du Finistère en 1815, son père, Pierre Hersart de la Villemarqué siège parmi les Ultras, avant d’occuper le poste de sous-préfet de Quimperlé à partir de 1822. Sa mère, Ursule Feydeau de Vaugien (1776-1847), la « dame de Nizon », est très appréciée des fermiers des environs. La légende veut qu’en échange des soins qu’elle leur prodiguait, elle se fît « payer » par des chansons. C’est elle qui aurait donné le goût de la collecte de chants bretons à son plus jeune fils qui lui est affectivement très attaché.
Après ses études aux petits séminaires de Sainte-Anne-d’Auray (1824) et de Guérande (1828), puis au séminaire de Nantes (1830), celui-ci gagne la capitale, à la fin de 1833, baccalauréat ès lettres en poche, et s’inscrit comme élève libre à l’École des Chartes. Dès le mois de mars, il avait déjà séjourné dans la capitale puisqu’il assiste aux conférences d’histoire de Frédéric Ozanam, le fondateur des Conférences Saint-Vincent de Paul, dont il deviendra un ami proche. Il est également parmi les milliers d’auditeurs du père Lacordaire à Notre-Dame en 1834.
L’arrivée à Paris
À Paris, il fréquente aussi les bibliothèques, et rencontre Francisque Michel, Paulin Paris, Pierre-Hyacinthe Audiffret, Louis Monmerqué, Jean Joseph Poujoulat, Joseph Michaud… Il a également ses entrées dans les salons littéraires où figure en bonne place son « cousin » François-René de Chateaubriand. Il essaie, sans trop de succès, d’établir des relations avec son voisin de pallier, Augustin Sainte-Beuve. La Villemarqué fréquente également la société « Jeune France » dont la revue L’Écho de la Jeune France accueillera ses premières publications. Il participe aux travaux de l’Institut historique et intervient au congrès de 1835, année qui voit un différend sérieux l’opposer à Prosper Mérimée accusé d’avoir, lors de son voyage en Bretagne, soustrait un vieux manuscrit breton, celui d’un prophète du nom de Gwenc’hlan que La Villemarqué avait, disait-on, découvert dans un presbytère. En cette affaire, le comportement de La Villemarqué n’a pas été très clair : malgré l’évidente bonne foi de Mérimée, il s’est bien gardé de démentir la rumeur du vol.
À Paris, La Villemarqué fait la connaissance de jeunes Bretons (les frères Alfred et Pol de Courcy, Vincent Audren de Kerdrel - futur vice-président du Sénat - , Léopold de Léséleuc - futur évêque d’Autun -, le poète Auguste Brizeux, l’historien Aurélien de Courson, puis l’écrivain Gabriel de la Landelle, etc.). La tête pensante de ce groupe semble être le grammairien et lexicographe Le Gonidec, le rénovateur de la langue bretonne. Le milieu des années 1830 est l’occasion de banquets bretons où s’expriment clairement des idées légitimistes et revendications identitaires. La Villemarqué lui-même s’y montre quelque peu virulent dans les odes qu’il compose pour la circonstance et dont on retrouve la teneur en introduction à « Un débris du bardisme », publié en mars 1836 dans L’Écho de la Jeune France : l’article, où il insère son tout premier chant, celui de « La peste d’Elliant », avait d’ailleurs été refusé par François Buloz, rédacteur de la Revue des Deux Mondes, en raison des violentes attaques qu’il comportait à l’égard de la France.
Le Barzaz-Breiz
Sans doute, en « montant » à Paris, La Villemarqué aspirait-il, comme nombre de provinciaux, à se faire une place dans le monde littéraire de la capitale dont il fréquente les salons à la mode. Il aurait probablement subi les mêmes déceptions qu’un Émile Souvestre, s’il n’avait très vite senti l’intérêt suscité par les chants narratifs à caractère historiques dont l’on recherchait vainement les traces dans l’hexagone. L’on avait dû, jusqu’alors, se contenter de la traduction de recueils étrangers : Les admirables romanceros espagnols, véritable Iliade de la Chevalerie publiés en 1822 par Abel Hugo, Les chants populaires de la Grèce moderne en 1824 par Claude Fauriel, Ballades, Légendes et Chants populaires de l’Angleterre et de l’Écosse en 1825 par Adolphe Loève-Veimars.
La Villemarqué avait entamé, dès 1833, une collecte de chants qu’il note sur des carnets. Persuadé que les gwerzioù, complaintes à caractère historique, transmises par la tradition populaire et très présentes en Bretagne, permettent encore de retracer une histoire de la Bretagne résolument ancrée dans un passé celtique dont on ne fait que peu de cas dans l’histoire générale de la France, il a très vite l’idée de rassembler ses collectes en un recueil. Mais publier les chants tels qu’ils ont été collectés n’aurait pas manqué, à l’époque, de heurter le bon goût d’un public lettré auquel ils sont destinés. La Villemarqué se livre donc à un important travail de réfection habituel chez les éditeurs, à l’image de Claude Fauriel dont les Chants populaires de la Grèce moderne lui servent de modèle.
Dès 1836, il soumet un projet de recueil au Comité des Travaux Historiques. Malgré l’appui de sommités comme Claude Fauriel et Augustin Thierry - qui utilise même des chants de La Villemarqué pour ses travaux historiques -, l’ouvrage n’obtient pas de caution officielle : Charles Nodier, en particulier, craint d’avoir affaire à un nouveau Macpherson.
La Villemarqué comprend également très vite l’intérêt de rechercher un exemple et un appui du côté du pays de Galles : enrichie par l’essor industriel, l’aristocratie galloise finance un important renouveau linguistique et culturel. Grâce à Le Gonidec, La Villemarqué entre en relation avec des érudits gallois et, à la tête d’une délégation bretonne, il se rend en 1838 à l’Eisteddfod (grande fête littéraire et musicale) d’Abergavenny au Pays de Galles, inaugurant en quelque sorte les relations « interceltiques ».
Enthousiasme et controverse
À son retour du Pays de Galles, en 1839, paraît le Barzaz-Breiz (« Barzaz » est un mot imité du gallois pour désigner une forme d’anthologie poétique). L’ouvrage, édité à compte d’auteur, est rapidement traduit en allemand (1841), en polonais (1842). Encouragé, La Villemarqué propose en 1845 une nouvelle édition enrichie de 33 titres, et aussi plus remaniée : elle enthousiasme George Sand qui, en 1852, place certains « diamants du Barzaz Breiz » au-dessus des chants de l’Iliade ! La Villemarqué est alors un savant reconnu tant en France (cela lui vaut la Légion d’honneur en 1846) qu’à l’étranger. Sur la proposition de Jacob Grimm, avec lequel il échange une correspondance, il est nommé membre correspondant de la prestigieuse académie de Prusse en 1851. Il s’essaie également fugitivement à la politique en se présentant sans succès aux élections de 1849. En 1858, il est brillamment élu à l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres et apparaît alors comme un spécialiste incontournable de la « Matière de Bretagne » à laquelle il consacre différents ouvrages :
— Contes Populaires des anciens Bretons, précédés d’un Essai sur l’origine des épopées chevaleresque de la Table Ronde, Paris Coquebert, 1842 (réédition, Paris, Didier, 1859, 1861, sous le titre Les Romans de la Table ronde et les contes des anciens Bretons).
— Les Bardes Bretons, poèmes du VIe siècle, Paris, Renouard, 1850 (réédition Paris, Didier, 1860, sous le titre Les Bardes bretons du VIe siècle).
— Le Merveilleux au moyen-âge. L’enchanteur Merlin, Paris, Didier, 1858 (réédition Paris, Didier, 1860, 1861, sous le titre Myrdhinn ou l’Enchanteur Merlin).
— La Légende celtique en Irlande, en Cambrie et en Bretagne, suivie de textes originaux irlandais, gallois et bretons, rares et inédits, Paris, Durand, 1859 (réédition, Paris, Didier, 1864, sous le titre La Légende celtique ou la poésie des cloîtres en Irlande, en Cambrie et en Bretagne).
À partir de 1865, certains, en Bretagne, acceptent de plus en plus difficilement la mainmise du « pennsturier » (le timonier) de la littérature bretonne sur tout ce qui se publie. Ils s’interrogent sur le bien-fondé d’une coloration bardique qu’il entend donner à la littérature bretonne et remettent en cause des principes éditoriaux qui privilégient esthétisme et bon goût aux dépens d’une fidélité aux sources prônée par une nouvelle école critique qui, à partir de 1866, dispose d’une publication : la Revue critique d’histoire et de littérature, publiée sous la direction de Paul Meyer, Charles Morel, Gaston Paris, Hermann Zotenberg. L’édition du Grand Mystère de Jésus en 1865 est l’occasion de premières critiques qui se font plus précises et plus vives après la parution, à la toute fin de 1866, d’une troisième édition du Barzaz-Breiz où La Villemarqué demeure fidèle à ses conceptions. Henri d’Arbois de Jubainville et Paul Meyer reprochent à l’auteur d’en rester toujours aux « préoccupations exclusivement historiques et esthétiques » qui étaient les siennes trente ans plus tôt, sans tenir compte des exigences scientifiques nouvelles. D’abord courtoise, la controverse se fait plus vive, après la parution en octobre 1867, pendant le Congrès celtique international de Saint-Brieuc, de la réédition par René-François Le Men du Catholicon, un vieux dictionnaire latin-breton de 1499 : dans sa préface, l’archiviste du Finistère attaque violemment l’auteur du Barzaz-Breiz, l’accusant d’avoir commis un faux. C’est le début de ce qu’on a pris l’habitude d’appeler « la querelle du Barzaz-Breiz » qui atteint son paroxysme au Congrès des sociétés savantes de Saint-Brieuc, en 1872, où François-Marie Luzel fait une communication sur « l’authenticité des chants du Barzaz-Breiz ».
La Villemarqué se réfugie dans un mutisme souvent interprété comme une marque de dédain. Il est certain qu’il vit fort mal cette remise en cause en une période familiale pour le moins difficile. Sa femme, Clémence Tarbé des Sablons (1827-1870), la fille d’un haut magistrat qu’il a épousée en 1846, est gravement malade et se voit contrainte depuis le début des années 1860 à passer une partie de l’année dans les Pyrénées. Son état de santé ne cesse de s’aggraver jusqu’à son décès, à Pau, en mars 1870. La Villemarqué ne reviendra sur le devant de la scène qu’à partir de 1876 où il reprend place au sein de l’Association Bretonne et de la Société Archéologique du Finistère dont il devient d’ailleurs le président. Peu à peu il se « réconcilie », du moins en façade, avec ses anciens adversaires : avec Le Men, dès 1873, puis avec Luzel qui, au début des années 1880, vient occuper un poste d’archiviste à Quimper. Les braises de la querelle du Barzaz-Breiz couvent encore sous les cendres et, jusqu’à sa mort, qui intervient dans son manoir de Quimperlé le 8 décembre 1895, La Villemarqué se montre soucieux de ne pas les raviver.
Chef-d’œuvre de la littérature bretonne et symbole d’un renouveau identitaire pour les uns, ou simple mystification et source du nationalisme breton pour les autres, partisans et adversaires de La Villemarqué continueront longtemps à s’affronter. En 1964, la découverte des carnets manuscrits et leur étude par l’ethnologue Donatien Laurent a permis de jeter une lueur nouvelle sur la question. Le débat s’est quelque peu dépassionné, permettant aujourd’hui, à l’image de la thèse récente de Nelly Blanchard, de réexaminer le contenu du Barzaz-Breiz dans le cadre littéraire – romantique notamment – qui fut celui de sa rédaction.