En 1870, Henri Gaidoz, Hyacinthe de Charencey et Charles de Gaulle proposent au Corps législatif une « Pétition pour les langues provinciales ». En fait, dès 1865, dix-neuf personnalités de Lorraine signent une brochure d’une cinquantaine de page intitulée « Un projet de décentralisation » où ils proposent de repenser l’administration territoriale de la France en donnant plus de pouvoir aux élus locaux. Ce manifeste, plus connu sous le nom de Programme de Nancy, fait quelque bruit, notamment par les réponses des personnalités auxquelles il est adressé et dont les lettres sont insérées dans une nouvelle édition.
Il existe alors un véritable courant favorable à la décentralisation dont les premiers effets sont, en 1866 et en 1867, les lois qui étendent les attributions des conseils généraux et municipaux. Deux ans plus tard, en septembre 1869, se réunit à Lyon un « Congrès de la presse provinciale indépendante » où les rédacteurs présents, ne se limitant pas à la seule liberté de la presse, insistent, à leur tour, sur la nécessité d’accorder plus d’autonomie aux communes et aux départements.
Tous ces appels pressants et convergents conduisent le gouvernement impérial à créer, au début de l’année 1870, une grande commission chargée d’étudier la question. Forte de 62 membres elle se réunit pour la première fois le 3 mars, sous la présidence d’Odilon Barot, avocat et homme politique originaire de Lozère [1].
Le souhait du gouvernement d’« être éclairé sur tous les problèmes soulevés par cette grande question de la décentralisation, dont l’urgence est depuis si longtemps proclamée », donne à certains l’idée de porter le débat au-delà du simple cadre administratif pour l’élargir à la question linguistique : « Trois jeunes philologues, enthousiastes pour l’objet de leurs études et ambitieux d’une renaissance politique et littéraire pour [les] langues provinciales […] voulurent profiter de ce mouvement de l’opinion et organiser, dans le public lettré, une agitation de décentralisation linguistique », raconte en 1903, Henri Gaidoz, l’un des trois « conjurés », les deux autres étant un conseiller général de l’Orne, le comte Hyacinthe de Charencey, homme politique et linguiste, spécialiste notamment de la langue basque, et Charles de Gaulle, l’oncle celtisant du Général.
Dès juin 1862, ce dernier avait adressé à La Villemarqué un manifeste, « Mes vœux pour la Bretagne », où il faisait part de son espoir de voir la décentralisation entrer bientôt dans les faits : « Soyons prêts, écrivait-il, à profiter des événements qui peuvent surgir. Depuis longtemps déjà il s’opère dans les esprits un travail favorable aux idées de décentralisation. Dans ces dernières années elles ont gagné les hommes sincères et bien intentionnés de tous les partis. Le système actuel, malgré quelques apparences contraires, leur est, il est vrai, aussi hostile que possible ; mais il se produira une inévitable réaction dans un temps plus ou moins éloigné. Il faudra être prêts alors et pour être prêts alors il faut s’unir dès aujourd’hui. »
Au début de 1870, ce moment semble venu. Et c’est rue de Vaugirard, dans la chambre de Charles de Gaulle, qu’une infirmité lui interdit de quitter, que tous trois mettent en commun « leur enthousiasme, leurs idées et leur style » pour élaborer une « Pétition pour les langues provinciales », destinée à être déposée devant le Corps législatif. Auparavant, à l’exemple du Programme de Nancy, ils décident de la faire imprimer et de la soumettre à diverses personnalités du monde littéraire et scientifique dont ils veulent s’assurer de l’appui. « Ce n’est qu’après avoir obtenu les adhésions de personnes influentes et notables que nous publierons et répandrons cette pétition pour tâcher de recueillir de nombreuses signatures », écrit de Gaulle à La Villemarqué le 21 juin 1870 [2].
Mais la guerre survient. En février 1871, une commission parlementaire reprend la question de la décentralisation dont les travaux aboutissent à la loi du 10 août sur l’administration des départements - encore largement en vigueur aujourd’hui. Les réformes concernant l’administration communale devront attendre les lois de 1882 et 1884, alors que s’estompe le souvenir de la Commune de Paris.
La pétition, quant à elle, en restera au stade d’épreuve et il n’en sera plus question jusqu’à ce que Henri Gaidoz se décide, trente ans plus tard, à en publier le texte, poussé par les remous provoqués par la circulaire Combes de septembre 1902 sur « l’usage abusif du breton » [3], qui interdit aux prêtres d’assurer la prédication et le catéchisme en langue bretonne [4].(4) Il le conserve tel qu’il avait été rédigé en 1870, malgré l’évolution de l’Histoire qui a rendu caducs certains exemples et arguments.
Henri Gaidoz et la pétition pour les langues provinciales de 1870
CRBC, Université de Bretagne Occidentale, Brest.
Postic, Fañch, 2008. « Henri Gaidoz et la pétition pour les langues provinciales de 1870 », in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l'anthropologie, Paris.
URL Bérose : article469.html
Publié dans le cadre du thème de recherche « Réseaux, revues et sociétés savantes en France et en Europe (1870-1920) », dirigé par Claudie Voisenat (Ministère de la Culture, Héritages) et Jean-Christophe Monferran (CNRS, Héritages).
[1] Voir Brigitte Basdevant-Gaudemet, La commission de décentralisation de 1870. Contribution à l’étude de la décentralisation en France au XIXe siècle, Paris, PUF, 1973.
[2] (2) Fañch Postic, « 1870 : la première pétition en faveur des langues régionales », revue ArMen, n° 140, mai-juin 2004, p. 26-31.
[3] Voir Fañch Broudic, L’interdiction du breton en 1902. La IIIe République contre les langues régionales, Spézet, Coop Breizh, 1996.
[4] Édité à Paris chez Picard et fils, en janvier 1903.