Les Brésils de Bastide et Lévi-Strauss, deux cheminements de pensée aux antipodes
En 1938, Roger Bastide débarque à Sao Paulo pour occuper (sur l’invitation du Professeur Dumas) la chaire de Sociologie en remplacement de Claude Lévi-Strauss qui partait justement en expédition chez les Nambikwara. Ce croisement en un même lieu qui allait être pour l’œuvre de chacun absolument décisif, illustre en même temps l’éloignement maximal de leur cheminement et de leur objet d’investissement scientifique. Ni les milieux d’origine ni les dix ans d’âge qui les séparaient ne conduisaient a priori à ce croisement de leurs existences. Mais il faut rappeler quand même le parcours scolaire et universitaire qui les conduit tout deux à l’agrégation de philosophie. Et puis il y a cette première expérience du métier de professeur de lycée, au départ en province (Mont-de-Marsan, Valence), avec un goût commun pour l’art et la littérature, et les mêmes tentations pour la carrière politique. Mais il y a surtout ce choix de l’aventure brésilienne et cette « conversion », hautement significative pour les générations qui suivront, de ces jeunes philosophes à la sociologie et à l’anthropologie. Lévi-Strauss rappelle que c’est Soustelle qui fut le premier, dans les années 1930, à donner l’exemple d’un agrégé de philosophie passant à l’ethnologie et au travail de terrain sous les Tropiques (Lévi-Strauss 1988 : 27-28).
Ce croisement de destins, qui se renouvellera plusieurs fois par la suite puisqu’ils intégreront l’École Pratique des Hautes Études presque aux mêmes dates, 1950 et 1951, s’accompagne sur le plan personnel d’une « bonne distance [1] ». Mais la divergence immédiate et l’éloignement manifeste des centres d’intérêt scientifique sont vraiment frappants : d’un côté chez Lévi-Strauss cette démarche quasiment archéologique (Bastide parle d’ethnographie « proustienne » pour caractériser cette recherche du « temps perdu » de l’humanité (Bastide 1956 : 152)), le souci de retrouver au cœur de la forêt amazonienne les traces de sociétés indiennes encore préservées, avec les déconvenues de ces premiers « Indiens » qui sont des faux sauvages (les Kaingang) et jusqu’à l’épreuve ultime de l’incommunicabilité avec l’autre vraiment autre, les sauvages purs (les Mundé), voués à disparaître [2]. De l’autre côté, une passion pour les syncrétismes, l’intérêt pour la sociologie des formes les plus hybrides, les plus baroques, de la culture contemporaine et urbaine afro-brésilienne. Il est significatif que Lévi-Strauss après son retour d’expédition en 1939, ne retournera plus jamais au Brésil (sauf ponctuellement en réponse à une invitation de circonstance : un retour qui le laissera totalement déprimé au regard de la dégradation de la situation des populations indiennes ; un désenchantement profond qui était déjà la conclusion dominante de son retour d’expédition chez les Nambikwara).
Dans son compte-rendu de Tristes Tropiques, Bastide évoque le véritable dégoût ressenti par Lévi-Strauss devant les études consacrées à « l’acculturation » indienne en Amérique du Nord. Plus généralement ce dernier a toujours mis en doute la prétention à élever la misère de l’acculturation et ses sous-produits au rang d’objet ethnologique (Lévi-Strauss 1940). Or c’est justement ce défi que les travaux de Bastide vont s’efforcer de relever en partant de l’idée que l’acculturation, loin d’être le symptôme d’une structure expirante, engendre toujours un syncrétisme, autrement dit une création de sens. On pourrait ajouter à cela l’absence d’intérêt et même le malaise avoué de Lévi-Strauss par rapport aux réalités africaines et surtout par rapport au mysticisme et au syncrétisme des cultes afro-brésiliens – auxquels il n’a jamais eu vraiment envie d’assister. Les enthousiasmes d’un Bastide pour les cultes de possession ou les récits d’enfance cévenole d’un Bastide évoquant le plaisir de disséquer les insectes dans une sorte de jeu sacrificiel le laisse plutôt perplexe.
Pensée du classement et pensée du cheminement
La manière dont les itinéraires biographiques de Bastide et de Lévi-Strauss se sont croisés conduit naturellement à s’interroger sur les points de rencontre ou les ponts qui ont pu exister entre la pensée et l’œuvre de chacun de ces deux hommes au-delà de la distance des objets et des intérêts. La dissymétrie de la relation est frappante. Lévi-Strauss reconnaît le génie propre de Bastide (impressionniste et syncrétique à l’image de son objet), et sa bienveillance vis-à-vis des autres, mais il ne l’a pratiquement jamais lu. Bastide par contre a beaucoup lu Lévi-Strauss (c’est l’auteur qu’il cite le plus) ; il a plaisir à le lire et fait systématiquement des comptes rendus critiques, d’une grande honnêteté intellectuelle, de ses ouvrages : « Nul plus que nous n’a le sentiment de la richesse d’idées, de ce foisonnement de suggestions, de ce débroussaillement de maquis que présentent ces livres » (Bastide 1965a : 83). En même temps, il poursuit constamment avec cette pensée et cette œuvre, un dialogue par personnes interposées : Proust/Lévi-Strauss, Lévy-Bruhl/Durkheim, Leenhardt/Lévi-Strauss, Freud/Lévi-Strauss, Bergson/Kant, etc. Une façon parmi d’autres d’éviter l’explication frontale et de donner libre cours à son goût de la médiation. La généalogie des oppositions et les diverses identifications par filiation auxquelles il se livre pour mieux cerner les termes du débat relèvent d’une lecture quasi-ethnologique des philosophies en présence. Mais c’est aussi un vieil habitus d’agrégé de philosophie : « Mais on voit tout de suite que c’est la reprise - sous une forme nouvelle - du vieux débat entre Durkheim (théorie des classifications) et Lévy-Bruhl (théorie des participations) qui renaît entre Lévi-Strauss (théorie des systèmes formels) et Leenhardt (théorie des continuités) » (Bastide 1964 : 21).
Sur le fond, ce qui en jeu dans ce dialogue (comme entre Ricœur et Lévi-Strauss) c’est la confrontation entre deux formes d’intelligence ou de pensée, deux manières de comprendre (Bastide parle même de « famille spirituelle » dans le compte rendu de Tristes Tropiques) : pensée héraclitéenne et pensée éléatique ; pensée du cheminement et pensée sociomorphe ; pensée classificatoire et pensée dialectique ; ou encore, comme dans son hommage à Lévi-Strauss, principe de coupure et « court-circuit de la pensée ».
La pensée bastidienne est naturellement intuitive, en sympathie avec son objet, mais les préoccupations proprement intellectualistes, les questions de logique, formelle et transcendantale, ont également une grande place dans les écrits de Bastide. Sans doute est-ce la manière de penser « la pensée sauvage » (ou la pensée « mystique » selon Lévy-Bruhl) qui est au point de départ du différend mais le glissement de la pensée indigène à la pensée scientifique ou philosophique, et inversement, se fait spontanément chez Bastide. Après tout, Lévi-Strauss n’admet-il pas lui-même que les développements savants des Mythologiques (1964 : 21) peuvent se lire comme un prolongement réflexif de la pensée mythique indienne ? Le débat porte en définitive sur l’essence de la pensée, la nôtre autant que celle des autres, et il est fondamentalement philosophique.
La présentation dualiste des modes de pensée et la hiérarchie de valeur qui s’attache aux pôles retenus, pourrait laisser entendre que Bastide fait clairement son choix (un peu comme Lévi-Strauss accorde manifestement plus de valeur symbolique et heuristique à certains schèmes sur d’autres). Mais Bastide est trop « double », si l’on peut dire, pour être l’homme d’un seul côté, celui qui inviterait à choisir son camp en stigmatisant l’autre dans sa différence. Incontestablement, l’auteur qui s’engage dans la réhabilitation de la « pensée confuse et obscure » (l’article le plus critique sur Lévi-Strauss) suggère une incompatibilité radicale, une divergence irréductible des familles de pensée et refuse même les facilités du compromis ou les illusions de la complémentarité. Mais s’en tenir à la coupure entre les formes de pensée serait justement donner raison à ceux qui en font le principe même de toute intelligibilité : pas de clarté dans les idées sans séparation nette et franche.
Le piège, selon Bastide, est dans l’alternative où cherche à nous enfermer la logique structurale, notamment dans son approche de la pensée mythique et religieuse : soit reconnaître une relation d’opposition complémentaire entre le même et l’autre, garantie d’un lien minimal fondé sur l’estime réciproque et la bonne distance (à l’image que donne Lévi-Strauss de ses relations avec Bastide) ; soit se perdre dans les relations en miroir du jeu des correspondances et de la logique de la participation. Le cheminement bastidien vise pour sa part à assumer pleinement les « courts-circuits de la pensée », les télescopages et les ambivalences qui en résultent, seule voie selon lui de l’ouverture d’une catégorie de pensée sur l’autre. Et cet esprit ou ce génie de l’ouverture, il le place sous le signe de Legba ou d’Eshu, le dieu des seuils et des carrefours, le « jeteur de ponts », mais aussi le trickster, le malin génie, et au Brésil le Prince du Mal : « Il nous est apparu, en étudiant ce que nous avons appelé le dieu intermédiaire que ce dieu était le produit, sous la forme d’une image, de la réaction de l’homme devant l’activité de son intelligence, une symbolisation de certains aspects de sa raison constituante » (Bastide 1962 : 77).
La figure d’Eshu est au cœur de l’hommage rendu à Lévi-Strauss sur les « courts-circuits de la pensée », elle accompagne toute sa réflexion sur la rencontre des dieux africains et les saints chrétiens, et dans son dernier texte sur « Le sacré sauvage », cette figure double du messager divin et du chef des démons incarne le dieu sauvage par excellence, celui qui court-circuite les systèmes religieux. Eshu ne provoque pas a priori de transe et n’est pas appelé à posséder les initiés, sinon par divinité interposée, et lorsque Bastide fera le choix de s’initier, c’est, dit-on, Shango qui se manifestera, mais nul doute que le dieu qui a possédé Bastide toute sa vie est bien Eshu. Cette initiation « pour voir », qui n’a jamais été comparable à celle d’un Pierre Verger, il en parle de façon significative comme d’une « conversion », une conversion moins religieuse ou spirituelle qu’intellectuelle : « Quand je dis conversion, dans mon expérience, je ne veux pas dire que je me suis converti au polythéisme. Je veux dire que j’ai essayé de changer ma mentalité de façon à comprendre une autre manière de penser » (Rabenoro 1999 : 151). Pour cet homme de culture protestante et fidèle à « l’esprit protestant », la compréhension de la religion afro-américaine passait par l’expérience d’un véritable « court-circuit de la pensée »
Du mysticisme au syncrétisme
Si la « pensée cheminement » dont se réclame Bastide peut paraître impressionniste, touche à tout et fluctuante, il est pourtant difficile de nier l’étonnante continuité de ses préoccupations au-delà des discontinuités et de l’élargissement de ses centres d’intérêt (voir notamment ses ouvertures sur la psychiatrie culturelle). De son premier ouvrage sur Les problèmes de la vie mystique (1931) à son tout dernier écrit sur le « sacré sauvage » en 1973, on peut dire que toute sa pensée du religieux s’ordonne autour de l’expérience première du mysticisme. Cette fascination par rapport à l’expérience mystique le conduira à s’enthousiasmer (au sens propre du terme : possédé par les dieux) pour les cultes afro-brésiliens et pour leur syncrétisme. Comme le montre l’article majeur sur « Le syncrétisme mystique en Amérique Latine » et bien d’autres contributions, le lien entre mysticisme et syncrétisme n’est pas en effet seulement conjoncturel, il relève, selon le langage positiviste de l’époque, d’une « loi de l’évolution religieuse » évoquée dès son deuxième ouvrage : Éléments de sociologie religieuse (1935).
Le mysticisme n’est sans doute pas une caractéristique exclusive de l’expérience religieuse, et Bastide s’intéressera, parallèlement à ce livre, au mysticisme a-religieux, laïque, à ce qu’il appelle « un mysticisme sans dieux » [3]. Mais nul doute que « le mysticisme […] est à l’origine de la religion » (p. 12), la base autant que le sommet de la religion. Le mysticisme, c’est l’expérience religieuse par excellence qui dans sa forme originelle est une expérience immédiate, sans intermédiaire, du divin, une religion vécue, faite de sentiments et d’émotions, une dépossession de soi autant qu’une fusion avec l’Autre. Comme le redira Bastide dans ses Éléments de sociologie religieuse de 1935, avec des accents très bergsoniens (l’élan vital), au commencement, il y a les émotions et les sentiments individuels issus d’une expérience spirituelle qui se traduisent dans des formes d’expression, des systèmes de représentations et des cadres sociaux qui les canalisent. En allant presque directement de la psychologie à la sociologie, sans passer par une anthropologie (absente en dehors de quelques références ethnographiques ou missionnaires), la religion apparaît comme la « concrétisation du sentiment » religieux (p. 41) au même titre que la magie peut être lue comme l’objectivation de l’efficace du désir (p. 23).
L’arrière fond de cette approche du mysticisme a des accents bergsoniens (intuition négative et élan de l’âme), mais la méthode affichée se veut résolument « positive », même si elle emprunte plus à la psychologie qu’à la sociologie : il s’agit de décrire des « états mystiques », à la fois dans la diversité de leurs espèces et dans leur progression, et d’expliquer ces phénomènes en recherchant les structures et les lois de l’expérience mystique, des lois qui, dans le contexte des travaux de l’époque, apparaissent plutôt d’ordre psychologique. À la manière d’un Durkheim faisant le point sur les faits du totémisme, la description bastidienne du mysticisme se livre en réalité à un tri (un véritable discernement) entre les formes supérieures et inférieures, essentielles et secondaires, originelles et imitatives, spirituelles et matérielles, en vue de préparer le terrain de l’explication. Il s’agit de séparer le génie religieux du désordre morbide, l’élan de l’âme et l’illumination de l’intelligence des délires sensoriels et des automatismes du corps, le progrès moral et les peines spirituelles de la régression affective. On laissera aux psychologues, aux psychiatres les « petits mystiques de l’imitation », toutes ces « bizarreries de l’extase » que sont les transes, les visions, les glossolalies, les catalepsies, les stigmates et les lévitations : « Tous ces éléments étrangers alourdissent comme d’un poids mort l’élan de l’âme vers l’ineffable et l’invisible » (p. 62).
Les faits religieux primitifs du totémisme australien ont, selon Bastide, conduit Durkheim à assimiler le religieux au collectif et les états mystiques à l’effervescence collective, au point de récuser l’idée même de religiosité individuelle. Pour Bastide, la méthode comparative s’accommode du privilège accordé à des moments et à des individualités fortes, comme les grands mystiques chrétiens. Le mysticisme est sans doute à l’origine de la religion mais son essence se révèle dans sa forme la plus achevée et la plus pure, ascèse et synthèse de la contemplation et de l’action.
Pour ce jeune professeur de philosophie du lycée de Valence, qui est encore bien éloigné de son départ pour le Brésil (1938), le mysticisme « pur » c’est d’abord la philosophie plotinienne de l’extase comme voie de la connaissance suprême et surtout l’ascétisme d’une ascension qui conduit les grands mystiques chrétiens, catholiques, Saint Jean de la Croix et Sainte Thérèse (d’Avila), à la nuit des sens et à l’union spirituelle avec Dieu. Autrement dit, le mysticisme c’est la dilatation de l’intelligence acquise par une volonté de fer et un effort moral soutenu d’anéantissement du moi : « Le mysticisme n’est pas un hédonisme. Voir en lui une jouissance spirituelle, une sensualité supérieure, c’est le méconnaître » (p. 106).
En s’attachant à ceux qui vont toujours « plus loin » (comme la sainte d’Avila), en épousant leur point de vue, Bastide ne cesse de hiérarchiser allègrement l’ascétisme moral par rapport aux procédures artificielles de l’oraison, la contemplation par rapport à l’extase passive et ponctuelle, et de rechercher la synthèse supérieure de la contemplation et de l’action. Les grands mystiques ne sont pas des « saints qui dorment » (p. 113) ou se réfugient dans l’isolement : Thérèse à la fois prie et travaille.
Cette forme achevée du mysticisme chrétien est d’ailleurs parfaitement réfléchie, comme l’illustrent les écrits de Thérèse, l’informatrice et l’experte en mysticisme la plus citée par Bastide. Cette étude « positive » du mysticisme applique un précepte repris de H. Delacroix qui veut que « les descriptions de nos mystiques ont la valeur de bonnes observations et qu’il faut accepter, jusqu’à preuve du contraire leurs paroles et leurs visions imaginaires » (cité p. 96). L’enjeu de cette quête d’une expérience pure du mysticisme porte bien sur la question de savoir si les grands mystiques sont des malades ou pas. La conclusion est claire : « le mysticisme est une lutte contre la névrose, une épuration grandissante de ce qui se mêle de phénomènes nerveux aux premiers efforts de l’ascète » (p. 151), et cela en toute lucidité de la part de ceux qui vivent cette tension et ce danger de l’abîme. L’explication sociologique qui insiste sur l’intériorisation des imitations, les suggestions et les contraintes sociales des diverses traditions ecclésiastiques, est pour Bastide bien inférieure à la portée de l’explication psychologique. Toute expérience mystique s’inscrit dans une tradition, mais ce qui fait un grand mystique, une individualité forte, c’est le mouvement de négation et de dépassement par lequel il fait vivre et réinvente cette tradition.
Une telle recherche de l’expérience pure du mysticisme est apparemment aux antipodes de la révélation brésilienne du syncrétisme mystique. Mais comme l’illustre la manière dont Bastide abordera les défis du syncrétisme brésilien, il y a dans le mouvement par lequel il essaie de comprendre ce qui résiste à l’explication, dans cette intuition « négative » au sens bergsonien, quelque chose de la réalité même à laquelle il s’affronte, une sorte de mysticisme épistémologique. L’expérience mystique est toujours au-delà de ce qu’on peut en dire.
Par contraste, il faut le dire, on reste quand même confondu par les quelques pages accordées (en 1931) aux « formes élémentaires » du mysticisme, en l’occurrence l’exaltation « primitive » de l’âme noire et le déchaînement orgiastique des possédés, et surtout par les termes et les sources qui servent à les décrire (l’absence d’attention volontaire, « bien connue » des missionnaires ?). De là à les assimiler en définitive purement et simplement aux crises des névropathes de la Salpêtrière, il n’y a qu’un pas. Et on mesure mieux l’intérêt du détour anthropologique qui a conduit Bastide à consacrer toute son œuvre future à insister sur la règle et le contrôle qui président à la rencontre extatique entre les dieux et les hommes, notamment au sein des cultes de possession, et à stigmatiser aussi bien la mythologie durkheimienne de l’effervescence primitive incontrôlée que l’assimilation de la transe à l’hystérie. Revenant dans Le rêve, la transe, et la folie, sur le chapitre consacré aux « formes élémentaires du mysticisme » en 1931, Bastide reconnaît qu’à l’époque il ne les connaissait pas « directement par l’enquête de terrain » et il va jusqu’à suggérer que son départ pour le Brésil avait pour but l’approche comparative de ces formes à travers l’étude des « crises de possession afro-américaines » (Bastide 1972 : 56). Mais on peut aller plus loin et parler à ce sujet d’une sorte de retour du refoulé. Dans un petit article complémentaire de l’ouvrage de 1931 écrit la même année [4], Bastide revient sur l’apport décisif du protestantisme dans la tradition mystique (dont il n’avait pas eu la place de parler dans le livre). Or, comme l’ont fait remarqué certains commentateurs de son œuvre, le protestantisme cévenol des « pères » de Bastide se caractérise par la forte présence, dans les périodes de crise, du prophétisme mystique de ses prédicateurs, des « prophètes protestants » inspirés de Dieu dont le langage du corps passait par la transe, les convulsions et les tremblements (Rabenoro 1999 : 144 ; Vidal 1983). Ce mysticisme protestant, « biblique, prophétique et utilitaire », n’est sans doute pas de même nature que le mysticisme sensuel des possédés du Candomblé de Bahia mais il participe également d’une mystique du corps, au centre de la religion « incarnée » à laquelle Bastide est resté attaché, et fait le pont avec la liturgie des corps régulée des possessions brésiliennes. Dans Le sacré sauvage, un demi-siècle plus tard, il fait clairement le lien entre la transe domestiquée du Candomblé et le retour à l’inspiration divine, aux langues extatiques, du « pentecôtisme » protestant qui redonnent droit de cité aux charismes de l’Église « primitive » (Bastide 1975 : 226).
Le syncrétisme ou la « discontinuité continue » des formes
C’est dans les Éléments de sociologie religieuse que pointe la notion de syncrétisme qui jouera un rôle central dans son œuvre. Deux idées en passant, d’abord : 1°) c’est le « syncrétisme social » issu du commerce et du brassage ethnique, racial ou social, qui suscite souvent un syncrétisme religieux qui n’en est que le reflet (Bastide 1997 : 131) ; 2°) mais le mélange des religions, comme l’observent Hubert et Mauss, s’opère surtout par le biais des « cultes spéciaux » type cultes à mystère, cultes de possession des « Nègres de Bahia » ou confrérie d’initiés et assemblées de convertis, qui constituent des ponts entres les systèmes et engendrent des « types religieux inédits » comme l’exemple cité du caodaisme, un synthèse asiatique de trois religions. La question du syncrétisme fait autant référence à des « types religieux inédits » qu’à une loi de l’évolution religieuse là encore évoquée par Hubert. La loi du syncrétisme veut que « les religions se développent par un effort de synthèse progressive correspondant à l’unification croissante des groupements dont elles constituent le lien spirituel » (Bastide 1997 : 197). Même si cette synthèse progressive est pensée comme soumise à une « spiritualisation morale », c’est bien déjà en termes de processus que le syncrétisme est appréhendé.
Si l’on accepte de faire le saut entre ces premiers écrits d’avant l’expérience brésilienne et le tout dernier texte sur le « sacré sauvage » (comme nous y invite Henri Desroches), on mesure le chemin parcouru dans le souci de lier la problématique du mysticisme toujours présente et celle du syncrétisme. La thèse centrale reste toujours celle d’une tension entre l’expérience religieuse spontanée (l’enthousiasme sacré) et ses formes collectives instituées et domestiquées, en un mot d’une dialectique de l’instituant et de l’institué (Mai 68 et Castoriadis sont passés par là). Mais cinquante ans plus tard, il est clair que le sacré sauvage des « sauvages » est en fait très domestiqué, très contrôlé (avec des degrés entre les esprits indiens et les esprits africains, entre le Candomblé et la Macumba), et que le sacré domestiqué des civilisés est constamment susceptible de se réensauvager. La loi des dynamiques religieuses (comme l’illustrent les prophétismes ou les réveils protestants) est celle de la « retombée » de l’élan mystique dans le sociologique : « la religion se développe à partir de cette retombée comme institution de gestion de l’expérience du sacré » (Bastide 1975 : 225) ou encore : « Toute Église a sans doute ses mystiques mais elle s’en méfie » (Bastide 1975 : 225).
C’est dans cette tension dialectique entre l’instituant et l’institué qu’intervient le syncrétisme comme « discontinuité continue », comme compromis entre mémoire collective des formes anciennes et imagination créatrice, et comme art de gérer les contradictoires au niveau des personnes. L’idée désormais acquise est que l’instituant opère toujours à partir des éléments d’une expérience pré-instituée, déjà donnés ou récupérés : « Ici comme dans le monde kantien, il est impossible à l’individu d’atteindre les noumènes (nous dirions le Sacré à l’état pur, dans sa transcendance absolue), il se moule, dès que nous le saisissons, soit à travers le corps, soit avec travers l’esprit, dans les formes archétypales qui nous sont constitutives ; il ne peut donc y avoir pour l’homme d’instituant que déjà – et dès le début – institué. » (1975 : 235). C’est le constat qui fait le lien avec la notion de pré-contrainte du paradigme du bricolage comme voie de la « réélaboration des formes ».
L’œuvre de cet homme d’origine protestante fasciné par le « sacré sauvage » a décidément une dimension, si l’on peut dire, « prophétique » (une des dimensions parmi d’autres, selon lui, du mysticisme) par rapport aux formes de la religiosité contemporaine. On relèvera en effet le lien qu’il introduit dès 1931 et reprend cinquante ans plus tard entre les ressources qu’offrent, en matière de gestion du changement dans la continuité, aussi bien le retour aux formes archaïques d’expression des cultes de possession transplantés hors de l’Afrique que les Réveils protestants qui renouent avec les « charismes explosifs » de l’Église primitive, don des langues et prophétie. On peut lire dès les premières pages de Problèmes de la vie mystique que « le christianisme est né de l’effusion de l’esprit de la Pentecôte » (Bastide 1931 : 12), une effusion qui renaît régulièrement à l’occasion des réveils protestants et qui n’est pas sans résonance avec le développement des pentecôtismes d’aujourd’hui, évoqués dans le Sacré sauvage. Que dirait nos sociologues des religions actuels confrontés à cette idée formulée en conclusion dès les années 1930 : le mysticisme apparaît comme un vrai défi lancé à la sociologie puisqu’il est généralement conçu comme la « forme la plus haute de l’individualisme religieux » (Bastide 1931 : 197).
Les paradoxes d’un syncrétisme des formes
L’œuvre de Bastide, toute entière consacrée à l’étude des cultes afro-brésiliens, est là pour témoigner d’un cheminement exemplaire qui n’en finit pas de parcourir un à un les divers modèles d’intelligibilité disponibles sans vraiment pouvoir se fixer sur un seul. Conserver malgré tout le terme de syncrétisme, à défaut de pouvoir le remplacer par un autre plus savant, est une manière de prendre acte de cette irréductibilité des processus en question. Les mots de la sociologie ou de l’anthropologie (habitus, totémisme, fétichisme, paganisme) n’ont-ils pas pour la plupart ce caractère sténographique qui leur permet de recouvrir une pluralité ouverte de schèmes opérateurs d’intelligibilité ?
L’enjeu véritable du questionnement sur les logiques de l’interpénétration des cultures ne se situe pas tant au niveau de ce que Bastide appelait le « syncrétisme matériel », disons le mode d’agencement des matériaux ou le dosage des éléments substantiels des cultures en présence, un syncrétisme « élémentaire » dont s’accommodent assez bien les jugements de valeur opposés qui accompagnent l’usage du terme. Il concerne ce que le même Bastide appelait « l’acculturation formelle », autrement dit l’éventualité d’un syncrétisme des formes (1970a : 137). Le concept de « forme », repris ici de la Gestalt theorie, n’est pas à comprendre dans son sens morphologique habituel, en tant que forme d’expression des significations culturelles, mais dans la définition propre à la tradition néo-kantienne : formes de classification, catégories de l’entendement et surtout formes symboliques selon la terminologie d’Ernst Cassirer, autrement dit principe constituant d’un univers de sens.
Or, à peine évoquée, cette possibilité d’un « syncrétisme formel » se révèle un vrai défi de pensée. Elle est quasi impensable au regard des paradigmes de type structuraliste pour lesquels le sens naît de la différence. Le travail syncrétique se heurte ici au principe de discontinuité qui commande la définition même des systèmes symboliques et de leur transformation. Celle-ci n’est possible, dans la forme canonique que constitue l’inversion des valeurs, que par le jeu des écarts différentiels et elle n’est pensable que par le biais des invariants structuraux qui rendent intelligibles la logique des variantes. L’affaiblissement des oppositions distinctives conduit tout droit à la mort de la structure et le mélange indifférencié des formes qui menace l’humanité, enlève, selon Lévi-Strauss, toute fécondité à la fameuse « coalition des cultures » (1973 : 418). À propos des monographies sur l’acculturation, Lévi-Strauss admet en effet que « cette conciliation entre des attitudes contradictoires recherchée dans des rationalisations d’un syncrétisme élémentaire » (Lévi-Strauss 1940 : 335-336) [5], a une dimension réellement pathétique. Mais leur existence sociologique ne suffit pas à ses yeux pour retenir l’intérêt d’une ethnologie vouée à l’étude des cultures et de la culture, conçue comme système, et non à la manière dont une culture se défait et se décompose en attitudes élémentaires. Si les études sur l’acculturation présentent un intérêt théorique, c’est en définitive parce qu’elles nous renseignent sur la « pathologie » des cultures et non sur leur « génétique », la maladie n’ayant d’ailleurs, nous dit-on, qu’un seul visage quelque soient les cultures d’origine. En un mot, le syncrétisme n’assume le contradictoire que parce qu’il régresse à l’élémentaire.
Pour les paradigmes de type continuiste, le problème d’un syncrétisme des formes est en fait un faux problème ou un artefact de la pensée différentialiste. À partir du moment où on postule par exemple que toutes les religions puisent dans une même matrice de catégories de pensée et de symboles, la problématique du travail syncrétique, conçu comme dialogue, confrontation ou compromis dialectique entre les formes, apparaît comme le dernier avatar d’une pensée discontinuiste qui ne peut penser le mélange, le métissage ou le mixage, qu’à partir de systèmes de sens posés au départ comme distincts (christianisme versus paganisme). En posant le syncrétisme comme une donnée première dont il faut partir, une sorte de boîte noire, on se dispense d’avoir à penser le travail de schèmes symboliques ou de catégories de pensée toujours arbitraires pour se concentrer sur les stratégies de différenciation ou de stigmatisation des autres (païen, chrétien, etc.) et leurs enjeux politiques.
Tous les modèles d’intelligibilité des processus syncrétiques reposent en fait sur une dialectique de la continuité et de la discontinuité qu’aucun des paradigmes précités ne peut ignorer. Faisant fi de la diversité des situations historiques et culturelles, Bastide parcourt au moins quatre types de paradigmes dans son approche des logiques du travail syncrétique. De façon significative, tous ces paradigmes ont tendance à dissoudre leur objet dans le mouvement même par lequel ils s’efforcent de le penser. D’où une instabilité profonde de chacun de ces paradigmes et une oscillation sans doute inévitable qui conduisent, en présence d’une production syncrétique quelconque, à basculer de l’un à l’autre.
Le moule de la réinterprétation
Le premier paradigme de la syncrétisation, celui qui vient en premier lorsqu’on s’efforce de penser le syncrétisme, est celui de la réinterprétation associé à la métaphore bien connue du moule. Ce concept a au moins le mérite de rompre avec une conception « élémentaire » du syncrétisme en rappelant que les « éléments » d’une culture ne sont pas simples mais doubles, à la manière des éléments de la langue qui associent une forme et un sens. Toute la tradition anthropologique, et plus particulièrement Herskovits et Bastide, insiste sur le fait qu’il n’y a pas de syncrétisme sans réinterprétation c’est-à-dire sans appropriation des contenus culturels exogènes par le biais des catégories de pensée de la culture native. Le concept de réinterprétation se prête à de multiples lectures, sémiologique ou herméneutique, exploitant soit les décalages et les combinaisons entre signifiant et signifié (l’altération), soit les déplacements de la valeur d’écart des signifiants (réévaluation), soit les ressources du double sens (reprise interprétante). Les lectures instrumentales ou stratégiques en termes de « réemploi » des moyens disponibles (matières, outils) à des fins nouvelles sont monnaie courante. Mais la pertinence de la réinterprétation pour une lecture des changements culturels et notamment des syncrétismes tient sans doute à une sorte d’ambiguïté structurelle.
Dans la version sémiologique de ce processus qui a pu s’imposer dans le cadre de l’anthropologie des interpénétrations de cultures, la réinterprétation a en effet une double face : elle désigne aussi bien l’investissement d’un signifiant emprunté à une culture exogène par des significations propres à la culture native que le procédé inverse, la reprise de signifiants propres à une tradition au service de significations nouvelles. Pour évoquer l’exemple classique de la rencontre entre les dieux-génies africains et les saints catholiques, sur le terrain afro-brésilien, on peut comprendre, soit que la figure de saint Antoine se voit investie des attributs et des fonctions du dieu-génie africain, soit que le Legba dahoméen est réinterprété à partir des catégories du culte des saints, ce qui n’a pas du tout le même sens. Une telle ambiguïté est cependant essentielle pour les stratégies politiques ou religieuses : elle dissimule sous un même vocable toutes les formes de ruse sémantique qui manient subtilement la continuité et la discontinuité en matière de changement culturel. Si le premier procédé peut masquer, derrière la nouveauté ostentatoire de la figure empruntée, une fidélité profonde aux catégories de pensée traditionnelles, le second dissimule, derrière la continuité des figures, un glissement de sens tout à fait significatif.
La question cruciale qui se pose dans les situations d’interaction culturelle, compte tenu des risques que comportent les mésinterprétations et les malentendus jouant sur l’assimilation de l’autre à soi ou de soi aux autres, est pourtant celle de l’éventualité d’une mise en péril des catégories de pensée ou d’une refonte du moule. Pour le comprendre, il faut intégrer le fait qu’en règle générale, l’émergence des syncrétismes (cultes ou religions syncrétiques) ne précède pas, comme on pourrait logiquement l’envisager, la phase de « conversion massive » aux religions missionnaires, mais au contraire lui succède ; ce qui fait qu’on assiste à une sorte de chassé-croisé entre le mouvement de redécouverte des lambeaux épars d’une tradition perdue et celui de l’appropriation toujours fragmentaire des catégories de la religion missionnaire. Cette situation d’entre-deux culturel, où se retrouvent les fondateurs de culte et leurs fidèles, oblige à penser le travail syncrétique comme un entrecroisement simultané des signifiants des uns et des signifiés des autres (Legba est habité par saint Antoine et saint Antoine est revisité par Legba) qui met à mal les catégories sémantiques propres à chacune des traditions religieuses en présence.
Ce qui fait néanmoins la force du modèle de la réinterprétation, au-delà du petit jeu du signifiant et du signifié, c’est qu’il présuppose une matrice culturelle suffisamment souple pour digérer tout apport étranger et trouver en elle-même ce qui fait sens pour les autres qu’il s’agisse du sens du mal, du sens du sacré ou du sens de soi. La plasticité des cultures païennes n’a pas fini d’enchanter les anthropologues, leur tolérance et leur surabondance attestant malgré tout d’une profonde fidélité à soi. L’ethnologue missionnaire Bengt G. M. Sundkler, confronté au syncrétisme des églises zionistes d’Afrique du Sud, reprendra spontanément la formule « new wine in old wineskins » (du vin nouveau dans de vieilles outres). Stigmatisant les usages du concept de réinterprétation, l’auteur du célèbre ouvrage sur Les religions africaines au Brésil (le titre a suscité bien des débats) souligne à quel point celui-ci tend à consacrer l’idée d’une « double indissolubilité des mentalités, par-delà les apparences » (Bastide 1970 : 139). Bastide poussait l’impertinence jusqu’à suggérer que ce présupposé – peut-être inhérent à la démarche ethnologique – pourrait n’être qu’une idéologie de Blanc inversée, transformant le discours colonial sur l’incapacité des Noirs à penser comme un Blanc en un éloge de leur résistance culturelle. Le succès de la formule du « syncrétisme de masque » qui permet à l’anthropologue de retrouver, au-delà du malaise que peuvent susciter des manifestations culturelles hybrides, une culture authentique ayant fait le choix stratégique de la clandestinité, peut susciter les mêmes interrogations. Faut-il en définitive exclure que le masque des saints catholiques (le masque étant la métaphore complémentaire et inverse du moule) puisse triompher du visage des dieux africains, ou si l’on peut dire, que le masque puisse avec le temps remodeler le visage ?
Le démon de l’analogie
Le second paradigme relève de ce démon de l’analogie qui se moque des frontières entre systèmes culturels et pratique allègrement la ressemblance globale et l’abstraction incertaine. Le leurre de la redécouverte de l’autre en soi ou de soi chez l’autre se nourrit des relations imaginaires entre les croyances (réincarnation et résurrection), les figures (dieux-ancêtres et saints) ou les formes rituelles (rite initiatique et rite baptismal). Les relations en miroir, pour glisser vers une autre métaphore courante, sont au principe de ce que l’on a parfois baptisé logique des correspondances, la notion pseudo-savante de « correspondance » pouvant être comprise dans les termes plus élaborés d’équivalence fonctionnelle ou d’homologie structurale mais aussi dans les termes d’une mystique de la participation.
Le terrain afro-brésilien montre que l’analogie immédiate et partielle entre tel saint catholique et tel dieu du panthéon africain repose d’abord sur la sélection approximative de tel ou tel trait signifiant, considéré pour lui-même. Si Legba peut être identifié à Saint Pierre au Rio Grande du Sud, à Saint Antoine à Rio, ou encore à Lucifer à Bahia, c’est que les multiples facettes de la figure africaine en font une matrice symbolique profondément disponible : Saint Pierre fait écho au Legba portier et gardien des seuils ; Saint Antoine, au milieu des flammes, illustre la maîtrise du feu du dieu solaire ; enfin, Lucifer par son aspect cornu et surtout sa malice, évoque les caprices et les exigences de Legba en matière de sacrifice. L’identification des figures fondée sur le rapprochement d’attributs substantiels s’établit sur la base d’une sorte de myopie structurale par rapport au culte catholique des saints mais il arrive que le langage des « correspondances » suggère une sorte d’équivalence fonctionnelle des dieux et des saints prenant appui sur une homologie postulée entre les deux systèmes religieux. Les esclaves africains auraient ainsi trouvé dans les saints ce statut d’« intermédiaires » entre les hommes et le Dieu lointain que les dieux, génies ou esprits ancestraux auraient, pour leur part, toujours assumé. Le dieu-ancêtre africain ainsi promu, par le détour de son identification au saint catholique, au rang de force d’intercession ou de messager de la volonté divine, est finalement intégré dans un « culte des intermédiaires » soi-disant universel.
Il s’agit là en fait d’un bel exemple de produit syncrétique savant que Bastide a en partie cautionné. Le Dieu cosmique et lointain des panthéons africains est en général si indifférent au sort quotidien des hommes que l’idée de nouer une relation cultuelle avec lui, de lui adresser des prières, relève de l’impensable. Quant aux dieux-ancêtres, si certains (comme Legba) assument un rôle d’interprète et de messager entre les hommes et les autres dieux, ceux-ci ne sont en aucun cas des « intermédiaires » de la divinité suprême ; leur puissance de divination et leur efficacité thérapeutique viennent d’une force autonome, relativement indifférenciée, dont les effets sont ambivalents. Que dire à l’inverse de la distance culturelle qui sépare la relation d’intimité et d’identification personnelle qu’entretient le fidèle catholique avec un « saint homme » décédé, devenu « ami de Dieu », humble serviteur de la volonté divine et dépositaire de sa grâce, et la relation fonctionnelle, fondée sur la possession et le sacrifice, que les initiés engagent avec des figures généralement non humaines. C’est en prenant toute la mesure des écarts entre les systèmes de relations qui se nouent initialement entre les hommes et les dieux au sein de chaque culture religieuse que l’on peut rendre compte des réévaluations de la valeur de position des termes dans les situations d’entre-deux culturel.
Le caractère aveugle du concept de « réinterprétation » est ainsi accentué par le démon de l’analogie puisque le propre de sa force est de pratiquer l’indistinction des points de vue ou de dissimuler le point de vue qui commande la mise en correspondance des systèmes en présence. Les reconstructions que nous propose la « théorie des correspondances » reprise par Bastide sont des exemples typiques de ce que Marshall Sahlins appelle la logique de la « mésinterprétation constructive », où s’entrecroisent l’intériorisation des catégories de pensée de l’autre et la redécouverte de sa propre tradition (Sahlins 1979) : on réinterprète subrepticement sa propre culture à partir des catégories de l’autre pour aménager une sorte de rencontre providentielle entre deux cultures originelles. D’où l’abandon du langage politique de la résistance culturelle et des catégories du conflit chers à Balandier au profit de l’éloge du « mariage des cultures » dans lequel Bastide a beaucoup donné.
Les discours religieux traditionalistes ont l’art de brouiller les pistes et de faire émerger, par le biais de la reprise interprétante, les significations nouvelles du surplus de sens contenu dans les réserves symboliques de la tradition : un sens était là qui s’annonçait et qui n’attendait que le prétexte d’une rencontre pour accéder à lui-même. Le discours des Christs noirs du Congo (Bastide 1972, préface à Martial Sinda) fait constamment appel aux procédés du retournement du fond contre la forme, de l’esprit contre la lettre, en opposant cette fois le sens « vrai » du message biblique (message d’amour, de justice et d’égalité) à la lecture que la parole des Blancs leur imposait. Cumulant les profits de la fidélité à la tradition vivante africaine et l’effet d’annonce d’un réveil de la conscience chrétienne, le discours prophétique ou théologique africain réussit le coup de génie d’imposer l’idée que les valeurs authentiques de la sagesse africaine sont la clé d’une sorte de prescience du sens originel du message chrétien. Nul ne peut nier que ces « malentendus productifs » (working misunderstanding), pour reprendre les termes de Sahlins, ont joué un rôle décisif dans les lectures africaines du message chrétien.
Le principe de coupure
Dans la pensée de Bastide, la logique des correspondances n’implique pas d’identification : les Noirs du Brésil participent de deux cultures à la fois opposées et juxtaposées ; ils vont alternativement à la messe et au candomblé, et ils ne voient pas pourquoi il faudrait décider que l’entité qui vient les habiter, lors des séances de possession, est ou bien un dieu-ancêtre ou bien un saint, elle « participe » des deux statuts, elle est une et double. La logique de la participation, dans sa version bastidienne, associe la correspondance au compartimentage des sphères de l’existence ou des univers logiques. Le troisième paradigme du travail syncrétique que l’on peut retenir fait ainsi appel au « principe de coupure » qui permet l’alternance ou la cohabitation, chez un même individu ou au sein d’une même culture, de logiques ou de catégories de pensée en elles-mêmes incompatibles et irréductibles. La métaphore de la coupure et la logique paradoxale qu’elle évoque, constitue sans doute l’expression la plus radicale du refus de lier le syncrétisme à un souci de l’intégration ou à une politique de la synthèse. La survie symbolique des populations dominées passe ici par le jeu de la double entente ou les stratégies du cumul magico-religieux. Cette forme d’indocilité païenne qui ignore l’alternative de la résistance ou de la conversion à l’autre, rejoint étonnamment le refus post-moderne de la nécessité d’un dépassement des oppositions ou même de la positivité de la contradiction.
L’incertitude est cependant là encore parfaitement présente dans ces figures du dédoublement (des dieux, de la personne, du mal) qui autorisent aussi bien la cohabitation tranquille des contraires, la logique purement additionnelle du cumul, que l’oscillation sans fin entre les points de vue ou l’ambivalence des attitudes. Comment ne pas reconnaître en effet dans cette matrice culturelle qui additionne les dieux comme elle compose sans problème les multiples dimensions de la personne, dans ce bon usage de l’ambivalence qui s’accommode de la coexistence des contraires, une profonde continuité structurale par rapport aux logiques symboliques du « paganisme » ? L’expansion des cultes de possession, à caractère syncrétique ou non, au sein des sociétés du Tiers-Monde est souvent liée aux ressources thérapeutiques qu’offre la mise en scène du dédoublement de la personnalité. Ces « zones d’ambivalence » en marge du monde de la vie quotidienne ne permettent-elles pas de gérer les conflits d’identité qui travaillent les individus dans la société globale en « coupant les contraires », selon l’heureuse expression de Bastide (1972) ? Le principe de coupure finit dans ce cas par relever d’une logique autre, mystique ou africaine, et le génie du syncrétisme se confond alors avec les vertus de tolérance des cultures païennes.
La dialectique du dédoublement peut cependant conduire à des formations de compromis relativement stables reposant sur un véritable emboîtement des schèmes en présence et un aménagement de niveaux d’intégration. Selon une logique que Louis Dumont appelle « l’englobement du contraire » (1966 : 397), le dédoublement des catégories indigènes du divin ou du mal permet de sauver l’ambivalence chère aux religions traditionnelles tout en assimilant le dualisme hiérarchique de la religion missionnaire. Dans son analyse du syncrétisme polynésien, A. Babadzan (1982) montre ainsi comment l’intégration du dualisme du Bien et du Mal à une vision du monde, fondée initialement sur l’opposition du po (le domaine invisible des ancêtres et des divinités) et du ao (le domaine visible des humains), provoque une refonte du contenu de toutes les catégories. Le ao comprend désormais le temps inauguré par la conversion au christianisme et le monde issu de la nouvelle alliance entre Dieu et les chrétiens vivants ; le po correspond au temps et au monde du passé ancestral, celui des divinités païennes et des morts. La polarisation du monde en termes de Bien et de Mal et le renversement de valeur qui affecte chacune des catégories, n’empêche pas l’ambivalence originelle du po de se reconstituer à un niveau hiérarchique inférieur : le monde du po reste soumis à la double influence des tupapa’u, les morts errants, ni bons ni mauvais, qui attendent la délivrance, et des varua’ino, les esprits mauvais, franchement agressifs. Dans cette vaste recomposition du monde, la valeur de position de chaque catégorie d’êtres (y compris Dieu) se trouve profondément modifiée, et la question de savoir si cette nouvelle tradition est d’essence chrétienne ou polynésienne est littéralement indécidable.
Le bricolage
Si la dynamique du procès de syncrétisation réussit en fait à contourner le principe de la discontinuité des formes cher au structuralisme, c’est en exploitant le fait que toute matière symbolique, tout élément substantiel, faisant l’objet d’un emprunt ou d’une reprise, est déjà informé. Le paradigme le plus élaboré du syncrétisme repose ainsi sur ce que Bastide appelle une dialectique de la matière et de la forme : « l’acculturation matérielle peut bien agir analytiquement, brisant les complexes culturels pour y opérer des choix, en accepter des éléments, en rejeter d’autres ; chacun de ces éléments garde du complexe culturel sa coloration, sa force dynamique ; la valeur occidentale empruntée [ou la catégorie indigène reprise] tendra à reconstituer à l’intérieur de la psyché l’organisation mentale qu’elle exprime » (1970d, p.147).
Bastide retrouve ici les ressources du paradigme ou de la métaphore du bricolage mythique inventé par Lévi-Strauss. Le succès de cette métaphore du bricolage a pu faire oublier l’idée centrale dont elle était porteuse : la matière symbolique récupérée par le bricoleur est marquée par son usage antérieur ; elle est précontrainte, c’est-à-dire qu’elle conserve en partie le souvenir de sa valeur (au sens saussurien du terme) et impose à la configuration où elle s’intègre des effets de système qui peuvent déboucher sur une recomposition inédite. Au-delà de la simple continuité structurale ou des voies douteuses d’une hybridation des formes symboliques qui trahit souvent, selon Lévi-Strauss, l’affaiblissement d’une structure expirante, il y a donc place pour des transformations intermédiaires, ni « fortes », ni « faibles ». En lançant l’idée que « le propre de la pensée mythique, comme du bricolage sur le plan pratique, est d’élaborer des ensembles structurés non pas directement avec d’autres ensembles structurés mais en utilisant des résidus et des débris d’événements » (Lévi-Strauss 1964 : 32), Lévi-Strauss revient sur le principe, énoncé à maintes reprises, selon lequel la genèse d’une structure ne peut se concevoir qu’à partir d’une autre structure, et reconnaît par là même une sorte de pouvoir opérant à la matière symbolique.
Bastide nous a fourni une illustration exemplaire de cette dynamique du bricolage dans son analyse des métamorphoses brésiliennes d’Exù, une sorte de trickster africain assimilé, dans certains lieux cultuels, à Satan. Chaque figure divine constitue en fait un faisceau de traits différentiels susceptible d’attirer d’autres figures dans sa mouvance. Au départ Satan se trouve pris dans les mailles de la figure africaine : la séduction de sa malignité, qui fait écho aux caprices et à l’espièglerie de la puissance protectrice d’Exù, l’emporte sur le principe de sa méchanceté foncière. La myopie structurale par rapport au système de croyances du catholicisme lusophone, qui rend possible cet emprunt fragmentaire, est en fait toute relative puisque, en un sens, elle revivifie l’ambivalence de la figure diabolique du christianisme populaire. Notons en passant que les cultures africaines n’ont pas le monopole de la plasticité et que chaque religion trouve dans l’autre, à défaut d’une correspondance, un écho de ses propres ambiguïtés. Mais en liant son identité au Prince du mal, Exù prenait le risque d’une mise en péril des catégories de pensée dont il était porteur. Progressivement le dualisme du Bien et du Mal travaille au corps l’ambivalence du trickster qui ne sauve son être qu’en jouant sur ses multiples facettes. Être un et multiple, il devient le chef rebelle d’un monde d’esprits à la fois bons et mauvais ; être de l’intérieur et de l’extérieur, il est du côté des esprits gardiens, protecteurs bienveillants des lieux et des corps, et du côté des esprits nuisibles qui viennent d’ailleurs. L’emprise des oppositions hiérarchisées (supérieur/inférieur, spirituel/matériel, lumineux/ténébreux) qui structurent le nouveau monde des esprits, dans la Macumba ou la nouvelle religion de l’Umbanda, conduit sans doute à la décomposition de la figure africaine mais peut-être aussi à sa recomposition. Difficile de dire si le masque de Satan triomphe en définitive du visage d’Exù et si « le bricolage en train de se faire », pour reprendre une expression de Bastide, débouche sur une synthèse achevée.
La notion capitale de pré-contrainte ou de pré-marquage renvoie, comme l’avait bien vu Bastide, à une problématique de la mémoire collective et plus exactement de la mémoire « en miettes » qui décide des conditions de la reprise des bribes et des morceaux issus de la tradition native (Bastide 1970a). Il n’y a pas de mémoire des « éléments » en tant que tels, indépendante des marques qu’ils laissent dans les corps et les esprits des sujets déracinés. Le bricolage suppose également que les emprunts aux traditions importées ne s’opèrent pas dans une totale myopie structurale par rapport aux configurations de sens, d’où le rôle essentiel des personnages de l’entre-deux, comme ces prophètes bricoleurs d’Afrique, souvent anciens catéchistes ou séminaristes. On peut comprendre que la présence ou l’absence de ces deux conditions décide du sort de ce paradigme. L’activité de bricolage peut ainsi se rabattre sur un simple collage de bribes et de morceaux, en un mot revenir à cette logique d’assemblage qui repose sur un syncrétisme « élémentaire », symptôme de la mort de la structure ou d’un désespoir du sens.
Aucun des paradigmes évoqués ne s’en tient à l’idée première du mélange ou de la fusion indifférenciée des éléments. On pourrait sans doute faire une place en ce sens à la métaphore séduisante du métissage des cultures qui cohabite souvent sans problème avec celle de l’assemblage ou du bricolage. La métaphore du métissage n’a pas contribué cependant à l’élaboration d’un paradigme savant. Peut-être parce que l’enchantement qu’elle suscite évacue un peu vite toutes les tensions, les malentendus et les ambivalences qui sont inhérentes à la situation même des populations métissées. Dans le genre, on peut lui préférer la métaphore plus récente, aux connotations plus savantes, d’hybridité qui a au moins l’intérêt d’évoquer un produit synthétique qui conserve le souvenir de l’hétérogénéité des espèces ou des natures qui entrent dans sa composition et de l’incongruité de leur croisement. Mais le choix des mots est aussi un enjeu de lutte symbolique : chacun des termes qui appartiennent désormais au champ sémantique du syncrétisme (bricolage, métissage, hybridité, ou encore créolité) fait l’objet d’élaborations savantes successives visant à dépasser leurs connotations immédiates et à développer, comme nous l’avons fait, le spectre des paradigmes qui s’affrontent sous les mots. Il n’est pas surprenant que dans cette lutte pour les mots et cette dispute sur les métaphores, le syncrétisme, une fois de plus serve de repoussoir.
Chacun des modèles retenus par Bastide est d’une certaine façon une figure de la réinterprétation qui est par nature profondément instable et disponible pour toutes les manipulations ou les bricolages. À la façon des formes ambiguës de la Gestalttheorie, qui peuvent faire l’objet de deux lectures différentes, selon le cadre de référence ou l’angle adopté, les schèmes que mobilise le travail syncrétique donnent toujours l’impression de se prêter eux-mêmes à une sorte de « double entente ». Un procédé rhétorique comme celui du dédoublement d’une figure divine ou d’une catégorie de pensée du mal peut toujours se lire aussi bien comme le triomphe du dualisme hiérarchique de la pensée chrétienne que comme une ruse ultime de la culture païenne. Comme l’illustre la possibilité de revisiter une même production syncrétique, en l’occurrence le culte des saints afro-brésiliens, par le recours à des paradigmes distincts mais non incompatibles, il faut admettre que la complexité du travail syncrétique encourage le recours à un pluralisme des schèmes d’intelligibilité qui ménage des oscillations contrôlées entre paradigmes ou permet la rectification de l’un par l’autre. L’analyste de telle formation syncrétique comme l’était Bastide se doit d’éviter les pièges à penser du dépassement dialectique et de la synthèse achevée mais également le fétichisme de l’ambivalence ou les facilités d’une logique duale, nouvelles versions de l’exotisme. Loin d’être assigné au refus de la synthèse, le travail syncrétique peut donc faciliter des transitions ou conduire à des formations de compromis relativement stables reposant sur un véritable entrelacement des schèmes en présence.
Les trans-logiques de Bastide
Pour ce protestant natif des Cévennes, « converti » (et même initié) aux vertus d’ambivalence de la possession, l’anthropologie religieuse a été une invitation à une sorte de relativisme cognitif ou d’œcuménisme épistémologique transcendant les disciplines. C’est aussi le paradigme d’une démarche compréhensive de l’expérience vécue des sujets, dans l’esprit même de la démarche phénoménologique, aux antipodes de la tentation réductionniste et objectiviste des explications sociologiques. La référence à ce pont, ce rôle d’embrayeur, de l’anthropologie culturelle a toujours été au cœur de l’itinéraire de Bastide. Dans les hommages que Henri Desroche, son grand ami, lui a rendu, la référence à l’anthropologie s’éclaire d’une autre façon : « Lui-même avait trouvé son coup de foudre initiatoire au candomblé ; et d’anthropologue explicitement culturel il en était devenu quelqu’un comme un anthropologue implicitement culturel. Car selon lui ces cultes de transe ou de possessions, s’il fallait sans doute les expliquer (allusion à la démarche durkeimienne), il fallait aussi les comprendre et même, à la limite, savoir ou les vivre ou en vivre. D’où son anthropologie “appliquée” sans doute, mais aussi, en filigrane de celle-ci, une anthropologie impliquée » [6].
Cette sensibilité anthropologique est bien ce que cherchait également Henri Desroche dans sa relation initiatique et utopique au religieux messianique, et on peut parler aussi à son propos d’anthropologie culturelle implicite, sinon impliquée, des imaginaires collectifs ou des « créativités indigènes » (Ducret 1997 : 49). Mais le transit des praxies de l’effervescence religieuse et de la transe visionnaire n’implique aucune confusion ou fusion de la nature et des formes de l’expérience du sacré à l’état sauvage, celui de la possession incorporée des dieux et celui de l’imaginaire prophétique des attentes et des rebondissements de l’espérance. Jouant l’anthropologue qui sait faire la différence au-delà des invariants, Bastide oppose l’homme (qu’il incarne) de la mémoire collective des mythes et des techniques du corps qui canalisent la descente des dieux et l’homme de l’imagination créatrice et de ses élans vitaux, celui de la « corde chamanique » qui s’élève dans le ciel pour mieux retrouver une vie intérieure. Pour Bastide (parlant de Desroche) : « la transe ne l’intéresse vraiment que lorsque la descente des dieux archaïques devient insurrection des Dieux » (1973 : 130). Sans ce lien entre l’inspiration et l’action, la vision et l’impulsion, l’utopie et l’espérance, cette irruption de quelque surréalité comme disposition à agir et à entreprendre, l’anthropologie impliquée du religieux perdait pour l’un comme pour l’autre tout son sens.
Bibliographie de Roger Bastide :
Ouvrages
Les problèmes de la vie mystique, 1931. Paris, Presses universitaires de France (Quadrige).
Éléments de sociologie religieuse, 1997 [1935]. Paris, Stock.
Les religions africaines au Brésil, 1995 [1960]. Paris, Presses universitaires de France.
Les Amériques noires, 1967. Paris, Payot.
Le prochain et le lointain, 1967. Paris, Cujas.
Le rêve, la transe et la folie, 2003 [1972]. Paris, Seuil.
Le sacré sauvage et autres essais, 1975. Paris, Payot.
Articles
1953. « Contribution à l’étude de la participation », Cahiers Internationaux de Sociologie, 14.
1955. « Le principe de coupure et le comportement afro-brésilien », Anais do XXXI congresso internacional de Americanistas, I.
1970a. « Mémoire collective et sociologie du bricolage », L’Année sociologique, 21, p. 65-108.
1970b. « Le rire et les courts-circuits de la pensée », Échanges et communications, mélanges offerts à C. Lévi-Strauss, Paris, Mouton, p. 953-963.
1970c. « Immigration et métamorphose d’un dieu », in Roger Bastide (éd.), Le prochain et le lointain, Paris, Cujas, p. 211-226 (article préalablement paru en 1956 dans les Cahiers internationaux de sociologie, 20, p. 45-60).
1970d. « L’acculturation formelle », in Roger Bastide (éd.), Le prochain et le lointain, Paris, Cujas, p. 137-148 (article préalablement paru en 1963 dans la revue America Latina, (Rio de Janeiro), 6 (3), p. 3-14.
1970e. « Le syncrétisme mystique en Amérique Latine », in Roger Bastide (éd.), Le prochain et le lointain, Paris, Cujas, p. 237-241 (article préalablement paru en février 1965 dans le Bulletin Saint Jean-Baptiste, V (4), p. 166-171.
1972. « Les Christs noirs », préface à Martial Sinda, Le messianisme congolais et ses incidences politiques. Paris, Payot.
Références bibliographiques
Bastidiana (Cahiers d’études bastidiennes), 7-8, « Roger Bastide : Claude Lévi-Strauss, du principe de coupure aux courts-circuits de la pensée », juillet-décembre 1994, Entretien avec Claude Lévi-Strauss, p. 53-64.
Babadzan Alain, 1982. Naissance d’une tradition, changement culturel et syncrétisme religieux aux Iles Australes (Polynésie française), Travaux et Documents de l’ORSTOM, 154.
Ducret Roland, 1997. « Henri Desroche et le Centre Thomas More », in Émile Poulat & Claude Ravelet, Henri Desroche : un passeur de frontières, Hommage, Paris, L’Harmattan.
Fournier Marcel, 1994. Marcel Mauss. Paris, Fayard.
Lévi-Strauss Claude, 1940. L’année sociologique, 48 (1), p. 335-336.
Lévi-Strauss Claude, 1964. Le cru et le cuit. Paris, Plon.
Lévi-Strauss Claude, 1973. Anthropologie Structurale II. Paris, Plon.
Mary André, 2024. « Le carrefour du “sacré sauvage” et les courts-circuits de la pensée », in Christine Laurière (dir.), Les années 50. Aux origines de l’anthropologie française contemporaine, Les Carnets de Bérose n° 14, Paris, BEROSE – Encyclopédie internationale des histoires de l’anthropologie, p. 143-171 : https://www.berose.fr/article3365.html.
Rabenoro Aubert, 1999. « Le protestantisme de Roger Bastide », Bastidiana, 25-26, p. 137-151.
Vidal Denis, 1983. Le malheur et son prophète. Paris, Payot.
Sahlins Marshal, 1979. « L’apothéose du capitaine Cook », in Michel Izard & Pierre Smith (dir.), La fonction symbolique, Paris, Gallimard, p. 307-343.
Illustration de l’article :
Cultura afro-brasiliana di bahia, bambola che rappresenta l’orixa exù
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