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Encyclopédie internationale
des histoires de l’anthropologie

Prédécesseur « maudit » de Marcel Mauss : Léon Marillier, psychologue des religions

Pascal Le Maléfan

Université de Rouen

2025
Pour citer cet article

Le Maléfan, Pascal, 2025. « Prédécesseur “ maudit ” de Marcel Mauss : Léon Marillier, psychologue des religions », in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l'anthropologie, Paris.

URL Bérose : article3892.html

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Publié dans le cadre du thème de recherche « Histoire de l’anthropologie française et de l’ethnologie de la France (1900-1980) », dirigé par Christine Laurière (CNRS, Héritages).

Résumé : Léon Marillier reste peu connu malgré ses multiples engagements et travaux, notamment dans le domaine de l’anthropologie religieuse. Après quelques éléments biographiques indispensables pour situer le personnage dans son époque et retracer une vie qui fut dramatiquement écourtée, ses conceptions sur les religions seront exposées. Représentant français de l’anthropologie religieuse anglaise de Tylor, Marillier appliquait à son étude de l’ethnographie, de l’anthropologie ou encore de la mythologie comparée une méthode à la fois historique et psychologique. Par la méthode psychologique, il s’agissait pour lui – lui qui resta un « psychologue » comme le critiqua Marcel Mauss, son élève – de rattacher les croyances, les faits religieux à certains traits particuliers de la structure intellectuelle et émotionnelles des esprits. Quant à la méthode historique, qui repose sur un évolutionnisme assumé, l’approche des faits religieux développée par Marillier maintenait l’idée d’une évolution historique par gradients dans les capacités de l’esprit à complexifier la religion. La vie de Marillier fut tout entière – pour ce qu’elle a duré – au service des autres, dans un don de soi permanent. Son aspiration était en fait de devenir un personnage politique pour pouvoir appliquer ses idées de justice sociale dans le cadre d’un régime républicain et laïc dont il est un fervent soutien et propagateur. Ses combats le préfiguraient, tout comme la place de plus en plus grande prise par ses écrits « politiques » dans le journal protestant, dreyfusard et républicain Le Signal durant la dernière décennie de son existence.

Cette étude biographique vise à combler une lacune dans l’histoire des sciences humaines. Bien que souvent cité, à la fois d’ailleurs par les historiens de la psychologie, de la sociologie ou de l’anthropologie religieuse, Léon Marillier reste peu connu [1].

Entre psychologie et religion, une trajectoire biographique originale

Léon Louis Marie Marillier est né à Lyon le 31 décembre 1862. Fils d’Auguste Marillier, riche négociant, et de Cécile Marillier née Chaley, il passe son enfance et son adolescence à Autun et Besançon. Étudiant boursier en philosophie à l’université de Dijon, il obtient sa licence en 1881. À Dijon, il fait la connaissance de Charles Seignobos, agrégé en 1877, futur historien renommé et alors maître de conférences. Leurs destins resteront liés puisque Cécile Marillier, devenue veuve, sera la compagne de Seignobos. Reçu à l’École normale supérieure en 1882, il refuse d’y entrer en raison de son état de santé ne lui permettant pas de vivre en internat. Il en démissionne et obtient une bourse d’agrégation à la Faculté des lettres de Paris. Il devient agrégé de philosophie en 1885, mais n’enseignera jamais en lycée. Il emprunte alors deux voies, qu’il associera, fondant ainsi l’originalité de sa démarche : l’étude de la psychologie, normale et pathologique, et celle des sciences religieuses.

Les débuts de cette association apparaissent dès l’année scolaire 1885-1886 au cours de laquelle il suit les cours d’exégèse d’Auguste Sabatier, théologien protestant, fondateur de la Faculté de théologie protestante de Paris en 1877. En parallèle, il assiste aux Leçons du neurologue Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière, et aux cours et présentations de malades de l’aliéniste Valentin Magnan à l’asile Sainte-Anne à Paris (Marillier 1893a). Il suit également des cours à la Faculté de médecine et de biologie, et très probablement le cours de Psychologie expérimentale de Théodule Ribot à la Sorbonne.

De 1887 à 1889, il obtient un cours libre à la Faculté de théologie protestante, avec l’appui de Sabatier, dont l’intitulé était : La psychologie dans ses rapports avec la religion. Lors du conseil de la Faculté en date du 4 juillet 1887 où fut examinée la demande de cours libre de Léon Marillier, on s’inquiéta, malgré la recommandation de M. Sabatier, des opinions philosophiques et religieuses de « ce jeune professeur » (il avait 24 ans). Le doyen Lichtenberger proposa de le rencontrer pour l’entendre sur les sujets du Dieu personnel et de la Providence. Le procès-verbal de la séance suivante, du 11 juillet, rapporte que le doyen l’a fait venir et a reçu « une impression excellente, Mr Marillier n’appart[enant] nullement aux esprits forts et critiques. C’est un catholique qui vient au protestantisme et une nature profondément religieuse. » Un peu plus loin il est signalé, comme gage supplémentaire de sa bonne foi si l’on peut dire, que « le sujet de la thèse de docteur ès lettres qu’il prépare est celui-ci : L’Idée du mal dans l’Imitation de Jésus-Christ [2] ».

La seule indication apportée par les procès-verbaux de la Faculté concernant le contenu de ce cours donné pendant deux années est qu’il traitait de la volonté. Finalement, était-ce vraiment un cours de psychologie expérimentale, c’est-à-dire d’une psychologie complètement dégagée de la philosophie, spiritualiste en l’occurrence, ou plutôt d’un cours composite illustrant les relations encore paradoxales entre la philosophie et la nouvelle psychologie (Plas 2000 : 14) ? Une autre indication plaide en ce sens. Léon Marillier demanda au Conseil de la Faculté, et obtint encore, à enseigner la philosophie de Descartes, Leibnitz et Spinoza.

Le désir qu’il avait de faire de la psychologie se confrontait donc au fait qu’il parlait d’abord d’une place de philosophe, et qui plus est de philosophe à tendance spiritualiste. Sa conversion en psychologue expérimentaliste n’était alors pas totale. De sorte qu’il faut considérer son cheminement en terre protestante, qui allait bientôt le mener à l’École pratique des hautes études (EPHE), comme une voie de laïcisation de son rapport au phénomène religieux, condition nécessaire pour un abord résolument psychologique, mais peut-être pas suffisante comme nous le verrons.

Léon Marillier et la nouvelle psychologie

Ses liens de travail et ses intérêts le font participer à la création en 1885, avec Charles Richet et Théodule Ribot, de la Société de Psychologie physiologique, présidée par Charcot. Il collabore d’ailleurs à l’organisation du 1er Congrès de Psychologie physiologique à Paris au mois d’août 1889, lors duquel il présente les premiers résultats d’une enquête débutée en avril qu’il a menée comme représentant français de la Society for Psychical Research anglaise sur la fréquence statistique des hallucinations dites véridiques dans la population générale. Véridiques signifie, d’une part qu’elles se différencient des hallucinations des aliénés, des hystériques ou de celles causées par des toxiques ou la fièvre, et d’autre part qu’elles coïncident avec des faits réels, précisément la mort ou la mise en danger d’un proche, le mécanisme de base étant la télépathie selon les psychistes anglais Gurney, Edmund Gurney, Frederic W. H Myers et Frank Podmore. Marillier traduira ainsi leur ouvrage, Phantasms of the living (1886), par Les hallucinations télépathiques (1891), tout en se montrant réservé sur cette hypothèse. Au reste, c’est la même attitude intellectuelle qu’il adoptait s’agissant de toute tentative d’explication par le surnaturel de la sainteté, de la possession ou de la mystique : Marillier ne voulait s’en tenir qu’à ce qui était en conformité avec les lois générales de la psychologie. Il le démontre d’ailleurs dans une publication dans les Proceedings de la Society for Psychical Research, en 1891, par une étude sur un cas d’apparition de la Vierge en Dordogne chez une jeune fille de 11 ans ; il écarte l’explication par la suggestion mentale à distance ou la télépathie et propose celle de la constitution héréditaire et de la croyance expectante propre à construire une illusion à partir d’un point concret dans le champ perceptif, se référant ici aux études sur l’hallucination de son ami Alfred Binet. De même, lorsqu’il salue l’intérêt de la réédition, par Bourneville, dans sa Bibliothèque diabolique (Marillier 1897), d’ouvrages relatifs à la sorcellerie, c’est pour insister sur l’apport pour la psychologie pathologie de tous les phénomènes étranges qu’ils comportent, mais aussi pour souligner leur utilité pour saisir les formes mentales normales de la vie religieuse, dont le mysticisme.

L’engagement de Léon Marillier dans la voie de la psychologie nouvelle s’est encore signalé par l’étude du sens musculaire, question d’actualité pour la psychologie d’alors. Cette recherche, faite conjointement avec Émile Gley [3] et à laquelle a participé Louis Lapicque à l’Hôtel-Dieu à Paris, sera exposée devant la Société de psychologie physiologique en 1887.

Un autre sujet est privilégié par Léon Marillier : l’attention. Il projetait encore, peu avant sa disparition, de lui consacrer un ouvrage. Un article très remarqué publié en 1889 dans la Revue philosophique et une participation au débat sur ce sujet lors du 1er Congrès de psychologie physiologique à Paris, en firent le champion de la thèse de l’attention comme phénomène cognitif, complétant, voire s’opposant à celle de Ribot soutenant l’importance de l’émotion et des états affectifs comme moteurs de l’attention. Marillier appuya sa démonstration sur l’analyse du délire chez l’aliéné.

La diversité des sujets et des méthodes caractérisant la naissance de cette nouvelle psychologie qui se voulait « expérimentale » (à partir des faits) a impliqué pour Marillier de se prendre comme sujet d’étude. En décembre 1885, lors d’une séance de la Société de psychologie physiologique, il fait part de quelques observations « d’hallucinations » sur lui-même. L’ensemble apparaît comme un véritable document clinique, écrit après-coup, décrivant des vécus où il a éprouvé une division subjective. Ils lui apparaissent fortement étranges et Marillier évoque le dédoublement de personnalité pour en rendre compte. L’onirisme, teinté d’érotisme, en caractérise certains, mais aussi l’angoisse. Mais le plus remarquable d’entre eux, selon Marillier lui-même, survint durant la fin d’adolescence lorsqu’il était éloigné de sa famille, en Allemagne, dans des conditions d’isolement affectif et culturel.

Vers les sciences religieuses

Le procès-verbal en date du 12 juillet 1889 du conseil de la Faculté de théologie protestante indique que : « M. Marillier, retenu par d’autres travaux, regrette de ne pouvoir continuer un enseignement qu’il donnait de bon cœur. »

Entre autres travaux, dont la préparation du 1er Congrès de Psychologie physiologique qui allait avoir lieu à Paris au mois d’août et un enseignement de psychologie et de morale qu’il devait donner à l’École Normale d’institutrices de la Seine, Léon Marillier assurait depuis 1888 un cours libre sur Les phénomènes religieux et leur base psychologique dans le cadre de la Section des Sciences religieuses de l’EPHE, en parallèle donc avec quasiment le même cours donné à la Faculté de théologie. Parmi les sept auditeurs de ce cours libre, Louis Lapicque [4], étudiant en médecine, qui deviendra un ami de Marillier et également de Seignobos. Le résumé, paru dans l’Annuaire de l’École, nous renseigne sur ce que devait être le contenu de son cours à la Faculté de théologie protestante et surtout sur les orientations épistémologiques et idéologiques du savant Marillier.

Ce cours avait lieu sur deux semestres. Durant le premier, il s’agissait d’abord de l’étude critique de témoignages informant sur les religions des peuples « non civilisés » (en référence à Albert Réville [5]), religions étant entendues comme l’ensemble des croyances, mythes, rites et coutumes. Ensuite de l’étude psychologique des phénomènes religieux chez ces « non civilisés », où il était démontré leur dépendance avec les deux tendances primordiales, le besoin d’expliquer et le besoin d’adorer. Enfin, il s’agissait de rendre compte de la vie religieuse du « sauvage » par l’état même de son esprit.
Au second semestre, Marillier s’est occupé du culte des morts et de l’animisme en Afrique et en Océanie.

Ce rapide survol nous permet déjà d’indiquer que sa manière d’aborder le phénomène religieux n’a pas varié durant tout son enseignement, ce qui a fondé la critique de Marcel Mauss dont nous ferons état et la rupture qu’il opérera dans l’étude des sciences religieuses à la suite de Durkheim. Or cette critique a d’autant plus été nécessaire du fait de l’accession de Marillier à une place institutionnelle importante dans le champ des sciences religieuses, donnant à sa doctrine un poids scientifique. En 1890, il est en effet titularisé à l’EPHE et chargé d’un cours intitulé – Religions des peuples non civilisés – prévu par le programme initial de la Ve Section dès 1886 –, et ceci jusqu’à sa disparition subite en 1901. Le choix de ce jeune intellectuel comme maître de conférences de la Section des Sciences religieuses fut au reste tout à fait logique avec la conception même des sciences religieuses défendues par ses promoteurs. Les qualifications et intérêts de Marillier, notamment pour la psychologie, ont alors semble-t-il idéalement correspondu au profil du chercheur dans ce nouveau domaine.

Signalons qu’il écrit pour la leçon-programme de l’année 1893 un mémoire intitulé La survivance de l’âme et l’idée de justice chez les peuples non civilisés (Marillier 1894) [6] qui sera imprimé avec le rapport annuel de l’École et que Marcel Mauss et Arnold Van Gennep figurent parmi ses étudiants à partir de 1895 [7]. Van Gennep sera régulièrement invité chez lui chaque semaine, comme il le rapporte dans une lettre au libraire-imprimeur de Quimper Le Goaziou [8].

L’institutionnalisation des « sciences religieuses »

Léon Marillier n’était pas protestant mais, on l’a vu, il a su s’introduire et se faire apprécier au sein de la Faculté de théologie protestante [9]. Certes, pour sa nomination à la Ve Section, il a pu bénéficier des appuis de Seignobos, protestant lui aussi, et, comme le suggère Cabanel (1994 : 78), de l’attitude éminemment libérale des protestants. Mais il faut supposer, comme nous l’avons signalé plus haut, une concordance entre ce qu’il pouvait proposer et ce que requerrait le poste à pourvoir. Cette concordance peut se déduire de la conception de l’histoire des religions prônée par les tenants protestants de la nouvelle science des religions, notamment les Réville père et fils, détenteurs de toutes les positions de pouvoir institutionnel et éditorial dans ce nouveau champ. Albert Réville, protestant, titulaire de la chaire d’Histoire des religions au Collège de France, succédant à Renan, est le premier président de la toute nouvelle Ve Section de l’EPHE. Son fils, Jean, en sera le secrétaire. Ce dernier sera aussi le codirecteur avec Léon Marillier, à partir de 1896, de la Revue de l’Histoire des religions, et tous deux seront secrétaires de la commission d’organisation du 1er Congrès international d’histoire des religions qui s’est tenu à Paris le 3 septembre 1900. Enfin, la Faculté de théologie protestante de Paris apparaît comme le principal vivier de maîtres et de disciples de la jeune science.

La conception de l’histoire des religions évoquée plus haut repose sur l’application d’une méthode scientifique jugée neutre, et la méthode historique et critique paraît en l’occurrence la plus adaptée. Dès lors toutes les religions seront traitées sur un pied d’égalité, sans jugement, mais aussi expliquées par un facteur ultime qui assure l’unité du phénomène religieux, le sentiment religieux (Cabanel 1994 : 60). Or ce concept, à visée essentialiste, est de nature psychologique, et la religion est elle-même qualifiée de grand fait psychologique (Cornelis Tiele) ou encore de faculté mentale (Max Müller).

On voit déjà sur quels points Mauss se séparera de Marillier en appliquant la méthode sociologique à l’étude du religieux. Mais en 1890, Léon Marillier est un représentant déjà en vue de cette science émergeante qu’est la psychologie expérimentale (l’année précédente, nous l’avons mentionné, il organisait le Congrès de Psychologie Physiologique et il faisait partie du comité d’organisation de celui de 1892) ; de plus, il avait démontré, dans ses cours libres, qu’il adhérait à la conception, qu’on peut dire protestante, des sciences religieuses, et le doyen de la Faculté de théologie protestante Lichtenberger voyait en lui « une nature profondément religieuse », condition requise pour étudier le fait religieux. Mais on peut néanmoins s’interroger sur le type de psychologie qu’il entendait appliquer. Nous avons indiqué plus haut que son engagement dans la nouvelle psychologie n’était pas entièrement dégagé d’une psychologie spiritualiste et de la philosophie. Par ailleurs il est permis d’évoquer le rôle de la psychologie dans la démarche historienne de Seignobos (Prost 1994 ; Richard 1999), dans la mesure où l’on peut supposer une influence de ce dernier sur Marillier, qui a très certainement lu le texte publié dans la Revue philosophique de 1887 intitulé « Les conditions psychologiques de la connaissance en histoire », en plus des échanges que leurs liens familiaux devaient permettre. On retiendra en effet le postulat de Seignobos que tout fait historique, humain, peut être rapporté en dernière analyse à une intention ou à des motifs d’ordre psychologique, qui au demeurant peuvent avoir une source inconsciente dont rend compte la notion d’instinct. Or le raisonnement de l’historien sur cette dimension psychologique du passé ne peut se faire que par analogie ou ressemblance avec la réalité actuelle, ou encore par observation de la réalité présente. Ainsi Seignobos a-t-il pu écrire : « L’histoire serait ainsi une application des sciences descriptives de l’humanité (psychologie descriptive, sociologie ou science sociale) ; mais toutes sont encore mal constituées et leur infirmité retarde la constitution d’une science de l’histoire. » (Seignobos 1901, cité par Prost 1994 : 110). De fait, la psychologie dont se réclame Seignobos ne doit rien à un Pierre Janet ou un Théodule Ribot mais continue de se référer à une démarche introspective, seule méthode capable selon sa perspective de connaître « le fait de conscience individuel ». Néanmoins un tel postulat a conduit l’historien à affirmer l’existence d’une nature humaine universelle, anhistorique et indépendante des conditions matérielles. Ces dimensions se retrouvent bien chez le Léon Marillier psychologue du fait religieux « des peuples non civilisés », avec des accents qui lui sont propres. Si bien qu’il a dû construire une sorte de compromis entre une tendance évolutionniste héritée de l’école anthropologique anglaise dont il va devenir le porte-parole en France (Rosa 1996) [10], et une tendance plus humaniste, donnant une place à l’universel, cherchant à démontrer l’unité de l’esprit humain. Sa lecture psychologique des faits religieux a contribué à un tel compromis, en même temps que ses orientations politiques et philanthropiques.

Conception des religions de Marillier et critique maussienne

La conception des religions défendue par Marillier est d’abord accessible par la lecture de ses textes. Une voie un peu plus rapide et sans doute partiale si ce n’est partielle consiste à suivre la critique qu’en fit Marcel Mauss, notamment lors de la Leçon d’ouverture du cours des Religions des peuples non civilisés, lorsqu’il succéda à l’EPHE à Léon Marillier en 1902 après avoir été son élève.

La critique n’empêche pas la reconnaissance et la dette. Mauss se dit expressément redevable de la méthode transmise par Marillier, salutaire à plus d’un titre : « Avant tout, dit-il, M. Marillier nous apprit la critique des faits » (Mauss 1969b : 463).

La caractéristique scientifique de Marillier, indique encore Mauss, était en effet d’être un critique, à un haut degré. Son œuvre est d’abord une œuvre considérable d’examen et de classement. Examen des faits rapportés par les voyageurs ou ethnographes, où la position de l’observateur était toujours sévèrement discutée. Examen des théories, des argumentations, des interprétations de faits, dans d’innombrables comptes rendus et dans ses cours, où sa connaissance parfaite des langues, notamment de l’anglais – qui lui permit de faire connaître les thèses de l’anthropologie anglaise dont il a traduit les ouvrages principaux –, approfondissait l’analyse.

Mais ce tempérament aussi essentiellement critique (sic) ne pouvait être inventif, précise encore Mauss. Marillier a peu systématisé, peu innové. Il classait les faits plutôt qu’il ne les expliquait. Et même là où il s’est essayé à théoriser, la tentative est réduite, car, en définitive, ce ne sont pas les grands systèmes explicatifs qui l’intéressaient mais la recherche de documents psychologiques. « Il était résolument partisan de la psychologie religieuse ; il pensait avoir expliqué un fait religieux lorsqu’il l’avait ramené à une loi psychologique générale dont il constatait l’existence universelle dans l’humanité, conclut Mauss. » (Mauss 1969b).

Marillier concevait en effet l’ethnographie, l’anthropologie ou encore la mythologie comparée comme tributaires d’une méthode à la fois historique et psychologique. Par la méthode psychologique, il s’agit de rattacher les croyances, les faits religieux à « certains traits particuliers de la structure intellectuelle et émotionnelle des esprits » (Marillier 1895). De fait, il s’agit de dégager les lois psychologiques universelles conditionnant les faits sociaux. Quelles sont ces lois ? Sur quels auteurs Marillier s’appuie-t-il ? Ses textes anthropologiques ne le précisent pas, ou peu, concernant les psychologues du moment en tout cas, mais on sait que sous l’appellation de méthode psychologique, il se référait explicitement à l’intellectualisme tylorien, solidement ancré sur la théorie de l’animisme et le concept de « pensée sauvage » (Rosa 1996).

La critique maussienne n’épargna pas le peu de pertinence de la généralisation psychologique au regard d’une approche sociologique. Aux lois psychologiques, comme celle de l’association des idées, Mauss opposait les « états de la conscience collective », directement dépendants de l’organisation sociale. C’est l’objectif que doit se donner une sociologie religieuse. Dès lors Mauss pourra dire dans sa Leçon d’ouverture : « [Abandonnons] les méthodes anthropologiques et psychologiques qui fonctionnaient avant M. Marillier et qu’il avait adoptées ».
De fait, l’école sociologique française s’est constituée par réaction à l’école anthropologique anglaise et ses représentants français, notamment Marillier.

Cette critique s’appuie bien évidemment sur la collaboration de Mauss avec son oncle Durkheim dans leur dialogue avec l’ethnologie et la psychologie. Laurent Mucchielli nous rappelle que l’introduction par Durkheim de la notion de « représentation collective » en 1898 comme concept majeur de la nouvelle sociologie, fonde, en fait, une psychosociologie (2004). Or, c’est Mauss, dans un article de 1901 de la Grande Encyclopédie écrit avec Fauconnet et auquel Durkheim a largement participé, qui consacre définitivement cette notion. L’idée centrale est que les faits sociaux sont des phénomènes de conscience collective ayant leur réalité propre indépendante des phénomènes de la conscience individuelle. Même si chaque individualité intègre à sa façon la contrainte que cela représente, il y aurait une précession du social sur l’individuel. Aussi, c’est l’idée d’un sociocentrisme qui est défendue, et il est alors possible pour Durkheim et Mauss de postuler un relativisme des facultés et des lois psychologiques, qui, bien qu’universelles, sont surtout le produit de constructions sociales.

La rupture avec Marillier se joue encore sur un autre thème, celui de l’évolutionnisme. Elle peut se résumer dans deux phrases prononcées lors de la Leçon d’ouverture du cours d’Histoire des religions des peuples non civilisés. Mauss énonce en effet qu’il « n’existe pas de peuples non civilisés. Il n’existe que des peuples de civilisations différentes ».

En ces deux phrases, l’objet de l’ethnologie s’en trouve déplacé, car il ne porte plus sur la différence civilisé/non civilisé mais sur les différences entre les civilisations. D’ailleurs, à non civilisé ou primitif, Mauss préfèrera un peu plus tard, dans son cours au Collège de France, le terme d’archaïque (Mauss 1969a : 232). Or, plus qu’une conception scientifique nouvelle, cette prise de position reflétait une position toute politique, postulant un relativisme culturel à partir duquel toute société archaïque est censée posséder une complexité dans son organisation sociale, trace d’un travail de civilisation. Les thèses durkheimiennes prenaient ici l’avantage.

Marillier use sans réserve des termes de « non civilisés », de « sauvages », de « race » ou de « psychologie ethnique », notamment au sujet des bretons dans le sillage de Ernest Renan (Marillier 1994 [1893b] : 1127), et il n’a jamais critiqué l’appellation du titre de sa chaire à l’EPHE : « Religions des peuples non civilisés ». Et pour cause. Il fut en effet l’un des principaux diffuseurs en France, avec Henri Gaidoz et Salomon Reinach, de l’école anthropologique anglaise fondée par Edward B. Tylor (Rosa 1996). Les présupposés de ce mouvement, qui connut une large diffusion avec la connaissance de l’œuvre d’Andrew Lang, disciple ardent de Tylor, revenaient à caractériser la pensée sauvage par quelques traits distinctifs. Or cette pensée sauvage, si elle était bien l’apanage des civilisations primitives que les conquêtes coloniales d’alors font découvrir, pouvait également « survivre » chez les « civilisés ». Pour Tylor, les religions « civilisées » dérivaient de l’animisme, et les « races civilisées », produit de l’évolution, conservaient des traits « sauvages », qui n’étaient pas en rapport avec leur état de civilisation. Il s’agissait donc de « survivances dans la civilisation ». Ses successeurs, et Andrew Lang en particulier, ont insisté sur la persistance d’éléments « sauvages » non expliqués par des lois rationnelles au sein des religions « civilisées ». Mythologie, folklore, histoire des religions, grâce à la méthode comparative, comprenant à la fois la méthode psychologique et la méthode anthropologique, rapprochaient certains aspects des religions « supérieures » de la « sauvagerie ». Certains faits incompréhensibles au sein de la « civilisation » devenaient alors intelligibles par l’étude de cette « sauvagerie ». Il en irait ainsi des coutumes et croyances des paysans de l’Europe moderne, censées avoir conservé l’héritage primitif. L’étude du folklore pouvait alors jouer un rôle comparable à celle des « sauvages contemporains ». Léon Marillier pouvait écrire :

Les faits que découvre à l’heure présente la patiente observation du folkloriste ne sont que des survivances d’un état de choses dès longtemps disparu. […] Ce sont des témoins qui évoquent à nos yeux la vie de nos ancêtres, cette vie à tant d’égards pareille à celle que vivent les Bantous pasteurs de l’Afrique australe ou les Mélanésiens […] (Marillier 1901 : 176-177).

La mise en avant de la notion de « survivance » entendait s’attaquer aux conceptions philologiques de l’école de mythologie comparée de Max Müller ; l’Antiquité même n’avait pas échappé à la « sauvagerie », comme l’attestait sa mythologie, et la « maladie du langage » était insuffisante à l’expliquer. Avec Andrew Lang, cette notion devenait centrale dans toute anthropologie, et par conséquent dans toute psychologie, atteignant une universalité et une forte actualité menaçant les fondements mêmes de l’évolutionnisme et de la rationalité ambiante. Léon Marillier a ainsi souligné le caractère souvent polémique des écrits de Lang (Marillier 1895, 1900b). Il est évident qu’il est resté plus proche de la position de Tylor, selon laquelle l’étude des religions historiques devaient se baser sur l’étude de l’évolution, et notamment de l’évolution de l’esprit, même si ladite évolution comporte des « survivances » sous la forme de superstitions, qu’il faudrait d’ailleurs éradiquer. L’approche des faits religieux développée par Marillier maintient en effet l’idée d’une évolution historique progrédiente dans les capacités de l’esprit à complexifier la religion. L’article « Religion » qu’il publie dans la Grande Encyclopédie (1900a) en représente la synthèse. Mauss en fera la critique dans l’Année sociologique (Mauss 1968, I : 124-129), pour dire, notamment, que la théorie défendue est trop sentimentaliste, héritée de Tiele et Sabatier. L’émotion religieuse supposée au fondement des faits religieux par Marillier, et que ce dernier rapproche de l’émotion esthétique, est en quelque sorte une façon de réintroduire un Dieu intérieur, précisa-t-il, dont on ne peut presque rien dire d’un point de vue scientifique. D’ailleurs, fait remarquer Mauss, « nulle part on ne trouve exprimé le principe suivant lequel le sentiment religieux peut être défini, analysé et expliqué par les procédés de la psychologie expérimentale. » (Mauss 1968, I : 125).

Piquante remarque puisque Mauss, rendant hommage à Ribot lors de son centenaire en 1939 (Mauss 1969b : 565-567), et reconnaissant sa dette, ainsi que celle de Durkheim, envers la psychologie expérimentale, rappela que Marillier avait été l’élève du fondateur de cette psychologie. Un mauvais élève donc aux dires de Mauss, qui n’aurait peut-être pas choisi entre des épistémologies différentes. Un élève critique aussi envers la théorie du maître si l’on se reporte au thème de l’attention. Quoiqu’il en soit, le rapport de Marillier à la psychologie expérimentale est ambigu comme nous avons déjà eu l’occasion de le souligner. On peut suggérer ici une sorte de discontinuité dans son investissement de la psychologie, la psychologie utilisée dans son approche du phénomène religieux perdant en quelque sorte un caractère laïque et objectif et retrouvant des accents spiritualistes en lien avec la foi de l’homme Marillier. Mauss le dira autrement en signalant que Marillier avait abordé l’étude des sciences religieuses en philosophe, mais que c’était la psychologie qui l’y avait amené, même s’il n’avait jamais renoncé à être un psychologue « professionnel » (Mauss 1969b : 461).

Son attachement à la discipline psychologie fut néanmoins véritable et durable, puisqu’il participa régulièrement aux Congrès de psychologie, qu’il publia jusqu’à six articles de fond dans la Revue philosophique (Mucchielli 2004 : 214) et qu’il fut associé, ainsi que mentionné en introduction, à la fondation de la Société de Psychologie, le 29 mars 1901, aux côtés de Pierre Janet. Mauss a aussi indiqué qu’il projetait une étude sur l’attention comme nous l’avons signalé plus haut.

Pour en revenir à la critique de Mauss, ce dernier relève l’erreur fondamentale de Marillier à propos d’une question primordiale pour lui, évoquée maintes fois dans ses écrits et de nouveau abordée dans cet article de synthèse de la Grande Encyclopédie, à savoir les rapports de la morale ou de l’éthique avec la religion. Selon des préjugés évolutionnistes assez courants, et en continuité avec Tylor, Marillier estimait que les religions des peuples « non civilisés », en particulier leurs croyances en l’existence de l’âme après la mort, ne manifestaient aucun lien avec la morale, « chose essentiellement humaine et sociale », supérieure donc, mais seulement un sentiment, une tentative d’explication du monde environnant. À cela Mauss peut objecter que là où il y a religion, même élémentaire, il y a un système de règles juridiques et des mœurs, et l’une est dépendante de l’autre. Bref, la religion est un phénomène éminemment social qui suppose toujours une forme d’institution.

La renommée et la valeur scientifique de Marillier, que reconnaissait volontiers Mauss, avaient cependant fait de lui une autorité en matière de science comparée des religions. Une preuve en est donnée par cette note, datant de 1913 : « Les objections soulevées par plusieurs auteurs (Marillier, Hubert et Mauss, et d’autres) contre cette théorie du sacrifice ne me sont pas inconnues, mais ne sont pas de nature à modifier en quoi que ce soit mon attitude à l’égard des idées de Robertson Smith. »
Note écrite par Sigmund Freud dans son Totem et Tabou (Freud 1977 [1913], note 2 : 161), qui porte le sous-titre d’« Interprétation par la psychanalyse de la vie sociale des peuples primitifs ». Marillier réconcilié à Mauss via Freud ? Trace en tout cas d’un sillon creusé dans la pensée anthropologique.

Activisme politique et psychologie expérimentale

Léon Marillier eut une activité prodigieuse. À côté de l’EPHE, il enseigne l’histoire, la psychologie et la morale… Il est aussi un traducteur (notamment d’Andrew Lang [1896]), un conférencier infatigable, un préfacier, un collaborateur de nombreuses revues scientifiques (Revue de l’Histoire des religions, Mélusine, Revue Philosophique de France et de l’étranger, Revue scientifique, l’Année biologique…), un militant de la première heure de la Ligue des Droits de l’Homme et du Citoyen, de la cause arménienne, de la lutte antialcoolique, etc. Il fut aussi, et entre autres tant ses participations furent nombreuses, membre de la Société des Traditions populaires et de sa commission de rédaction, membre du Comité pour la défense et la protection des indigènes, secrétaire général de la Société française pour l’arbitrage entre nations, membre de la Ligue de l’enseignement, membre de la Société Libre pour l’étude psychologique de l’enfant (vice-président avec Alfred Binet)…

Notons encore qu’il se marie le 1er janvier 1891 avec Jeanne-Marie Le Braz, la sœur de l’écrivain et folkloriste breton Anatole Le Braz, dont il préface le livre La légende de la mort en basse Bretagne paru en 1893, préface – écrite en juin 1892 – dans laquelle il analyse les croyances religieuses en basse Bretagne. Il y indique que les légendes rapportées par Le Braz sont l’expression d’une « sorte de religion de la mort, qui maintenant encore est très vivante en basse Bretagne » (Marillier 1994 [1893b] : 1130) et qui est comparable aux croyances en l’après-vie des « peuples non civilisés » dont il est le spécialiste. Parmi ce légendaire encore très actif figurent les intersignes, soit toutes ces perceptions avant-coureuses ou concomitantes d’une mort dans l’entourage d’une personne. Or Marillier, dans sa préface, ne fait aucunement le rapprochement avec ce qu’il va, presque au même moment, en août 1892, exposer au Congrès international de psychologie expérimentale de Londres au sujet des résultats de l’enquête sur la fréquence des hallucinations télépathiques dans la population générale débutée en 1889 (voir supra) après l’envoi de 6 000 exemplaires d’un questionnaire-type rédigé par la Society for Psychical Research (SPR.), particulièrement aux « professeurs de facultés, de lycées et de collèges […] aux médecins, pharmaciens et vétérinaires, à des journalistes, des écrivains, des artistes » (Marillier 1892b). Il précisera lors de sa conférence à Londres que de nombreux cas ont été recueillis en Bretagne. Les deux phénomènes – intersignes et hallucinations télépathiques – sont pourtant d’une étonnante similarité, ce que ne manqua pas de pointer Henri Gaidoz, ami et représentant patenté de Lang en France (Rosa 1996 : 378), dans sa recension de La légende de la mort en basse Bretagne, en s’étonnant de cet « oubli » de Marillier (Gaidoz 1893 : 239-240). Il nous paraît pourtant impossible qu’il n’y ait pas pensé, et cet oubli est, nous semble-t-il, le produit d’un embarras et le reflet d’une sourde opposition. Embarras d’abord car, de reconnaître une similarité entre intersignes et hallucinations télépathiques reviendrait à dire que ces dernières sont aussi des traces de « sauvagerie » dans la population générale et pas seulement chez les « bretons des campagnes et des côtes ». L’évolutionnisme et le progressisme de Marillier ont sûrement fait barrage à cette ultime comparaison. Sourde opposition ensuite, à l’égard des psychistes anglais de la SPR, dont il venait de traduire l’ouvrage-phare (1886 et 1891, F.W.H. Myers, F. Podmore, E. Gurney), car il se montrait réticent à l’hypothèse de la télépathie (voir supra) [11] et voyait même des préoccupations d’ordre religieux dans leurs recherches (en fait, un rapprochement avec les idées des spirites).

Cette opposition à peine larvée se retrouvera à l’égard d’Andrew Lang, qui validera les résultats des chercheurs de la SPR [12] sur la clairvoyance, la lucidité, la télépathie ou les mouvements spontanés d’objets (télékinésie), révélant une « région transcendantale de l’esprit humain » (Lang 1909 [1900] : x), source, selon lui, de la « fabrique » de la religion à partir de la perception, par les primitifs, de ce genre de phénomène. Ce qui l’amènera d’ailleurs à suggérer que toute expédition anthropologique devrait inclure un spécialiste de ces questions (1909 [1900], p. xi) et que la perspective ainsi ouverte relève du « psycho-folklorisme », terme qu’il soumit en 1895 (Lang 1895). Nul doute que Lang, lui, aurait vu dans les intersignes l’équivalent des hallucinations télépathiques ! « Que l’on veuille ou non s’engager avec M. Lang dans cette voie nouvelle… » écrit Léon Marillier dans sa recension du Making of Religion (1900b : 410), montre sa prudence voire son refus de cautionner une telle hardiesse d’esprit.

Une fin tragique

La vie de Marillier fut tout entière – pour ce qu’elle a duré – au service des autres, dans un don de soi permanent. Son aspiration était en fait de devenir un personnage politique pour pouvoir appliquer ses idées de justice sociale dans le cadre d’un régime républicain et laïc dont il est un fervent soutien et propagateur. Ses combats le préfiguraient, tout comme la place de plus en plus grande prise par ses écrits « politiques » dans le journal protestant, dreyfusard et républicain Le Signal durant la dernière décennie de son existence. Chrétien à l’origine, c’est avec le mouvement protestant, ses institutions, comme la Faculté de théologie, et certains de ses intellectuels le représentant (Sabatier, les Réville, Monod, Seignobos), qu’il trouve des appuis et qu’il participe à l’effort d’affermissement de la République et de la laïcité. L’ascendance prestigieuse de son aïeule Manon Roland, figure de la Révolution française, eut sans doute son poids dans ce combat. Un autre combat fut celui de l’émancipation féminine.

Durant ses vacances, il séjourne à plusieurs reprises dans les anciennes Côtes-du-Nord, chez les Le Braz, père et fils, mais aussi au sein de la petite communauté estivale de l’Arcouest, près de Paimpol, animée par Charles Seignobos et Louis Lapicque et dénommée « Sorbonne Plage ». C’est au cours de l’un de ces séjours en Bretagne que son destin fut tragiquement tranché le 20 août 1901 dans un naufrage où disparaît une grande partie de la famille d’Anatole Le Braz, dont Jeanne-Marie, la femme de Léon Marillier. Il en réchappe mais il meurt à Paris le 15 octobre 1901, d’une phlébite, à l’âge de 38 ans. Il est enterré dans le cimetière de la cathédrale de Tréguier dans les actuelles Côtes d’Armor, tout près de la maison natale d’Ernest Renan.

Références bibliographiques 

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Gaidoz, Henri, 1893. « Recension de La Légende de la mort en Basse-Bretagne », Mélusine, VI.

Gurney, Edmund., Frederic W. H Myers & Frank Podmore, 1886. Phantasms of the living, 2 vols. Londres, Trübner.

Gurney, Edmund, Frederic W. H. Myers & Frank Podmore, 1891. Les hallucinations télépathiques, édition abrégée, traduction de Léon Marillier, préface de Charles Richet. Paris, Alcan.

Lang, Andrew, 1895. « Protest of a psycho-folkloriste », Folklore, 6 (3), p. 236-248.

Lang, Andrew, 1896. Mythes, cultes et religion, (traduit par Léon Marillier avec la collaboration de Adolf Dirr), précédé d’une introduction par Léon Marillier, Paris, Alcan.

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Marillier, Léon, 1886. « Étude de quelques cas d’hallucination observés sur moi-même », Revue Philosophique, Communication faite à une séance de novembre 1885 de la Société de Psychologie physiologique sous la présidence de Charcot, T. XXI, p. 205-214.

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Marillier, Léon, 1994 [1893b]. « Préface », Anatole Le Braz, La légende de la mort en Basse-Bretagne. Croyances, traditions et usages des Bretons armoricains, Paris, Champion. Republiée dans Anatole Le Braz, Magies de la Bretagne. Paris, Laffont, « Bouquins », 1994, p. 1111-1138.

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[1Le texte qui suit est en grande partie issu de l’article du Bulletin de psychologie (Le Maléfan 2005), avec quelques remaniements et ajouts.

[2À notre connaissance et après recherche, Léon Marillier n’a pas soutenu cette thèse.

[3Émile Gley (1857-1930) est un physiologiste qui deviendra professeur au Collège de France.

[4Louis Lapicque (1866-1952), médecin et physiologiste, fut aussi anthropologue. Membre titulaire de la Société d’Anthropologie de Paris dès 1892, il se voit confier la même année une mission d’étude sur les Négritos de la péninsule Malaise par le Ministère de l’Instruction Publique. Une autre mission, en 1903, confiée par le même Ministère, concerne les populations Dravidiennes du Sud. En 1911, il participe à la création de l’Institut Français d’Anthropologie (Carine Peltier, Louis Lapicque, le corpus photographique de la croisière scientifique de la Sémiramis dans l’Océan Indien, maîtrise Histoire de l’Art – Histoire de la photographie, ss la dir. de Michel Poivert, Université Paris I – Panthéon Sorbonne, 2001).

[5Albert Réville (1826-1906), président de la Ve section de l’EPHE, avait publié en 1883 Les Religions des peuples non-civilisés.

[6Marcel Mauss fera un compte rendu plutôt positif dans L’Année sociologique (1897, p. 198-200) de la réfutation de cette monographie par R. Steimetz dans un article paru dans les Archiv für Anthropologie. Pour Frederico Delgado Rosa, ce texte reprend le style et le contenu tyloriens et démontre que Marillier était bien le représentant de l’École anthropologique anglaise (Rosa 2016 : 36).

[7Mauss fréquentait le salon qu’animaient la mère de Léon Marillier et Seignobos à Paris, et ce dès 1893. Il a également eu un lien avec Louis et Augustin Lapicque, amis de Marillier et originaires comme lui d’Épinal (Sembel 2015 : 102-103).

[8Lettre du 21 juin 1952. Fonds Adolphe Le Goaziou – «  Nouvelle Revue de Bretagne  » - Correspondance. Arch. Départ. du Finistère. Je remercie Fanch Postic de me l’avoir signalée. Sur Van Gennep, on pourra se reporter à l’article que lui consacre Giordana Charuty dans l’ Encyclopédie Bérose (Charuty 2022).

[9Auguste Sabatier (1839-1901), fondateur puis doyen de la Faculté de théologie, aimait beaucoup Léon Marillier et son épouse, Jeanne-Marie Le Braz. Cette dernière, n’ayant pas d’enfants, s’était impliquée dans les œuvres sociales protestantes de la Faculté que dirigeait la fille d’Auguste Sabatier (Piriou 1999 : 123  ; Frank Puaux 1901).

[10Bien que critique sur son œuvre, Marillier a eu des contacts suivis avec Sir J. Frazer (qui était Écossais, aimait la Bretagne et la France et vénérait Ernest Renan). Il a rendu compte du Rameau d’Or en 1892 dans la RHR (Marillier 1892b).

[11Sur ce point nous nous permettons de renvoyer à deux de nos articles : 2008, «  Les hallucinations télépathiques dans la psychologie française naissante : étude d’un inconscient oublié  », Bulletin de psychologie, 495 (3), p. 279-293  ; «  L’hallucination télépathique ou véridique dans la psychopathologie de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle -  », L’Évolution psychiatrique, 73/1, pp. 15-39.

[12Après s’être montré sceptique sur les premiers travaux de la SPR., Lang adoptera ses conclusions et deviendra même son président en 1911. (cf. The Andrew Lang site : https://andrewlang.org/psychical-research/).