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Encyclopédie internationale
des histoires de l’anthropologie

Van Gennep et Henry Poulaille : pour un folklore vivant aux racines du peuple

Jean‑Paul Morel

Chercheur indépendant

2024
Pour citer cet article

Morel, Jean–Paul, 2024. « Van Gennep et Henry Poulaille : pour un folklore vivant aux racines du peuple », in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l'anthropologie, Paris.

URL Bérose : article3724.html

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Publié dans le cadre du thème de recherche « Histoire de l’anthropologie française et de l’ethnologie de la France (1900-1980) », dirigé par Christine Laurière (CNRS, Héritages).

À Jacques Hainard

Arnold Van Gennep - Henry Poulaille, une “rencontre fortuite” ? [1] C’est en ces termes que l’évoque Jean Prugnot, témoin de l’époque, sans nous donner davantage de précisions [2]. Est-ce à dire que la rencontre entre ces deux hommes, arrivés l’un comme l’autre à maturité [3], et bien qu’ayant, l’un comme l’autre, fait de la vie d’ermite leur règle de vie [4], fut si imprévisible ? On peut au moins penser qu’il leur fallut quelque sérieuse motivation, et les deux revues, dûment répertoriées à ce jour, qu’ils se sont employés à mener en commun, sont là pour le prouver. Rappelons tout de suite : Le Folklore vivant, sorti en novembre 1946, numéro 1, resté unique, suivi de la Nouvelle Revue des traditions populaires, qui devait, elle, connaître dix numéros, publiés de janvier 1949 à décembre 1950. À quoi on se doit maintenant d’ajouter la précieuse correspondance échangée entre eux, entre décembre 1945 et juin 1953, à ce jour encore inédite [5], et dont nous retiendrons ici les principaux éléments.

Seulement, si la « carrière » de Van Gennep est peu à peu alors devenue connue, et sa renommée (internationale, sinon française) relativement assurée – disons à dater de la commande et de la publication de son Manuel de folklore français contemporain par les éditions Picard en 1937 [6], puis renforcée par l’aide enfin apportée par le CNRS en 1945 –, l’itinéraire du « co-directeur », Henry Poulaille, semble, pour les ethnologues, non historiens de la littérature (et même chez ces derniers !), être resté obscur. Ça n’est en effet pas avec le tandem « Lagarde & Michard » que l’on apprend quoi que ce soit sur l’écrivain Henry Poulaille ; il faut déjà prendre des chemins de traverse, ou des histoires de la littérature parallèles, comme l’Histoire de la littérature prolétarienne de langue française, de Michel Ragon [7] pour en trouver quelque trace.

Quel est donc ce « boulgre [8] », qui n’a cessé de se battre contre la « littératature » ou les « littératreux [9] », et qui, naturellement, s’est bien gardé de s’y laisser intégrer  ? Il est clair en tout cas, qu’à l’instar d’Arnold Van Gennep, Henry Poulaille est un « hors les marges ».

Henry Poulaille, qui signa aussi ses articles sous le pseudonyme de Hyp, était né à Paris XIe le 5 décembre 1896 (il décèdera à Paris XIVe le 30 mars 1980), fils d’un compagnon devenu charpentier et d’une canneuse de chaises. Orphelin à 14 ans, rescapé de la Première Guerre mondiale, il dut tôt faire le dur apprentissage de la vie, pour connaître, au sens propre comme au sens figuré, « la vache enragée [10] ». Et la plume, tôt aussi de le démanger. On trouve sa signature dans les colonnes de L’Humanité – sous la protection de Marcel Martinet (1887-1944), et avant que celui-ci ne s’en fasse exclure, fin 1923 –, puis au Peuple, quotidien cégétiste dissident – grâce à son ami Marcel Lapierre (1903-1974) –, un peu plus tard encore à Monde – dite revue d’Henri Barbusse (1873-1935), mais dont il avait de fait créé le titre, sinon l’esprit –, et c’est encore grâce à Frédéric Lefèvre (1887-1949), croisé au Front, futur pilier des Nouvelles littéraires, qu’il entre, le 3 mai 1923, comme « auxiliaire » au service de presse des éditions Bernard Grasset [11]. Mais, cette fois, c’est seul qu’il affronte la « scène publique », en juillet 1930, avec son anthologie-manifeste en « défense et illustration » de la littérature prolétarienne [12], Nouvel âge littéraire, publié à la Librairie Georges Valois. À quoi suivra la création de revues de sa propre initiative, aux titres et contenus explicites, dont le destin dépendra chaque fois des « phynances »... : Nouvel âge, 12 numéros, janv.-déc. 1931 ; Prolétariat, 12 numéros, juill. 1933-juill. 1934 ; à contre-courant, 12 numéros, juill. 1935-oct. 1936 [13]. Et soulignons au passage, que c’est au moins pour ses compétences techniques qu’Arnold Van Gennep fera appel à ses services en 1945.

Mais quid de cette « littérature prolétarienne » ? Voilà un emprunt (« éhonté sans vergogne », pour d’aucuns) au vocabulaire sinon marxiste, au moins proudhonien, qui va donc en faire rugir plus d’un (et depuis « Moscou [14] »…). Poulaille entend clairement sous cet emblème se démarquer et de l’ouvriérisme alors dominant au Parti communiste français [15], et du populisme, représenté par Léon Lemonnier (1890-1953) et André Thérive (1891-1967) [16]. Acceptant tout au plus d’être le chef de file du groupe qui s’est constitué par et autour de lui, Poulaille se garde bien de s’en faire le théoricien – comme on l’a diversement dit, il travaille plus, sans avoir lu Leibniz, par « percepts » que par « concepts » –, d’où bientôt aussi, même dans son propre camp, l’accusation de « flou idéologique ». Il établit globalement trois critères de « reconnaissance ». 1/ La littérature prolétarienne est, et doit être, une littérature écrite « par le peuple et pour le peuple » [17] – excluant donc ceux qui ne sont pas « issus du peuple ». 2/ Elle ne saurait être limitée au monde ouvrier [18], mais se doit d’y inclure le monde paysan – au moins tant que l’industrialisation ne l’a pas encore rayé des vivants. 3/ Y entrent de manière privilégiée les autodidactes, ceux qui n’ont pas été (trop) déformés par l’éducation ou la culture (qui restent bourgeoises, même si républicaines). D’où sortira l’« authenticité », comme « nouveau critère de valeur dans le champ littéraire » [19]. Avec, effectivement, toutes les ambiguïtés qu’on y peut déceler. Sans doute trouvons-nous ici le reflet de son parcours personnel, mais aussi un pré-écho des débats qui agiteront le milieu folkloriste à partir du Congrès de 1937 [20].

C’est cette même année 1937 [21], et en septembre, que, en dehors des manuscrits d’autodidactes qu’il a pu recevoir en lecture, en dehors des recueils de contes et de chansons traditionnels qu’il a commencé à rassembler dans sa bibliothèque – ô précieux amis bouquinistes du bord de Seine ! –, Henry Poulaille lance, dans une des revues qui à ce moment a bien voulu l’héberger – Le Peuple en l’occurrence –, un appel à collectes, par un article leader titré précisément « Folklore [22] ». On lira l’article intégral en annexe, mais relevons déjà ceci :

Le folklore, témoignage de la vie passée, ne peut être que si on le situe dans l’ordre vivant. Ce n’est pas une science, c’est de la vie. C’est la culture elle-même dans ses propres racines [nos italiques]. Et constituer avec elle une sorte d’herbier ne saurait suffire. Et c’est moins à des musées, à des collections d’objets que l’on devra tendre qu’à leur exacte appréciation.
Le folklore, ce n’est pas les meubles rustiques, les coiffes, les rouets, mais bien plutôt les contes, les chansons, les images populaires, les légendes, les croyances, et, à travers eux, la vie vraie du passé que l’histoire, la morale, l’art et la littérature des larbins ont cachée sous de mensongères transpositions.
[...]
Sur la vie prolétarienne d’autrefois, on ne sait que peu de chose. La chanson populaire, les souvenirs des gens de métiers, les dictons, les coutumes nous donnèrent çà et là d’utiles éclairages. C’est dans le sens de la vie populaire et de la vie du travail [nos italiques] que nous voudrions orienter cette page.

 

Ce texte inaugural s’appuie sur un grand méli-mélo de références, qui passera sans doute pour assez confusionniste du côté des ethnologues, mais qui se marque aussi par une attention portée à l’actualité – des travaux de Van Gennep à ceux de Georges Henri Rivière et d’André Varagnac. Que l’on n’attende pas en tout cas davantage de méthodologie chez Henry Poulaille, qui se méfie autant de la littérature que de ce qui pourrait devenir une science. « Place à la vie », répètera-t-il alors dans la revue Les Humbles [23].

Ne pourrait-on maintenant supposer quelques affinités idéologiques préludant à sa rencontre avec Van Gennep ? Ici, à l’inverse de leur parcours professionnel, si l’itinéraire militant d’Henry Poulaille est relativement bien connu, celui d’Arnold Van Gennep reste plutôt masqué, dans l’ombre, à l’instar de celui d’un Félix Fénéon qu’Alfred Jarry avait justement défini comme « celui qui fait silence [24] ».

Henry Poulaille avait tôt baigné dans le milieu anarchiste libertaire, pour, au sortir de la Grande Guerre, devenir un antimilitariste et pacifiste plus que convaincu. On trouve sa signature dans nombre de manifestes contre la répression dans divers pays d’Europe, lancés par Henri Barbusse dans Clarté ou dans L’Humanité dès 1925, il signera les appels lancés à partir de 1933 pour lutter contre la montée du fascisme – tant allemand qu’italien –, sera, à l’automne 1936, du premier Comité pour dénoncer le, bientôt les..., procès de Moscou, et, dès l’annonce de la déclaration de la guerre, en septembre 1939, signera le tract lancé par son ami Louis Lecoin (1888-1971), « Paix immédiate ! » – nous y reviendrons [25].

Quelque peu libertaire…

Le « J’ai toujours été quelque peu libertaire » que lâche Van Gennep pour résumer sa sensibilité politique et sa carrière lors de son interview en 1946 [26] est plutôt lapidaire [27], et sa courte biographie rédigée par sa fille aînée Ketty [28] nous aide bien peu à l’éclaircir.

Ce que nous apprennent les documents officiels, pour une fois fort utiles, en l’occurrence son dossier à la Légion d’honneur [29], c’est que le dit Arnold (nous vous faisons grâce de ses cinq autres prénoms) Kurr Van Gennep, né à Ludwigsbourg dans le Würtemberg le 23 avril 1873, fut naturalisé par mesure de Justice le 8 mai 1897 [30] – est-ce par mesure de prudence ? ou la formalité exigée pour que son mariage puisse être enregistré ? Il y est aussi enregistré, que rien, en 1921, n’était inscrit à son casier judiciaire – en France du moins...

Puisque nous en sommes aux honneurs – les rares témoignages de reconnaissance qu’il ait pu recevoir en notre « doux pays » – précisons ici rapidement : Van Gennep, alors sous-chef de service aux Œuvres françaises, fut nommé, le 2 février 1921, chevalier de la Légion d’honneur, dans le quota du ministère des Affaires étrangères, parrainé par Alfred Vallette (1858-1935), son employeur au Mercure de France ; puis élevé au titre d’officier, le 6 septembre 1954, alors qu’il était contractuel au CNRS, dans le quota cette fois du ministère de l’Éducation nationale, parrainé par Pierre-Louis Duchartre (1894-1983), « inspecteur des musées nationaux », assisté de Georges Henri Rivière (1897-1985), « directeur du musée des Arts et Traditions populaires » [31].

De Ketty, à travers les questions de changements d’adresse, nous apprenons tout de même ceci : « En 1903, [...], ils [mes parents] décidèrent d’habiter la banlieue et choisirent Clamart où demeuraient nos amis Cornélissen. » Puis « nos amis Cornélissen ayant, dans l’intervalle, quitté Clamart pour Bourg-la-Reine [en 1911] [...], mes parents s’y installèrent et y demeurèrent, sauf une interruption de trois ans et demi en Suisse [1912-1915], jusqu’à leur mort. » Mais qui sont donc ces Cornélissen, sur lesquels Ketty ne s’appesantit pas davantage ? Il s’agit de Christiaan Gerardus Cornelissen [32], haut militant communiste libertaire hollandais [33], venu poursuivre le travail de propagande à Paris en 1898, et qui, en octobre 1899, avait épousé, de manière très libérale et libertaire [34], Elisabeth Katharina Frederike Rupertus. Amis des Van Gennep, sans aucun doute, puisqu’on trouve le francisé Christian témoin de la naissance de Ketty en 1903, témoin du décès prématuré de leur troisième enfant, Christine, en 1906, témoin encore de la naissance de la petite dernière, Suzanne, en 1908 [35].

Ne fut-ce alors qu’une question de voisinage ? En dehors de ses articles relevant du folklore, livrés aux revues spécialisées, à La Revue des idées de Remy de Gourmont ou au Mercure de France, Arnold Van Gennep ne semble pas s’être ailleurs intempestivement manifesté comme anarchiste. A-t-il lu, s’est-il nourri des revues auxquelles collaborait activement Christian Cornélissen : La Revue socialiste, Les Temps nouveaux, La Voix du Peuple, La Bataille syndicaliste, etc. ? La seule chose certaine, c’est que c’est lui qui lui aura fait connaître Jean Grave (1854-1939), fondateur et animateur des Temps nouveaux [36], et Pierre Kropotkine (1842-1921). Ajoutons tout de suite ici, quitte à bousculer un peu la chronologie : aux Temps nouveaux, il livrera, en 1920, les premières bonnes feuilles de son Traité comparatif des nationalités, qui paraîtra chez Payot en 1922 [37] ; puis une contribution au « numéro spécial consacré à Pierre Kropotkine », de la même revue, au lendemain de sa mort [38].

Le vrai engagement politique– sans doute le premier, et à peu près aussi le dernier… – vient de l’« aventure » suisse. Van Gennep s’était jusque-là apparemment contenté, avec notamment Les Demi-Savants [39], de critiquer, avec une haute dose d’humour, les travaux, depuis leur cabinet de travail, des linguistes, pseudo-philologues, archéologues, ethnologues... Et voilà que, nommé le 8 octobre 1912 professeur de la première chaire extraordinaire d’ethnographie et d’histoire comparée des civilisations de l’Université de Neuchâtel – nomination entérinée le 12 janvier 1915 [40] –, non seulement il glisse un cours, l’hiver 1914-1915, face aux événements, sur « les races, les peuples, les nationalités et les civilisations de l’Europe [41] », mais adresse, à partir du mois de janvier 1915, sous double pseudonyme, à un journal « français », La Dépêche de Toulouse, une série de dix articles mettant clairement en cause la prétendue neutralité de la Suisse dans le conflit mondial, soit sa compromission, voire sa collusion avec l’Allemagne [42]. Alertée à partir du mois de mai (sur dénonciation ?), la censure militaire, avec le concours de la police, ne tarde pas à démasquer le « coupable », qui ne cherche d’ailleurs nullement à se cacher et assume entièrement ses écrits, même ceux qu’il n’a pas encore écrits [43] ! Et le 12 octobre 1915, « le Conseil fédéral, en application de l’article 70 de la Constitution fédérale, ordonne l’expulsion du territoire suisse du professeur Arnold Kurr, alias Van Gennep, autrefois Allemand, maintenant Français, attendu que le susnommé a écrit dans un journal paraissant en France des articles sur la Suisse et la situation en Suisse, rédigés de manière à compromettre gravement les bons rapports de la Suisse avec l’Étranger [44] »... On comprendra dès lors qu’à l’instar de Félix Fénéon, Van Gennep choisisse désormais le silence.

Enfin, pas immédiatement. Au Génie de l’organisation. La formule française et anglaise opposée à la formule allemande, écrit alors qu’il était encore en Suisse [45], Van Gennep fait suivre, un an après, Le Mécanisme de l’organisation en France et en Allemagne  [46], où il parie sur la victoire de l’intelligence française, suivi encore, en 1917, d’un bilan de L’Effort économique de la France pendant deux ans et demi de guerre [47]. Se payant même, dans l’entre-deux, une récréation avec « Le folklore militaire suisse », rubrique « Variétés » [48]

Puis... avec l’arrivée des nazis au pouvoir, il ne peut s’empêcher une, apparemment dernière, passe d’armes. Sous la rubrique « Controverses », répondant vertement à un copieux article de Jacques-Richard Grein, qui se présente comme un article « Contre le principe d’Hitler » – paru, au surplus, dans le Mercure de France [49] ! –, il démonte, en quatre denses feuillets, cette nouvelle « religion laïque » (l’hitlérisme), dénonçant in principio le confusionnisme sur lequel repose sa doctrine, et dans lequel l’exégète s’est fait piéger [50]. Il faut lire ce texte en entier ; relevons seulement ici son amorce : « C’est faire beaucoup d’honneur que de rattacher, comme le voudrait M. Jacques-Richard Grein, ce qu’il nomme le « principe d’Hitler » à Schopenhauer. On lui en fait trop aussi en le rattachant à Nietzsche, ou à tout autre philosophe […] [51] », et sa chute : « [Hitler] me rappelle le célèbre ethnopsychologue Wilhelm Wundt qui, se voyant incapable de discerner nettement le Mythus (mythe) du Märchen (conte populaire), fabriqua les termes de Mythusmärchen et son contraire Märchenmythus, lesquels ne désignent plus ni l’un ni l’autre […] [52] » Voilà les terrains, et les frontières, bien délimités. Et une raison de plus, pour qu’à l’arrivée de l’Occupant en juin 1940, Arnold choisisse un prudent recul stratégique.

Qu’en est-il alors de la situation de Henry Poulaille ? Remobilisé quelques mois – pour avoir oublié de déclarer ses enfants à la gendarmerie –, il va d’abord connaître quelques soucis pour avoir signé le tract « Paix immédiate ! » lancé par Louis Lecoin (1888-1971) dix jours après la déclaration de la guerre. Faisant partie des 9 inculpés retenus par le tribunal militaire de Versailles le 23 septembre 1939, pour « menace à la Défense nationale [53] », il ne doit de ne pas être (provisoirement) davantage inquiété qu’à sa mobilisation. Jusqu’à ce qu’il reçoive une nouvelle convocation, venue cette fois du tribunal militaire de Périgueux – mandat de comparution daté du 6 mai 1942, transmis par la gendarmerie de Vanves le 30 mai –, au même motif. La notification du jugement, en date du 11 juin (et en l’absence du prévenu, celui-ci n’ayant pu obtenir à temps le visa nécessaire pour franchir la ligne de démarcation), lui sera transmise par le même canal le 27 juin, où il se voit enfin « relaxé des fins de la poursuite contre lui pour infraction aux décrets de la Censure ».

Plus chaude fut – et plus grave faillit être – son arrestation par la police allemande le 28 avril 1942, à son domicile 13, rue de Chatillon à Vanves, sous l’inculpation d’appartenance communiste – et donc sur dénonciation... Il est immédiatement interné au camp de Royallieu, près de Compiègne [54] – « Frontstalag 122 », point de transfert pour Auschwitz, Dachau, etc. Il ne devra son salut qu’à l’intervention, le jour même, de son « patron », Bernard Grasset, auprès du Dr Karl Epting, directeur de l’Institut allemand à Paris, et se trouvera, effectivement, prestement libéré le 1er mai suivant [55].

D’où l’on comprendra que Poulaille se garde, dorénavant, de tout discours militant et se réfugie prudemment dans le folklore, saluant chaque année la Noël – bien sûr, à sa manière, soit à travers les Noëls populaires – dans les journaux qui voudront bien l’accepter [56], en avant-première des ouvrages auxquels, pendant une décennie, il va essentiellement se consacrer, à savoir La Grande et Belle Bible des Noëls anciens du XIIe au XVe siècle, et des siècles suivants [57].

Un vrai travail d’équipe

C’est donc, comme nous l’indiquions pour commencer, à Jean Prugnot [58], lié à Henry Poulaille depuis sa découverte de Nouvel âge littéraire, devenu à son tour militant de la cause littéraire prolétarienne, que nous devons la trace de la première rencontre de nos deux ermites, et précisément même, dans une lettre adressée par ledit à Van Gennep, en date du 4 novembre 1945 :

Cher Monsieur Van Gennep [Aux mots ci-joints] je me permets de joindre ces quelques lignes plus familières pour vous dire tout le plaisir que j’ai eu, l’autre jour, avec mon ami Henry Poulaille, à faire votre connaissance, et toute la joie réelle et franche que j’ai ressentie au long de cet après-midi si vite écoulé, à travailler en votre compagnie. Confiance, naturel, simplicité, comment cela était bon, et comme cela change de la manière trop habituelle des pontifes... Croyez bien que tout ce que je vous dis là coule de cœur. Je ne souhaite qu’une chose, c’est que ce plaisir me soit rendu de temps en temps [59].

Viennent confirmer cette rencontre, non seulement la succession des courriers adressés depuis cette date par Van Gennep à Henry Poulaille, mais l’interview, un an plus tard, de deux « journalistes » qui ne sont pas tout à fait anonymes et ne sont autres, sous les abréviations de F. T. et Y. L., que Fernand Tourret et Yves Lévy, manifestement missionnés par Henry Poulaille, pour faire le point sur l’état du Manuel, et, accessoirement, quelque publicité à son auteur, à la veille de la sortie du Folklore vivant.

Arrivant maintenant en terrain connu, nous nous permettrons de condenser nos propos.

Nouvelle revue envisagée, en octobre 1945, de concert entre Henry Poulaille et Arnold Van Gennep, Le Folklore vivant, « Cahiers internationaux d’art et de littérature populaires », voit donc le jour en janvier 1947. Qui saurait être mieux placé que Van Gennep pour la présenter :

« Les périodiques français »  [60]

[...] une revue manquait, qui, de grand format et admettant le plus possible d’illustrations (pas autant hélas ! que les Visages du Monde de Georges Pillement, où se rencontrent aussi des articles de folklore), pourrait publier des mémoires importants. [...] Poulaille et moi en avons trouvé un pour créer, aux Éditions Elzévier, Le Folklore vivant. Il paraît semestriellement. Le prix de revient des clichés rend la revue un peu chère. Mais une critique sévère fera qu’elle ne contiendra que des articles durables. Cependant, nous tenons aussi à vulgariser le folklore, et à montrer que ce n’est pas une science du passé seulement, que chacun de nous baigne socialement dans l’atmosphère folklorique. Les savants de Paris et des provinces ont volontiers, et rapidement, – ce qui était essentiel –, répondu à notre appel. Le format 21-27 est commode pour la mise en place des clichés. La bibliographie est assez étendue et critique. En 128 pages de ce format, il va beaucoup de copie.

Dans le n° 1, il y a des études sur les brochures de colportage, l’imagerie populaire, la maison alsacienne, le jeu breton de la soule, les funérailles parodiées, etc. [61] Dans le 2e (de juin), sur les contes populaires hongrois, les croyances et coutumes du comté de Nice et du Confolentais, le droit populaire en Bourbonnais, les trimazos champenois et lorrains, etc. [62] Le 3e numéro est en route ; il contiendra probablement des images en couleurs.

Une lettre de Van Gennep à Poulaille du 13 juin 1947 atteste bien de la sortie imminente du numéro 2, que le numéro 3 est quasi bouclé, et même qu’un numéro 4 est déjà lancé [63], mais l’entreprise s’arrêtera là, et le numéro 1 restera unique. Relevons au passage, sans plus de commentaire, dans une des lettres préparatoires, ce petit coup de patte :

Non, ne rien demander à [Georges Henri] Rivière : laissons-le venir. Il essaierait de nous bouffer, selon sa dégoutante habitude, se ferait passer pour le maître de nos Cahiers, etc. Dans son équipe, il y a [Marcel] Maget qui (peut-être, on le verra à l’œuvre) vaut mieux. Et la grincheuse petite [Claudie] Marcel-Dubois (instruments de musique). Je les tiens tous comme Président d’honneur du Comité National des Arts et Trad[itions] pop[ulaires] à la Coopérat[ion] Intellect[uelle] de la (nouvelle) Soc[iété] des Nations... Il faut que pour cette bande-là ce soit un honneur et un privilège de publier chez nous. Soyez rosse ; pendant ce temps, je pelote les savants de province, qui au moins nous intéressent davantage pour la diffusion et la vente. Si nous commençons à y mettre du Rivière (Georges Henri), comme ils l’ont tous en grippe parce qu’il veut les régenter et les foutre à la porte de leurs musées locaux, nous perdrons beaucoup d’atouts [64].

Un an se passe, et Arnold Van Gennep, de concert encore avec Henry Poulaille, tout en poursuivant la rédaction de son Manuel, se lance, courageusement [65], dans une nouvelle aventure : ce sera celle, et dernière, de la Nouvelle Revue des traditions populaires (Le Folklore vivant), produite par la Librairie Celtique de Paris & Imprimerie Floc’h à Mayenne, bimensuelle, et qui connaîtra cette fois 10 numéros (n° 1, janv.-fév. 1949 – dernier numéro, nov.-déc. 1950). Van Gennep y écrira peu : « La Légende du faucheur prodigieux » (n° 2, mars-avril 1950) ; Poulaille livrera « Le Miracle de Saint Nicolas (n° 2, mars-avril 1949), et y fera entrer quelques amis : le peintre Émile Bernard, pour une complainte bretonne par lui recueillie (« La Complainte Larion, et autre histoire Larion », n° 1, janv.-fév. 1949) ; Jean Prugnot, Fernand Tourret, Roger Dévigne, pour quelques comptes rendus critiques (n° 2, mars-avril 1949) ; Auriant – qui travaille aussi pour lui à Maintenant – « Sur les prétendues légendes orientales contées par Gérard de Nerval » (n° 5, nov.-déc. 1949 & n° 1, janv. fév. 1950) – qui suscitera quelque polémique à la suite de courriers des lecteurs [66]. Les articles de Géo-Charles sur le folklore musical enregistré leur poseront aussi quelque problème, quant à l’authenticité des chansons ainsi divulguées [67].

Énergies usées – Poulaille de son côté, prenant le relais de Pierre Louÿs, s’étant lancé dans une tentative aussi interminable que celle de Van Gennep pour son Manuel, de débrouiller l’inextricable affaire Corneille-Molière [68] – auteurs pas payés..., la revue mourra, presque, de mort naturelle.

Épilogue

Une dernière surprise nous attendait au terme de cette recherche : une phrase plutôt laconique, lâchée par Henry Poulaille dans une de ses dernières lettres, tout au moins de celles conservées ou repérées [69] : « J’ai vu Epstein. Il doit aller vous voir un de ces jours [70]. » Quoi ? Jean Epstein ? Il ne nous fallut guère de temps pour recoller les morceaux, excepté qu’il reste maintenant un nouveau dossier à dépouiller.

Henry Poulaille fut un temps aussi, parmi les nombreuses cordes à son arc, , critique de cinéma, et de façon assidue de 1925 à 1932 [71]. C’est ainsi qu’il fut amené à connaître Jean Epstein, écrivain et cinéaste d’avant-garde, qualifié même depuis de « premier ethnographe du cinéma [72] », et c’est sans doute à Henry Poulaille que l’on doit la publication à la Librairie Georges Valois de L’Or des mers en 1932 [73]. Son fils, Robert, devait d’ailleurs prendre la relève, avec notamment un article « Jean Epstein : poète et cinéaste réaliste » publié dans la revue UFOCEL Informations, de la Ligue de l’enseignement, en 1948 [74].

Mais c’est l’inventaire de la BiFi (Bibliothèque du film) [75] qui nous renseigne plus précisément sur cette rencontre cinématographique inattendue entre Arnold Van Gennep et Jean Epstein. Deux dossiers : « Synthèse internationale du folklore, 1950 » [dossier 38-B14], « Trois mille mariages, 1951-1952 [dossier 39-B14], où ils apparaissent bien comme co-auteurs [76]. Deux projets qui resteront hélas sans suite, interrompus par la mort prématurée – à 56 ans – du réalisateur le 1er avril 1953. Réjouissons-nous au moins de leur trace sur papier. À suivre donc...

Annexe I

Appel de Henry Poulaille : projet d’une page régulière dans le quotidien Le Peuple en 1937

« Folklore »

Depuis quelques années, on semble s’intéresser d’une manière effective au folklore. Jusqu’alors, si la prospection se faisait, c’était d’une manière détachée, et en quelque sorte supérieure. Des revues y étaient également consacrées, mais un petit esprit conservatiste les animait. C’était en somme un divertissement de dilettante que de rechercher les témoignages d’autrefois. Bien sûr, il y avait des scientifiques, de véritables historiens, mais ils n’étaient qu’une infime minorité, et l’habituelle littérature folklorique était la chose de maniaques. Pour une véritable étude de Puymaigre, d’un Julien Tiersot, d’un Arnold Van Gennep, d’un La Villemarqué (je n’oublie pas les travaux de Gérard de Nerval, de George Sand, de Jean-Baptiste Weckerlin, de Maurice Bouchor aussi), combien d’articles insipides sur « Le sentiment de la famille dans la chanson populaire en Saintonge », « L’héroïsme dans le poème des bardes », etc. ? Je transpose à peine des titres. Quant au fond, il était assez pauvre. Et des tomes entiers de revues ont pu être consacrés à la science folklorique sans la faire avancer d’un pas.

Pourtant, la prospection a rendu tout le demi-siècle passé. On a enfin compris l’importance de la prospection. Cependant, Nerval, Le Sueur, Chateaubriand, Berlioz, premiers découvreurs, les Weckerlin, Puymaigre, Léon Pineau, La Villemarqué, Julien Tiersot s’attachèrent à la recherche directe, suivis par un grand nombre d’émules. Des collections entières enrichirent les éditeurs qui se spécialisèrent dans ce domaine nouveau de la librairie. Malheureusement, le prix coûteux de ces ouvrages les a éloignés du vrai public, et tout reste à peu près à faire. Seuls, en effet, ou à peu près, quelques livres ont pu toucher les lecteurs non pécunieux, ceux de Tiersot, ceux d’Albert Udry (Les vieilles chansons patoises de tous les pays de France, Fasquelle, 1930), de Paul Olivier (Les chansons de métier, Charpentier&Fasquelle, 1910), les adaptations de Maurice Bouchor. Quelques recueils seraient à citer encore de chansons populaires : ceux de Lucien de Flagny par exemple, mais rares malgré tout. Et rien n’a été fait d’ensemble. C’est une constatation amère. Pourtant, ce pays se targue d’être fier de ses traditions. Espérons que sur l’impulsion de nos camarades Georges Henri Rivière et André Varagnac, cette vieille science livresque se rajeunira. Le folklore, témoignage de la vie passée, ne peut être que si on le situe dans l’ordre vivant. Ce n’est pas une science, c’est de la vie. C’est la culture elle-même dans ses propres racines. Et constituer avec elle une sorte d’herbier ne saurait suffire. Et c’est moins à des musées, à des collections d’objets que l’on devra tendre qu’à leur exacte appréciation.

Le folklore, ce n’est pas les meubles rustiques, les coiffes, les rouets, mais bien plutôt les contes, les chansons, les images populaires, les légendes, les croyances, et, à travers eux, la vie vraie du passé que l’histoire, la morale, l’art et la littérature des larbins ont cachée sous de mensongères transpositions.

C’est aux sources qu’on devra faire la prospection : les meilleurs de nos folkloristes l’ont compris, mais là encore, ils étaient gênés, car partant à la rencontre de vieilles choses, ils s’adressaient en intrus aux paysans qu’ils questionnaient. Aujourd’hui que le paysan sait lire, ce sera à lui-même de noter ce qu’il peut retrouver d’hier. Là, l’instituteur le pourra aider s’il sait s’effacer devant le document direct. Je pense à une sorte d’inventaire qui se ferait ainsi peu à peu, partout à la fois. Quelle richesse ! Quel enseignement aussi ! Certes, un choix devra être fait entre tous ces matériaux ; mais que les matériaux soient réunis, les spécialistes auront alors leur tâche facilitée. Ce travail peut se faire en deux temps. La prospection la plus large au préalable... La discrimination ensuite, faite en fonction de l’ethnologie et de l’histoire.

Nous envisagerons dans ces pages, volontiers, la seule prospection. Ne serait-ce que pour que l’élan soit donné. Nous soumettons l’idée de cette recherche autour d’eux à nos lecteurs, aux paysans comme aux instituteurs. Qu’ils nous envoient des textes, des notes, des articles. Nous ne publierons peut-être pas tout, mais tiendrons compte de tout... Histoire des métiers, notation de mots populaires, chansons, légendes, imageries, etc.

Pour aujourd’hui, nous offrons à nos amis une page d’ensemble sur les Nègres d’Amérique.

Volontiers nous en consacrerons d’autres à un sujet, à un pays, mais il dépendra de la collaboration de chacun que cette page soit variée (ce à quoi nous tendrons).

Amis lecteurs, si la chose vous intéresse, envoyez-nous vos suggestions, le fruit de vos recherches. Sur la vie prolétarienne d’autrefois, on ne sait que peu de chose. La chanson populaire, les souvenirs des gens de métiers, les dictons, les coutumes nous donnèrent çà et là d’utiles éclairages. C’est dans le sens de la vie populaire et de la vie du travail que nous voudrions orienter cette page. Si l’on veut se mettre à l’œuvre, nous aurons vite une belle moisson.

Envoyer textes, récits, articles et documents au Peuple, page de Folklore.
par Henry Poulaille

Le Peuple, n° 6088, 22 septembre 1937, p. 4.

Article entouré de « La musique des nègres » par John Rosamond Johnson [1873-1954] (trad. Sabine Berlitz) + 3 chants de nègres et un conte du Poitou (recueilli en 1892).

Suivront :

– « Noël bourguignon » & « Coutumes de Noël », Le Peuple, n° 6186, 29 décembre 1937, p. 4

– « Euskadi » & « Disques basques », Le Peuple, n° 6207, 19 janvier 1938, p. 4.

Annexe II

Arnold Van Gennep en 1946

« À Bourg-la-Reine, chez Arnold Van Gennep »

Au téléphone déjà, la voix éclatait de malice et de jeunesse. Nous demandions à M. Van Gennep d’aller l’entretenir à l’occasion de la publication d’un nouveau volume du Manuel de Folklore français contemporain. Ce nouveau volume ne laissait pas d’être intrigant. II est vrai qu’il fallait s’attendre à des surprises. Avant la guerre, lorsque parut – en 1937 – la bibliographie du Manuel, on pouvait lire, sous le n° 19 : « Gennep (Arnold van), Manuel de Folklore français, Paris, Picard, 3 vol. ». C’était le tome III qui était publié le premier. L’année suivante paraissait le tome IV. Avec, en avant-propos, un rectificatif pour le fameux n° 19, qui était porté à quatre volumes. En 1943, c’était le tome 1er qui voyait le jour. Nous n’attendions donc plus que le tome II. Et voici que sort... le « tome 1er, deuxième partie ». Et, par prudence, sans avant-propos. Est-ce une comédie à tiroirs ? Nous n’allons pas tarder à être éclairés.

– Naturellement, vous voulez savoir combien il y aura de volumes ? dit la voix lointaine de M. Van Gennep, une voix qui s’amuse déjà de notre surprise. Une dizaine peut-être !

La surprise est forte et joyeuse. Le Manuel devient donc un monument. C’est plus que nous n’osions espérer. Et c’est une raison de plus pour insister auprès de M. Van Gennep, qui consent à nous accueillir, tout en nous donnant les précisions topographiques nécessaires.

Et nous voilà partis pour Bourg-la-Reine, comme en d’autres temps nous serions allés à Morey voir M. Monge, ou à Montbard [77]. Pour chaque époque, il est de ces hauts lieux que les guides, ni les cartes n’annoncent, mais dont l’efficacité se mesure néanmoins à quelque mouvement de foule ou de correspondance. Le facteur qui distribue les lettres dans la Grande-Rue de Bourg-la-Reine ne doit point douter qu’il y a quelque chose d’insolite au 112 de cette artère ci-devant royale. Si, chez M. Van Gennep, les visiteurs français sont fréquents, la correspondance internationale qu’il reçoit indique bien mieux l’importance de ses travaux.

Depuis près de quarante ans, M. Van Gennep publie ses ouvrages au rythme à peu près régulier d’un livre par an. L’ensemble constitue un fonds de bibliothèque d’une trentaine de volumes, non comptés les articles de revue, qui formeraient à eux seuls un ensemble important. L’évolution du chercheur l’a fait partir de l’ethnographie générale, à laquelle il contribua par ses études sur le tabou et le totémisme, pour aboutir au folklore, dont il est à ce jour le maître incontesté. L’Institut de France peut affecter d’ignorer que la chaise où, devant sa table de travail, s’assied M. Van Gennep, est la seule chaire magistrale unanimement reconnue en cette matière – encore qu’il ait été, à plusieurs reprises, un de ses lauréats –, les libraires de sous-préfecture ne l’ignorent pas, et qui même oserait en douter ?

Dans son petit appartement provincial, où les objets de l’art populaire français se mêlent aux produits de l’artisanat algérien, la bibliothèque de folklore a, depuis plus de vingt ans, pris la place principale. Et elle ne représente qu’une faible partie de tout ce que M. Van Gennep a lu, colligé, transcrit, annoté et classé. Nul luxe, à peine le confort ; ni surtout l’atmosphère solennelle et poussiéreuse de l’érudition morte. Ici, tout est consacré à la science la plus vivante qui soit.

À soixante-treize ans, M. Van Gennep paraît étonnamment jeune ; à peine lui accorderait-on la soixantaine ; et moins encore, dans l’animation d’une conversation soutenue, intensément évocatrice, malicieuse et gaie.

Chacun sait que M. Van Gennep est savoyard et qu’il a consacré bon nombre d’ouvrages à son pays natal, et notamment à son folklore. Mais son nom est étrange pour un Savoyard. Dans le feu des répliques, nous n’hésitons pas à lui en demander l’origine.

– Mais c’est un nom hollandais ! Je suis de famille hollandaise, descendant de Français cévenols émigrés aux Pays-Bas lors de la révocation de l’Édit de Nantes. Descendant en ligne directe : ma grand’mère se nommait Ducloux.

– Mais vous êtes né en Savoie ?

– Moi ? Pas le moins du monde. Je suis né dans le royaume de Würtemberg – c’était alors un royaume –, mais j’ai été adopté par la Savoie, qui est en somme mon terroir d’élection et qui a été le terrain de mes premières recherches folkloriques. En Savoie, on me considère comme Challois [78].

À vrai dire, M. Van Gennep ne devint savoyard que sur le tard.

– J’ai, nous dit-il, fait mes études au lycée de Nice, puis à Michelet [79]. Et, de là, je suis allé aux Langues Orientales et aux Hautes Études. L’influence de Marillier [80] m’a amené à la science des religions, celle de Sébillot [81] m’a infléchi vers le folklore. Moi, je voulais faire de l’égyptologie. Mais il fallait attendre, et je n’en avais pas les moyens. Alors je suis allé enseigner en Pologne [82], ce qui m’a servi à apprendre les langues slaves. (Notons, en passant, que M. Van Gennep connaît dix-huit langues, chose précieuse pour un folkloriste). Plus tard, je fus professeur à l’Université de Neuchâtel, en Suisse. Le programme était magnifique : l’histoire comparée des civilisations. Ça me permettait de me promener à travers toute la Terre et à travers toute l’Histoire. Mais, mobilisé en 1914 [83], je dus regagner la France, et, au lieu de me conserver ma chaire, on nomma, assez vite, un remplaçant.

Nous ne pouvons retracer ici toutes les étapes de la carrière de M. Van Gennep. Mais peut-on parler de carrière ? Les périodes de sa vie se distinguent surtout par ses travaux et ses collaborations. Parmi ces dernières, il y eut surtout la Revue des études ethnographiques et sociologiques, qu’il fonda en 1908, et dont l’autre guerre suspendit la publication ; et le Mercure de France, où il a tenu pendant plus de trente-cinq ans la rubrique d’ethnographie et folklore. Et, bientôt, ce sera Le Folklore vivant, qui est annoncé sous sa direction et celle de Henry Poulaille. Quant à ses travaux, consultez la bibliographie qui est en tête de ses derniers livres : nous avons dit qu’elle est abondante. Là est la carrière de M. Van Gennep, car nous n’avons pas entendu dire qu’il ait bénéficié d’aucune faveur officielle (si tant est que c’eût été une faveur) ; aucun titre ne suit, sur ses ouvrages, la mention de son nom ; et il n’a, croyons-nous, que celui de docteur ès lettres (pour sa thèse sur « l’État actuel du problème totémique », 1920 [84]), qu’il n’eût d’ailleurs point décroché, sans doute, s’il eût fallu briguer pour l’avoir. M. Van Gennep ne se formalise d’ailleurs pas de cet oubli officiel.

– J’ai toujours été quelque peu libertaire, nous dit-il.

Mais c’est du Manuel que nous sommes venus parler.

Dès 1924, votre petit livre de chez Stock - Le Folklore. Croyances et coutumes populaires françaises [85]- que vous disiez être un « petit livre de propagande », annonçait la préparation d’un Manuel de folklore français. Et il a fallu attendre 1937 pour en voir paraître les premiers volumes.

– C’est que les dépouillements bibliographiques et leur organisation méthodique ont été fort longs. On en était resté aux bibliographies données par Sébillot et Brueyre [86], qui dataient de 1887. Et qui étaient, même pour l’époque, incomplètes, insuffisantes, et d’une méthode discutable ou surannée. La publication du Manuel commença donc, de façon paradoxale, par les tomes III et IV, qui comprennent la bibliographie méthodique. C’était le plus urgent : l’utilité pratique prime la théorie.

Votre audace bibliographique - si l’on peut dire - a eu du moins ce résultat de promouvoir soudain les études folkloriques. La veille, c’étaient des parents pauvres auprès de la sociologie, de l’ethnographie religieuse, de la géographie humaine. Ces deux volumes de bibliographie les ont mises au premier plan.

– Oui, leur publication n’est sans doute pas étrangère au renouveau des études de folklore ; mais à moi elle a été nuisible : les ouvrages régionalistes ont tout d’un coup été recherchés des amateurs, ils se sont raréfiés, les prix ont monté. Les premiers qui se soient servis de ma bibliographie, ce sont les libraires !

– Et, maintenant, vous préparez les autres volumes. Le troisième du premier tome est déjà sous presse, nous a-t-on dit chez Picard ?

– Et les autres suivront rapidement.

Mais M. Van Gennep ne veut pas plus longtemps nous celer le mystère des trois volumes primitifs.

– D’abord, mon éditeur et moi avions prévu trois, puis quatre volumes. Mais il aurait fallu sacrifier tous les faits, les remplacer par des références à des ouvrages introuvables. Introuvables en France, à plus forte raison au Japon ou aux États-Unis. Or, ce dont ont besoin les folkloristes étrangers, pour d’utiles comparaisons, ce sont les faits. Aussi nous sommes-nous résolus à les intégrer à l’œuvre.

Et M. Van Gennep, saisissant le prospectus de 1938, nous indique la division qui est aujourd’hui prévue. Le tome premier comprendra six volumes : deux pour les cérémonies qui accompagnent l’homme du berceau à la tombe : naissance, baptême, enfance, adolescence, fiançailles, mariage, funérailles. Ce sont les deux volumes parus. Le troisième et le quatrième comprendront les cérémonies périodiques et calendaires (Carnaval, Pâques, Pentecôte, feux de la Saint-Jean, etc.) ; le cinquième, le folklore de la nature, la magie et la sorcellerie, la médecine populaire. Le tome second comprendra : dans son premier volume, les êtres fantastiques et la littérature populaire mouvante et fixée ; dans le deuxième, 1a musique, la chanson, les jeux, jouets et divertissements ; dans le troisième, le folklore social et juridique ; ensuite viendront le folklore domestique et les arts populaires.

Puis M. Van Gennep nous montre les cartes qu’il établit lui-même, pointant commune par commune la présence des vieilles coutumes, avant de les résumer dans les cartes plus sommaires qui paraissent dans le Manuel.

– Ces cartes, pour bien des faits, je suis le premier à les établir. Et elles me valent d’assez étonnantes surprises. Voyez celle-ci. Ce sont les feux de la Saint-Jean et les feux de Carême [87]. Il suffit de la regarder pour voir l’inanité des thèses – chères à un de mes maîtres – fondées sur le celtisme [88]. Et celle-ci, la carte des sources sacrées. Combien d’hypothèses n’ont-elles pas été proposées ! Sources celtiques, sources gallo-romaines, christianisation mérovingienne... Moi-même j’ai cru un moment, sous l’influence de Bédier [89], qu’elles pouvaient se trouver le long des voies de pèlerinage. Eh bien ! rien de tout cela ne tient. Je suis perdu. Cela me fait du bien !

Et c’est gaiement que M. Van Gennep nous dit : « Cela me fait du bien ». Car ce qui l’intéresse, ce n’est pas d’accumuler les faits, c’est d’expliquer, et quel meilleur témoignage, pour un vrai savant, de son absence de préjugés, que d’établir lui-même, par des preuves convaincantes, la fausseté des théories qu’il s’apprêtait à bâtir ? Mais il a déjà une autre carte en main.

– Voici les régions à beignets, les régions à crêpes et les régions sans crêpes ni beignets. Vous pouvez la regarder de près, et la comparer à la carte de Demangeon [90] pour les régions de cuisine au beurre, au saindoux et à l’huile : ça ne correspond pas. Encore un mystère. Je la publierai telle quelle. Si d’ici là je n’ai pas trouvé l’explication, un autre la trouvera peut-être.

Mais, plus encore que pour l’explication de tel ou tel fait particulier, M. Van Gennep se passionne pour la théorie générale du folklore.

– Plus on approche des faits, nous dit-il, plus on est étonné du véritable génie d’invention dramatique du peuple français. Notre peuple, plus qu’aucun autre, est enclin à mettre en scène, à dramatiser. Les faits folkloriques m’apparaissent de plus en plus non comme des survivances, mais comme l’exercice naturel d’une fonction dramatique. Et, lorsque la création populaire satisfait le sens dramatique, même aujourd’hui, elle s’inscrit dans le folklore.

On a recherché des transmissions lointaines pour quantité de vieux usages. Mais le peuple français a sans doute créé au Moyen Âge une bonne partie de ses traditions, comme il a créé les cathédrales. Récemment, certain régime [91], pour des raisons politiques, a voulu protéger le folklore, a procédé à des reconstitutions ridicules : on ne ressuscite pas ce qui est mort. Il n’y a pas de « bon vieux temps ». Le folklore est une création continue, et qui n’est pas interrompue aujourd’hui. Récemment, à Lyon, on a promené en procession un mannequin entièrement revêtu de tickets d’alimentation, et on l’a brûlé : on retrouve là la création spontanée du drame. Et cette dramatisation, elle n’est pas celtique, ni gothe, ni rien d’autre ; on la trouve partout en France, elle est l’expression même de notre peuple.

Mais nous avons retardé de quelques heures la rédaction du Manuel, de ce grand Manuel qui bientôt ne tiendra plus dans les deux mains, et nous prenons congé de M. Van Gennep en jetant un dernier regard sur les rayons de bibliothèque où, sur près de deux mètres, sont alignés, serrés et ficelés, d’innombrables dossiers, le fruit d’une vie de travail.

F[ernand] T[ourret] et Y[ves] L[évy]*

Paru, l’actualité littéraire, n° 23, oct. 1946, pp. 57-61

* À peine cachés sous leurs initiales, qu’il fallait naturellement savoir repérer, la « bande à Poulaille » :

• Fernand Tourret [du Vigier] (1899-1988), tour à tour marin, journaliste... et poète, grand manieur de langage, s’intéressant au jargon des métiers, à l’argot, etc. ; auteur avec le père Paul Feller (1913-1979) d’un ouvrage sur L’Outil, à partir de la collection rassemblée au musée de Troyes (A. de Visscher, 1970 ; rééd. EPA éditions, 2004).

• Yves Lévy (1910-1983) – gendre de Fernand Tourret –, militant anarchiste, responsable avec Jean-Pierre Faure fils (1900-1991), de l’édition des Œuvres complètes d’Élie Faure, 3 vol. (Jean-Jacques Pauvert, 1964). Voir également : Yves Lévy, Écrits sur Élie Faure, Bassac, Plein Chant, coll. de l’Atelier furtif, 1988 ; Essais de critique littéraire, même éditeur, même collection, 1993.

Références bibliographiques

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Zumwalt, Rosemary, 1982. « Arnold Van Gennep : The Hermit of Bourg-la-Reine », American Anthropologist, 84, p. 299-313.




[1Cet article a d’abord été publié, sous le même titre, dans Daniel Fabre & Christine Laurière (dir.), Arnold Van Gennep. Du folklore à l’ethnographie, Paris, Éditions du CTHS, 2018, pp. 289-311 (ouvrage épuisé).

[2Jean Prugnot, «  Henry Poulaille. Notice biographique  », datée juillet 1971, prévue au départ pour le Dictionnaire du mouvement ouvrier français (le Maitron), non reprise, et publiée par les Cahiers Henry Poulaille, n° 6, mars 1993, p. 11-43 (en part. p. 39-41).

[3En 1945, si c’est bien l’année effective de leur rencontre, Van Gennep a 68 ans, Poulaille, 49 ans.

[4Nous faisons allusion ici, pour Van Gennep, à l’article de Rosemary Zumwalt (1982).

[5Cette correspondance comprend 43 lettres adressées par Arnold Van Gennep à Henry Poulaille, conservées aux Archives Poulaille, à Cachan, et 7 lettres, hélas seulement retrouvées à ce jour, de Henry Poulaille à Arnold Van Gennep (dont 4 aux Archives Poulaille, et 3, «  boîte 141  », conservées au musée des ATP). On relève d’ailleurs, dans la même boîte, deux lettres de Jean Prugnot à A. Van Gennep, de novembre 1945, qui confirmerait donc la date de leur rencontre.

[6Le premier volume du Manuel de folklore français contemporain fut de fait le tome III, exposant la méthodologie et la première partie de la bibliographie méthodique. Le premier vrai tome I, et encore première partie, comportant l’«  Introduction générale  », ne devait sortir qu’en 1943.

[7Michel Ragon, 2005 [1974].

[8«  Bogre, bougre ou boulgre  », précisons, nom donné aux hérétiques à dater du XIIe siècle.

[9Une anecdote, mais significative : en 1925 : contre la parodie des prix littéraires (déjà  !), Henry Poulaille crée, avec quelques comparses, le «  Prix sans nom  », jury anonyme, dont le secret ne devait pas être longtemps gardé, et qui n’était destiné, au fond, qu’à être éphémère – un «  coup de gueule  ». Voir Jean-Paul Morel et Patrick Ramseyer, 2009.

[10C’est en effet à La Vache enragée, revue irrégulière – là aussi, aux deux sens du mot – de la bohème de Montmartre, fondée par Maurice Hallé (1888-1954) et Roger Toziny (1883-1939) en mai 1917, qu’Henry Poulaille devait, en 1921-1922, fourbir ses premières armes.

[11D’«  auxiliaire  », Poulaille ne tardera pas à passer «  chef de service  », pour, de fait, faire fonction de véritable directeur littéraire – il recrutera à lui seul une bonne soixantaine d’auteurs –, sans jamais en recevoir les émoluments correspondants... Il sera mis à la retraite, après trente-trois ans de «  bons et loyaux services  », lorsque la «  pieuvre verte  » – le groupe Hachette – absorbera les éditions Grasset, le 31 mars 1956.

[12Dès 1928, en fidèle émule de Marcel Martinet – qui avait lancé dès 1913 l’idée d’une «  culture prolétarienne  » (voir l’ensemble de ses articles réunis sous ce titre, Librairie du Travail, 1re éd. 1935 - rééd. Maspero, 1976, Agone, 2004), Poulaille est l’un des rares à répondre sans ambages à l’enquête spécifique d’Augustin Habaru (1898-1944) dans Monde : «  Je crois à l’existence d’une littérature et d’un art exprimant les aspirations de la classe prolétarienne [...]  » (Monde, n° 19, 13 oct. 1928).

[13Nous sommes obligés ici de passer sur le projet et sa réalisation de «  Musées du Soir  », à vocation pédagogico-militante, envisagés dès 1934 (L’Homme réel, n° 5, mai 1934, p. 70-74), effectivement ouverts et le premier à Paris en mars 1935 – un mois avant le lancement par l’A.E.A.R. des «  maisons de la culture  » –, sis d’abord au 69, rue Fessart dans le XIXe, puis au 15, rue de Médéah dans le XIVe, jusqu’à ce que la guerre et l’Occupation interrompent, «  brutalement  »..., l’entreprise.

[14Voir le congrès de Karkhov, novembre 1930, et ses retombées..., notamment dans Jean-Pierre Morel, 1986. Sur la position de Van Gennep par rapport au marxisme, voir notamment «  Bibliographie politique  », à propos de Jules -L. Puech, La Tradition socialiste en France et la S.D.N.(Garnier frères, 1921), Mercure de France, t. CLI, n° 561, 1er nov. 1921, p. 842-844.

[15L’«  ouverture  » ne se fera, par l’intervention de Paul Vaillant-Couturier (1892-1937), qu’avec la création en mars 1932 de l’A.E.A.R.[Association des écrivains et artistes révolutionnaires], élargie encore en décembre 1932 – mais qui ne convaincra pas davantage Poulaille d’y adhérer.

[16Voir notamment Léon Lemonnier, Manifeste du populisme, 1re éd. Jacques Bernard / La Centaine, 1930  ; éd. augm. Populisme, La Renaissance du Livre, 1931, et nombre d’articles en revues.

[17Mot d’ordre, qui se trouvera ensuite banalisé sous le Front populaire.

[18Voir le concours lancé par L’Humanité en novembre 1932, qui aboutira au pâle recueil Des ouvriers écrivent, publié aux Éditions sociales internationales en 1934, même s’il est préfacé par Eugène Dabit (1898-1936). Quoique l’Almanach, lancé par le PC et L’Humanité en 1930, fût dit «  ouvrier et paysan  », le «  tir  » n’avait pas au fond été corrigé.

[19Voir la dernière thèse en date, consacrée à l’oralité dans le domaine littéraire : Jérôme Meizoz, 2001 – en part. chap. I, «  Henry Poulaille, promoteur d’un roman “prolétarien”  ».

[20Qui eut lieu, rappelons-le, à Paris, du 23 au 28 août 1937. Voir Catherine Velay Vallantin, 1999  ; Gilles Laferté, 2009.

[21Nous ne pouvions ouvrir ici une trop longue parenthèse, mais relevons-le cursivement : Poulaille a commencé de s’intéresser à la musique populaire dès 1928, avec sa rubrique «  Disques  » à Monde, poursuivie ensuite dans Prolétariat  ; il a même publié, avec l’aide de son traducteur et ami Charles Wolff (1905-1944), une sorte de catalogue, dans la mouvance Freinet, de chansons populaires, prises parfois à la “haute culture” (bourdieu de bourdieu  !), visant à couvrir tous les pays du monde  !, sous le titre Le Disque à l’école (Cahiers bleus, 2e série, n° 14, Librairie Georges Valois, 15 juin 1932). Peu avant son «  appel  » dans Le Peuple, il avait commencé, début 1937, dans La Flèche, sous le générique de «  Littérature prolétarienne et documents populaires  », à réunir des «  documents de folklore  » : cf. «  Chansons paysannes hongroises  » (La Flèche, n° 51, 30 janv. 1937, p. 4), «  Vieilles chansons populaires du Bourbonnais  » recueillies par Joseph Voisin [1882-1969] (La Flèche, n° 55, 27 fév. 1937, p. 5), «  Chants populaires arméniens  » (La Flèche, n° 59, 27 mars 1937, p. 5). Je remercie Patrick Ramseyer pour toutes ces précieuses précisions.

[22«  Folklore  », Le Peuple, n° 6088, 22 sept. 1937, p. 4. L’article est alors entouré de plusieurs «  documents  » : «  La musique des nègres  » par John Rosamond Johnson [1873-1954] (trad. Sabine Berlitz), avec Trois chants de nègres, et un conte du Poitou (recueilli en 1892). La “récolte” se poursuivra, mais de façon éphémère, avec «  Noël bourguignon  » & «  Coutumes de Noël  » (Le Peuple, n° 6186, 29 décembre 1937, p. 4), puis «  Euskadi  » & «  Disques basques  » (Le Peuple, n° 6207, 19 janvier 1938, p. 4) – l’année 1938 apportant d’autres soucis...

[23«  Place à la vie  », originellement publié dans La Flèche, n° 51, 30 janv. 1937, p. 4, repris par Les Humbles, n° 12, déc. 1937, p. 16-19. On en trouvera l’écho dans l’appel commun «  aménagé  » signé Van Gennep et Poulaille en octobre 1948, pour le lancement de la Nouvelle Revue des traditions populaires : «  Le domaine et les méthodes du Folklore sont maintenant définis avec assez de précision pour que nous n’ayons plus à établir ici un programme. Il comprend toute la vie du peuple, sous tous ses aspects, sans parti pris d’école ni de doctrine.  »

[24Almanach du père Ubu illustré 1899, p. 76. Félix Fénéon (1861-1944), fonctionnaire au ministère de la Guerre, avait été soupçonné de tremper dans le milieu anarchiste, voire d’y apporter son aide active  ; traduit devant la cour d’Assises de la Seine début août 1894 – le fameux procès des Trente –, il devait être acquitté, et faire acquitter dans la foulée la majorité des autres inculpés. Il y perdit tout de même son poste, fut alors engagé comme secrétaire de rédaction à La Revue blanche des frères Natanson, devint ensuite, à sa disparition, directeur artistique de la galerie Bernheim-Jeune, se gardant bien désormais de toute manifestation intempestive... hissant tout de même un drapeau rouge, avenue de l’Opéra, pour saluer la victoire du Front populaire en 1936. Sous l’Occupation, il élut un prudent refuge à la clinique de la Vallée-aux-Loups, à Châtenay-Malabry.

[25Pour un itinéraire plus détaillé, nous nous permettons de renvoyer à la notice que nous lui avons consacrée dans le Maitron (1991, t. 39, p. 163-167).

[26Voir texte complet en annexe : Fernand Tourret et Yves Lévy, «  À Bourg-la-Reine, chez Arnold Van Gennep  », Paru, l’actualité littéraire, n° 23, oct. 1946, p. 57-61.

[27Tout aussi lapidaires sont les propos (doublement) rapportés d’Alfred Vallette lors de son engagement au Mercure de France [janv. 1905], qui les tenait lui-même de Remy de Gourmont – d’où le titre général de Vallettiana : «  Le jour où Gourmont me mena à lui pour me charger de la première “chronique d’Ethnographie et de Folklore” [...], Vallette me dit : «  Gourmont m’a dit que vous sortiez des milieux universitaires et anarchistes. Le deuxième point est un bon point. Vous pourrez dire ce que vous voudrez et comme vous le voudrez... Vous pouvez commencer votre chronique par “Merde pour X”, ou autre chose. Vous aurez toute liberté et toute licence...  » (document inédit donné sans précision de source par Jean-Marie Privat, dans sa présentation des Chroniques de folklore de van Gennep, Éditions du CTHS, 2001, n. 9 p. 10).

[28Ketty Van Gennep (1903-1969), «  bibliothécaire de la Ville d’Épernay  » (Ketty Van Gennep, 1964).

[29Dossier 98441 (en ligne, sur la base «  Léonore  »). Et précisons : Kurr, patronyme de son père (Sulzbach/Würtemberg, 1841-  ?), Van Gennep, celui de sa mère (Niewadip/Hollande, 1853 -  ?), tous deux de lointaine origine française. «  Je suis de famille hollandaise, expliquera-t-il, descendant de Français cévenols émigrés aux Pays-Bas lors de la révocation de l’Édit de Nantes.  »

[30Arrêté n° 54IX97, signé du Président Félix Faure et du Garde des Sceaux, Jean-Baptiste Darlan. Rappelons ici qu’après les attentats anarchistes de 1892-1894, tout étranger pouvait être reconduit aux frontières «  sans autre forme de procès  »... C’est ainsi que Félix Vallotton, suisse de naissance, se fit prestement naturaliser français en février 1900, après son mariage avec Gabrielle Bernheim en mai 1899.

[31Voir à ce sujet l’article de Nicolas Adell, «  Esprit(s) de folklore(s). Georges Henri, André, Arnold…et les autres au prisme de Roger Lecotté  », in Daniel Fabre & Christine Laurière (dir.), Arnold Van Gennep. Du folklore à l’ethnographie, Paris, Éditions du CTHS, 2018, pp. 261-288 (à paraître dans Bérose).

[32Devant les données variables, fournies çà et là, précisons : né à Den Bosch en Hollande, le 30 août 1864 - décédé à Domme (Dordogne), le 21 janv. 1942, dans la maison “des Reclus”, à savoir Paul Reclus (1858-1941) – fils d’Élie Reclus (1827-1904) – et son fils Jacques (1894-1984).

[33Nous ne pouvons ici davantage développer son parcours, qui a fait l’objet de nombreuses notices bio-biblio-graphiques. On pourra consulter, en français, Homme Wedman, «  Christian Cornélissen  », Les Temps maudits, n° 5, Saint-Étienne, mai 1999, p. 79-92, qui s’est chargé en 1993 de l’inventaire du fonds déposé à l’Institut international d’histoire sociale d’Amsterdam. L’article d’Anthony Lorry, sur Pelloutier.net / Dictionnaire biographique (2007), est également fort bien documenté.

[34Il semble qu’à partir de 1922, Christian ait accepté de partager ses amours avec Jacques Reclus, et avant que celui-ci ne parte pour la Chine en mai 1928.

[35Après un premier enfant mort à sa naissance, à Paris, en 1901, vint donc Ketty, née à Clamart (Seine), le 17 sept. 1903 - décédée à Épernay (Marne), le 29 déc. 1969  ; Christine, née à Clamart le 25 août 1905, décédée, id., le 27 juill. 1906  ; Suzanne, née également à Clamart, le 8 janv. 1908, décédée à Grenoble ( Isère), le 3 déc. 2007.

[36Qui portera clairement en sous-titre : «  Revue internationale des Idées Communistes Libertaires  ».

[37«  Remarques sur la notion et le sentiment de nationalité  », Les Temps nouveaux, Nvlle. série, 2e année, n° 15, 15 sept. 1920 et «  Les symboles de la nationalité. Peintures et mutilations corporelles  ; costume  », Les Temps nouveaux, n° 17, 15 nov. 1920, p. 11-16. Édition définitive : Traité comparatif des nationalités Paris, Payot & Cie, 1922 – réédition présentée par Jean-François Gossiaux, Éditions du CTHS, 1995.

[38Les Temps nouveaux, nos 19 à 21, mars 1921, 44 p., Impr.-gérant : Jacques Reclus. Le générique des participants serait ici trop long à décliner.

[39{}Arnold Van Gennep, Les Demi-Savants, Mercure de France, achevé d’imprimer 3 sept. 1911.

[40Voir les divers articles de Pierre Centlivres consacrés à ce «  passage  » : Pierre Centlivres, 1997, 2002, 2005  ; et, avec Philippe Vaucher, 1994, 2009.

[41Qui fera donc la matière, remise en forme à Bourg-la-Reine, du Traité comparatif des nationalités dont nous avons précédemment parlé, publié chez Payot & Cie, Paris, en 1922. Annoncé comme «  tome I - Les éléments extérieurs de la nationalité  », il ne connaîtra de fait pas de suite. Voir sa réédition aujourd’hui, présentée par Jean-François Gossiaux, Éditions du CTHS, 1995.

[42La Dépêche de Toulouse, quotidien radical-socialiste, alors aux mains des frères Sarraut (Maurice 1869 - 1943, sénateur, et Albert 1872-1962, député), très surveillé par la censure – afin qu’il ne s’écarte pas de l’«  union sacrée  »  ! Van Gennep va lui livrer un article par mois, de janvier à octobre 1915, moitié depuis Neuchâtel sous un pseudonyme emprunté à son beau-père, A[rnold] Raugé, moitié depuis Berne, sous le pseudonyme de Philos (lisons pour «  franco-phile  »). La police suisse ne repèrera heureusement que les articles signés Raugé, ce qui, ajouté, aurait pu sérieusement aggraver son cas devant la justice militaire.

On lira avec intérêt la série d’articles donnés parallèlement au Mercure de France par Louis Dumur (1863-1933), lui-même suisse, nos 415 à 420, du 1er juill. au 1er déc. 1915.

[43Hors le contenu, bien, trop bien informé des articles, le scandale vient surtout du fait qu’ils proviennent d’un professeur d’Université, d’origine allemande, parlant en tant que citoyen de Suisse romande et osant s’attaquer à la Suisse alémanique. Et Zurich, Berne et Lausanne de se retrouver sur la même ligne, ce qu’il voulait justement démontrer...

[44Double notification en français et en allemand, exécutée le 30 octobre, du «  schweizerische Bundesanwaltschaft  » / «  Département suisse de Justice et Police  », qui lui fera encore l’honneur d’une fiche anthropométrique, publiée dans le Schweizer. Polizei-Anzeiger, n° 264, 11 nov. 1915, p. 1681-1682. Nous remercions vivement Pierre Centlivres de nous avoir transmis copie de cet édifiant dossier, via Christine Laurière.

[45Arnold Van Gennep, Le Génie de l’organisation. La formule française et anglaise opposée à la formule allemande [daté Saint-Blaise, 15 mai 1915], Paris, Payot, 1915, 114 p..

[46Arnold Van Gennep, «  Le mécanisme de l’organisation  », Mercure de France : t. 117, n° 437, 1er sept. 1916, p. 42-55 (ch. I-IV)  ; n° 438, 15 sept. 1916, p. 261-280 (ch. V-X fin). Articles réunis en un petit volume, Le mécanisme de l’organisation en France et en Allemagne, Paris/Neuchâtel, Attinger, «  Petite Bibliothèque de la guerre  » n° 9, 1918, 48 p.

[47Arnold Van Gennep (non signé), L’Effort économique de la France pendant deux ans et demi de guerre, Bureaux d’études de l’Information diplomatique, Paris - Nancy, Berger Levrault, 142 p.

[48«  Variétés. Folklore militaire suisse  », Mercure de France, t. CXIV, n° 426, 16 mars 1916, pp. 367-371. Compte rendu, non sans humour, des premiers résultats d’une enquête menée par Hans Baechtold, parus dans les Schweizerisches Archiv für Volkskunde / Archives suisses des traditions populaires, Bâle, SSTP, vol. 19, fasc. 3, 1915. Par une allusion dans sa «  Lettre de Suisse  » du 6 mars 1915, on sait que Van Gennep avait connaissance du Colonel Ramollot, personnage à l’origine du «  comique troupier  », inventé par Charles Leroy (1844-1895) – beau-frère d’Alphonse Allais – dans Le Tintamarre en 1882, et dont il poursuivra la geste en de multiples aventures feuilletonnesques.

[49Mercure de France, t. 247, n° 849, 1er nov. 1933, p. 569-600, article qui fait suite à un précédent ouvrage : Ordre et désordre : scènes de l’Allemagne contemporaine, Éditions Jules Tallandier, coll. du Temps présent, vol. 26, achevé d’imprimer 28 octobre 1932. L’auteur fut même un temps pressenti pour traduire Mein Kampf...

[50Mercure de France, t. 248, n° 851, 1er déc. 1933, «  Controverses. Le Principe d’Hitler  », p. 478-482. À noter, que Van Gennep, allusivement, n’est pas plus tendre pour les régimes marxistes.

[51Mésinterprétation du Monde comme volonté et comme représentation, de Schopenhauer  ; lecture de Nietzsche dans la version trafiquée de la Volonté de puissance récupérée par les nazis.

[52Wilhelm Wundt (1832-1920), Völkerpsychologie. Untersuchung der Entwicklungsgesetze in Sprache, Mythus und Sitte, Leipzig, Wilhelm Engelmann Verlag 10 vol., 1900-1921–, à partir de quoi Grein s’emploie à devoir expliciter le terme «  völkisch  »...

[53Affaire du tract Paix immédiate  !, information judiciaire du Parquet de Versailles, compte rendu du 23 septembre 1939, Service historique de la Défense – Département de l’armée de terre, 9 N 362. La liste des signataires est bien connue, disons seulement ici que sur les 31 signataires, près de la moitié se rétractèrent...

[54Le même camp, qu’il avait connu comme blessé évacué, et où il avait été muté infirmier en 1917...

[55Ce pourquoi Poulaille témoignera, en retour, en faveur de son patron, lors de son inculpation en septembre 1944, et du long procès qui s’ensuivra.

[56Henry Poulaille va sans distinction, voire sans discernement comme le lui reprocheront maints de ses proches, livrer pêle-mêle ses articles ou ses contes à La Gerbe, à Visages du Monde, à Aujourd’hui, à Elle et Lui (Bruxelles), à Chantiers, à L’Atelier, à La France socialiste, à Demain (Lyon), à Germinal, et pour un bien maigre bénéfice, puisqu’il continue cependant d’être employé par la maison Grasset. Il ne franchira pas pour autant la barre, comme un certain nombre d’anarchistes passés bellicistes, voire même vichyssois.

[57Premier volume : La Grande et Belle Bible des Noëls anciens du XIIe au XVIe siècle, Albin Michel, achevé d’imprimer 20 nov. 1942 628 p., ne comprenant pas moins de 243 p. d’«  Introduction générale  »  !, qui sera suivi d’un plus modeste Les plus beaux Noëls français, choix et avant-propos par ses soins, même éditeur, «  Pages catholiques  », achevé d’imprimer nov. 1943, 88 p. Puis, il sortira après la guerre : La Grande et Belle Bible des Noëls anciens, t. II, XVIIe et XVIIIe siècles, même éditeur, 1949, 630 p., et pour conclure : La Grande et Belle Bible des Noëls anciens, t. III, Noëls régionaux et Noëls contemporains, même éditeur, 1951, 540 p. Nous pouvons ajouter à son crédit : La Fleur des chansons d’amour du XVIe siècle, Bernard Grasset, achevé d’imprimer déc. 1943, 432 p. et un plus modeste recueil, plus tardif, des Chansons de toile, XIIe siècle, en collaboration avec Régine Pernoud, Bondy, Jacques Rogers éditeur, 1946, 108 p. Ajoutons une conséquente anthologie historique de Chansons gaillardes, qui restera dans ses tiroirs.

[58Jean Prugnot (1907-1980), ingénieur recruté par les PTT, militant syndicaliste, antimilitariste. Collaborateur de la nouvelle revue lancée par Poulaille à cette même date, Maintenant, n° 1, nov. 1945 (généreusement financée par Bernard Grasset, soulignons-le, la revue connaîtra 10 numéros)  ; il sera aussi de l’éphémère Folklore vivant.

[59. ATP boîte 141. Jean Prugnot est apparemment venu lui rendre visite pour solliciter son appui dans une demande d’emploi aux ATP auprès de Georges Henri Rivière, ce qui se trouve confirmé dans la première lettre adressée par Van Gennep à Henry Poulaille, en date du 4 déc. 1945 : «  J’espère que notre ami Prugnot sera embauché par Rivière dans un musée, du moins Rivière me l’a promis.  » – lettre qui se conclut déjà par un «  Bonnes amitiés, aux vôtres aussi, de votre A. Van Gennep  ». C’est ainsi de cette rencontre et de l’enchaînement des courriers, que l’on peut dater d’octobre 1945 la naissance du projet de la revue Le Folklore vivant.

[60. Mercure de France, t. CCC, n° 1007, 1er juillet 1947 - repris dans Arnold Van Gennep, 2001, p. 219-223.

[61Dont les auteurs sont successivement : Henry Poulaille, René Saulnier, Adolphe Riff, Arnold Van Gennep, Roger Lecotté. De la «  bande à Poulaille  » y ont également contribué A.-M. de Jong avec «  Les Charivaris  », Jean Prugnot avec «  Les Fastnachtspiele de Hans Sachs [1494-1576]  », et Léon Bocquet avec «  Le comte de la Mi-Carême  ».

[62Ils étaient signés, dans l’ordre, de : l’écrivain prolétarien Paul-A Löffler, ami de Poulaille  ; A.-J. Rougier (suite)  ; Camille Gagnon  ; Arnold Van Gennep. Van Gennep donnera son article par la suite au Bulletin du Comité du folklore champenois, n° 48-51, «  À propos des trimazos de Lorraine et de Champagne  », 1948, p. 1-7 & n° 52-55, 1949, p. 1-12 (suite et fin).

[63Nous privant ainsi d’un article sur «  Les Tatouages des fesses  » qui réjouissait d’avance Van Gennep. L’auteur n’est pas précisé, mais nous penchons pour Robert Giraud, qui devait sortir en 1950, avec photos de Robert Doisneau et dessins de Jacques Delarue, les résultats de son enquête sur Les Tatouages du «  milieu  », Éditions de La Roulotte.

[64Lettre d’Arnold Van Gennep à Henry Poulaille, Bourg-la-Reine, 19 fév. 1946. Voir également, l’article de Nicolas Adell, «  Esprit(s) de folklore(s). Georges Henri, André, Arnold…et les autres au prisme de Roger Lecotté  », in Daniel Fabre & Christine Laurière (dir.), Arnold Van Gennep. Du folklore à l’ethnographie, Paris, Éditions du CTHS, 2018, pp. 261-288 (à paraître dans Bérose).

[65«  À 76 ans, je n’ai plus la capacité de travail de jadis  » (lettre de Van Gennep à l’imprimeur Floc’h, 9 oct. 1949).

[66Cf. lettre d’Auriant à Arnold Van Gennep, 11 déc. 1950, inédite (ATP boîte 141).

[67Le même dilemme se produira à propos des chansons et contes rapportés par Lucien Gachon dans L’Auvergne et le Velay (NRF, Gallimard, 1948), ouvrage curieusement patronné, soulignera Van Gennep, par le musée des Arts et Traditions populaires : compte rendu dans le Mercure de France, n° 1025, 1er janv. 1949 - repris dans Chroniques de folklore d’Arnold Van Gennep, 2001, p. 230-231. Renvoi du chat à la souris, car Lucien Gachon ne l’avait pas ménagé dans sa brève recension du tome V de Contribution au folklore des provinces de FranceLe Folklore de l’Auvergne et du Velay (G. P. Maisonneuve, 1942) : «  M. Van Gennep ouvre [avec Henri Pourrat] une polémique rétrospective – d’aucun intérêt pour le lecteur  » (Les Études rhodaniennes, vol. 18, n° 3, 1943, p. 208). Cf. aussi lettre de Arnold Van Gennep à Henry Poulaille du 27 mars 1946, inédite. Sur, donc déjà, l’ «  affaire Pourrat  », voir François Morvan, 2006, p. 9-35.

[68Ouvrage qu’il finira néanmoins par sortir, au bout de dix années de recherches, en 1957, Corneille sous le masque de Molière (Bernard Grasset éditeur).

[69Il n’est pas impossible que l’on retrouve un jour plus que les sept lettres aujourd’hui enregistrées d’Henry Poulaille, tant son écriture était légendairement difficile à déchiffrer – de quoi perturber en tout cas assurément les documentalistes. Van Gennep devait lui-même le constater : «  Vos hiéroglyphes sont moins terribles à lire qu’ils n’en ont l’air. Certaines écritures du Moyen Âge sont pires  !  » (lettre de Van Gennep à Poulaille, 2 août 1946).

[70Lettre de Henry Poulaille à Arnold Van Gennep, juin 1950 - ATP, boîte 141.

[71Nous nous permettons de renvoyer à notre présentation du premier dossier «  Cinéma  » des Cahiers Henry Poulaille (Jean-Paul Morel, 1990b).

[72Cf. Jean Rouch, Troisième bilan du film ethnographique, Paris, mars 1984.

[73Jean Epstein, L’Or des mers, donc, film et roman – Librairie Valois, collection «  Romans de la vie nouvelle  ».

[74UFOCEL Informations, n° 18, déc. 1948, p. 10.

[75Archives déposées par sa sœur, Marie Epstein (1899-1995), doyenne de la Cinémathèque.

[76Un troisième dossier de cette même période, «  Fêtes et danses des pays de France, 1950-1952  » [dossier 40-B15], est sous le seul nom de Jean Epstein.

[77Le physicien Gaspard Monge (1746-1818) compte parmi les célébrités locales de Morey-St-Denis, petit village de 600 habitants en plein vignoble bourguignon, entre Chambolle-Musigny et Gevrey-Chambertin. Montbard, autre village de Bourgogne, doit, lui, sa célébrité à Buffon (1707-1788) qui y naquit et y résida une grande partie de sa vie.

[78De Challes-les-Eaux, où son beau-père, le Dr Paul Raugé (1853-1918), s’était établi, et dont il fut directeur des établissements thermaux, et un temps, le maire.

[79Lycée Michelet de Grenoble, où, en 1892, il fut reçu au bac «  philo  » & «  sciences restreintes  ».

[80Léon Marillier (1842-1901), chargé de cours à l’École des hautes études sur les «  religions des peuples non civilisés  » et fondateur en 1880 de la Revue de l’histoire des religions.

[81Paul Sébillot (1843-1918), haut breton, natif de Matignon (Côtes-du-Nord), tôt passionné par le folklore, auteur notamment de Le Folklore de France (Paris, Guilmoto, 4 vol., 1904-1907). Réédité par Francis Lacassin, Éditions Omnibus, 2002.

[82Professeur de français à Czentochowa, en Pologne russe, de 1897 à 1901.

[83Son dossier compte «  3 ans et 1 mois de services militaires  » ainsi détaillés : «  campagne contre l’Allemagne du 6 décembre 1915 au 18 janvier 1919, en qualité d’Affecté au Service d’information du Ministère des Affaires étrangères  ».

[84Sa thèse aux Hautes Études date de 1904, intitulée Tabou et totémisme à Madagascar, étude descriptive et théorique (Paris, Ernest Leroux), dédiée «  à la mémoire de Léon Marillier  »  ; L’état actuel du problème totémique. Étude critique des théories sur les origines de la religion et de l’organisation sociale (même éditeur) est un rebond en 1920, qui lui donnera le titre de docteur ès lettres.

[85Réédité in A. Van Gennep, 1980, p. 5-58 – toutefois, sans les figures...

[86«  En 1882, Paul Sébillot fonda avec Loys Bruyère [1835-1908] et Eugène Rolland [1846-1909] le “Dîner de ma Mère l’Oye”, qui fut le premier essai pour réunir ceux qui en France s’occupaient de traditionnisme  ; c’est à l’un de ces dîners, en décembre 1885, que fut décidée la fondation de la “Société des traditions populaires”.  » (Notice du CTHS.)

[87Vise une des quatre enquêtes menées en 1935-1937 par Lucien Febvre [1878-1956], directeur de l’Encyclopédie française, assisté d’André Varagnac [1894-1983], cette première portant sur «  les usages de moisson et les feux de Saint-Jean et de Carême  ».

[88Voir Henri Gaidoz (1842-1932) qui écrivait en 1904 au sujet de l’œuvre laissée par l’«  Académie celtique  » : «  Sa linguistique [Éloi Jouanneau (1770-1851)] fait sourire  ; son archéologie est plus qu’archaïque : mais les faits de folk-lore qu’on y trouve ont d’autant plus de valeur pour nous que bien des croyances étaient vivantes et bien des pratiques en usage dont aujourd’hui le souvenir même est effacé  » («  De l’influence de l’Académie celtique sur les études de folk-lore  », Recueil du Centenaire de la Société nationale des Antiquaires de France, 1804-1904, pp. 135-143). Van Gennep dénonce le bricolage d’un Dulaure (1755-1835), et la mythomanie du groupe  ; gageons qu’il se méfiait de leur recherche d’un «  génie de la race (celte)  », qui a gagné tant les historiens que les littérateurs.

[89Joseph Bédier (1864-1938), auteur notamment de Les légendes épiques, recherches sur la formation des chansons de geste (Paris, Honoré Champion, 4 vol., 1908-1913) et de Les chansons de croisade (ibid., 1909).

[90Albert Demangeon (1872-1940), Géographie universelle, t. VI - 2e vol., Paris, Armand Colin, 1946 (posthume). Vise aussi la quatrième enquête de Lucien Febvre sur «  l’alimentation populaire (paysanne) traditionnelle  », intitulée par suite «  Essai de cartes des graisses de cuisine en France  ». Voir sous ce dernier titre l’article de J.-J. Hemardinquer, 1961 – lequel ne semble pas avoir enregistré les objections de Van Gennep ici exposées.

[91Voir Christian Faure, 1989.