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International Encyclopaedia
of the Histories of Anthropology

La Paroisse bretonne de Paris (1899-1929)

Fañch Postic

CRBC, Université de Bretagne Occidentale, Brest.

2011
To cite this article

Postic, Fañch, 2011. « La Paroisse bretonne de Paris (1899-1929) », in BEROSE International Encyclopaedia of the Histories of Anthropology, Paris.

URL BEROSE: article537.html

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Published as part of the research theme “Networks, Journals and Learned Societies in France and Europe (1870-1920)”, directed by Claudie Voisenat (Ministère de la Culture, Héritages) and Jean-Christophe Monferran (CNRS, Héritages)

L’une des clefs du succès de la Paroisse bretonne, l’œuvre officiellement fondée en 1898 par l’abbé François Cadic pour venir en aide aux Bretons de la capitale, est certainement la création, dès 1899, d’un bulletin de liaison. Quand on aborde les travaux de l’abbé François Cadic, il faut d’ailleurs avoir à l’esprit qu’il « fut en somme un journaliste » comme l’a fort justement noté son ami Yves le Diberder, un autre collecteur important du pays vannetais. François Cadic a d’ailleurs contribué au lancement du journal Ouest-Éclair, (aujourd’hui Ouest-France), créé en 1899 à l’initiative de l’abbé Trochu, dans la mouvance des idées de la démocratie chrétienne. François Cadic y écrit de nombreux articles à la Une en 1899-1900 : sur la Bretagne, la langue, les traditions, sur l’émigration bretonne à Paris, sur le congrès ecclésiastique de Bourges…

Une âme de journaliste

Rien de surprenant alors à ce que François Cadic ait très vite compris que l’un des meilleurs moyens d’établir un lien entre tous les sociétaires de la Paroisse bretonne était de disposer d’une publication régulière. C’était aussi une bonne manière de faire connaître l’action de la société en Bretagne même. Mais il ne suffit pas de créer un bulletin, encore faut-il l’alimenter : François Cadic va s’y employer pendant 30 ans, d’avril 1899 à avril 1929.
La publication, de format 21cm x 27cm, sera d’une belle régularité sauf pendant la Première Guerre mondiale, les vacances d’été que le directeur met à profit pour voyager, ou les absences pour maladie. D’abord imprimée à Montmartre, puis à Rennes, elle le sera dès septembre 1900 par l’Imprimerie moderne d’Aurillac. Cela peut paraître surprenant. Mais cette imprimerie a été fondée par l’un de ses anciens condisciples de licence à l’Institut catholique de Paris, l’abbé Francis Courchinoux (1859-1902). Issu, comme François Cadic, d’une famille de cultivateurs, ce dernier avait un temps été directeur de l’école Gerson à Paris, avant de retourner à Aurillac pour y créer une imprimerie et un journal, La Croix cantalienne. Poète cantalien estimé, il avait par ailleurs fondé l’Escolo Oubergnato et une revue en dialecte, Lo Cobreto. François Cadic bénéficiait auprès de son ancien condisciple de conditions avantageuses. [1] À la mort de ce dernier, La Paroisse Bretonne de Paris sera imprimée un temps à Paris puis en Bretagne.
Le premier numéro, en avril 1899, ne comporte que quatre pages, le second huit. Très vite La Paroisse Bretonne passe à douze pages, puis à quatorze, en mars 1911 et même à seize, en mai 1912 avant de revenir à douze en juillet 1916, et cela jusqu’au dernier numéro.
Le bulletin connaît un rapide succès. Dès la fin de 1900 avec ses 1300 abonnés, il est cité au congrès ecclésiastique de Bourges [2] comme le journal paroissial qui compte le plus d’abonnés en France. En 1914, ils sont plusieurs dizaines de milliers… Il faut toutefois préciser que l’abonnement au bulletin est alors obligatoire pour tout adhérent de la Paroisse Bretonne.
Au fil des trente années, le contenu du bulletin ne varie pas sensiblement. Son rôle premier est, bien entendu, de renseigner les adhérents sur les activités de la société : c’est un guide pratique qui donne les rendez-vous à venir, les points de ralliement ; on y retrouve le compte rendu des nombreuses réunions, des conférences, des concerts, des ventes de charité... C’est en quelque sorte un bilan, mois par mois, du travail accompli, chiffres à l’appui (nombre de personnes aidées, vêtements distribués, bibliothèque)... Il s’agit encore d’attirer l’attention des abonnés de Bretagne (dont de très nombreux prêtres) sur les conditions de vie des Bretons dans la capitale pour qu’ils puissent mieux guider, conseiller… et dissuader si possible les candidats au départ.
La part prise par le directeur dans la rédaction du bulletin est considérable et, d’ailleurs, le bulletin ne lui survivra pas. Sa plume lui est une arme de lutte et il n’hésite pas, au besoin à se faire polémiste en nous livrant ses réflexions sur l’émigration, la politique extérieure et intérieure, manifestant ouvertement son désaccord avec le gouvernement en place, fustigeant ici les Anglo-Saxons et les protestants, là les juifs et les francs-maçons, ou encore les jansénistes et les bolcheviks... usant parfois d’un manichéisme quelque peu simpliste qui trouve à s’exprimer dans cette période pour le moins agitée de l’affaire Dreyfus, de l’interdiction de la prédication en langue bretonne (1902), de la séparation de l’Église et de l’État en 1905, année qui voit également la naissance du personnage de Bécassine : le bon paysan catholique breton s’oppose à « l’homme des villes » et au bourgeois franc-maçon du Midi… Il y a, présente chez François Cadic, la vision nostalgique d’une Bretagne quelque peu idyllique, celle de l’intérieur, de sa région natale en particulier, qui, restée à l’écart du modernisme, aurait conservé une forme de pureté, et se verrait de ce fait confier la mission de régénérer une France pervertie par le modernisme et le cosmopolitisme…
Plus anecdotique, mais bien précieuse, la rubrique nécrologique nous livre des portraits souvent touchants de tous ceux qui ont apporté un quelconque soutien au prêtre ou au collecteur. C’est là notamment que se trouvent des précisions sur des conteurs ou des chanteurs dont certains nous seraient demeurés inconnus.

Publier les collectes pour les maintenir vivantes

Chaque numéro de La Paroisse Bretonne, ou presque, comporte un chant populaire, un conte ou une légende. Après avoir commencé à publier des documents communiqués par des amis, François Cadic confie au bulletin le résultat de sa propre collecte et, à la veille de la Première Guerre mondiale, il a déjà fait paraître près de 150 contes et légendes et 120 chansons. Au total ce sont environ 200 contes et récits légendaires qui seront ainsi publiés au fil des numéros et autant de chants, accompagnés le plus souvent de leur mélodie, car si lui-même ne semble pas avoir les compétences nécessaires pour noter les airs, il fait appel à des amis qui peuvent s’en charger.
Très vite il a l’idée de réunir, en les adaptant si nécessaire, les articles qu’il a fait paraître dans le bulletin, et parfois également dans Ouest-Éclair. Les premiers concernent naturellement l’émigration. Par la suite, si l’on excepte Questions de politique extérieure, paru en 1906, où il manifeste ses inquiétudes quant au devenir des agrégats de peuples que sont la Chine, la Russie ou même les États-Unis, toutes les publications concerneront les traditions populaires de la Bretagne.
C’est d’abord indirectement qu’il aborde le sujet. Dans deux fascicules, il décrit les paysages, coutumes et petits métiers de Bretagne, du pays de Vannes principalement : Dans la campagne bretonne : étude sur les métiers, les habitudes et les travers des paysans bretons paraît en 1903, puis Çà et là à travers la Bretagne, en 1905. Il s’agit là encore de reprises et d’adaptations d’articles parus dans le bulletin, qui ont parfois servi d’introduction aux chansons.
Mais très vite la publication des contes et légendes prend une place prépondérante ; fort appréciés semble-t-il des lecteurs de La Paroisse Bretonne, ils leur seront, pense-t-il, d’un usage plus commode, ainsi réunis en volumes séparés. Ce sont d’abord des « séries » de Contes et légendes de Bretagne d’une centaine de pages, rassemblant approximativement les contes et légendes publiés pendant une année dans La Paroisse Bretonne, soit une douzaine de documents. Le principe semble parfaitement convenir à François Cadic puisqu’on ne compte pas moins de onze séries éditées entre 1903 et 1914.
Ces petits volumes, destinés en particulier à être offerts aux enfants, connaissent un réel succès et sont généralement épuisés dès leur parution. Le tirage en était sans doute fort modeste et ces opuscules demeurent aujourd’hui presque introuvables. Encouragé par cette réussite, François Cadic imagine de réunir les contes et légendes déjà publiés en ouvrages plus volumineux et plus largement diffusés qu’il construit autour d’une classification thématique. Si les introductions ne sont que la reprise d’articles déjà parus dans La Paroisse Bretonne, la principale nouveauté est l’adjonction de « commentaires explicatifs » qui proposent, à la suite du conte ou du récit légendaire, des considérations essentiellement historiques et géographiques, morales et religieuses. Ils contiennent aussi quelques éléments de traditions populaires sur les êtres fantastiques notamment.
En 1914, paraît à Paris un premier gros volume de Contes et légendes de Bretagne avec commentaires explicatifs, qui sera partiellement réédité en 1929, puis en 1950. La guerre retarde le programme des publications et il faut attendre 1919 pour voir paraître la « deuxième série » des Contes et légendes de Bretagne avec commentaires explicatifs. En 1922 un troisième recueil porte encore le même titre, avec la simple mention « nouvelle série ». La même année paraissent Les Nouveaux contes et légendes de Bretagne avec commentaires explicatifs, « première série ». Le dernier recueil publié du vivant de l’abbé Cadic, Nouveaux Contes et Légendes de Bretagne « deuxième série », l’est en 1925.
Le tirage total de ces 5 volumes avoisinera les 20 000 exemplaires et ils sont tous épuisés dans l’année qui suit leur parution. Ainsi, en 1922, 550 exemplaires de la première série des Nouveaux Contes et Légendes de Bretagne sont enlevés en quinze jours, 1000 en trois mois. [3] Un mois à peine suffit pour vendre 800 exemplaires de la seconde en 1925. [4]
On comprend aisément la difficulté d’y voir clair entre tous ces volumes de contes et légendes, ces « séries » et « nouvelles séries », d’autant plus que de l’un à l’autre François Cadic n’hésite pas à changer les titres des récits. Ayant publié en volumes une bonne partie de ses collectes, éprouvant de plus en plus de difficultés à en effectuer de nouvelles et à obtenir des matériaux auprès de ses proches, François Cadic cherche une nouvelle façon de les rééditer. Quelques mois seulement avant sa mort, il met la dernière main au manuscrit d’un nouveau recueil, Contes bretons sur douze métiers. C’est son neveu, l’abbé Le Moing qui, le retrouvant dans ses papiers, se chargera en 1943, malgré les difficultés liées à la guerre, de le publier aux Éditions celtiques que dirige Jean Floc’h à Paris.
La plupart de ces volumes, à l’exception de ce dernier, utilisant un papier de médiocre qualité sont pour ainsi dire introuvables aujourd’hui, de même que les numéros du bulletin de La Paroisse bretonne de Paris.
Pour clore cette longue énumération des écrits de l’abbé Cadic, il faut encore mentionner l’imposante « Histoire populaire de la chouannerie en Bretagne », d’après des recherches personnelles en archives, des témoignages oraux recueillis par ses soins ou écrits, confiés par des amis... Elle sera publiée au fil des numéros de la Paroisse Bretonne de mars 1908 à août-septembre 1919, et sera suivie d’octobre 1919 à février 1923 par une « Histoire des réfractaires en Bretagne », illustrée par de nombreuses chansons.
On comprend, à la lecture de cette impressionnante bibliographie, quel travailleur acharné était l’abbé Cadic, écrivant dans des conditions difficiles, surtout dans les dernières années de sa vie, comme en témoigne son neveu, l’abbé Le Moing : « Il fallait qu’il fût doué d’une constitution de fer, il fallait surtout une force de volonté farouche, pour avoir pu continuer, rongé qu’il était par une tuberculose généralisée, exténué par une toux persistante, sa vie de labeur incessant. Et pourtant, jusque dans les derniers mois, ne traînant plus qu’avec peine son corps amaigri, il s’est obstiné à son œuvre, sans rien omettre des obligations qu’il s’était imposées, travaillant le jour à la « Paroisse bretonne » et écrivant le soir chez lui. Il quittait à huit heures en hiver une salle surchauffée de la rue de Vaugirard pour gagner dans la nuit, son appartement glacé de la rue Littré, où, les jambes entourées de couvertures, il écrivait sans se rendre compte de la fuite des heures. » [5]




[1La Paroisse bretonne, novembre 1902, “Nos morts”, p. 7, et Prévost et Roman d’Amat, Dictionnaire de biographie française. Voir aussi Jean-François Chanet, Les félibres cantaliens. Aux sources du régionalisme auvergnat (1879-1914) [je n’ai pas pu consulter l’ouvrage].

[2Le congrès, qui se tient du 10 au 13 septembre sous la présidence effective de l’abbé Lemire, a justement pour thème le “journal paroissial” et les “œuvres provinciales”.

[3Chiffres cités dans La Paroisse Bretonne de janvier et mars 1923.

[4La Paroisse Bretonne, août-septembre 1925.

[5Abbé Le Moing, L’abbé François Cadic, directeur de la Paroisse Bretonne de Paris, Vannes, Mahéo, 1930, p. 6.

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