La fondation de l’ethnologie à Nanterre – enseignement et laboratoire de recherche – n’a été qu’un moment dans l’histoire de la discipline et de ses institutions. Elle n’en a pas moins incarné la volonté de nouvelles pratiques, grâce à trois éléments : le lieu d’implantation, la nouvelle faculté de Nanterre ; l’époque bouillonnante de sa création, la fin des années 1960 ; enfin et surtout, la personnalité de son fondateur, Éric de Dampierre, porteur d’un projet qui se voulait – sur certains points – résolument novateur.
Éric de Dampierre est directeur d’études à l’École pratique des hautes études (EPHE) VIe section quand la faculté des lettres de Nanterre, annexe de l’université de Paris, ouvre ses portes à la rentrée 1964. À la demande du doyen Pierre Grappin [1] et du sociologue Alain Touraine, Dampierre crée un enseignement d’ethnologie à la rentrée 1966. Chargé de cours, il appelle auprès de lui Michel Izard pour les travaux dirigés. Un certificat d’ethnologie intégré à la maîtrise de sociologie est délivré pour la première fois en juin 1967 [2]. C’est à cette même date que le conseil de la faculté valide la création d’une maîtrise d’ethnologie, et élit Dampierre comme son responsable. Ce faisant, et comme convenu avec le doyen Grappin, le conseil entérine la création d’un laboratoire, intimement lié avec l’enseignement, que Dampierre, son directeur, nomme « Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative (LESC [3]) ». Il sera reconnu par le CNRS en 1969 (Laboratoire associé LA140).
Le croisement des archives du laboratoire et de l’université avec les témoignages de chercheurs ayant vécu ces premières années en tant qu’étudiants ou jeunes enseignants-chercheurs permet de retracer les grands traits d’une organisation intellectuelle et pratique, de ses principes et ses valeurs, et d’un style d’interaction [4]. Cette contribution ne prétend pas retracer toute l’histoire du laboratoire, mais donne quelques éléments sur ses premières années.
Paysage de la formation en ethnologie au moment de la fondation du laboratoire et du département à Nanterre
En 1966, à Paris, la formation en ethnologie est dispensée à l’Institut d’ethnologie de l’université de Paris, à l’École pratique des hautes études (EPHE) et au Collège de France ; puis, quand l’université de Paris sera découpée en 1970, l’ethnologie sera enseignée dans les facultés des lettres de la Sorbonne, Censier, Nanterre et Vincennes, et en province, dans les universités de Toulouse, Nice, Lyon, Strasbourg et Bordeaux.
L’Institut d’ethnologie
L’Institut d’ethnologie a été créé en 1925 par Lucien Lévy-Bruhl, sociologue et anthropologue, titulaire de la chaire d’histoire de la philosophie à la Sorbonne, par Marcel Mauss, sociologue à l’École pratique des hautes études, qui enseigna aussi en 1926 le premier certificat d’ethnologie (CES) à la Sorbonne, et par Paul Rivet, titulaire de la chaire d’anthropologie du Museum national d’histoire naturelle (MNHN), médecin militaire marqué par un séjour de six ans en Équateur et en Amérique du Sud. Cette distribution montre les racines de l’enseignement de l’ethnologie en France : d’une part, l’anthropologie physique (avec la chaire d’anthropologie du Museum créée en 1855), d’autre part, la sociologie (avec L’Année sociologique, organe de l’École sociologique française, fondée par Émile Durkheim en 1896), ainsi que ses liens avec la philosophie (Campion-Vincent 1970). L’Institut forme la première génération d’ethnographes professionnels qui, à la différence de leurs aînés, connaîtront l’expérience de terrain, et même, comme le souligne Vincent Debaene (2006), « commenceront par elle ». Il fait partie de l’université de Paris, mais est situé au musée d’Ethnographie du Trocadéro dirigé par Rivet, qui laisse place en 1937 au musée de l’Homme. En ses débuts, il s’adresse autant aux érudits coloniaux qu’aux étudiants. L’Institut d’ethnologie vivra jusqu’en 1974 – ses activités seront alors reprises par le MNHN [5] –, et Claude Lévi-Strauss en est le secrétaire général de 1957 à 1968.
La Sorbonne
À la faculté des lettres de la Sorbonne, après l’enseignement donné par Mauss en 1926, la première chaire d’ethnologie générale est créée en 1942 pour son élève Marcel Griaule. À la mort de celui-ci en 1956, son successeur André Leroi-Gourhan transforme le libellé de la chaire en « ethnologie et préhistoire » jusqu’en 1969, date à laquelle il obtient une chaire de préhistoire au Collège de France. Une nouvelle chaire d’ethnologie sociale et religieuse est créée à la Sorbonne en 1958 pour Roger Bastide, de retour du Brésil où il enseignait depuis 20 ans, qui l’occupera de 1958 à 1968 aux côtés de Leroi-Gourhan. Bastide réoriente l’enseignement de l’ethnologie (Gutwirth 2005). Il donne des cours sur le structuralisme, sans le faire sien, et prône un nouvel humanisme non académique. Ils donnent tous deux, au sous-sol du musée de l’Homme, le séminaire du 3e cycle qui vient d’être créé, et animent le Centre de formation aux recherches ethnologiques (CFRE) créé par Leroi-Gourhan en 1946 (Gutwirth 2001). Cette formation rendue obligatoire en première année de thèse se concrétise par des stages de terrain organisés à Arcy-sur-Cure et Pincevent pour la préhistoire et en Mayenne pour l’ethnologie [6].
Le Collège de France
Durant ces années, l’influence de Leroi-Gourhan sur l’enseignement de l’ethnologie se partage désormais avec celle de Lévi-Strauss et des thèses structuralistes. Elle restera prégnante en préhistoire et resurgira plus tard de façon vivace. Lévi-Strauss enseigne à l’École pratique des hautes études (EPHE) où il est directeur d’études. En 1959, il obtient la chaire d’anthropologie sociale créée par le Collège de France, institution où Mauss avait enseigné de 1931 à 1942. Il fonde alors en 1960 le Laboratoire d’anthropologie sociale (LAS). Dans les années 1966 à 1970 s’y retrouvent, entre autres collaborateurs et chercheurs, Isac Chiva, Jean Pouillon, Pierre Clastres, Lucien Sebag, Françoise Héritier, Yvonne Verdier, Tina Jolas, Nicole Belmont, Françoise Zonabend, Robert Jaulin [7]… qui n’auront de relations autres qu’amicales avec les enseignants et les chercheurs de Nanterre.
L’EPHE et l’EHESS
Deux éléments dominent l’histoire de la création de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) : la lente et difficile institutionnalisation des sciences sociales en France, et le rôle des fondations américaines, qui agirent en Europe dès l’entre-deux-guerres pour la promotion des sciences sociales, et qui soutinrent leur développement en France (comme en Grande-Bretagne et en Allemagne) jusqu’aux années 1960 (Mazon 1988 ; Revel 1989). Après la floraison intellectuelle du tournant du xxe siècle, en effet, les lieux d’enseignement restaient rares. Figuraient parmi eux la IVe section de l’EPHE créée en 1868, intitulée Sciences historiques et philologiques et Sciences religieuses [8]. Les fondations américaines avaient du mal à trouver en France des projets à soutenir, à cause d’un malentendu culturel profond sur la manière de mener les recherches. Des éléments de réseaux se constituent néanmoins.
Après la guerre, le CNRS, créé en 1941, se préoccupe de réorganiser les SHS. En janvier 1946, le Centre d’études sociologiques est constitué à l’initiative de Georges Gurvitch « dans un climat d’incertitude et d’urgence » (Marcel 2005).
Enfin naît le projet d’une section de sciences économiques et sociales à l’EPHE. La VIe section voit le jour en 1947 sous l’impulsion de Charles Morazé, rejoint ensuite par Lucien Febvre puis par Fernand Braudel qui la dirige avec dynamisme. Son fonctionnement est financé à plus d’un quart par la Fondation Rockefeller, ainsi que par la Fondation Ford. Mais c’est lors de la création d’une Maison des sciences de l’homme, reprise d’une idée qu’avait déjà eu Mauss en 1929, que le soutien américain est le plus important. Le voyage de Braudel aux États-Unis en 1955 y a sans doute joué un rôle. Construite sur le terrain de la prison du Cherche-midi détruite en 1961, la MSH, achevée en 1969, fonctionnera pleinement en 1975.
Le Centre d’études sociologiques (CES)
Fondé comme on l’a vu après la guerre, en 1946, sous l’égide du CNRS, le Centre d’études sociologiques (CES) avait pour mission de réorganiser la recherche en sociologie et de former des chercheurs, grâce notamment à des conférences d’initiation « à la connaissance et des méthodes modernes », et d’amorcer « une organisation nouvelle » (Marcel 2005). Il est dirigé par Georges Gurvitch, titulaire en 1950 de la chaire de sociologie de l’université de Paris et directeur d’études à l’EPHE VIe section. L’anthropologue Maurice Leenhardt fait partie du premier comité de direction. La sociologie universitaire d’inspiration philosophique à la Durkheim semble obsolète, et laisse place à un intérêt croissant pour la sociologie empirique américaine, dans un contexte intellectuel français où coexistaient les thèses marxiste, existentialiste et structuraliste (Marcel 2005 citant Jean Stoetzel [1946] 1991). L’activité se concentre sur « méthodes et techniques d’enquête » sous l’égide de psychosociologues comme Jean Maisonneuve, tandis que Jean Stoetzel importe la méthode des sondages utilisée par Georges Gallup aux USA (Marcel 2004, 2005). Le centre a peu de moyens et seuls quelques chercheurs sont statutaires (Alain Touraine, François-André Isambert). Un grand nombre de recherches, sans grande cohérence entre elles, sont organisées par des groupes d’études, dont celui de Stoetzel, créé dès sa prise de fonction en 1956, ou celui de Paul-Henry Chombart de Lauwe. Le groupe que ce dernier fonde en 1950, dit « d’ethnologie sociale » (il étudiait la classe ouvrière essentiellement urbaine), deviendra le Bureau d’études sociotechniques. Passeront par le CES Georges Friedmann, Roger Bastide, Jean Cazeneuve, Henri Mendras, Éric de Dampierre, Henri Lefebvre, et beaucoup d’autres. Par la suite, avec Michel Crozier, Alain Touraine, Pierre Bourdieu ou Raymond Boudon naîtront « de nouveaux paradigmes » (Marcel 2005).
Michael Gemperle décrit la sociologie des années 1950 en France comme partagée entre deux sphères : d’un côté, la sociologie universitaire, dépendante de la philosophie, sans moyens de recherche, lieu de la théorie, tenue sous contrôle par Gurvitch ; de l’autre, les institutions de recherche comme le Centre d’études sociologiques, privé d’ambitions théoriques, où domine la démarche quantificatrice et où s’impose Stoetzel qui dirige également l’Institut français d’opinion publique (IFOP) et contrôle le CNRS. Raymond Aron, en faisant créer la licence de sociologie en 1958 après son élection à la Sorbonne, rend possible la formation systématique d’ingénieurs sociaux (Gemperle 2008).
Les enquêtes de l’IFOP vont fournir aux étudiants en sciences sociales les petits boulots dont ils ont besoin, et les amener parfois jusqu’à leur premier terrain. C’est le cas pour András Zempléni, alors étudiant en psychologie, qui y travaille d’abord comme mécanographe à dépouiller des questionnaires sur des fiches perforées, avant d’être recruté vers 1961 par Michel Hoffmann (1981) dans une petite équipe pour réaliser des sondages d’opinion publique en Afrique sur des fonds spéciaux obtenus du CNRS. Il part en Côte d’Ivoire et au Niger, puis, de passage à Dakar, rencontre grâce à Hoffmann le psychiatre Henri Collomb. Zempléni estime qu’il a eu la chance d’avoir participé à deux entreprises formidables, la première à Dakar avec Collomb (Fiéloux & Moro 2015 ; Collignon 1978), la deuxième à Nanterre avec le laboratoire de Dampierre (Zempléni 2015).
L’enquête du CNRS de 1968
Véronique Campion-Vincent (1970) a fait un bilan de l’organisation de l’ethnologie en France en 1969 en s’appuyant sur une enquête conduite au début de l’année 1968 par le CNRS. En 1968, 35 unités de recherche ethnologique sont recensées, dont 22 liées au CNRS (section 23 : Anthropologie physique, Préhistoire et Ethnologie). Mais rares sont les formations de recherche dotées d’une équipe permanente, de locaux, de services communs et d’un programme scientifique. Parmi les Recherches coopératives sur programme (RCP) créées en 1968 (d’une durée de 3 ans renouvelables) se trouve par exemple le Département d’ethnomusicologie du musée de l’Homme dont le directeur est Gilbert Rouget, formation qui perdurera, et qui intégrera le laboratoire de Nanterre en 2007. Rouget et Jean Rouch appuieront toujours la volonté de Dampierre d’associer musique et cinéma ethnographique à l’ethnologie.
L’enseignement se fait dans les établissements déjà cités : Collège de France, EPHE Ve et VIe sections, universités et grands établissements comme les Langues O’ [9]. Strasbourg est parmi les premières universités de province à créer une chaire d’ethnologie, en 1960, à l’heure des indépendances africaines : l’Institut d’ethnologie y est dirigé par Dominique Zahan, africaniste, ancien élève de Marcel Griaule. Le certificat d’ethnologie que l’on peut y préparer alors sert de matière à option à d’autres disciplines, principalement à la sociologie ; il sera par la suite complété par un certificat d’ethnolinguistique. C’est dans le cadre de la sociologie que des cours d’ethnologie sont donnés à Lille, Grenoble, Montpellier et Bordeaux [10]. À l’EPHE VIe section, outre les cours, des enseignements intensifs sont proposés — « Cycle d’initiation à la recherche africaniste » (un an) et « Enseignement préparatoire à la recherche approfondie en sciences sociales (Eprass), section Anthropologie sociale » (deux ans) : ils sont très suivis, mais doivent bientôt s’arrêter faute de crédits.
La recherche se fait principalement au CNRS où les ethnologues sont au nombre d’une centaine, mais aussi à l’Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (Orstom) [11], et (souvent couplée avec l’archéologie) dans les divers centres français à l’étranger [12]. L’aire de l’Afrique francophone domine les terrains des chercheurs, bien que les travaux menés en France d’une part, en Amérique d’autre part, se développent. Elle se fait aussi dans les musées à collection ethnographique, encouragée par les Sociétés savantes qui y sont logées. Le musée de l’Homme compte 60 chercheurs en 1968.
Juste avant la création du LESC, en 1966, Georges Henri Rivière ouvre le Centre d’ethnologie française adossé au musée national des Arts et Traditions populaires, un des premiers laboratoires associés du CNRS en sciences humaines, dirigé en 1968 par Jean Cuisenier, qui sera dissous fin 2005 quand le musée fermera ses portes (Segalen 2005).
Éric de Dampierre : parcours et projet
La formation en sociologie de l’après-guerre
La formation en sciences humaines passe à cette époque par la philosophie à la Sorbonne, ou si possible par l’École normale supérieure et l’agrégation. Une génération d’étudiants en ethnologie vient donc de la philo, comme Jeanne Favret-Saada le raconte (2019a), citant ses camarades de promotion Lucien Sebag, Alfred Adler, Michel Cartry, Pierre Bonnafé, Pierre Clastres, Hélène Clastres, etc. Adler (2020) évoque de son côté le groupe très soudé qu’il formait au milieu des années 1950 avec Michel Cartry, Pierre Clastres et Lucien Sebag, et sa grande proximité avec Michel Izard. Celui-ci les met en relation avec son ami Félix Guattari, philosophe et psychanalyste, qui leur fait découvrir Lacan, puis Maurice Merleau-Ponty et Jacques Lacan les amènent à lire Lévi-Strauss, et c’est alors qu’ils prennent la décision de devenir ethnologues. Ils abandonnent donc en 1958 le projet de l’agrégation et suivent les séminaires des professeurs d’ethnologie d’alors : Claude Lévi-Strauss, Denise Paulme, Georges Balandier. Ce dernier, directeur d’études à l’EPHE VIe section et en même temps professeur à Sciences Po, a besoin d’apprentis chercheurs pour des études sur la politique de la France en Afrique. Puis avec Paul Mercier et Gilles Sauter il fait financer par la Fondation Ford un programme d’étude ethnologique et géographique des « terroirs » africains, ce qui permet aux aspirants ethnologues de faire leurs premiers terrains en Afrique. Adler suit Cartry en Haute-Volta en 1963.
Par la suite, la formation en sciences humaines passe également par Sciences Po, puis par l’EPHE. Le sociologue Henri Mendras qui, contrairement à nombre de ses maîtres et collègues, n’était ni normalien ni agrégé, a été formé à Sciences Po par le sociologue des religions Gabriel Le Bras, ainsi que par Jean Stœtzel, Alfred Sauvy et Jean Fourastié. Il suit aussi les cours de Georges Gurvitch à la Sorbonne, puis de Georges Friedmann au Centre d’études sociologiques (CES). Dans l’Hommage à Éric de Dampierre (1928-1998) publié par le LESC en 2003, et dans son ouvrage de 1995, il évoque le groupe « d’une douzaine de néophytes à la recherche d’un savoir nouveau » (2003 : 33) dont il faisait partie avec Dampierre après la guerre, « en quête d’un autre savoir que la philosophie sorbonnarde » (2003 : 33), philosophie où existait à peine, dans la licence, un enseignement de sociologie (la licence ne sera créée qu’en 1958 avec Aron) et où normaliens et agrégés tenaient le haut du pavé. Ce savoir nouveau, qui voulait s’affranchir d’une certaine philosophie, était fondé sur la recherche de terrain.
Cette idée venait en grande partie des USA : Gurvitch lui-même, connu comme philosophe moraliste, qui s’était réfugié aux USA pendant la guerre, reconnaissait au moins théoriquement que la sociologie devrait être « hyper-empirique » (Mendras 1995 : 19). C’est dans cet esprit qu’il fait créer le Centre d’études sociologiques par le CNRS en 1946. Les normaliens Friedman et Stoetzel, l’historien médiéviste et juriste Le Bras devenu sociologue de terrain, se voulaient novateurs : ils enseignaient à l’Institut d’études politiques (IEP), ou bien se retrouvaient, avec des Américains de passage, au Centre d’études sociologiques.
Éric de Dampierre, né en 1928 [13], bachelier à 16 ans en 1944 (philosophie-lettres), navigue donc entre la philosophie (licence en 1946), les sciences historiques et philologiques, sur lesquelles il suit des cours à l’EPHE en 1946, le droit (licence en 1947) et les sciences politiques (diplôme du tout nouvel IEP en 1948 [14]). Il mène une recherche sur le socialisme révolutionnaire du début du siècle en interrogeant de vieux militants. Dans la même promotion, Touraine de son côté réalise une étude sur l’évolution des métiers aux usines Renault, tandis que Mendras entreprend une monographie du village rouerguais de sa grand-mère. Outre leur trio, Mendras décrit la douzaine d’étudiants qui s’engagent alors ensemble dans la sociologie, les agrégés François Bourricaud, François-André Isambert, Jean-Daniel Reynaud – Alain Touraine est également agrégé – Jean-René Tréanton, et quelques autres dont Robert Badinter et Jean-Baptiste Dardel (qui deviendront l’un avocat et l’autre banquier).
Issu d’une famille aristocratique, Dampierre fréquente certains des intellectuels et artistes de l’époque dans le salon où sa mère les reçoit (le père Teilhard de Chardin, André Siegfried (Mendras 2003 : 34), et Marcel Griaule (Lautman 1998)), ou dans le groupe d’artistes réunis autour de Jacques Chavy, avec lequel Dampierre va réaliser la traduction de l’ouvrage de Max Weber (il rencontre ainsi le philosophe Eugène Fleischmann, spécialiste de Hegel, Louis Dumont, Michel Leiris, le peintre Gaston-Louis Roux de la mission Dakar-Djibouti, le sculpteur Giacometti, etc.) [15]. Son réseau s’étend jusqu’au CNPF (l’actuel Medef) où, raconte Jacques Lautman (2003 : 55), Dampierre avait en 1963 un ami capable d’introduire les jeunes sociologues auprès de grands patrons qu’ils devaient interviewer. Il s’intéresse aux luttes sociales, comme le montre son mémoire de CES (Certificat d’études supérieures) obtenu à la Sorbonne, et s’engage dans un chantier de jeunesse de l’après-guerre dans la Yougoslavie socialiste de Tito.
Après une année de service militaire effectué dans l’armée de l’air, en partie au Maroc, il passe un an comme stagiaire au Centre d’études sociologiques en 1949 (Marcel 2005), avant d’obtenir en 1950 une bourse d’études des Affaires étrangères de deux ans aux USA, dans le programme Exchange fellow de l’université de Chicago.
Le voyage aux USA et ses effets
Dampierre fait le voyage avec Mendras et Tréanton. Chicago est à l’époque la Mecque de la sociologie – il y reste quelques survivants de l’école de Chicago, raconte Mendras (2003 : 34-35) – et le voyage aux USA, une véritable initiation. De leur côté, Touraine et Bourricaud vont à Harvard.
À Chicago, Dampierre participe avec des jeunes de divers pays au Committee of Social Thought [16] créé par l’historien John U. Nef, notamment avec Robert Redfield. C’est un département interdisciplinaire d’élite dans lequel sociologues et ethnologues côtoient historiens, philosophes et écrivains. Ce groupe est emblématique du renouveau intellectuel dont l’université de Chicago a été le cadre dans les années 1940. C’est ce modèle du Committee of Social Thought, écrit Mendras (2003 : 35), que Dampierre a en tête et qu’il voudra recréer avec l’ouverture de la faculté de Nanterre en fondant le LESC. John U. Nef, américain francophile, spécialiste de l’histoire économique de l’Europe de l’Ouest, serait donc, d’après Mendras, le grand-père intellectuel du LESC.
Les jeunes Français découvrent que Durkheim, qu’ils trouvaient « ringard » (Mendras 1995 : 45), reste estimé à Chicago comme le fondateur de toute science sociale empirique. Ils font aussi deux expériences nouvelles : l’accès direct aux ouvrages des bibliothèques d’une part, et aux enseignants de l’autre. Dampierre ne l’oubliera jamais, et ces nouvelles méthodes qu’il introduira à son retour, de même que les cours moins directifs et plus participatifs, basés sur les lectures partagées, seront plus le résultat du voyage aux USA qu’un effet de mai 1968 (Mendras 1995 : 116).
C’est également à Chicago que Dampierre fait la connaissance de Claude Tardits avec qui il entretiendra par la suite des relations de travail mais aussi d’amitié, bien que parfois un peu volcaniques (Calame-Griaule, Perrot & Carbonnel 2007).
À son retour à Paris, il entre comme contractuel au CNRS (il y reste de 1952 à 1959, devenant attaché de recherche en 1954 et chargé de recherche en 1957), affecté au Centre d’études sociologiques, tout en assurant d’autres missions comme un voyage d’études en Oubangui-Chari pour l’Orstom, ou ailleurs en Afrique pour le Conseil supérieur de la recherche sociologique en outremer ou pour l’EPHE. Au CES, il fait d’abord partie du Groupe d’ethnologie sociale dirigé par Paul-Henry Chombart de Lauwe, chrétien de gauche qui accorde une grande importance à la fraternité d’équipe et aux recherches collaboratives [17]. Si les groupes qui s’y multiplient forment des « cliques » autour d’un leader – souvent un « patron » (Marcel 2005) –, la variété d’origine et de parcours intellectuel et politique des chercheurs est également stimulante (Mendras 1995 : 57-58). L’Unesco et d’autres agences viennent y chercher des experts pour des études appliquées. À travers d’intenses débats sur les méthodes d’enquêtes quantitatives ou qualitatives, les membres du groupe cherchent à se garder de « la fausse abstraction » qui leur paraît le plus grand danger (Mendras 1995 : 93). On retrouvera cette prudence dans la réticence que Dampierre montrera face aux travaux qu’il sent menacés « d’essayisme » (Zempléni 2015). Le CES, remarque Mendras, avec sa bibliothèque et ses équipes, avait les apparences d’un véritable centre de recherche, mais Dampierre et lui le quittent très tôt, faute d’y trouver leur place et d’identifier un projet collectif. Une expérience dont Dampierre, sans nul doute, tire profit en arrivant à Nanterre.
Entre-temps, Dampierre devient en 1959 administrateur de 1re classe à l’Unesco, chargé de programme sur les Droits de l’homme et la lutte contre les discriminations raciales. Puis en 1960 il entre à l’EPHE, d’abord comme secrétaire de la division Sociologie-ethnologie de la VIe section pendant un an, puis comme enseignant en sociologie de l’Afrique noire, sous-directeur d’études titulaire, tout en assurant dès 1961 les fonctions de maître de conférences en analyse sociologique à l’IEP.
Dès son retour des USA, Dampierre s’est occupé d’introduire dans la vie intellectuelle française ses découvertes de Chicago : il crée chez Plon en 1952 la collection « Recherches en sciences humaines » et, outre les travaux empiriques variés qu’il y publie, il fait traduire les sociologues américains tels que Talcott Parsons, Robert Merton, les philosophes Karl Popper, Leo Strauss et Friedrich Hayek. Il anticipe le succès qu’auront ces auteurs vingt ans plus tard en France. Les traductions sont faites notamment par Henri Mendras (pour Merton) et François Bourricaud. Il met également en chantier avec Julien Freund et Raymond Aron la première traduction des œuvres de Max Weber (Gemperle 2008). L’introduction de ces nouvelles références issues des sciences sociales anglo-saxonnes fait sa renommée et Raymond Aron témoignera de son mérite immense à cet égard quand il soutiendra sa candidature pour la médaille d’argent du CNRS reçue en 1973 (Gemperle 2008).
Le jeune Dampierre collabore pendant des années avec son aîné Raymond Aron qui venait d’arriver à la Sorbonne et qui le dirige pour sa thèse d’État. Ils créent ensemble, en 1960-1961, d’une part le Centre européen de sociologie [18] – dont font partie Michel Crozier, Jean Cuisenier, Jacques Lautman – et d’autre part la revue Archives Européennes de sociologie [19], avec le Britannique Tom Bottomore [20], l’Allemand Ralf Dahrendorf [21], et Michel Crozier. Mais l’attelage n’est pas facile à mener. Éric de Dampierre avertit Crozier des difficultés qu’il a « à concilier un projet de laboratoire et la création d’une revue internationale », rapporte Joly, et s’il parvient à « garder la haute main sur la revue, Aron choisit finalement de confier les rênes du centre à Bourdieu » [22]. D’après Dominique Schnapper, en effet, Aron trouvait Dampierre dilettante et estimait qu’il « avait donné, pendant deux ans, le sentiment de laisser les choses en plan, [épuisant sa patience et celle] des responsables de la Fondation Ford et de la Maison des sciences de l’homme » [23].
Archives Européennes de sociologie est une revue trilingue qui édite les sciences sociales, c’est-à-dire les travaux d’ethnographie, de démographie, de philosophie, de sociologie, d’histoire de l’antiquité. C’est que Dampierre, esprit brillant et très ouvert, se nourrissait de lectures plus littéraires et philosophiques qu’ethnologiques ou sociologiques. À la remarque que lui fit Lautman la première fois qu’il visita sa bibliothèque, Dampierre répondit « qu’il fallait penser dans le commerce des grands » (Lautman 2003 : 56). L’érudition livresque était une valeur déjà partagée au Committee of Social Thought (Mendras 1995 : 46).
Dampierre participe à deux projets originaux qui lancent des programmes de recherches, des études prospectives, et mettent face à face des sociologues et des patrons d’entreprises : d’une part, la revue et les éditions Futuribles en collaboration avec Bertrand de Jouvenel et avec le soutien de la Fondation Ford ; d’autre part, le projet Royaumont, lieu dont Dampierre veut faire une sorte de fondation des Sciences humaines à l’américaine [24]. L’expérience doit toutefois prendre fin en mai 1968, à la suite d’une invasion de contestataires peu appréciée des propriétaires des lieux ; ceux-ci mèneront par la suite une sorte « d’épuration » face aux idées « subversives » qui y sont débattues à cette période [25].
En parallèle, Dampierre réalise des travaux de terrain réguliers en Afrique, dans le Haut-Oubangui, qui lui fournissent la matière pour ses deux thèses. Il est d’abord parti sur ce terrain en 1954 à la demande d’une agence gouvernementale française pour tenter de comprendre la baisse démographique du peuple nzakara, puis y retourne en 1957, et y fera des séjours annuels de 1964 à 1984 (Buckner 2003). C’est à partir de ses premières missions chez les Nzakara qu’il rédige sa thèse de doctorat d’État : en 1957, une première version de sa thèse principale, Un ancien royaume Bandia du Haut-Oubangui, qu’il augmente en 1961, puis en 1966, et sa thèse secondaire Poètes nzakara, qu’il publie en 1963 dans la collection bilingue Les Classiques africains qu’il vient de créer avec Claude Tardits, Gilbert Rouget et Michel Leiris à l’Institut d’ethnologie (au musée de l’Homme).
Mendras remarque que cette génération, plus portée vers les recherches empiriques, a privilégié les thèses « synthèses de recherches de terrain » plutôt que les thèses « d’érudition ». Cependant, dans cette dernière catégorie, il cite la thèse d’État en sociologie soutenue en 1986 par Georges Augustins, La perpétuation des groupes domestiques dans les sociétés paysannes européennes, dont il est lui-même directeur et qui reprend toutes les études ethnographiques et historiques récentes sur les relations entre lignage et terre dans la paysannerie européenne [26].
Création de l’enseignement d’ethnologie et du laboratoire à Nanterre
Après plusieurs recherches pour l’Unesco [27], des enseignements à l’EPHE et diverses charges de cours [28], Éric de Dampierre, alors sous-directeur à l’EPHE VIe section (future EHESS), rejoint la faculté des lettres de Nanterre en 1965, appelé par Touraine et le doyen Grappin pour enseigner l’ethnologie au département de sociologie [29]. La création de l’ethnologie à Nanterre par Dampierre, note Michel Izard (2002 : 7), un collaborateur de la première heure, « va modifier profondément la géographie “parisienne” de la profession, sinon ce que l’on pourrait appeler sa géopolitique ».
L’ambition : l’enseignement et la recherche comme un tout
Dampierre met en place à la rentrée 1966 un premier enseignement d’ethnologie qu’il assure lui-même avec Izard comme assistant [30]. En juin 1967, le certificat d’ethnologie est décerné pour la première fois dans le cadre de la maîtrise de sociologie [31]. Puis la maîtrise d’ethnologie et le poste de maître de conférences qu’elle implique sont créés pour la rentrée 1967, ainsi que le laboratoire que Dampierre dirigera de 1967 à 1980. Mais ces créations ne vont pas de soi.
En effet, Dampierre n’a pas encore soutenu ses thèses (doctorat d’état). Sa thèse principale Un ancien royaume Bandia du Haut-Oubangui, dirigée par Raymond Aron, a le permis d’imprimer du recteur en 1966, après lecture des rapports, et paraît chez Plon en 1967. Quand le doyen Grappin demande au ministre de permettre sa venue à Nanterre au vu de sa réputation et de ses travaux [32], celui-ci répond que Dampierre est sous-directeur d’études à l’EPHE et ne peut cumuler ; de plus il n’est pas inscrit sur la liste d’aptitude aux fonctions de maître de conférences. Dampierre s’y inscrit aussitôt. De son côté Braudel, directeur de l’EPHE, s’enquiert de ses fonctions à Nanterre [33] : Dampierre lui fait savoir qu’il n’y est que bénévole [34]… Prévue pour octobre 1967, la soutenance aura lieu en février 1968 et Dampierre obtient un doctorat d’État ès Lettres avec mention très honorable. Entre-temps est émise la décision exceptionnelle d’accepter la candidature de Dampierre au poste de maître de conférences en ethnologie créé au 1er octobre 1967, sur foi du rapport de Raymond Aron. Dampierre est élu avec une forte majorité en juin 1967, aux dépens de l’autre candidate, Viviana Pâques [35]. Il sera titularisé maître de conférences à Paris X-Nanterre en 1971, puis nommé professeur sans chaire en 1972 et professeur titulaire à titre personnel en 1975 [36]. Comme si l’administration voulait finalement rattraper son retard sur la bouillonnante activité de l’impétrant…
Dès la rentrée d’octobre 1967, l’enseignement d’ethnologie se déploie de deux manières : d’une part, les certificats d’ethnologie en licence et maîtrise de sociologie (C2 en licence [37], C4 en maîtrise [38] ; le CES d’ethnologie est également reconnu comme C4 dans la maîtrise de psychologie [39]), d’autre part, le cursus complet d’ethnologie, comprenant la maîtrise nouvellement créée et le 3e cycle (thèse). Le doctorat de troisième cycle a été créé récemment en tant que « doctorat de spécialité », à côté du doctorat d’État datant de 1808 : création qui a eu lieu en 1954 dans les facultés de sciences, en 1958 dans les facultés de lettres et en 1963 dans les facultés de droit et sciences économiques [40]. Avant 1966, on accède directement au 3e cycle avec la licence. En 1967, à Nanterre, la maîtrise spécialisée (2 ans) est composée du certificat d’ethnologie et d’un autre à choisir, ainsi que d’un mémoire à réaliser sur les deux ans. Cette année-là, seize doctorants sont rattachés au Laboratoire (dont Pribislav Pitoëff, Altan Gökalp, Cécile Barraud, Michel Dieu).
En 1966-1967, Dampierre assure l’essentiel des enseignements avec Izard (chargé de cours) ; en 1967-1968, les enseignements sont donnés aussi bien par des enseignants – Dampierre lui-même et les assistantes Hélène Clastres et Carmen Bernand [41] – que par des chercheurs, qu’ils soient ou non membres du nouveau Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative, comme Daniel de Coppet, Jacques Pimpaneau, Pierre Smith, Jeanne Favret et Dan Sperber pour les uns, Lucien Bernot, Jacqueline Thomas et Hélène Balfet pour les autres.
Dans un arrêté du ministère de juin 1968, la maîtrise spécialisée d’ethnologie fait partie de la liste des licences et maîtrises délivrées à Nanterre, à côté de celles de sociologie. Dampierre demande alors la création de trois postes de maîtres-assistants pour Olivier Herrenschmidt, Jeanne Favret [42] et Aurore Monod. Aurore, présentée par Coppet à Dampierre au retour d’un terrain amazonien, est recrutée comme assistante en septembre 1968 après une entrevue où il n’est question, se souvient-elle, que d’Alice au pays des merveilles et d’histoire de l’écriture. Elle dispense des cours d’ethnolinguistique, et des cours d’ethnocinéma avec Jean Rouch. Elle intégrera le CNRS en 1969 en tant qu’attachée de recherche [43]. L’équipe enseignante, outre Dampierre encore maître-assistant, Hélène Clastres, assistante (qui entrera au CNRS en 1973), et Aurore Monod, assistante, comprend à la rentrée 1968 deux autres maîtres-assistants, Simone Gamelon (de 1968 à 1971, avant son entrée à l’EPHE) et Olivier Herrenschmidt (qui fera toute sa carrière à Nanterre), ainsi que Marshall Sahlins, professeur associé (à la suite d’une année passée comme directeur d’études associé à la Ve section de l’EPHE et au LAS de Lévi-Strauss). À la rentrée 1969, outre les mêmes et Dampierre devenu maître de conférences, les enseignants sont Paul Ottino, maître de conférences (qui entrera en 1971 à l’Orstom), et deux assistants, Remo Guidieri et Patrick Menget.
La création du laboratoire est également mouvementée. Après sa première année d’enseignement de l’ethnologie, Dampierre aurait pu se contenter de fonder une équipe de recherche qui aurait évolué vers un laboratoire mais, en juin 1967, il crée directement le Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative, dont pratiquement tous les membres enseignent à l’université. La volonté de Dampierre d’obtenir que le LESC soit « associé au CNRS » va le pousser à mettre en avant son équipe, voire à bluffer face à la lourdeur du cadre administratif académique. Dans la première demande de moyens du LESC au CNRS en 1968, il veut montrer le poids de cette équipe et mentionne cinq chercheurs de catégorie A. Il est alors obligé de remobiliser son titre de « sous-directeur d’étude à l’EPHE » – en effet à l’université il n’est que maître de conférences, et pas encore titularisé. Ses collègues de rang A sont Paul Pélissier, géographe, l’américain Sahlins, professeur invité, Jacques Pimpaneau, professeur aux Langues O’ et Alexander Macdonald, chargé de recherche au CNRS (corps de rang A à l’époque).
Il n’hésite pas, également, à se montrer ambitieux et exigeant : déjà à la tête de douze chercheurs du CNRS, il demande cinq nouveaux chercheurs : trois stagiaires de recherche (deux ethnologues et un sociologue), et deux attachés de recherche (un de chaque discipline). Mieux, il demande sept collaborateurs techniques au CNRS (et quatre au ministère par la faculté). Pour l’ensemble des crédits (missions, vacations, fonctionnement, équipement), il répartit les demandes au CNRS entre les trois « sections » du labo : ethnologie, sociologie et géographie. En section ethnologie, il réclame un bibliothécaire et deux documentalistes, en section sociologie, un administrateur et un comptable, et en section géographie, un cartographe et un documentaliste. L’entrée au laboratoire du géographe Pélissier se révèle donc stratégique ! Dampierre lui propose d’ailleurs en novembre 1968 de codiriger le LESC avec lui, mais ce dernier, qui « ne tient pas à jouer les figurants », décline l’offre tout en maintenant leur collaboration pour les séminaires communs [44]. L’audace de cette construction rapide est payante puisque le laboratoire devient associé au CNRS (LA140) en janvier 1969 [45].
Le LESC et le Lersco [46], créé à Nantes en 1972 par Michel Verret et Jean-Claude Passeron, représentent les deux seuls exemples d’une association recherche-enseignement reconnue par le CNRS (Mendras, 1995 : 253). Dampierre parle d’une expérience car, à l’époque, la plupart des laboratoires sont des unités propres de recherche (UPR) du CNRS qui n’ont pas besoin d’être associées à un site d’enseignement supérieur. L’unité de lieu, au bâtiment C de la faculté, joue beaucoup pour cette mixité entre enseignants, chercheurs et étudiants eux-mêmes. Les enseignements sont donnés par les chercheurs, l’encadrement des étudiants peut être fait par un chercheur ou enseignant expert du domaine affecté ailleurs qu’au laboratoire, et une aide au terrain est donnée quand c’est possible (Herrenschmidt 2014).
« La seule véritable réussite d’enseignement lié à la recherche est le département d’ethnologie de Nanterre, affirme Mendras (1995 : 263). Éric de Dampierre y a consacré, corps et âme, toute sa carrière dans un effort persévérant pour réaliser le modèle qui nous avait séduits à Chicago en 1950. Attirant autour de lui les meilleurs talents de la génération suivante, il a réussi son entreprise contre vents et marées et Dieu sait que ni les vents intellectuels ni les marées administratives, ni les bourrasques étudiantes n’étaient favorables dans le Nanterre d’après 68. […] Selon certains collègues étrangers, la formation d’ethnologue à Nanterre est l’une des meilleures du monde. »
Les idées-forces de Dampierre se matérialisent : associer étroitement recherche, enseignement et formation à la recherche, ne pas cloisonner les disciplines, notamment l’ethnologie et la sociologie, ne pas se soumettre aux dogmatismes et aux modes intellectuelles de l’époque, ni se laisser enfermer dans une école de pensée (structuralisme, marxisme, ou autre). Georges Augustins (2014) se souvient du caractère novateur et stimulant de ce montage qu’il a expérimenté comme jeune étudiant : « Dampierre avait l’idée qu’il fallait un département, un laboratoire et un service de publication, pour lui les trois éléments étaient essentiels, et ce qui est prodigieux, c’est qu’il a réussi à monter les trois. Ce qu’il avait inauguré, et qui était formidable, c’est que les chercheurs donnaient des cours. Ils étaient là aussi pour donner des cours ».
Quand, en mai 1969, le CNRS s’oppose à ce que son agent Jean-Paul Latouche, membre du laboratoire, enseigne le domaine océaniste à l’unité d’enseignement et de recherche (UER) de sociologie, le doyen Ricœur alerté par Dampierre prend aussitôt sa plume pour justifier la pertinence d’un tel fonctionnement et le défendre [47]. Jeanne Favret-Saada (2019b) évoque ce qui fut dans sa vie de chercheur « une époque bénie », car les enseignants avaient le temps de faire de la recherche et tous les chercheurs enseignaient, et ce, « dans une communauté où il y [avait] une liberté et une exigence formidables ».
Lire et publier
Dès la création du laboratoire, Dampierre s’attache au développement d’une bibliothèque de recherche et d’un service de publications (en 1986, celui-ci sera englobé dans la Société d’ethnologie créée à cet effet).
Si les centres de recherches qui fleurissent dans l’après-guerre en France associent étroitement recherche, publication et documentation, c’est non seulement parce que les chercheurs français ont vu l’efficacité de ce modèle outre-Atlantique, mais aussi pour disposer de ressources qu’ils ne trouvent pas ailleurs. Les bibliothèques des centres veulent pallier la pauvreté des collections de la bibliothèque nationale et des bibliothèques universitaires en matière d’ouvrages en langues étrangères, et, de façon générale, dans des disciplines nouvelles en plein développement comme la sociologie ou l’ethnologie. En 1966-1967, le bâtiment de la bibliothèque universitaire de Nanterre n’est pas encore sorti de terre et les collections en ethnologie sont quasi inexistantes, même si elles se développeront dans les années suivantes. Créer une bibliothèque au sein du laboratoire s’avère donc une nécessité. Dampierre ne se contente pas, dans sa politique d’acquisition, de répondre aux besoins immédiats de la recherche : son ambition est de constituer un fonds cohérent regroupant les ouvrages essentiels de la discipline pour la formation intellectuelle des jeunes chercheurs. Il voit aussi la bibliothèque comme intermédiaire entre les besoins des lecteurs et les ressources documentaires extérieures. À une époque où l’accès aux documents impliquait des démarches chronophages et parfois infructueuses, Dampierre concevait une bibliothèque placée au cœur des réseaux : réseau formel comme celui de prêt inter-bibliothèque dont il sera toute sa vie un grand utilisateur, mais aussi réseau informel, sorte de collège invisible de personnes-ressources capable de répondre le plus rapidement possible aux besoins documentaires de chacun.
Pour lui, la bibliothèque fait partie intégrante du dispositif que constitue le laboratoire, tel que défini dans le premier coutumier proposé le 15 juin 1968 : « Le laboratoire est fait pour faciliter le travail des chercheurs. Il considère comme de sa responsabilité d’apprendre aux étudiants à travailler ». Et de fait, la bibliothèque devient un lieu de passage obligé pour les étudiants et membres du laboratoire. De même, les chercheurs qui souhaitent entrer au labo y déposent leurs travaux, les chercheurs étrangers invités fournissent des références et font des propositions d’achat pour développer les collections dans leur domaine de recherche.
Un service des publications est créé pour faciliter la publication des travaux des jeunes chercheurs. Jusqu’en 1972, il est dirigé par Ellis Hemsi, ITA affecté personnellement à Dampierre et personnalité originale d’une grande érudition. Dampierre le met à la disposition du laboratoire, mais lui fait aussi superviser l’ensemble des publications qu’il dirige : les Archives européennes de sociologie, les ouvrages de la collection Plon et des Classiques africains. Au 1er juillet 1972, sept volumes ont été publiés dans les collections du laboratoire, diffusées à cette époque par Klincksieck : deux dans la collection « Recherches oubanguiennes » : (Pierre Vidal, Gabriel Gosselin) ; deux dans la collection « Sociétés africaines » (Ahmed Baba Miské, Alfâ Ibrâhim Sow) ; trois dans la collection « Recherche sur la Haute Asie » (deux de Alexander W. Macdonald, Vasilij Alekseevič Bogoslovskij) ; enfin, deux volumes de la revue Études mongoles. Pour les publications de chaque livre, comme le souligne Aurore Monod Becquelin, les travaux de réflexion des auteurs avec Dampierre, Chavy, Hemsi, étaient de véritables séances de recherche au service de publication sur ce qui fait la tenue et la grâce d’un livre, en examinant le papier, les caractères, les illustrations, les dessins et les cartes [48]. Six autres ouvrages paraîtront en 1973. Cette année-là, grâce à ses demandes répétées, Dampierre obtiendra deux postes du CNRS pour le service de publication et la bibliothèque. L’arrivée de ces agents assurera désormais aux deux services la stabilité nécessaire à leur développement. Si Florence Herschmann, en charge des publications avec Jean-Marc Chavy, ne restera au laboratoire que quelques années, Marie-Dominique Mouton dirigera la bibliothèque jusqu’en 2014, développera son inscription dans des réseaux et y créera une section des archives des ethnologues.
Les domaines d’étude et d’enseignement
Le laboratoire choisit à ses débuts trois grands domaines d’étude : 1) l’organisation sociale et religieuse indo-mélanésienne, africaine et sud-américaine ; 2) l’ethnolinguistique et l’analyse des littératures orales ; 3) l’ethnopsychologie. D’une façon remarquable, les trois grands domaines ne sont pas libellés en termes d’aires géographiques mais bien thématiques, dans un sens large, donnant une extrême liberté pour s’associer et travailler ensemble. Les équipes sont donc à la fois mêlées du point de vue des terrains, mais homogènes pour ce qui est de la dynamique des réflexions et des recherches. Pendant longtemps, certaines équipes ont gardé cette géographie éclatée. Les chercheurs sont organisés en équipes dont le nombre varie de quatre à sept comme c’est le cas en 1967 [49] :
- Équipe 1 Organisation sociale et tenure foncière en Mélanésie et Indonésie orientale, responsable D. de Coppet (5 chercheurs)
- Équipe 2 Ethnopsychiatrie et pédagogie africaine en milieu traditionnel, responsable A. Zempléni [50] (4 chercheurs et doctorants)
- Équipe 3 Ethnolinguistique, responsable H. Campagnolo, CNRS (5 chercheurs et doctorants)
- Équipe 4 Traditions littéraires non écrites de l’ancien monde, responsable P. Smith (7 chercheurs et doctorants)
- Équipe 5 Démographie et géographie tropicales, responsable P. Pelissier (5 chercheurs et doctorants)
- Équipe 6 Religion et mythologie amérindiennes, responsable H. Clastres (3 chercheurs et doctorants)
- Équipe 7 Sociologie comparée des systèmes politiques africains, responsable D. Sperber (5 chercheurs et doctorants)
Le laboratoire assure cette même année les enseignements suivants [51] : au premier niveau, une Initiation à l’ethnologie (H. Clastres), au deuxième niveau, Dampierre donne les cours de Problèmes et méthodes de l’ethnologie, Parenté et alliance, Différenciation sociale et politique ; Lucien Bernot, d’Écologie et économie élémentaires ; Jacqueline Thomas, de Linguistique générale et sociolinguistique ; Hélène Balfet, de Technologie. Puis divers chercheurs spécialistes présentent les domaines océaniste (D. de Coppet), amérindien (H. Clastres), indien (O. Herrenschmidt), chinois (J. Pimpaneau), africaniste (P. Smith), arabe (J. Favret), suivis de travaux dirigés. Au troisième niveau, Dampierre dirige le séminaire de maîtrise et doctorat, en parallèle de cours sur Théorie et histoire de la recherche (D. de Coppet, D. Sperber, J. Favret) et de Logique des classifications (D. Sperber).
Dampierre a un intérêt de principe pour l’interdisciplinarité. Il a ainsi toujours soutenu l’ethnolinguistique (Kintz 2017) et, d’après Aurore Monod Becquelin (commentaire personnel), était friand d’ouvrages qui y touchaient de près, dont beaucoup sur la tradition orale. Pour elle, « l’ethnolinguistique enseignée à Nanterre a donné l’idée, en relativement peu de temps, que l’ethnologie qui se faisait à l’ancienne avec traducteurs, interprètes et autres intermédiaires n’était pas tolérable et que le terrain signifiait que l’on apprenait la langue et qu’on l’interrogeait sans cesse. Les séminaires, non intégrés dans un cycle d’heures administratives, étaient nombreux, où l’on discutait autant de phonétique, que d’histoire de l’écriture ou de la sémantique de Greimas et d’analyses jakobsoniennes ». De même, Dampierre tenait à l’association ethnologie et préhistoire qui était la règle aux USA et qui introduisait l’histoire dans l’ethnologie. Ces deux disciplines sont toujours liées aujourd’hui dans l’offre de formation à Nanterre.
En revanche, le laboratoire en ses débuts veut se distinguer du département de Paris VII dirigé par Robert Jaulin à partir de 1970, qui ne craint pas de faire de l’ethnologie appliquée, ce qui à l’époque est considéré à Nanterre comme « à éviter », bien que la démarche soit très ethnographique également. On peut supposer que Dampierre tient cette prévention de son passage au CES où la réalisation d’enquêtes quantitatives sur commande était fréquente. Il est également peu investi dans la culture matérielle et la technologie, pour lesquels il fait appel à des enseignants extérieurs quand c’est nécessaire [52]. Non qu’il se désintéresse de la dimension matérielle des divers aspects du métier, comme le montre l’attention extrême qu’il porte à la forme dans les travaux de publication. Il fait aussi preuve d’une apparente indifférence envers les recherches menées dans le domaine de la santé et de la santé mentale, qu’il qualifie un jour de « sciences de l’infirmier » devant Zempléni (2015). Mais son niveau d’exigence s’appuie sur une culture extraordinaire et, sous cet apparent dédain, il écoute et suit néanmoins avec attention les travaux de recherche et d’enseignement dans ce domaine, comme la maîtrise spécialisée qui sera créée par Zempléni en 1988, ou le séminaire d’anthropologie de la maladie organisé avec Jacques Mercier, Lluís Mallart i Guimerà et plusieurs autres chercheurs (Haxaire & Zempléni 1995).
Le terrain avait sans conteste une place centrale dans la conception de la recherche à Nanterre. Lluís Mallart i Guimerà, recruté comme chargé de cours en 1970, raconte (2015) : « Je cherchais du boulot et je vois dans Le Monde qu’ils cherchaient à Nanterre un ethnologue africaniste avec expérience de terrain ». Il s’est orienté vers l’ethnologie après plusieurs années passées au Cameroun en tant que prêtre catholique (1961-1968), au cours desquelles il a appris la langue ewondo et a fait des recherches ethnographiques et linguistiques. Rentré pour se former, il n’a pas encore soutenu sa thèse de 3e cycle, déjà rédigée, mais il écrit à Dampierre, et après audition devant un jury, obtient la charge de cours [53]. Plus tard, il emmènera sur son terrain africain six étudiants volontaires, dont Michael Houseman qu’il encadrera avec Manga Bekombo pour son travail chez les Beti.
Georges Augustins faisait partie des premiers étudiants de licence en 1966-1967 et se souvient des deux cours que faisait Dampierre, l’un sur la parenté et l’autre sur l’anthropologie politique ; des cours de linguistique de Jacqueline Thomas, africaniste, qui enseignait à l’époque Jacobson et Martinet ; des cours de technologie d’Hélène Balfet [54], enfin des cours de sociologie du développement. Les assistants, comme Michel Izard, sont jeunes et appréciés. Ils font découvrir aux étudiants la bibliothèque du musée de l’Homme dans laquelle ils passeront des journées. La parenté enseignée avec passion par Paul Ottino de 1969 à 1971 attire de très nombreux étudiants, même sans nécessité pour leur cursus (Baré, 1995).
Dans les quatre premières années, font partie du laboratoire les chercheurs suivants (cités par ordre alphabétique) : Alfred Adler, Manga Bekombo Priso, Carmen Bernand, Henri Campagnolo et Maria Campagnolo (qui quitteront tous les trois le laboratoire dès 1969), Hélène Clastres, Daniel de Coppet, Jeanne Favret-Saada, Simone Dreyfus-Gamelon, Remo Guidieri, Roberte Hamayon, Olivier Herrenschmidt, Jean-Paul Latouche, Alexander W. Macdonald, Lluís Mallart i Guimerà, Patrick Menget, Ahmed Baba Miské, Aurore Monod, Georges Niangoran-Bouah [55], Paul Ottino, Paul Pélissier, Jacques Pimpaneau, Jacqueline Rabain-Zempléni, Marshall Sahlins, Pierre Smith, Dan Sperber, Serge Tornay, András Zempléni. On compte également parmi les premiers doctorants Georges Augustins, Cécile Barraud, Michel Dieu, Altan Gokalp, Pribislav Pitoëff, Danièle Kintz, Alain Morel, Cécile de Rouville, Thierry Quéant [56].
Olivier Herrenchmidt, entré au LESC en 1968, se souvient qu’à part Dampierre qui venait d’obtenir son doctorat d’État, Jacques Pimpaneau (professeur aux Langues O’), Alexander Mac Donald et Michel Izard (CNRS), les enseignants étaient des trentenaires qui n’avaient pas leur thèse et étaient pourtant déjà entrés au CNRS. Des professeurs invités se succèdent régulièrement : Marshall Sahlins en 1968, Masao Yamagushi en 1970, Edward Sapir en 1972, et ultérieurement John Murra, Gilbert Lewis, John Christopher Crocker, Vincent Crapanzano, Julian Pitt Rivers [57].
Les relations au sein du jeune laboratoire
L’assemblée générale et le séminaire de recherche sont les deux cadres principaux d’échanges entre chercheurs – tous également enseignants – et avec les étudiants ; la répartition des enseignements, l’encadrement des étudiants, et les relations de couloir en formaient un autre, tout cela orchestré par Dampierre. Il créa tout d’abord une « AG » de laboratoire d’un nouveau genre, comme l’évoque Augustins, entré au LESC en 1970 sous le parrainage d’Olivier Herrenschmidt : « Dampierre avait trouvé le moyen de tirer parti de 68 pour créer un laboratoire totalement atypique […] Il avait une assemblée générale, qui était souveraine, ce qui n’était absolument pas dans les mœurs du CNRS de l’époque. À mon avis, dans l’esprit de Dampierre, c’était peut-être moins une conséquence de mai 1968 qu’une manière de reconstituer le village africain à Nanterre. Parce que c’était ça, les assemblées générales ! Elles commençaient à deux heures de l’après-midi, or l’université fermait à dix heures du soir et il était rare que ça se termine avant dix heures du soir. On ne votait pas, il s’agissait que tout le monde soit d’accord. Donc on discutait jusqu’à ce qu’on soit d’accord, et on m’a raconté après qu’en fait, après dix heures du soir, souvent ça se terminait chez Dampierre jusqu’à des heures indues ! »
Cette gouvernance ne convenait pas à tous. « La stratégie du consensus de l’assemblée, analyse Zempléni, pour Dampierre c’était : ou bien vous êtes d’accord avec moi ou bien…, et c’est contre cela que Coppet s’est révolté, c’est la seule véritable révolte que j’ai connue à Nanterre. Il a claqué la porte… »
Pour autant, l’AG pouvait prendre des décisions qui n’allaient pas forcément dans le sens de l’opinion de Dampierre, comme en témoigne le récit que fait Serge Tornay de son recrutement (commentaire personnel, 2014) : « Je ne suis arrivé à Nanterre qu’en 1970, sur une annonce du Monde ! J’avais commencé ma carrière universitaire à la Sorbonne en 1969 comme assistant d’André Leroi-Gourhan. Puis de Jean Guiart […] Et puis il y eut cette annonce du Monde (évidemment à l’époque je n’avais aucune connaissance du Bulletin de l’Éducation nationale) : le département d’ethnologie de Nanterre recrute un maître-assistant. Par le plus grand des hasards je répondis à l’annonce. Éric de Dampierre me reçut au sous-sol du musée de l’Homme. Il m’offrit quelques ouvrages de la collection Plon : “— Au moins il vous restera ces livres. Il y a vingt-cinq candidats docteurs… Et vous n’êtes pas mon candidat. — Merci Monsieur le professeur !” Eh bien, croyez-moi ou pas, je fus élu maître-assistant à cette réelle soixante-huitarde assemblée générale. Dampierre l’aristocrate était un vrai républicain. Je ne quittai Nanterre qu’en 1996, élu au Muséum national d’histoire naturelle. »
Autre lieu d’échange d’idées, mais surtout d’élaboration : le séminaire du laboratoire, « et ça, affirme Augustins, c’était fantastique, on peut dire que c’était là que se faisait l’ethnologie à l’époque ». Sperber (2002), qui était membre du LESC depuis 1968, se souvient d’une équipe jeune, dynamique, sympathique, notamment composée de Pierre Smith, Alfred Adler, András Zempléni, Manga Bekombo, Patrick Menget, Roberte Hamayon, Daniel de Coppet, Remo Guidieri. Il évoque aussi « des rapports intenses entre nous, avec nos étudiants (tous les chercheurs enseignaient au département) ». Le séminaire de département et de laboratoire, qui était connu pour la liberté des discussions qui s’y produisaient, accueillait toutes les semaines des invités « avec une discussion passionnée ». Zempléni avait été marqué, notamment, par la séance à laquelle était invité Ernst Gellner, qui avait présenté l’islam comme fondé sur une éthique de la règle, et était resté sourd aux contre-exemples opposés par Dampierre et lui-même sur les mourides du Sénégal, qualifiés d’exception, ou sur l’ismaïlisme. « C’est un bon exemple de la manière dont se passaient les discussions des séminaires, “l’abattoir” comme on disait, car on y était soumis à un flux de critiques, dont j’ai fait moi aussi l’expérience ! » (Zempléni 2015).
Pour Carmen Bernand (2015), c’est le bagage intellectuel différent de chacun qui nourrissait l’échange d’idées : « Il y avait parmi les gens qui étaient à l’époque dans ce laboratoire des personnes qui avaient plutôt suivi Balandier, je pense notamment à Antoinette Molinié, elle venait du groupe Balandier. Et moi je venais du groupe Lévi-Strauss, donc là il y avait quand même une petite… une petite différence ». En l’occurrence, si Antoinette Molinié avait été dirigée par Georges Balandier pour sa thèse pourtant menée au Pérou, elle était également très influencée par le structuralisme de Lévi-Strauss mais aussi par le marxisme, et a utilisé ces différentes approches dans ses travaux [58].
Aux membres du laboratoire se joignaient des participants venus de l’extérieur attirés par l’offre et les professeurs invités, par exemple les étudiants de l’Eprass cité plus haut [59], Claude Macherel qui en faisait partie raconte : « On allait à Nanterre une fois par semaine écouter Marshall Sahlins qui passait alors deux ans à Paris en 1967-1968. Il y donnait un cours d’anthropologie économique dans le département d’ethnologie fondé par Éric de Dampierre. C’est là qu’il a conçu son article, paru dans Les Temps modernes, sur le premier âge d’abondance, celui des sociétés de chasseurs-cueilleurs collecteurs (Sahlins 1968). Nanterre, c’était à perpète, on traversait des champs de boue, il y avait un vague train qui s’arrêtait à la station Nanterre-La Folie. Mais on allait y écouter Marshall qui était un maître de l’anthropologie économique » (in Chappaz-Wirthner et Mayor 2009).
« Un laboratoire qui marchait très bien », c’est l’impression que garde Herrenschmidt des premières années qu’il y a passées, chargé de cours au deuxième semestre 1967-1968 puis nommé maître-assistant en 1968. Mais, en tant que jeune enseignant, il n’en aimait pas l’atmosphère : « Je la trouvais très tendue (je n’étais pas le seul), et il y avait un certain mépris des chercheurs pour l’enseignement qui n’était pas de haut niveau, le niveau maîtrise, où l’on parlait de ses recherches, de son domaine » (Herrenschmidt 2014). À cette hiérarchie d’ordre intellectuel s’en ajoutait une autre d’ordre social. Catherine Baroin, étudiante au début des années 1970 qui appréciait la qualité de l’enseignement prodigué à Nanterre, raconte s’être sentie handicapée au moment du choix du terrain, n’ayant ni moyens financiers ni réseau. Intéressée par les Andes, elle va voir Hélène Clastres, qui la décourage, notamment à cause du coût d’un terrain américain. Elle aura finalement l’opportunité de faire son terrain en Afrique. Elle avait été également frappée par le côté « grands bourgeois » de plusieurs chercheurs, « des gens qui n’avaient pas de souci de fin de mois, des bibliothèques somptueuses, des appartements pas mal, pas tous, mais… ». Elle ne s’identifiait pas à ce milieu qui s’est par la suite démocratisé. La remarque vaut sans doute pour tout le milieu de l’anthropologie française dans ces années, et pas seulement pour Nanterre. Il régnait un parisianisme marqué, avec des discours hautains sur la province, mais aussi sur la banlieue : tout le monde voulait être à Paris [60]. Pourtant, c’est bien la création d’une faculté à Nanterre qui a favorisé celle du laboratoire et certains se souviennent que la jeune équipe construisait son projet avec passion et ambition scientifique, sans aucun sentiment de marginalisation.
Dampierre valorise la culture de haut niveau. « Les cours de Dampierre étaient extraordinaires, raconte Augustins, parce qu’il donnait l’impression de s’adresser à un auditoire déjà très-très-très cultivé ! Il n’y avait pas du tout de concession à l’ignorance, enfin il fallait s’adapter, d’autant plus qu’assez fréquemment il écrivait en grec ancien au tableau, que personne ne comprenait ! » Le jeune étudiant qu’il était alors voit Dampierre comme un homme « un peu distant, un peu imprévisible mais néanmoins terriblement érudit ». De même, quand Carmen Bernand, alors jeune membre du LAS travaillant au Centre de documentation de Touraine, se voit confier des enseignements d’ethnologie en sociologie à Nanterre, Dampierre lui « impose » des auteurs qu’elle ne connaît pas, comme Ibn Khaldûn sur les lignages arabes, Granet sur les Chinois, Leroi-Gourhan, qui tous la passionnent et dont Dampierre pense la lecture bénéfique aux étudiants du premier degré.
Les réseaux des « patrons » sont parfois bien utiles à tous. Quand la situation au Cambodge empêche Augustins de partir y faire son terrain comme prévu et préparé de longue date, Ottino lui suggère de se tourner vers Madagascar où il travaille lui-même. Comme le raconte Augustins, « Dampierre a de nouveau fait agir les personnes qu’il connaissait au ministère » et c’est en tant que coopérant dans le cadre de son service militaire, rattaché à l’Institut d’art et d’archéologie d’Antananarivo, que le jeune homme part à Madagascar.
Les affiliations et associations du LESC : des premiers choix stratégiques
Le laboratoire et son volet pédagogique, le département, doivent s’affirmer face à l’UER de sciences sociales qui peine à se constituer, en particulier au début de 1968. Fondée à Nanterre au sein de la sociologie, l’ethnologie doit s’en affranchir et s’en distinguer tout en gardant son ouverture et l’aptitude à l’interdisciplinarité qui la caractérise. Des choix vont être faits dans la faible marge de manœuvre des contraintes institutionnelles et des affinités intellectuelles et relationnelles.
Mariage de raison conflictuel avec la sociologie
C’est grâce à l’invitation du sociologue Alain Touraine que l’ethnologie s’est introduite à Nanterre. De ce mariage fondateur, l’ethnologie mettra du temps à s’émanciper… Pourtant, les relations ne vont pas de soi.
Du côté ethnologie, comme s’en souvient Augustins, « il y a eu une longue période durant laquelle il a fallu marquer son indépendance vis-à-vis du département de sociologie. Il y avait un certain nombre de sociologues qui avaient un peu tendance à considérer que l’ethnologie c’était une… sous-sociologie ». Mais du côté sociologie, c’est une perception en miroir que rapporte Carmen Bernand (2015), attribuant à l’autre la même responsabilité dans des relations difficiles : « En ethnologie, il faut le dire aussi, le département de sociologie était considéré comme “rien” ; je pense qu’il y a eu une rivalité. Les ethnologues nous ont beaucoup snobés. » Danièle Kintz (2017) se rappelle la hiérarchie que ces regards mutuels produisaient : « Ce qu’on appelait l’ethnologie se croyait bien au-dessus de la “socio”, qui elle-même se croyait bien au-dessus de la “psycho” sociale. Et la linguistique était juste à égalité [avec l’ethnologie] ou la marche en dessous ! »
Une des causes des difficultés, puis du manque de relations, tient aux diverses sociologies qui se font au département (Grémion 2008). Touraine s’entend bien avec Dampierre, même si ces deux fortes personnalités ont sans doute été assez rapidement en compétition, mais en sociologie ses relations avec Henri Lefebvre, nommé en 1965, un an avant lui, sont plus difficiles ; ils soutenaient des orientations très différentes de la discipline, se souvient Augustins. Dampierre avait des affinités avec Henri Mendras et avec François Bourricaud (professeur d’histoire des doctrines sociales et politiques nommé en 1966), mais pas du tout avec les autres sociologues et leurs mouvements de pensée. Les disparités d’approche des enseignants sont également ressenties par les étudiants. Augustins, en maîtrise en 1967, s’oriente vers la sociologie pour trouver plus facilement un débouché. Mais il est rebuté par la sociologie urbaine professée par Lefebvre et son collaborateur Henri Raymond, trop urbanistique et architecturale ; il choisit un sujet de mémoire qui lui paraît plus ethnologique, sur les Antillais à Paris.
Les difficultés de relations entre les enseignants nuisent au fonctionnement de l’UER, format créé à la suite de la loi Faure en 1968-1969, quand les professeurs de l’UER de sociologie, Lefebvre, Touraine et Bourricaud, doivent choisir ou élire leur directeur parmi eux. Dampierre n’est que maître-assistant, il devient maître de conférences titulaire en 1971 et professeur en 1972. À la rentrée 1968, Sahlins est professeur associé. Il racontera avec beaucoup d’ironie, dans son discours de réception comme docteur honoris causa en 1999 (p. 51), comment les trois professeurs titulaires, aucun ne voulant élire un des deux autres mais n’ayant pas l’audace de voter pour soi-même, finirent par le désigner, lui, « quoique, en tant que professeur associé, [il ne fut] même pas un candidat recevable » ! Quant à lui, il profitait, non sans un certain amusement semble-t-il, de la mise à plat des manières de faire et de penser qui était le mot d’ordre de la contestation pour en tirer une réflexion épistémologique à l’usage de ses collègues et étudiants. À l’AG du 17 décembre 1968, il présente un mémo radical, qui propose « de mettre en question non seulement l’organisation académique de l’ethnologie mais l’ethnologie elle-même, c’est-à-dire la pensée ethnologique, son projet, son but, ses méthodes », et « que le recrutement soit limité à des individus préparés à faire une anthropologie critique, une contestation », dans les sociétés « primitives » ou paysannes des divers continents, dans les domaines classiques de l’anthropologie (idéologie, rituel, structure sociale et parenté, structure politique, économie, écologie) [61].
Lors de l’AG du 2 juillet 1968, le projet d’une éventuelle association avec le Groupe de sociologie rurale [62], créé en 1950 par Henri Lefebvre et dirigé alors par Henri Mendras et Marcel Jollivet, avec laquelle les affinités sont nombreuses, provoque des réactions mitigées, et une simple collaboration est envisagée pour l’avenir. L’idée de cette association se comprend sur le plan intellectuel, mais le Groupe de sociologie rurale est à l’époque en pleine controverse. Mendras, chercheur au CNRS, a été basé au Centre d’études sociologiques (CES) avant de venir à Nanterre, et enseigne également la sociologie à l’IEP : son groupe de travail est installé dans les locaux nanterrois destinés en première intention à accueillir l’Année préparatoire de l’IEP en 1967. Comme beaucoup d’autres, il a fait le voyage aux USA, à Chicago, a traduit Merton pour Dampierre éditeur chez Plon, a participé à l’expérience avortée de Royaumont et à Futuribles. Sociologue de la vie rurale et du changement social, Mendras manie la comparaison dans l’espace et dans le temps. Il se revendique de l’espèce nouvelle des chercheurs de terrain (Mendras, 1995 : 142). Faisant l’éloge de la monographie et de l’observation façon ethnographe, Mendras a exercé son œil et porté son regard sur les villages de France, d’Europe et d’Amérique, persuadé que « le retour au terrain est la meilleure protection contre la fausse abstraction » (Mendras & Oberti 2000 : 14).
Mendras était le patron du Groupe de recherches sociologiques dont Marcel Jollivet était membre. Augustins, qui participa en 1976-1977 à un programme ATC dirigé par Mendras sur le changement social, évoque ce groupe « très intéressant parce qu’il y avait deux optiques très différentes, il y avait l’optique Mendras qui était, en gros, “sociologie weberienne”, ce qui explique ses affinités avec Dampierre et dans laquelle je me retrouvais moi aussi, et l’option “sociologie marxiste” qui était sous Jollivet. Mais tout le monde s’entendait très bien ; il y avait des discussions un peu vives parfois, mais il y avait des séminaires communs, c’était un monde très intéressant ». Jollivet (2003) rend compte de sa controverse avec Mendras sur la manière de faire de la sociologie. Dampierre était donc plus proche de Mendras que des sociologues « du 3e étage », au-dessus de l’ethnologie, sauf plus tard quand Jacques Lautman en sera le directeur (Zempléni 2015). Lautman collaborait aux Archives Européennes de Sociologie créées par Dampierre, revue résolument comparatiste dans laquelle il incitait les membres du LESC à publier, mais qui, ce sera un petit échec, est toujours restée plus connue à l’étranger qu’en France où elle n’a pas trouvé son public (Mendras 1995 : 130).
Carmen Bernand, ethnologue en poste en sociologie, rapporte également à quelques événements de 1968 l’origine du fossé qui sépara vite les deux équipes de sociologie et d’ethnologie. En effet, les deux étages ont eu un comportement fort différent dans la mobilisation contestataire, dont le département de sociologie est alors l’épicentre national. Dampierre essaie de protéger son département, comme lieu de travail, des soubresauts de l’époque. Il n’est pas politique, à la différence de certains membres du LESC, comme Jeanne Favret-Saada par exemple, née en Tunisie, devenue marxiste et syndicaliste engagée pendant ses premières années d’études supérieures en France. Elle raconte qu’elle a participé au mouvement contestataire avec quatre membres du département (laboratoire) d’ethnologie, dont Dan Sperber, tandis que les autres s’en sont tenus complètement à l’écart (2019a). Les archives du LESC conservent une coupure de presse, la Tribune libre du journal Combat du 10 février 1969, sur les grèves à Nanterre, signée par Jeanne Favret et Jean-Pierre Peters, tous deux agrégés de l’université, et par un ingénieur agronome. Ce texte dénonçait ce que les étudiants de Nanterre remettaient en cause par leurs grèves depuis mai 1968 : « Un ordre universitaire : la conjonction d’un savoir clos et d’un pouvoir absolu ».
Pour Dampierre, il est important que les cours aient toujours lieu. Bernand soutient, malgré les accusations, qu’en sociologie on les faisait aussi, mais dans une ambiance beaucoup plus bruyante (Dampierre détestait le côté vindicatif des sociologues contestataires). Bernand se réfugie en ethnologie quand le département de sociologie est devenu « une foire d’empoigne » où ce que Touraine avait construit était, estime-t-elle, assez injustement mis en cause. Le sentiment d’infériorité de l’ethnologie créée à Nanterre à partir de la sociologie va être nuancé par ces comportements soi-disant opposés pendant l’agitation étudiante : l’ethnologie qui conserve ses enseignements et la sociologie qui n’est que chaos et qui « vire » son fondateur (Alain Touraine). En effet, à l’issue de ces années troublées, les sociologues Touraine et Bourricaud, avec lesquels Dampierre s’entend le mieux, quittent Nanterre, laissant plus de place aux enseignants spécialisés en sociologie urbaine, de l’espace et de l’architecture qui décontenancent les étudiants venus d’ethnologie comme Georges Augustins. Les relations avec la sociologie étaient une question permanente, se souvient Zempléni, et les rapports privilégiés passeront ensuite, en particulier, par Jacques Lautman et par Annie Kriegel, nommée après le départ de Touraine [63].
Moins engagés dans la contestation que les sociologues, les ethnologues font cependant parler d’eux en 1969 en s’opposant à la présence des « appariteurs musclés » ayant remplacé les huissiers de l’université en janvier. Dampierre adresse une lettre de protestation au doyen Beaujeu, puis le 2 février, Sahlins, professeur associé d’ethnologie, écrit sur un papier à en-tête du LESC une lettre de trois pages au même avec copie au directeur du laboratoire (Dampierre), au directeur du département de sociologie (Touraine), et au ministre de l’Éducation nationale (Edgar Faure), pour s’indigner des violences exercées le 31 janvier par ces appariteurs contre des étudiants harcelés et matraqués jusqu’au sang qui s’étaient réfugiés dans le Laboratoire d’ethnologie. Il souligne que « même s’ils étaient coupables », ce comportement n’est pas dans le rôle des appariteurs, qui de plus les insultaient. Il annonce qu’il suspend ses cours jusqu’au retrait desdits appariteurs, faute de quoi il présentera sa démission. Menace sans effet puisque le 17 février, après une assemblée générale extraordinaire, 13 étudiants et enseignants d’ethnologie se lancent dans une grève de la faim, tout de suite très médiatisée — de nombreux télégrammes de soutien leur parviennent — qui obtient le résultat souhaité le 22 février. Parmi les neuf étudiants grévistes figurent Catherine Baroin, Danièle Kintz [64] et Michel Dieu (licencié en sociologie, diplômé d’HEC), ces deux derniers étudiants en 3e cycle ; les grévistes chercheurs chargés d’enseignement sont Jeanne Favret et Jean-Pierre Peter (agrégés), Dan Sperber (Litt. Social Anthropology, Oxford) [65].
Cependant Sperber, qui se décrit comme sensible à cette époque aux engagements politiques, ne voit rien de politique dans mai 1968 : « 68, à Paris, [ça a été] une révolution culturelle formidable. Comme mouvement politique, c’était assez nul, mais comme mouvement culturel, c’était formidable ! » (2002). Il constate simplement le changement provoqué dans les relations hommes-femmes et dans le rapport à l’autorité. Pour lui, le contexte était propice à la discussion d’idées nouvelles, dans ou hors du champ académique.
Paul Ottino, maître de conférences de 1969 à 1971, avait des rapports ouverts et égalitaires – « il nous tutoyait, raconte Augustins, chose qui était impensable à l’époque », mais pas plus d’engagement politique. Augustins, qui a suivi ses cours, se souvient « d’un type très drôle, qui avait beaucoup d’humour » et, bien dans le style de la maison, « il savait tout, il avait tout lu, enfin il était extraordinaire ». Jean-François Baré (1995), autre de ses étudiants, raconte que pendant une intrusion de CRS à Nanterre en 1969, Ottino constata « non sans humour » qu’il était « futile de continuer à parler de la segmentarité arabe » et Baré voit dans son attitude « quelque amorce de travaux pratiques sur l’anthropologie de l’institution », mais rien de plus. Ottino a certes mené des enquêtes collectives dans les cités proches de l’université, habitées à l’époque par des ruraux ayant migré en ville pour trouver des emplois ouvriers ; on n’a cependant retrouvé aucun mémoire de maîtrise qu’il aurait pu diriger, et il était plus passionné par les terrains ultramarins, l’Océanie qu’il venait de quitter (l’édition de Rangiroa : parenté étendue, résidence et terres dans un atoll polynésien était en cours) et Madagascar, où il part en septembre 1970 avec Baré, pour installer ce dernier sur son terrain de thèse à Nosy Be et entraîner Augustins vers le sien sur les hautes terres.
L’influence (limitée) de la linguistique
Dan Sperber, qui développait une réflexion sur des aspects cognitifs et travaillait avec Pierre Smith et Michel Izard sur la fonction symbolique, a évoqué l’impact de Chomsky sur les recherches à cette époque. En 1964, alors qu’il préparait sa thèse de doctorat de 3e cycle avec Georges Balandier, sociologue et anthropologue africaniste « qui avait le grand mérite de ne pas figer les sociétés étudiées », Sperber avait lu Noam Chomsky, « lecture autant sinon plus importante que celle de Lévi-Strauss pour [lui] » (Sperber 2002). De la lecture du petit livre d’une centaine de pages paru en 1957, Syntactic Structures, il garde le souvenir d’un sentiment d’émerveillement devant une pensée ambitieuse, pas entravée, une façon vraiment nouvelle de concevoir le langage [66]. Pour lui, Chomsky parle de la nature humaine de façon concrète, alors que Lévi-Strauss y fait constamment allusion sans en dire beaucoup. Il replace cela dans le contexte des courants de pensée en SHS de ces années : « Ce qui dominait à l’époque, c’était plutôt des auteurs comme Foucault, Lacan, Derrida dont c’est encore la grande période française, après la grande période américaine, et un type d’intérêt pour une philosophie radicale, qui voulait repenser les fondements mêmes de la réflexion, et en même temps beaucoup moins empirique. Alors, les gens dont je parle étaient tous engagés dans des recherches empiriques, tous, d’une façon ou d’une autre, autour de thématiques qui s’étaient développées dans les sphères de la sémiologie, mais ils étaient ouverts à des réflexions nouvelles, en particulier, à ce qui se passait en linguistique autour de la grammaire générative ; on commençait aussi à sentir l’influence de la philosophie du langage ordinaire (Oswald Ducrot par exemple, en France François Récanati aussi, qui arrive un peu plus tard). »
Augustins alors étudiant parle du renouveau apporté par la linguistique chomskienne, qui éclot en 1968 : « Je pense qu’il y a eu une incidence [sur] les chercheurs qui étaient déjà en place, qui donnaient l’impression, je ne sais pas si c’est vrai, de prendre leur distance vis-à-vis des mandarins, de ce qu’on appelait “les mandarins”, les vieux classiques qui détenaient la parole un peu partout dans Paris, c’est le moment où les jeunes se sont dit : “On dit ce qu’on a à dire” et où quelqu’un comme Sperber a pris une ampleur considérable parce qu’il introduisait quelque chose d’entièrement nouveau, la grammaire générative. C’est le moment aussi où sont parus quelques bouquins qui, moi, m’ont beaucoup influencé, par exemple un livre de Leach [1961]. Donc il y avait beaucoup de débats qui étaient liés, à cette époque-là [1968], mais pas directement liés aux débats qui se passaient à Paris à mon avis, et il est sûr que pas mal de choses ont changé à ce moment-là […] C’était un climat “on va faire du nouveau” […] Sperber nous a fait des cours sur Chomsky, etc. et sur un livre très très bien de Nicolas Ruwet, qui s’appelait Introduction à la grammaire générative [67] ». Nicolas Ruwet enseignait alors à l’université de Vincennes (Paris VIII) [68] et rejoignit pendant un temps le laboratoire ; il donna cours au département.
L’effet Chomsky n’aura eu d’impact au LESC que sur les cognitivistes, estime Zempléni, et des étudiants de valeur s’y sont embarqués, comme Pascal Boyer (amené au Laboratoire par Lluís Mallart i Guimerà et Manga Bekombo Priso qui travaillaient au Cameroun). Boyer s’engage dans le sillage de Sperber, et produira une thèse sur les traditions orales des Fang du Cameroun publiée en 1988. Dampierre, qui était son directeur, « en avait dit (injustement), se souvient Zempléni : il est à craindre que ce soit de l’essayisme ! Une remarque comme il savait en faire, qui stimulait les individus. Essayisme, chez lui, ça signifiait : ce n’est pas tout à fait de la démarche scientifique […] peut-être pas assez assis sur des données de terrain, et surtout cédant un peu à la présentation ».
Sperber était le seul chomskien du LESC, et c’est sans doute en partie pour cette raison qu’il s’en est éloigné (de même que Boyer). Mais, comme le rappelle Aurore Monod Becquelin, d’autres courants totalement opposés fleurissent alors : une école classique, centrée sur la lexicographie (J. Thomas, R. Hamayon, M.‑L. Beffa) et une école plus tournée du côté de la pragmatique, de l’ethnosyntaxe et de la linguistique de l’énonciation (Aurore elle-même et ses étudiants). De fait, l’effervescence de 1968 favorise une remise en cause des enseignements de linguistique donnés aux étudiants en ethnologie. Aurore Monod, nommée assistante au département d’ethnologie en septembre 1968, se rappelle avoir eu « les coudées franches » et avoir été autorisée par Dampierre à « remuer » un peu la linguistique qui était réservée aux ethnologues de terrain : une commission créée dans le laboratoire rend son verdict dans l’AG du 17 décembre 1968 en optant pour l’humour. Il y est constaté que l’enseignement de la phonétique, « au plus haut point rébarbatif », peut aller jusqu’à « créer des lésions irréversibles au cerveau » [69]. Son seul intérêt réside dans le cadre de l’apprentissage d’une langue, par exemple pour acquérir la pratique des clics de certaines langues africaines. Mais, paradoxalement, la linguistique est reconnue d’un intérêt méthodologique et théorique considérable. D’obédience structuraliste, Aurore Monod enseigne, avec l’histoire de la linguistique et l’histoire de l’écriture, les bases de la description sémantique de la grammaire comme de la lexicologie ou de la phonétique-phonologie. Loin de proposer un enseignement qui se réduit à la reproduction des clics, comme des esprits taquins se plaisent à le dire, cette approche insiste sur la recherche du sens en tout point du langage, commune à l’ethnologie et à la linguistique. La commission du LESC propose donc d’offrir deux sortes d’enseignements :
- un cours de théorie linguistique qui s’efforce de présenter le modèle chomskien et la grammaire générative dans ses derniers développements ;
- des cours d’ethnolinguistiques centrés sur les problèmes rencontrés par l’ethnologue, par exemple les taxinomies – parenté, couleurs, botanique… –, la récolte de la tradition orale, la pragmatique austinienne, le contexte et la présupposition (Ducrot, etc.).
Comme l’explique Aurore Monod Becquelin, à la phonétique, indispensable quoi qu’on en ait, on privilégie un enseignement général, l’étude de la signification. L’association de la nécessaire domination (ou quasi-domination) de la langue des groupes étudiés est portée comme le résultat le plus important de n’importe quel enseignement d’ethnologie. Ce requisit, imposé au fil des années, se traduit maintenant par l’abondance des textes « en langues » analysés dans les travaux d’une grande partie des anthropologues de terrain. Les cours de peul d’Alphâ Sow, qui allait partir à Abidjan faire l’inventaire du fonds Hampâté Bâ [70], ont décidé de plusieurs vocations. Ils se faisaient dans un bistrot à l’Odéon près des republications du « célèbre » Paulet [71]. L’été, sur la seule pelouse qu’il y avait à Nanterre, on écoutait du peul. Ou bien on allait aux séminaires de Pimpaneau ou de Coppet. Les langues, dit Aurore Monod Becquelin, entraient dans la pratique ethnologique.
Une réflexion permanente sur la discipline et ses alliés
Le LESC décide en assemblée générale de tenir des assises exceptionnelles hors de son cadre ordinaire pour réfléchir au contenu des recherches en maîtrise et en thèse. Elles auront lieu à Royaumont, lieu que Dampierre connaît bien, en janvier 1969 : les équipes de recherche sont refondées, les chercheurs s’y regroupent selon leurs intérêts intellectuels et leurs compétences, les enseignements évoluent. On sent dans les comptes rendus que les diverses remises en cause du moment ont joué, mais n’opposent pas du tout enseignants-chercheurs et étudiants, qui se retrouvent tous au sein des équipes, réduites à cinq [72] :
- Ethnopsychiatrie et éducation, dirigée par András Zempléni (avec Alfred Adler, Hélène Clastres, Jeanne Favret, Jacqueline Rabain-Zempléni, Manga Bekombo) ;
- Traditions et littératures de l’Ancien Monde, dirigée par Pierre Smith (avec Alexandre Macdonald, Jacques Pimpaneau, etc.) ;
- Ethnolinguistique et étude des classifications, dirigée par Michel Dieu (avec Aurore Monod, Nicolas Ruwet, etc.) ;
- Organisation sociale, réseaux d’échange, d’alliance et de tenure foncière, dirigée par Jean-Paul Latouche (avec Daniel de Coppet, Simone Gamelon, Marshall Sahlins) ;
- Sociologie des rituels, symbolismes et stratégies, dirigée par Olivier Herrenschmidt (avec Dan Sperber, Jeanne Favret, Remo Guidieri, etc.).
La construction en cours des futures UER oblige toujours à réfléchir à des associations disciplinaires. À l’AG du 18 mars 1969, plusieurs pistes sont étudiées et discutées [73] :
- se joindre à une UER d’ethnologie, préhistoire et religion en formation à la Sorbonne ;
- rester à Nanterre dans l’UER de sociologie, situation provisoirement confirmée (Herrenschmidt est chargé de prendre contact avec les sociologues de l’ancien département : Claude Karnoouh [74] rendra compte de contacts avec Touraine d’une part et le CES de Mendras de l’autre) ;
- entrer dans une confédération de laboratoires sur le campus ;
- rejoindre un regroupement interdisciplinaire (dans une « zone critique » [sic]) ;
- regrouper autour du laboratoire des Formations de recherche et d’enseignement « naturellement alliées ».
Mais qui sont ces alliés naturels ?
- pour le LESC, d’abord les linguistes [75] : Latouche et Sperber sont chargés de contacter les linguistes « de Nanterre passés à Vincennes », mais seul l’un d’entre eux, Jean Dubois, envisagerait de revenir à Nanterre, et non Nicolas Ruwet et Maurice Gross sans doute plus convoités ;
- le laboratoire audiovisuel et le laboratoire de sociologie rurale du campus ;
- le labo d’ethnologie [sic] animale ;
- les mathématiciens.
En 1970, l’UER de sociologie prend le nom d’UER des sciences sociales, et l’ethnologie en fait toujours partie aux côtés de la sociologie, de la démographie et de l’économie [76].
La place du laboratoire vis-à-vis du département d’ethnologie est également l’objet de maintes discussions. En 1969-1970, le département offre les cours suivants [77] :
- des unités de valeur (UV) libres d’ethnologie à choisir dans le cadre d’une licence quelconque ;
- au sein de la licence de sociologie, des UV d’ethnologie qui deviennent une dominante en ethnologie au niveau 3 (L3) ;
- pour ceux qui se destinent au métier d’ethnologue, 10 UV obligatoires au sein de la licence de sociologie, 1 en L1, 2 en L2 et 7 en L3, notamment la présentation des « domaines » (géographiques et culturels), ainsi que des UV libres en ethnologie, comme l’initiation à l’audiovisuel.
Un très grand nombre d’enseignements sont donnés comme heures complémentaires, permettant une perméabilité exceptionnelle entre les enseignants-chercheurs. Des chercheurs comme Milner, Pimpaneau, Coppet et bien d’autres donnent des séminaires que tous leurs collègues suivent en même temps que les étudiants.
Les premières thèses sont soutenues : le 31 mai 1968, par Patrice Mufuta, Le chant kasàlà des Luba, textes, traductions, introduction et commentaires [78] et le 5 décembre 1969 par Manga Bekombo, La société familiale dwala. En 1970, les thèses sont dirigées par Dampierre (18), Sahlins (2) et Ottino (4) qui sont les seuls habilités à le faire, aidés par les autres chercheurs du laboratoire qui jouent le rôle de tuteurs et acquièrent une expérience dans la direction de travaux.
Roberte Hamayon (2020) se souvient de l’approche « sociologie comparative » qui caractérisait le laboratoire en ses tout débuts et consistait notamment à promouvoir des thèmes plutôt que des aires culturelles. Dampierre a voulu, estime Jeanne Favret-Saada (2019b), que très rapidement, en trois ans, toutes les disciplines soient enseignées – c’est-à-dire qu’une offre de formation pluridisciplinaire soit assurée – avec l’ambition de faire du LESC le premier laboratoire d’ethnologie de France. Il est certain qu’une certaine concurrence stimulante s’instaure avec le LAS. Un accord de travail en commun sera cependant conclu dans les années 1980 entre les bibliothèques du LESC et du LAS (dirigées respectivement par Marie-Dominique Mouton et Marion Abélès), et un groupe de recherche sur « Anthropologie et psychanalyse » réunira des chercheurs des deux laboratoires [79]. Si, au fil des ans, certains chercheurs présents dans les premières années quitteront le LESC pour fonder une équipe ailleurs, prendre la direction d’une autre entité ou suivre d’autres axes de recherche (Daniel de Coppet, Alfred Adler, Dan Sperber), d’autres resteront, comme András Zempléni qui dirigeait l’équipe Ethnopsychiatrie et pédagogie. L’articulation si essentielle entre enseignement, recherche, bibliothèque et publication sera maintenue par Dampierre et par ses successeurs à la tête du laboratoire, mais l’évolution de l’université modifiera progressivement les formes de partage entre enseignement et recherche.
Bibliographie
Sources
Archives du LESC
Rapports scientifiques annuels : à partir de 1967-1968
Dossiers annuels : 1967-1968 à 1993 (Rapport scientifique A ; Descriptif des enseignements E ; Dossier financier F ; Documents divers D)
Registre des délibérations du laboratoire, no 1 (1967-mars 1974)
Archives de l’université Paris Ouest Nanterre La Défense (aujourd’hui Paris Nanterre)
Dossier de carrière d’Éric de Dampierre
Dossier de carrière d’Olivier Herrenschmidt
Entretiens
Adler, Alfred, 2020. Entretien filmé, Livre 1 – Comment j’ai décidé de devenir ethnologue et de faire de l’ethnographie, in Les possédés et leurs mondes, série d’entrevues menées par Frédéric Laugrand, en ligne : https://youtu.be/8OAsSk_QgYs.
Augustins, Georges, 2014. Entretien enregistré mené par Violaine Héritier-Salama et Sophie Blanchy, projet « Faire et arpenter l’histoire de Nanterre », Labex Les passés dans le présent.
Bernand, Carmen, 2015. Entretien mené par Sophie Blanchy et Sylvie Pédron-Colombani, filmé par Vanessa Tubiana-Brun (MSH Mondes), projet « Faire et arpenter l’histoire de Nanterre », Labex Les passés dans le présent.
Favret-Saada, Jeanne, 2019a. Entretien filmé, Livre 1 – Je n’ai pas été programmée pour devenir une intellectuelle, in Les possédés et leurs mondes, série d’entrevues menées par Frédéric Laugrand, en ligne : https://youtu.be/TdS07Wy8Eyg.
Favret-Saada, Jeanne, 2019b. Entretien filmé, Livre 3 – Au Laboratoire d’Études de Sociologie et d’Ethnologie Comparative…, in Les possédés et leurs mondes, série d’entrevues menées par Frédéric Laugrand, en ligne : https://youtu.be/6W8hm0c3W2M.
Hamayon, Roberte, 202. Entretien filmé, Livre 1 – L’ethnologie, la linguistique et la Mongolie, in Les possédés et leurs mondes, série d’entrevues menées par Frédéric Laugrand, en ligne : https://youtu.be/sIPVq7U__hM.
Herrenschmidt, Olivier, 2014. Entretien enregistré mené par Virginie Milliot, projet « Faire et arpenter l’histoire de Nanterre », Labex Les passés dans le présent.
Kintz, Danièle, 2017. Entretien enregistré mené par Marie-Dominique Mouton et Sophie Blanchy, projet « Faire et arpenter l’histoire de Nanterre », Labex Les passés dans le présent.
Mallart i Guimerà, Lluís, 2015 Entretien enregistré mené par Michael Houseman, Philippe Erikson et Sophie Blanchy, projet « Faire et arpenter l’histoire de Nanterre », Labex Les passés dans le présent.
Molinié, Antoinette, 2018. Entretien filmé, Livre 1 – Souvenirs de jeunesse, formation et vocation pour l’ethnologie, in Les possédés et leurs mondes, série d’entrevues menées par Frédéric Laugrand, en ligne : https://youtu.be/oTZXJArgQRQ.
Molinié, Antoinette, 2019. Entretien filmé, Livre 3 – Avec les Quechuas des Andes péruviennes et les paysans des Cévennes in Les possédés et leurs mondes, série d’entrevues menées par Frédéric Laugrand, en ligne : https://youtu.be/ol1q6kZ6YTg.
Sperber, Dan, 2002. Entretien filmé, Anthropologie cognitive, langage, communication et évolution (1), in Archives Audiovisuelles de la Recherche (Paris, Fondation MSH), en ligne : http://semioweb.msh-paris.fr/corpus/aar/FR/_video.asp?id=48&ress=338&video=83012&format=68.
Zempléni, András, 2015. Entretien enregistré mené par Sophie Blanchy, René Collignon et Marie-Dominique Mouton, projet « Faire et arpenter l’histoire de Nanterre », Labex Les passés dans le présent.
Références citées
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Bidou, Patrice, Jacques Galinier & Bernard Juillerat (éd.), 1999. Anthropologie psychanalytique, L’Homme, 149.
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Vignette de couverture : Éric de Dampierre, Bangassou (RCA), 1984. Fonds de la MSHO - Bibliothèque Éric-de-Dampierre (Université Paris Nanterre)