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Encyclopédie internationale
des histoires de l’anthropologie

À la (re)découverte de Teton Sioux Music (1918) : métamorphoses d’une archive sonore collectée par Frances Densmore

Thomas Grillot

CNRS (UMR8244 Institut d’Histoire du Temps Présent, IHTP)

2024
Pour citer cet article

Grillot, Thomas, 2024. « À la (re)découverte de Teton Sioux Music (1918) : métamorphoses d’une archive sonore collectée par Frances Densmore », in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l'anthropologie, Paris.

URL Bérose : article3722.html

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Publié dans le cadre du thème de recherche « Circulations transnationales et usages sociaux des savoirs anthropologiques aux Amériques », dirigé par Thomas Grillot (CNRS, Paris) et Sara Le Menestrel (CNRS, Paris).

Résumé : Les enregistrements sonores de musique amérindienne réalisés par des anthropologues sont aujourd’hui pris dans des dynamiques de rapatriement très comparables à celles que connaissent les restes humains et les objets sacrés. C’est le cas des enregistrements lakota réalisés par Frances Densmore entre 1911-1914. Ce mouvement gagne à être compris dans la longue durée d’une circulation souvent ancienne du son amérindien. À la fois support d’un savoir anthropologique et témoin de pratiques culturelles et artistiques pouvant servir d’inspiration à des compositeurs indiens et non-indiens, l’enregistrement ne fige pas le son : il lui permet de devenir tout à la fois archive, produit de consommation culturelle, instrument d’une renaissance culturelle et linguistique. Ces métamorphoses sont rendues possibles par des manipulations techniques, des jugements esthétiques et intellectuels, des opérations politiques complexes. Avec elles, l’enregistrement s’émancipe de ses conditions de production tout en validant rétrospectivement l’anthropologie de sauvetage qui lui a donné naissance un siècle auparavant, mais dans un contexte bien différent.

Introduction

Comment rendre accessible aux descendants des chanteurs qui en furent partie prenante une série d’enregistrements musicaux sur cylindres de cire, réalisés il y a plus d’un siècle, par une anthropologue étasunienne ? La question peut paraître oiseuse : ne suffirait-il pas de renvoyer tels quels ces cylindres à la tribu dans laquelle ils ont été gravés ? Des objections s’élèvent aussitôt car plusieurs conditions doivent être réunies. Il faudrait être sûr que les conditions de conservation soient assurées, qu’il existe une base institutionnelle, juridique et financière saine permettant de faire vivre un centre d’archive ou un musée où entreposer et rendre accessibles les cylindres – car on n’imagine pas disperser ce que l’on s’est accoutumé à penser comme un héritage précieux, un trésor pour les siècles à venir, fragile qui plus est. Il faudrait aussi que les principaux intéressés – descendants, chanteurs, membres de la tribu – aient les moyens d’utiliser ces cylindres fragilisés par le passage du temps alors que l’équipement technique adéquat manque pour les écouter et les diffuser. Soit, pourra-t-on les répliquer ? Où ne suffirait-il pas de copier ces enregistrements sur de nouveaux supports, de les diffuser selon l’un ou l’autre des modes dominants de distribution de la musique, et de laisser les auditeurs libres de faire de cette musique ce que bon leur semble ?

Cette mise en scène d’un dialogue inspiré par un bon sens interloqué, par le sentiment d’évidence, a une histoire. Elle peut peut-être être retracée à grands traits en suivant la trajectoire particulière d’un ensemble d’enregistrements de musique dakota et lakota effectués entre 1911 et 1914 [1]. Nous les devons à Frances Densmore (1867-1957), une ethnomusicologue du Minnesota que sa prodigieuse activité de collecte de musique amérindienne a conduite d’un bout à l’autre des États-Unis pendant près de cinquante ans d’une carrière commencée en 1907 au service du Bureau of American Ethnology (Bureau d’ethnologie américaine). Teton Sioux Music, la somme sur la musique dakota/lakota qu’elle a écrite grâce à ces enregistrements, paraît en 1918. Le livre est riche de 240 chants, dont la grande majorité lui a été transmise par trente-cinq chanteurs de la réserve de Standing Rock. Un siècle plus tard, en 2022, un site internet [2] est créé qui propose les enregistrements vidéo, par des musiciens de cette même réserve, de 74 réinterprétations contemporaines des morceaux originaux, ainsi qu’une sélection de ces derniers. Des manipulations techniques de tout ordre ont été nécessaires pour rendre possible cette mise en ligne. Elles représentent bien plus qu’une actualisation ou une accessibilité facilitée. Les concepteurs du projet eux-mêmes les décrivent comme un rapatriement, reprenant à leur compte le vocable à l’honneur depuis les mobilisations des années 1970 en faveur du retour et de la réinhumation de restes humains amérindiens appropriés par des musées.

Mais les problèmes indissolublement techniques et moraux liés aux enregistrements ont une histoire plus ancienne, faite de circulations, de mouvements dans et hors de l’archive, qui se déroulent dans des configurations sociales changeantes. Reconstituer cette histoire impose de retracer la chaîne de transformations opérées sur ces enregistrements depuis plus d’un siècle. À chaque stade de l’histoire, des acteurs nouveaux surgissent dans ce qui était, à l’origine et apparemment, une relation impliquant seulement des chanteurs et une anthropologue. La circulation des enregistrements de Teton Sioux Music accompagne et stimule l’expansion, au XXe siècle, d’une économie patrimoniale de la culture dans laquelle les traces du passé, transformées en archives censées permettre un épanouissement national ou une renaissance culturelle, doivent circuler, selon un contrat moral changeant qui lie tour à tour et parfois concurremment les participants initiaux des enregistrements, leurs héritiers, descendants ou successeurs, les institutions qui le financent ou sont pressenties pour en bénéficier, et enfin leurs publics.

Le projet de transformation des enregistrements en archives puis celui de les renvoyer aux descendants des chanteurs enregistrés ne sont compréhensibles que replacés dans le cadre de plusieurs évolutions à la fois distinctes et liées, qui en multiplient les acteurs : les évolutions de l’archivage des savoirs captés par l’anthropologie et que je définis comme « anthropologisés » ; celles que connaissent les instruments de captation et de restitution du son ; et celles qui touchent aux normes gouvernant le mode de mise à disposition, les modalités d’usage, la forme et finalement la destination de matériaux (les cylindres, les enregistrements qu’ils portent) qui n’avaient pas nécessairement été pensés pour durer. La tension entre groupes sociaux et professionnels, entre les archives et ceux qui veulent y accéder, est sans doute moins importante dans cette histoire que les liens complexes qui se sont tissés entre conservation et usage de l’archive, dans des rapports qui sont loin de se résumer à la métaphore un peu rapide du prisonnier (le son archivé) et de sa libération (le son remis en circulation), et qui ont, plus largement, modifié la place même de la musique dans les sociétés amérindiennes.

Enregistrer : contrat moral et production de savoir sonore anthropologisé

Avant de décrire les spécificités du travail ayant conduit à la publication de Teton Sioux Music en 1918, il importe de souligner l’ancienneté de la circulation de musiques issues des peuples autochtones d’Amérique du Nord. Des morceaux ont circulé de ce continent vers l’Europe, avec ou sans les musiciens, dès le XVIe siècle. Les premières transcriptions de chants indiens datent de 1606-1607 (Levine 2002 : xxi). Rapidement après l’arrivée européenne aux Amériques, les trajets d’un musicien, d’un instrument, du récit d’une séance musicale, de transcriptions ou de partitions ont donc produit des formes d’écoute et de savoir différentes sur les pratiques musicales autochtones. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la performance reste le cadre privilégié de ces circulations. Pour divertir et intéresser, la musique est prise dans des dispositifs de monstration qui impliquent mise en scène, sélection de morceaux, adaptation à l’acoustique, à la durée impartie, aux attentes du public. L’enregistrement sur phonographe n’apparaît dans diverses collectes anthropologiques individuelles qu’à l’orée des années 1890. S’il peut conserver un lien à la performance, qui en est parfois l’occasion, il devient surtout l’instrument d’une montée en scientificité du questionnaire ethnologique, psychologique et musicologique formulé pour rendre compte de la différence amérindienne. Pour les savants américains et européens, particulièrement allemands, qui le promeuvent (Kalinowski 2023), ce nouveau mode de savoir musical, et la matérialité de la musique enregistrée, détachée des musiciens et prise dans des dispositifs techniques, crée la possibilité d’une étude plus intensive de musiques désormais archivables, sous les espèces de l’individualité et de l’histoire. Stockée, la musique peut se voir adjoindre une traîne de papier : récits d’enregistrement, fiches d’identité, instructions pour l’entretien, la conservation et l’utilisation du matériel nécessaire à l’écoute. Elle peut également être complétée par une histoire orale transmise (ou non) entre professionnels de l’anthropologie ou de l’enregistrement, histoire qui complète ou corrige ce corpus.

À la fin du XIXe siècle ce nouveau dispositif et cette nouvelle matérialité du savoir anthropologique sur la musique rencontrent en Amérique du Nord un monde amérindien bouleversé par l’assujettissement et les politiques de « civilisation » qui les accompagnent. Lorsque Frances Densmore se rend dans la réserve de Standing Rock, aujourd’hui à cheval sur les États du Dakota du Nord et du Sud, ces politiques sont en place depuis plus de quarante ans. Densmore entre dans un terrain marqué par la colonisation, qui est aussi un terrain ouvert aux circulations technologiques. Dans son livre, Densmore décrit elle-même la situation dans laquelle elle trouve les chanteurs amérindiens des Plaines du Nord. Ils ne sont ni isolés ni ignorants des technologies d’enregistrement et de restitution du son. Au contraire, les Lakota comme leurs anciens ennemis Ojibwa, par lesquels elle avait commencé son enquête musicologique, comptent de nombreux producteurs de musique qui enregistrent sur cylindres, vendent, écoutent leurs chants et ceux de leurs voisins à l’aide de leurs propres phonographes (Densmore 1918 : 22) :

Parmi les jeunes générations, un grand nombre de Chippewa [Ojibwa] et de Sioux prennent beaucoup de plaisir à enregistrer des chants aux moyens de leurs propres phonographes. L’autrice a appris qu’à Standing Rock, « un Indien qui possède un phonographe possède aussi au minimum une centaine d’enregistrements de chants indiens que lui ou ses amis ont produits. Ils les préfèrent de loin aux enregistrements commerciaux. Certains en produisent même pour les vendre dans la réserve » [3].

Les séances d’enregistrement que Densmore organise à Standing Rock n’interviennent donc pas en situation de « contact » technologique mais d’acculturation autonome à ce qui est d’abord un bien de consommation, le phonographe, particulièrement bien intégré dans les relations sociales des jeunes générations. L’anthropologue n’introduit donc pas une technologie. En revanche, elle négocie une manière de transformer celle-ci en instrument de savoir. Entrer dans le détail de ces négociations revient à mettre en évidence la diversité des motivations de Densmore et de ses collaborateurs, et donc les points de vue très différents qui président à cette transformation.

Densmore commence par faire un choix dans le vaste ensemble des chanteurs de la réserve. Son premier geste est d’obtenir la collaboration d’un petit groupe d’hommes âgés, noyau du groupe plus large des collaborateurs dont les chants seront enregistrés ; cette sélection passant aussi par la mobilisation d’un collaborateur, à la fois recruteur, interprète et secrétaire, Robert High Eagle (c. 1873-1938), ancien élève de la Carlisle Indian Industrial School, un pensionnat en Pennsylvanie (Densmore 1918 :87-98 ; Patterson 2015 :72-77). L’approche poursuivie relève d’une « ethnographie de sauvetage » (Gruber 1970), c’est-à-dire qu’elle est motivée par un sentiment d’urgence, par une focalisation sur l’ancien et le pur, et une perception ambivalente de l’influence blanche américaine comme à la fois souhaitable et destructrice. Il s’agit pour Densmore d’analyser une manière de chanter qui n’ait pas été influencée par l’enseignement de la musique donné dans les écoles du Bureau of Indian Affairs (Bureau des affaires indiennes), manière qui constituerait une variation lakota sur des traditions propres aux indigènes du continent nord-américain (Patterson 2015 : 231-232).

Les chanteurs qui acceptent de travailler avec elle ont manifestement une compréhension différente de la situation, et imposent leurs conditions sur tous les échanges qui précèdent ou suivent le passage dans le studio d’enregistrement improvisé par Densmore. S’il s’agit bien pour eux de transmettre un savoir, ils ne font pas mystère du fait que celui-ci n’est pas ou presque plus vivant, et qu’ils ne procéderont à sa résurrection temporaire que pour satisfaire l’anthropologue (Densmore 1918 : 92). C’est le point qui fait débat (et non la question de la rétribution financière, au demeurant assez faible) : faut-il vraiment parler en public de pratiques auxquelles on a officiellement renoncé, particulièrement de pratiques sacrées, comme la danse du Soleil, rituel annuel interdit par les autorités américaines depuis 1883 ? Pour les chanteurs contactés par Densmore, la question n’est pas académique : certes l’« ancienne religion » paraît à beaucoup affaiblie voire déjà disparue ; mais d’une part les forces surnaturelles peuvent encore manifester leur puissance en se vengeant sur ceux qui les évoquent par simple curiosité ; et d’autre part, il n’est pas certain que la performance n’aille pas à l’encontre de l’enseignement des Églises chrétiennes auxquelles les uns et les autres sont convertis. Tous les chants liés à l’acquisition de pouvoirs (c’est justement le travail de Densmore qui établit fermement ce rapport entre quête personnelle de pouvoirs surnaturels et chant) ont un statut incertain depuis que le christianisme est devenu dominant.

Un accord est trouvé entre chanteurs qui permet d’interpréter ces chants pour Densmore et de la laisser les enregistrer sur cylindres. Mais il ne porte pas tant sur le principe de les conserver pour l’avenir que sur un protocole permettant de contrôler les risques encourus dans le présent par leur divulgation :

Quand nous avons appris que vous étiez à la recherche d’informations sur la danse du Soleil, nous nous sommes réunis chez nous pour en discuter. Certains d’entre nous hésitaient. Même si nous avons renoncé à nos anciennes coutumes, en parler, c’est toujours pour nous quelque chose de sacré. Voilà nos conditions pour parler de la danse du Soleil : nous devons être au moins douze, en signe de respect pour ce qui sera dit ; et il ne faut pas laisser les jeunes venir par simple curiosité. En prévision de notre rencontre avec vous, nous avons passé en revue tout ce que nous savons sur la danse du Soleil et demandé à Wakaŋ’taŋka de nous aider à en parler sans erreurs. Nous avons prié pour avoir du beau temps, afin que tous ceux qui devaient être là puissent venir-et voyez : le tonnerre n’a pas grondé une seule fois de toute la semaine, tous les jours le ciel est resté bleu, toutes les nuits la lune a brillé. Wakaŋ’taŋka a entendu nos prières (Densmore 1918 : 92).

Avant même que des chants puissent être enregistrés, la présence minimale de douze participants expérimentés est requise, pour permettre le contrôle collectif des informations transmises (Densmore 1918 : 87, 92-93). Ces informations sont exclusivement réservées à l’anthropologue. Sont par principe exclus les « jeunes », c’est-à-dire de tous ceux qui sont nés trop tard pour avoir participé ou assisté à la danse du Soleil, à l’exception de l’interprète Robert High Eagle. L’accord s’appuie d’autre part sur l’interprétation de signes, et peut être remis en cause quand ceux-ci se modifient : si le Soleil est de la partie, c’est donc que la nature veut la réunion (Densmore 1918 : 92) ; en revanche, si on tombe malade, c’est qu’il ne fallait pas « vendre » un chant ; certains objets donnés à l’anthropologue en même temps que les chants sont donc réclamés (et rendus) pour éviter des conséquences néfastes et maintenir une relation de confiance respectueuse (Densmore 1918 : 92, 211 ; Patterson 2015 : 89-90). Autre point important : si l’anthropologue mobilise le patrimoine commun des Lakota, notamment des chants appris de maîtres cérémoniels et connus de plusieurs habitants de la réserve, elle sollicite également un ensemble de patrimoines chantés personnels, acquis en rêve, improvisés sur le champ de bataille ou au retour du combat – des compositions, donc, qui sont associées naturellement à des récits autobiographiques contés par les chanteurs.

En raison de cette propension au récit de soi et de la diligence de Densmore à noter et inclure ces explications, Teton Sioux Music est à la fois un catalogue de genres musicaux et un patchwork de biographies individuelles. Cela ne veut pas dire que les participants à sa collecte ne se posent pas la question de la conservation de leurs chants, mais qu’ils le font pour répondre à des besoins personnels, parmi lesquels priment la réputation et le statut de chacun. Un des chanteurs que Densmore enregistre fait ainsi d’elle sa fille adoptive et s’assure en même temps que le chant qu’il compose pour l’occasion soit copié sur deux cylindres. Il voudrait voir ceux-ci conservés dans des localités éloignées l’une de l’autre, pour qu’un des deux au moins survive à un éventuel accident (Densmore 1918 : 22). Ce chanteur, Red Fox, n’évoque ces principes de préservation sûrs que parce qu’ils contribueront à cimenter la relation qu’il a tissée avec l’anthropologue (plus tard, il tentera d’en faire une de ses légataires [4]). Il n’y a donc, concernant les opérations d’enregistrement et leur rapport aux besoins des générations futures, ni accord collectif total, ni compréhension univoque de ce qui se joue. La collection ethnomusicologique qui en résulte est le produit d’une convergence à géométrie variable entre participants, plutôt que d’un projet dont, dès le départ, le but serait de constituer une archive. Densmore, elle-même, fait preuve d’une grande diplomatie en concluant avec un groupe et avec des individus des accords dynamiques, orientés vers une idée de conservation mais non strictement assujettis à cet objectif.

En revanche, Densmore impose des conditions d’enregistrement strictement ethnomusicologiques. N’est enregistré que ce qui répond à des exigences précises d’authenticité et d’ancienneté, mais aussi d’audibilité. Ce que Teton Sioux Music met en avant et préserve pour l’avenir n’est pas l’ensemble du processus de création ou de performance mais avant tout une transcription mélodique accompagnée de paroles en langue dakota/lakota, paroles du chant et explications données par les chanteurs. Densmore adopte pour cela un style de production caractérisé par la création de silence, supprimant les manifestations collectives qui accompagnent la performance d’un chant, que les producteurs locaux intègrent, eux, à leurs enregistrements. Elle supprime également l’accompagnement au tambour, remplacé par une simple boîte en bois sur lequel le chanteur bat la mesure avec un bâton. Ce travail en conditions de studio isolant un son raréfié doit permettre, au-delà de la transcription sur portée, l’analyse de la hauteur du son, du rythme, du rapport entre mélodie et paroles (Densmore 1918 : 22 ; Troutman 2009 : 203). Ces enregistrements sont la trace de la production d’un son ethnomusicologique et non une capsule temporelle ; ils sont un échafaudage pour la construction de l’analyse et, in fine, du livre. Ils ne sont d’ailleurs pas transmis au commanditaire de l’étude, le Bureau d’ethnologie américaine (Bureau of American Ethnology, BAE), mais conservés dans la maison de Densmore. Le produit du travail est d’abord un livre, et, à l’intérieur de celui-ci, une analyse des styles musicaux mise en schémas et en tableaux. La transmission imaginée est d’abord et avant tout affaire de diffusion de cet objet scientifique dans un milieu de spécialistes et de savants : une monographie publiée, rapidement d’ailleurs, par les presses du BAE, et qui doit se suffire à elle-même (Patterson 2015 : 55). Sa circulation va dépendre de sa réception.

Archive sonore et passage par le livre

Pour Teton Sioux Music, Densmore produit un texte dense (Katz 2001 : 466). Les données linguistiques, la possibilité de situer les chanteurs, la variété des chants abordés et la présence parmi eux de morceaux empreints de sacralité, en somme l’abondance de détails et l’ambition d’exhaustivité, portent en germe la promesse d’autres exploitations du matériau que celles voulues par l’ethnologue. Cette potentialité proprement ethnographique du texte n’est cependant pas perçue lors de sa publication. Ce ne sont pas seulement les modalités de la transcription des mélodies teton/lakota à partir d’enregistrements qui font l’objet de critiques, notamment de la part de Franz Boas (1925) et de sa protégée, l’ethnomusicologue Helen Roberts (1919). La richesse même du texte est mise en question par Alfred Kroeber pour qui :

cette masse plutôt hétérogène de matériel est présentée sans solution de continuité, ce qui ne satisfera probablement ni le musicologue ni l’ethnologue. Musicalement, on ne gagne rien et même en général on perd à intercaler entre deux chants et l’analyse qu’on en propose la description d’une cérémonie ou une biographie. Le lecteur intéressé par la religion sioux éprouvera le même sentiment à l’égard des chants dispersés dans le texte (Kroeber 1918 : 448).

Bien que la qualité globale du travail soit reconnue, il faut attendre les années 1950 pour que la possibilité d’une lecture non musicologique du texte conduise à relire l’ethnographie de cérémonies présente dans l’ouvrage (Hurt &Howard 1952). Entre-temps, Densmore elle-même a entrepris de faire connaître son travail par un autre canal : celui des amateurs de musique et de textes amérindiens. Ce sont eux qui vont encourager la transformation du matériel accumulé (dont les cylindres) en une archive.

Densmore connaît bien ce public. Venue à l’ethnomusicologie à la suite de la brillante Alice C. Fletcher, qui publie en 1893 A Study of Omaha Indian Music, le premier ouvrage marquant de la discipline aux États-Unis, Densmore hérite aussi de celle qui pour elle fait figure de modèle, la conviction que le son indien peut et doit servir à la création d’une musique américaine, ni simple prolongement de la musique européenne, ni seule musique populaire des colons, et que le travail ethnomusicologique doit jouer un rôle essentiel dans ce processus. Ses premiers pas hors du conservatoire où Densmore a étudié le piano, l’orgue et l’harmonie, sont des conférences sur le travail de Fletcher, qu’elle illustre d’abord au piano par des mélodies du compositeur John Fillmore inspirées par les chants omaha (Patterson 2015 : 31-32). Le piano, il faut le souligner, est à la fois la spécialité de Densmore, un outil de discrimination servant à isoler les mélodies qu’elle veut identifier dans les chants indiens, et le médium servant à leur recréation dans un langage musical romantique censé correspondre au caractère national américain. Il est finalement l’instrument privilégié de mise en circulation des chants teton. Si elle l’utilise dans ses voyages d’étude en pays indien où le piano est bien présent, associé surtout aux écoles et aux églises, il doit servir ensuite, en tant qu’instrument de concert, à diffuser sa vision de la musique indienne dans le reste du territoire américain, y compris dans des arrangements de la main de compositeurs euroaméricains. Une poignée de chants teton collectés par Densmore sont ainsi mis en musique pour le piano dans les années 1920 par le compositeur Blair Fairchild, élève à Paris de Nadia Boulanger (Fairchild 1927).

Mais c’est bien le livre qui diffuse le plus largement les chants sioux. Écrivains et musiciens sont très tôt perçus comme des lecteurs potentiels des transcriptions musicales ou des paroles des chants amérindiens, particulièrement à travers des anthologies [5]. Dans le même temps, les chants amérindiens sont tirés du côté de la littérature. Déjà présente dans les années 1890, au moment où Fletcher et d’autres lancent l’ethnomusicologie, la tendance ne fait que s’accentuer au cours de la première moitié du XXe siècle et finit, dans les années qui suivent la seconde guerre mondiale, par toucher le travail de Densmore. Redéployés dans des anthologies sous les rubriques de la prière ou de l’invocation, de la vision, de l’acte religieux ou de l’autobiographie, les chants teton sont élevés au rang de modèles pour une littérature américaine spirituelle, moderniste, ou « ethnopoétique », sans d’ailleurs que leurs interprètes soient d’ailleurs systématiquement mentionnés (Astrov 1946 : 120-122 ; Rexroth 1956 : 199, Rothenberg 1972 : 286).

Densmore elle-même contribue à cette littérarisation en abordant les chants indiens comme poésie ou littérature non écrite (Densmore 1926, 1950). Avant même Teton Sioux Music, elle publie un petit opuscule présentant les textes des chants qu’elle a transcrits comme de la poésie (Densmore 1917). Elle exploite également le fait que, dans les années 1910, au moment même où elle commence son travail en pays sioux, un autre public a été trouvé pour les chants indiens : les enfants. Le travail de Fletcher est, là encore, pionnier puisque celle-ci publie une version abrégée de son magnum opus, qui propage chants et mélodies au-delà du cercle des lecteurs d’anthropologie (Fletcher 1900). Ils sont publiés dans divers manuels scouts et intégrés à des rituels qui se veulent inspirés par les danses indiennes. Densmore emprunte ces canaux en rédigeant elle-même un manuel à destination du public des écoles inspiré de son travail avec les Ojibway (Densmore 1921). Si la collecte en pays sioux ne fait pas l’objet d’un effort de diffusion aussi direct, les chants collectés par Densmore à Standing Rock sont bien republiés, de manière sélective, par les adeptes du mouvement scout (Buttree 1930 : 102-105, 109, 169).

Le matériel collecté par Densmore entre 1911 et 1914 voyage donc presque immédiatement après son départ du terrain, avant tout sous forme écrite : livres, livrets, partitions. Les chants ont peut-être même, de cette manière, circulé en pays indien, voire dans leur territoire d’origine. L’inclusion de Teton Sioux Music dans des bibliographies publiées sous l’égide du Bureau des affaires indiennes ne dit rien de leur usage effectif dans les classes des écoles de Standing Rock, mais celui-ci n’est pas impossible [6]. Ce qui importe surtout ici, c’est que le lien qui nous paraît aujourd’hui évident entre diffusion de sons, enregistrements et archives ne l’est pas encore : il existe d’autres canaux de diffusion qui fonctionnent sans reproduction sonore directe mais aussi sans archive. Il faut aller plus loin : il y a diffusion sans archive, et l’archive est un produit de cette diffusion, et non pas sa condition.

L’archivage de la collection d’enregistrements de Densmore n’intervient en effet que tardivement dans la carrière de celle-ci, et pour la clore symboliquement. Dernier projet, mais aussi ultime effort pour défendre un travail mené hors des institutions académiques, la transformation des cylindres de cire en archive sonore est d’abord un processus de rattachement à une institution. En 1938, le Bureau d’ethnologie américaine qui a financé l’essentiel des expéditions de Densmore n’existe plus. L’anthropologue confie alors aux National Archives (Archives nationales) les milliers d’enregistrements sur cylindres qu’elle a effectués à travers tous les États-Unis. C’est finalement la Library of Congress (Bibliothèque du Congrès) qui en hérite. En 1928, cette dernière a fondé une Archive of American Folk Song (Archives de la musique populaire américaine, AAFS) (Moreddu 2018 : 304-311), et la donation Densmore s’y insère comme un fonds d’archives musicales amérindiennes, élément d’une archive publique consacrée à la promotion d’une identité musicale nationale, somme de musiques régionales et ethnicisées. Densmore entend en superviser elle-même la consolidation. Elle souhaite également copier les cylindres sur des matrices de disques, pour assurer leur pérennisation et permettre la diffusion de morceaux à la demande. Elle mobilise pour ce faire Eleanor Steele et Hall Clovis, un couple de musiciens américains fortunés qu’elle a su sensibiliser à sa cause et qui financent entièrement le projet (Patterson 2015 : 206). Un financement de la fondation Carnegie permet de monter un « laboratoire d’enregistrement » grâce auquel l’AAFS entend diffuser sous forme de disques les documents sonores en sa possession.

À distance, Densmore s’efforce de contrôler le transfert de son matériel sioux dans ce nouveau format. Elle sélectionne les chants à publier en fonction de leur qualité sonore, souhaitant que les disques prouvent la justesse de son écoute, de l’adéquation de sa transcription et de ses techniques d’enregistrement. Retardé par la seconde guerre mondiale, le processus ne commence à aboutir qu’en 1950. Songs of the Sioux, publié en 1951, est le deuxième disque produit (Patterson 2015 : 206-209, 213-214, 223, 228-229). Densmore s’est efforcée de défendre son approche ascétique, insistant, entre autres, auprès des producteurs pour que soient supprimés des bruits parasites comme un éternuement. Sa position sur la question de la diffusion n’a pas changé. Elle promeut la publication à l’intention des compositeurs de musique contemporaine et des organisateurs de récitals, mais n’hésite pas à imaginer des diffusions radiophoniques ou télévisuelles (Patterson 2015 : 229). Elle insiste également sur la valeur patrimoniale d’enregistrements fixant des manières de chanter tombées en désuétude et censément plus « vraies » que les modes plus récentes, et susceptibles d’être relancées grâce à ses enregistrements. Elle envoie donc des disques à des descendants des chanteurs qu’elle a fréquentés dans l’espoir de revitaliser ces anciens styles et conçoit le projet de mettre en valeur la survie de chants anciens et leur préservation par des chanteurs contemporains (Patterson 2015 : 231-232).

Le désir d’archives : un désir d’institutions ?

La transcription sur disques, deuxième transformation subie par les enregistrements après leur transcription sur papier, inscrit donc les chants dakota/lakota collectés dans un nouveau circuit, du vivant même de Densmore. La collaboration difficile avec les sponsors et institutions patrimoniales transforme les cylindres accumulés en archives mais aussi, indissolublement, en matériaux susceptibles d’être diffusés. Une attente de diffusion peut naître. Elle n’est pas le fait des seuls musiciens lakota et de leurs descendants ou successeurs qui auraient « naturellement » désiré retrouver « leurs » enregistrements. C’est la diffusion du livre d’abord, du disque ensuite, et les connotations patrimoniales qui y sont associées, qui la fondent. C’est plus largement un besoin d’archives, construit et théorisé en plusieurs secteurs du monde amérindien.

On peut en effet rattacher le problème de la diffusion des enregistrements de Densmore au problème plus vaste de la constitution de collections archivistiques par regroupement de documents non publiés, oubliés, ou délaissés par les disciplines académiques. Ce problème fait surface dans les années 1940, avec la création de l’Indian Claims Commission (Commission des revendications indiennes), qui encourage les juristes américains à recourir aux archives pour trancher des litiges portant sur les territoires amérindiens. La discipline de l’ethnohistoire naît de cette demande, se construit en relisant une documentation négligée et en ouvrant des centres d’archives, comme la Ohio Valley Ethnohistory Collection de l’université d’Indiana, assemblée sous la direction d’Erminie Wheeler-Voegelin (Tanner 1991 : 65-68). Les enregistrements musicaux ont à l’origine peu à voir avec cette passerelle reliant mondes académique et judiciaire, dont l’enjeu principal est la propriété de la terre. Mais l’interaction entre juristes et anthropologues est décisive dans la naissance d’une prise de conscience des gouvernements tribaux indiens : l’affirmation de leurs prérogatives, théoriquement renforcées depuis les années du New Deal [7], doit s’appuyer sur la constitution d’archives. L’enregistrement sur bandes magnétiques est employé pour faciliter la transcription verbatim de réunions des conseils tribaux, ou de négociations avec les autorités fédérales ; les bandes sont ensuite versées dans des archives tribales. Bientôt s’y ajoutent les enregistrements d’événements publics comme les pow-wows (festivals de danses traditionnels), les foires et rodéos, les cérémonies à caractère officiel.

À la fin des années 1960, ces archives sonores commencent à être gérées par une nouvelle institution : le college [8] tribal présent dans un nombre croissant de réserves, avec sa bibliothèque. Les professionnels qui s’y rattachent, bibliothécaires, enseignants et consultants en langues amérindiennes ou en American Indian Studies demandent en même temps l’accès aux collections muséales et universitaires situées hors des réserves, et cherchent à se former à leur usage. Après la publication des « chants sioux » dans la collection « Folk Music of The United States » puis la mort de Densmore en 1957, les enregistrements de sa collection sont pendant dix à quinze ans un sujet interne à l’institution conservatrice, appréhendé en termes de problèmes technique et budgétaire pour l’entretien des cylindres et l’utilisation des disques. Mais les visites d’Amérindiens à la recherche d’archives se multiplient dans la capitale fédérale ; l’idée selon laquelle les Amérindiens sont « captifs de l’archive » coloniale, dépossédés d’eux-mêmes par les collectes administratives et anthropologiques, est thématisée et commence à se répandre, tout comme celle qu’existerait un « droit de savoir » dont la jouissance leur serait refusée (Hagan 1978 ; Deloria 1978).

Dans ce contexte d’effervescence autour des archives, les fonds sonores comme la collection Densmore deviennent un problème de relations publiques pour les institutions sommées de faire droit aux demandes d’accès des visiteurs autochtones. Le besoin d’accès qui se fait sentir est aussi l’occasion pour ces institutions de développer une meilleure connaissance de leurs fonds, de les rassembler, d’améliorer leur catalogage et de trouver des subsides pour le faire – de consolider, donc, l’archive, à un moment où ses catalogues s’informatisent (Parry 2007 : 38). Les réponses de la Smithsonian Institution et la Bibliothèque du Congrès, auxquelles est lié le fonds Densmore, sont variées : constitution des Archives anthropologiques de la Smithsonian en 1968 (Ruwell 1995) ; valorisation des traditions amérindiennes comme patrimoine folklorique à travers le festival de la vie folklorique par la Bibliothèque du Congrès en 1970 (Walker 2011) ; programme de formation de spécialistes amérindiens en ressources culturelles proposé par la Smithsonian à partir de 1973 (Message 2013 :127-145) ; développement d’un projet de musée national de l’Amérindien ; regain de faveur du travail de Densmore dans les mondes académique et tribal, et qui finit par atteindre la Bibliothèque du Congrès. C’est Nancy Lurie, pilier du milieu ethnohistorien, qui, dès 1966, réévalue l’héritage en installant Densmore dans un panthéon des pionnières de l’anthropologie américaine (Lurie 1966). Son essai est suivi de près par une monographie consacrée à Densmore par son unique disciple (Hofmann 1968). En 1972, Teton Sioux Music est republié avec treize autres volumes de Densmore par DaCapo, une maison d’édition spécialisée dans les publications musicales (Howes 1973). Le livre entre alors dans la bibliographie des American Indian Studies (Black Bear & Theisz 1976). En 1975, l’ethnomusicologue Thomas Vennum Jr. consacre sa thèse au travail de Densmore chez les Ojibwa (Patterson 2015 : 246). Il devient, quelques années plus tard, un des principaux maîtres d’œuvre du Federal Cylinder Project (FCP), projet émanant de l’American Folklife Center (AFC), créé en 1976 à la Bibliothèque du Congrès pour gérer le fonds hérité de l’Archive of American Folk Song, en sommeil depuis les années 1950 faute de financement (Jabbour 1996a). Le Federal Cylinder Project débute en 1979. Il a pour but de rendre systématiquement disponible l’ensemble de la collection d’enregistrements sur cylindre de cire de la Bibliothèque du Congrès (la plupart d’origine amérindienne) en en transférant le contenu sur cassettes. Les collections d’autres institutions (Archives nationales, Parcs nationaux, Smithsonian) sont également incluses dans le projet (FCP 1984 : viii). Il est financé par les efforts conjugués du Bureau of Indian Affairs, de la Bibliothèque du Congrès, de la Smithsonian et du National Endowment for the Arts/Humanities (Fonds national pour les arts et les humanités, NEA/NEH), créé en 1965. Le fonds Densmore fait partie des premiers visés. Dès 1979, un chant sioux capté par l’anthropologue est inclus dans une anthologie sous le patronage de la Bibliothèque du Congrès (Bierhorst 1979). Et dès 1981, l’ensemble de la collection teton est transféré sur cassette [9]. Voilà donc le fonds disponible, en théorie, en partie ou dans son entier, dès le début de la décennie 1980, soit quarante ans avant que n’émerge l’idée d’un rapatriement.

En théorie seulement, car la diffusion effective est une affaire coûteuse. Les ethnomusicologues du Federal Cylinder Project se sont donnés à eux-mêmes un contrat moral : « disséminer » (le terme choisi) les enregistrements en faisant connaître leur travail de transfert, et en organisant, dans un petit nombre de lieux choisis, de véritables visites d’ambassade au cours desquelles les cassettes sont remises aux gouvernements tribaux des réserves dont ils sont issus (Jabbour 1996b : 6). Dans certains cas encore plus rares, des anthropologues comme Nancy Lurie prennent directement contact avec des artistes amérindiens pour leur faire écouter les cassettes et produire des réinterprétations des chants [10]. Hors de ces cas privilégiés, les membres de l’équipe du Federal Cylinder Project sont bien conscients de la possibilité que le transfert ne rencontre que l’indifférence, que les cassettes, même transmises aux tribus, ne fassent que passer d’une d’étagère à une autre et se perdent. Les cérémonies sont coûteuses en temps et en argent (on sollicite pour cela la fondation Ford [11]). Elles ne sont pas organisées partout. Mais peu importe : malgré le rôle des relations interpersonnelles dans ces moments très symboliques, la remise en circulation des chants Densmore dans un format nouveau sert avant tout – quand elle a lieu – à valider des relations d’institution à institution ainsi que le travail du Federal Cylinder Project lui-même. Une conséquence de ce choix est l’importance d’acteurs-promoteurs locaux pour organiser le « retour » des enregistrements dans les réserves. Celui qui joue ce rôle à Standing Rock s’appelle Kevin Locke.

Écoute autochtone et re-production de l’archive

La carrière du principal diffuseur des enregistrements Densmore à Standing Rock signale à la fois le caractère personnel du travail de diffusion et l’élaboration collective d’un projet de « retour » dans « leur » réserve. C’est apparemment à ses frais et pour son compte que Kevin Locke acquiert dans la décennie 1980 (1982 selon Tuttle 2002 : 527, 536-538) le jeu complet de cassettes des enregistrements Densmore à la Bibliothèque du Congrès. Locke est né en 1954 à Los Angeles, de parents d’origine lakota, ojibwa, et euroaméricaine. Il s’établit à Standing Rock à l’adolescence et y commence son apprentissage du lakota et de la musique auprès de parents et d’anciens. Il se forme auprès de plusieurs musiciens sur différentes réserves, mais trouve aussi en partie son inspiration dans l’écoute de disques publiés par la Bibliothèque du Congrès (vraisemblablement les enregistrements ethnomusicologiques de Willard Rhodes en pays lakota de la Bibliothèque du Congrès, ainsi que les disques des labels American Indian Soundchief et Canyon Records ; Rhodes 1954) (Chrysler 2020 ; Tuttle 2001 : 103). Il fréquente l’Institute of American Indian Arts de Santa Fe, obtient en 1976 un bachelor en éducation à l’université du Dakota du Nord, puis en 1977 un master à l’université du Dakota du Sud ; il commence un doctorat en administration de l’éducation mais ne l’achève pas [12]. Passé par l’enseignement supérieur, Locke ne mobilise pas directement dans la carrière qu’il se choisit une formation qui le destine au monde de l’enseignement : à la fin des années 1970, il entreprend de monter sur scène afin d’y promouvoir la pratique de la flûte dite amérindienne selon une approche proprement lakota. Il sort un premier disque en 1982 (Love Songs of the Lakota) et se fait également connaître pour ses danses avec cerceaux. Cette carrière de performeur étiqueté « amérindien » s’accompagne immédiatement d’un rôle d’interprète culturel dédié à la promotion de la compréhension « interraciale ». Sa conversion à la foi baha’i pèse beaucoup dans cette orientation, sensible également dans ses efforts pour promouvoir à Standing Rock un renouveau de la danse du Soleil qui en fasse une danse de réconciliation entre membres de la tribu. Initié dans la réserve de Pine Ridge, ce mouvement de revitalisation d’une cérémonie interdite jusque dans les années 1930, tolérée ensuite jusqu’à l’émancipation légale (American Indian Religious Freedom Act, 1978), est associé au même travail de recherche que celui entrepris à propos de la flûte amérindienne [13]. Il s’accompagne également de captations de cérémonies par des musiciens, qui viennent enrichir leurs collections privées et circulent entre eux pour le plaisir ou l’apprentissage.

Le premier trait qui se dégage de cet itinéraire vers le rôle de promoteur du fonds Densmore, est l’orientation de Locke vers l’éducation, malgré son renoncement au métier d’enseignant. Il est attaché à plusieurs reprises au college de Standing Rock, où la musique lakota est enseignée depuis au moins 1973 [14]. Le caractère pédagogique de ses performances correspond aux attentes des nombreuses institutions qui le placent devant un public jeune, parfois enfantin. L’idée de procéder à un premier travail collectif sur les bandes (c’est-à-dire « nettoyer » et classer les enregistrements Densmore, qui avaient été transférés sur disque puis sur cassette mais dans le plus grand désordre et étaient, parfois, à peine audibles tant le son était médiocre), naît apparemment du projet de Locke de leur consacrer sa thèse de doctorat – signe que le musicien ne renonce pas à l’espoir de renforcer sa position par le prestige académique [15]. Le second trait distinctif est le lien établi chez Locke entre mobilité, performance et projet de revitalisation de la langue et des coutumes lakota. L’itinérance personnelle, devenue professionnelle, lui fait emprunter les circuits de la performance folklorique, circuits régional (Plaines du Nord), national et international. Il y rencontre d’autres performeurs « folklorisés » et arrime son projet personnel à des institutions promouvant les arts « traditionnels ». Une approche historisante est très tôt présente dans son travail, présenté comme une recherche le menant d’expert en expert et impliquant une écoute de disques perçus comme des archives sonores. La structure même des publications de la Bibliothèque du Congrès avec leur prétention à donner un aperçu global des musiques amérindiennes, prédispose à les traiter comme des micro-archives culturelles véhiculant les idées de typicité, d’authenticité et de capsule temporelle. Le troisième trait est le succès éclatant que Locke rencontre dans ce rôle d’artiste-ambassadeur de la culture lakota. Il se produit dans le monde entier, entreprenant notamment des tournées en Europe, en Australie et en Afrique sous le patronage du département d’État. Il parvient en 1988 à obtenir une bourse de la fondation Bush de Minneapolis-Saint-Paul. Il est ensuite plusieurs fois lauréat de cette fondation, qui, en 2022 finance le Densmore Repatriation Project. En 1990, il est nommé National Heritage Fellow du National Endowment for the Arts, également partie prenante du projet Densmore. La même année, il siège au South Dakota Council for the Arts.

Ce voyageur garde des liens à Standing Rock, notamment avec des musiciens actifs sur la scène musicale des danses de pow-wow, musiciens qui, comme lui, écoutent des cassettes, font enregistrer leurs propres disques, et mènent, avec moins d’envergure, des carrières composites entre le monde de la musique et celui de l’enseignement des langues et traditions amérindiennes. C’est dans ce réseau local que Locke fait circuler les cassettes, qui touchent ainsi des descendants des chanteurs de 1911-1914. En 1989, Earl Bullhead, un des collègues de Locke et le leader d’un drum group (les chanteurs réunis autour du tambour sur lequel ils battent la mesure) avec lequel il collabore, sort un premier CD incluant des pistes inspirées par Densmore, produit par le Standing Rock Community College, et réédité deux ans plus tard par un studio de Bismarck (Tuttle 2002 : 560). Ce studio devient ensuite le label Makoché, de David Swenson, spécialisé alors dans les enregistrements amérindiens, et ne cesse plus ensuite de figurer dans l’histoire locale des enregistrements Densmore.

Cette poursuite d’un projet académique personnel peut être lue comme une stratégie pour asseoir une légitimité incertaine. Courtisé hors des réserves et vivant de sa pratique, participant à des enregistrements de type world music ou new age (Locke & Koen 1991) converti baha’i, Locke fait aussi partie d’un groupe de musiciens, les rénovateurs de la flûte indienne, régulièrement en butte à des procès en authenticité (Tuttle 2001 : 119). La recherche ethnomusicologique peut représenter un moyen de reconquérir celle-ci. Sitôt les enregistrements à la bonne vitesse disponibles, Locke enregistre d’ailleurs un CD de musique de flûte qui s’en inspire directement. Son titre, First Flute, dit bien l’intention de revenir aux origines (Locke 1999 ; Tuttle 2002 : 522, 526). Si stratégie il y a, elle est cependant risquée : en s’appropriant la légitimité des ancêtres grâce à un passage en archive, Locke associe plus étroitement son parcours à l’ethnomusicologie. Or, malgré les réévaluations positives du travail de Densmore dans les années 1990 (Powers 1990, 1994 ; Theisz 1994), des critiques se font également jour qui tendent à l’associer à la prédation coloniale (Visweswaran 1998 ; Rendon 2003).

Locke, promoteur initial des enregistrements Densmore, mais simple primus inter pares, importe surtout parce qu’il révèle un réseau, à la fois très local et bien connecté hors de Standing Rock.

Au départ, le groupe des auditeurs des enregistrements correspond aux collaborateurs de Locke – musiciens et producteurs – à Standing Rock. Ce sont ces derniers qui se plaignent de la mauvaise qualité des enregistrements, et c’est par l’un ou l’une d’eux qu’est finalement identifié (plusieurs acteurs se désignent comme la source de cette découverte sans que l’affaire vire à la controverse), vers 1995, un problème majeur : la voix des chanteurs est trop basse, le transfert des enregistrements sur cassettes n’a pas été bien fait. En 1981, les spécialistes du Federal Cylinder Project n’ont pas utilisé les cylindres originaux mais des bandes réalisées à partir de matrices de 33 tours fabriquées dans les années 1960. Pratiquée à la chaîne sans tenir compte des recommandations écrites de Densmore, mais égarées après sa mort, la procédure de transfert est délétère : les matrices ont été fabriquées en faisant tourner les cylindres à la mauvaise vitesse. Et loin d’être limité aux enregistrements issus de Standing Rock, le problème concerne également plusieurs autres groupes des Plaines auxquels leurs chants ont été renvoyés (Gray 2001, 2015 : 380).

Ce problème de réglage et de dérèglement est fondamental pour expliquer l’investissement émotionnel particulier qui entoure les enregistrements Densmore à Standing Rock et le fait qu’on ait pu continuer de parler de « rapatriement » à leur sujet trente ans après qu’ils aient été rendus disponibles dans leur intégralité par l’institution qui en avait la garde. Assurément technique, ce problème renvoie aussi à la contingence des histoires de sorties de l’archive. À partir du traitement qui lui a été réservé, et de l’histoire qu’il a nourrie, on peut cependant comprendre une caractéristique plus générale des mouvements de sorties des archives : ils ne rompent pas le lien avec les institutions archivistiques, mais les renouvellent. C’est dans ces allers-retours que s’accomplit le travail collectif par lequel les acteurs s’accordent sur les conditions de remise au jour de la trace « désarchivée » – on pourrait presque dire : sur les normes de son retour à la vie sociale.

Ce travail est assurément collectif, et il est d’abord affaire d’écoute experte. Entre la fin des années 1980 et le milieu des années 1990, les enregistrements teton acquis par Locke circulent dans un cercle de chanteurs et musiciens de Standing Rock, et se diffusent dans d’autres réserves lakota. Ils font l’objet d’une écoute historisante de la part de spécialistes qui publient et enregistrent, tout en s’impliquant dans les curricula des colleges tribaux (Black Bear & Theisz 1976). Les chants Densmore sont abordés sous l’angle de la vitesse, de la diction, du lexique, comme les exemples d’un « style ancien [16] ». L’archive, en circulant, sert ainsi à l’écriture d’une histoire musicale. Elle est aussi prise dans un discours de type « renaissance » (si le terme revival est celui employé par les acteurs, ce terme couvre mieux l’éventail des usages qui sont faits des enregistrements) : la redécouverte de documents anciens est associée à un travail de « relecture » et de correction, d’imitation et d’ambition de renouveau. Les chants sont réappropriés par des musiciens qui produisent peu à peu des récits de retrouvailles avec leurs ancêtres, la production de chants inspirés des enregistrements Densmore croisant deuils, nouveaux disques, et méditation sur la signification spirituelle des chants (pour le cas de Bullhead, cf. Smith 1994 ; Wind 2011). Les enregistrements sont pris dans une logique philologique de correction du record, de la trace laissée et du récit construit. La concomitance de l’édiction des lois de rapatriement (Native American Graves Repatriation Act, 1990 ; National Historic Preservation Act Amendments, 1992) créé un contexte propice à la formulation de discours revendicatifs sur l’enregistrement, qui exagèrent parfois à l’extrême les conséquences du transfert défectueux des années 1960. Ainsi le président du gouvernement tribal de Standing Rock explique-t-il devant le Sénat américain qu’avec l’altération de la vitesse d’enregistrement, c’est le sens des chants lui-même qui a été affecté (Taken Alive 1995). Ces initiatives se trouvent ainsi intimement liées à la question du rapatriement des corps et des objets sacrés, dont elles sont pourtant distinctes. Le caractère « puissant » de certains chants en fait un élément important de la reviviscence de rituels, comme la danse du Soleil ; le même potentiel de guérison collective est reconnu aux objets ou aux corps rapatriés. Locke lui-même parle dès 1991 de son travail de danseur ou d’expert linguistique en termes de healing (Locke & Koen 1991).

La vie nouvelle des enregistrements sortis de l’archive se joue dans ces discussions comme dans l’intervalle de temps écoulé entre la mise à disposition des cassettes et le retour aux cylindres qui permet de retrouver la voix d’origine des chanteurs. Le problème technique (les transférer de la matérialité périmée des cylindres de cire à une matérialité numérique « moderne ») s’enrichit lui-même de questions supplémentaires qui ne touchent pas seulement à la question du son. Entre 1911 et 1914, l’urgence à enregistrer venait de l’âge avancé et de la disparition prochaine des chanteurs, mais aussi d’une ambition de scientificité. Dans les années 1990 puis 2000, elle est associée au déclin spectaculaire du nombre de locuteurs du lakota. Ce n’est plus un mode de vie qui est considéré comme en voie de disparition, mais finalement toute une langue qui est très officiellement déclarée menacée puis, en 2016, « moribonde » (Hale 1992 ; Krauss 1992 ; LLC 2016).

Rapatrier c’est réécrire

Cette analyse change le contrat moral organisant la diffusion des enregistrements Densmore : il ne s’agit plus seulement de rendre accessible des morceaux de musique et de laisser les communautés indiennes se les approprier comme elles l’entendent ; il s’agit de créer des outils efficaces, propres à enrayer le déclin d’une langue. Le critère de réussite devient le nombre de locuteurs ; méthodes anciennes et nouvelles sont convoquées pour l’apprentissage linguistique. L’archive orale est plus fermement que par le passé articulée à la confection de matériel scolaire : dictionnaire, grammaires, cahiers d’exercices, histoire orale filmée, captation d’entretien avec des anciens. Avec l’essor de l’ordinateur puis d’internet, c’est bientôt l’efficacité des solutions techniques numériques qui devient enjeu de débat. Le problème technique des enregistrements Densmore se développe ainsi en parallèle et en symbiose avec la technicisation du problème linguistique des populations amérindiennes.

En 2012, les professionnels des musées, prenant acte de pratiques de mise à disposition en ligne de documentation issue des musées, évoquent la possibilité de « rapatriement numérique ». Le caractère oxymorique de l’expression lui a valu des critiques précoces (Enote 2013). Mais l’expression traduit la force d’une norme de partage : bien que le recours à internet se heurte au problème de la fracture numérique, il recèle un potentiel de démocratisation et d’annulation des distances qui, peut-être plus que la solution qu’il représente concernant la question épineuse de la conservation des originaux, en fait l’intérêt. N’existe, en somme, que ce qui est numérisé. Il ne peut plus s’agir de mettre des cassettes en circulation. Le projet de les rendre accessibles en format numérique est contemporain de l’acquisition par la bibliothèque du college de Standing Rock d’autres fonds musicaux numérisés (Willard Rhodes, James Emery, James Walker, George Herzog) ainsi que de la numérisation d’enregistrements faits par Densmore conservés dans des institutions proches [17]. Il s’agit également de participer à la collecte de matériaux sonores effectuée par une organisation à but non lucratif, le Lakota Language Consortium (consortium de la langue lakota, LLC) créé en 2004 (Hauf 2020) [18].

Rien de ceci sur le site internet mis en ligne en 2022 (lakotasongs.com) n’est compréhensible si l’on fait abstraction des cadres national et régional constitués par les politiques et initiatives de lutte contre la disparition des langues indigènes. Le projet est bien héritier d’une période antérieure : il est piloté depuis le studio Makoché par le producteur Dave Swenson, impliqué depuis le début, aidé de Courtney Yellow Fat, fils d’un camarade de promotion de Kevin Locke à l’université du Dakota du SUD (USD), musicien et collègue de Earl Bullhead. C’est toujours le même cercle qui est à la manœuvre. Mais Yellow Fat est également directeur du Lakota Language and Culture Institute, un programme rattaché au département de l’éducation de la tribu de Standing Rock, créé en 2015 et financé depuis cette date par une bourse de trois ans reconductible octroyée par la Bush Foundation au titre de la défense de la langue dakota/lakota. Avec un financement composite provenant de cette même fondation, complété par des fonds du North Dakota Humanities Council, du North Dakota Council on the Arts et de la fondation Dakota Legacy, le « Projet rapatriement Densmore » s’inscrit clairement dans une logique d’action publique spécifique dominée par la question des langues indigènes. Il s’agit de faire des investissements intensifs mais ponctuels associant divers organismes orientés vers l’intérêt général autour de projets visant à former des locuteurs maîtrisant pleinement le dakota/lakota. Site web et mise en ligne de données, si possible visuelles, participent dans cette optique à la constitution d’archives numériques destinées à un usage pratique immédiat.

Cadrée comme un problème d’intérêt national et régional ayant trait à la perte de diversité linguistique, la mise en accessibilité des enregistrements implique ainsi une mise à disposition du grand public. Le patronage de l’État du Dakota du Nord impose d’ailleurs de prendre en compte la part non indienne de celui-ci. Des guides de l’enseignant et des plans de cours sont proposés sur le site pour faciliter l’utilisation des enregistrements dans les classes des collèges et lycées de l’État ; une leçon sur le travail de Densmore [19] est ajoutée au manuel d’histoire du Dakota du Nord proposé en ligne aux enseignants par la société historique de l’État. Indien ou pas, le public est en majorité exclusivement anglophone et la langue anglaise reste très présente dans le « paratexte » des vidéos d’accompagnement. Construit autour de clips qui dépassent rarement trois minutes, le site propose 74 réinterprétations contemporaines des chants enregistrés entre 1911 et 1914 (dont l’enregistrement en studio a été filmé et monté), accessibles depuis Youtube. Un deuxième ensemble de vidéos, explicatives celles-là, donne la parole à des spécialistes en culture ou musique dakota/lakota. Kevin Locke en fait naturellement partie. Le site est un point d’entrée vers le fonds Densmore. Il y en a d’autres. Les vidéos explicatives sont visibles sur des bornes interactives dans les locaux du Sitting Bull College (SBC), c’est-à-dire le tribal college de la réserve de Standing Rock, et du United Tribes Technical College (UTCC), un college technique intertribal situé à Bismarck. Près d’un millier de clés USB contenant l’ensemble de ce matériel, auquel ont été adjointes des copies numérisées des enregistrements originaux de Densmore et une version éditée de Teton Sioux Music, sont distribuées, surtout dans des écoles.

L’entreprise du rapatriement suppose de composer avec les attentes diverses d’un public aussi hétérogène que le sont les sponsors du projet, comme en témoignent les textes rédigés pour solliciter des financements, les communiqués annonçant le projet [20], les discours présents sur le site. En entretien, (avec Swenson, le 27 décembre 2022, à Bismarck Dakota du Nord), le terme de rapatriement apparaît comme un vocabulaire de convention qui fait avant tout signe vers une intention morale : réparer, rendre à la vie, reconnaître. Trois décennies après le Native American Graves Protection and Repatriation Act (NAGPRA) et après la remise en circulation des enregistrements Densmore, « rapatriement » désigne moins un « retour » ou un « resurgissement » qu’une initiative contribuant au but louable de défendre la langue et la culture lakota. La petite place faite sur le site aux enregistrements originaux le confirme (ils ne sont disponibles en intégralité que sur clés USB, uniquement distribué de la main à la main). Ce sont les réinterprétations mises en ligne qui sont chargées de faire la démonstration publique de la vitalité la scène musicale lakota, mais aussi des chants eux-mêmes, qui sont présentés tantôt comme « de retour » et tantôt comme « n’étant jamais partis ». C’est là, pour les concepteurs du projet, que se joue le point décisif du rapatriement : le site montre des musiciens jeunes et leur donne la parole. Vivants représentants de leur culture et de leurs langues, ils sont payés pour leur participation. Par la revitalisation, il s’agit aussi de reconnaître un travail ou de valider une forme de professionnalisation des musiciens « traditionnels » qui vivent rarement de leur art. Cela fait du rapatriement un échange de bons procédés entre les vivants et les morts, qui se donnent mutuellement vie. La mise en ligne des enregistrements peut ainsi apparaître comme un retour sur investissement : la participation des chanteurs de 1911 à 1914 est repensée comme un don à destination des générations futures et le rapatriement comme une façon de rentrer en possession d’un héritage.

Cette reprise de possession est aussi une opération de sauvetage de l’anthropologue elle-même. On peut en voir un premier indice dans l’usage en ligne de citations de Teton Sioux Music mais aussi de livres consacrés à Frances Densmore. Ces citations invitent à revenir sur l’importance sous-jacente de la culture livresque dans le projet, peu visible au premier abord. Une citation est particulièrement intrigante : elle est extraite d’une prière propitiatoire prononcée en 1911 par Red Weasel, et enregistrée à l’insu de ce dernier, comme le précise Densmore elle-même (1918 : 95). Âgé de 80 ans, particulièrement respecté pour ses connaissances sur la danse du Soleil, Red Weasel prononce la prière préalablement à la performance d’un chant appartenant à cette cérémonie :

Wakaŋ’taŋka, entends ma prière. Aujourd’hui je dois dire ta parole. Mais je parlerai sans péché. Que le peuple vive ! Pose ton regard sur moi, je suis humble. Regarde-moi de là-haut. Tu es la vérité, toujours, entends-moi. Moi, mes amis et mes parents assis devant toi, nous allons en paix. Puissent nos voix soient entendues à cette destination future que tu as préparée pour nous (1918 : 95).

Densmore transcrit cette parole dans Teton Sioux Music sans la commenter. La note dont elle l’accompagne, et qui indique d’autres cas de captations subreptices de ce type de prières, invite à penser qu’elle cherche surtout à créer un objet ethnographique, susceptible d’une analyse spécifique. L’invocation de l’entité surnaturelle dont le nom sert à parler au Dieu chrétien et la possible allusion à un jugement futur pourraient laisser penser que Red Weasel, dans le contexte christianisé de la réserve, cherche peut-être à se prémunir contre un châtiment divin au moment de restituer l’élément d’un rituel « païen » – mais ce n’est qu’une interprétation parmi d’autres d’un texte loin d’être transparent. Or, cette opacité a disparu sur le site du « Densmore Repatriation Project ». Restituée sur la page de présentation du site [21], la fin de la prière y suit une citation de la correspondance Densmore, mise en lumière par ses biographes (Patterson 2015 : 2), qui souligne le fait que « le travail de recherche ne vaut que quand ses résultats sont transmis à d’autres ». Dans ce montage de citations, la prière est devenue une justification du rapatriement, présenté comme l’aboutissement d’un don fait entre 1911 et 1914 par les chanteurs à l’intention de leurs descendants.

Objet singulier que cette citation qui valide la collaboration entre Densmore et ceux qui ont accepté de lui parler, alors qu’elle aurait pu être érigée en trace incriminante d’une faute déontologique. Il me semble que l’on peut y voir le triomphe d’une éthique de la remise en circulation de la parole indigène – appuyée notamment sur le sentiment d’une urgence – sur une éthique de la recherche intéressée au caractère irréprochable de la transaction ethnographique. Sans doute s’agirait-il d’une surinterprétation d’un élément mineur, si la transcription de la prière de Red Weasel ne pointait également vers le rôle accordé aux citations d’ancêtres dans le monde pédagogique des tribal colleges. L’archive coloniale est exploitée pour y trouver des paroles susceptibles de justifier les projets contemporains de membres des tribus [22]. Ces paroles transmises directement par les ancêtres sont extraites, souvent dans leur traduction anglaise, pour servir de paratexte à toutes sortes de documentation, être diffusées sous la forme d’affiches, de T-shirts et autres. Cette pratique assoit plus généralement la validation du savoir livresque, dont le projet Densmore fait un usage riche et raisonné. Teton Sioux Music y est beaucoup plus qu’une partition musicale, c’est l’instrument utile d’une ré-oralisation et d’une re-traditionalisation des histoires qu’il contient. La revitalisation des chants ne peut se faire sans recours au matériau ethnographique collecté par Densmore. L’entrelacement entre mélodies et récits explicatifs, qui paraissait confus aux spécialistes au moment de la sortie du livre, est devenu en 2022 ce qui sauve le livre aux yeux des descendants des chanteurs. Dans les vidéos, plusieurs chanteurs restituent une histoire lue dans le livre au sujet du chant qu’ils interprètent. C’est, expliquent-ils, l’histoire « derrière » le chant. En entretien, ils évoquent la nécessité de méditer ces textes pour mieux en prendre possession (« taking ownership »).

Cette attention aux histoires marque aussi un désintérêt pour l’appareil ethnomusicologique bien visible dans la réédition numérique du livre. Car celui-ci, dans la version pdf distribuée sur clés USB, est assez radicalement restructuré. Plus encore que les enregistrements vidéo, cette édition matérialise l’opération de « dépoussiérage » que représente le rapatriement. Le livre, réédité en 1972 puis en 1992 par les presses de l’université de Nebraska, est gratuitement et facilement téléchargeable dans sa version d’origine surhttp://archive.orgarchive.org. Il aurait pu être utilisé tel quel mais l’équipe du projet Densmore choisit de le retranscrire en y effectuant de larges coupes. Pourtant, la préface de cette nouvelle édition la place sous l’égide de la fidélité au travail de Densmore, et surtout aux mots utilisés par elle ou par ses collaborateurs. Et c’est vrai aussi du matériel iconographique. Comme pour la prière de Red Weasel, certains passages et documents qui auraient pu être voués à l’anathème par d’autres éditeurs (comme la photo de pierres sacrées, p. 187) survivent aux coupes. Mais les questions de biais, d’appropriation, de racisme, omniprésentes dans les discussions contemporaines sur les savoirs traditionnels (et très présentes à Standing Rock dans la discussion des captations vidéo de paroles d’anciens [23]), et mises en évidence par les biographies récentes de Densmore (Patterson 2015 : 44-45 ; Smith 1994), ne sont pas évoquées. Les éditeurs insistent par contre sur le caractère archaïque et « confusing » (la confusion a changé de place) des « tableaux et graphiques » qui représentaient en 1918 un signe fort de la scientificité du travail de Densmore. Au-delà, c’est tout l’appareil scientifique du texte qui est évincé : la table des matières détaillée, l’avant-propos, une part conséquente de l’introduction, de l’index et de la bibliographie, les analyses de l’intrigue pour chaque type de chansons, et l’analyse du rythme proposée en appendice. En tout, le livre perd 100 de ses 561 pages originalement publiées. En revanche, malgré la critique dont elles ont fait l’objet de la part des ethnomusicologues, les pages du livre comportant des transcriptions de chants sur portées, utiles aux musiciens confrontés à des enregistrements originaux parfois difficiles à suivre malgré leur remasterisation, sont insérées telles quelles dans le pdf.

Le livre était de longue date utilisé pour enseigner la culture dakota/lakota de Standing Rock (je l’ai moi-même découvert en 2008 lorsqu’un enseignant lakota d’études amérindiennes au Sitting Bull College me l’avait recommandé). Ainsi retouché, Teton Sioux Music achève une lente mue en manuel de cérémonies, de culture, de musique – et maintenant de langue dakota/lakota dans la mesure où les passages en cette langue ont été scrupuleusement retranscrits au moyen de l’orthographe standardisée par le New Lakota Dictionary publié en 2008 par le Lakota Language Consortium de l’université d’Indiana. De larges extraits sont d’ailleurs insérés dans les leçons proposées aux enseignants. Simplifié, pré-découpé, mis aux normes de l’enseignement scolaire du dakota/lakota, Teton Sioux Music a été préparé pour l’enseignement. Ce n’est pas un des moindres paradoxes de ce rapatriement centré sur des enregistrements musicaux qu’il vienne, dans le même temps, renforcer une culture scolaire livresque et l’image de l’anthropologue, pourtant contestée dans les cercles universitaires post-coloniaux, qui y a le plus contribué.

Conclusion

Le Densmore Repatriation Project mériterait bien d’autres analyses, musicologiques notamment. Mais dans cet article attentif à la matérialité des circulations de savoirs anthropologiques (ou anthropologisés), il s’agissait surtout de retracer l’histoire des mouvements dans et hors de l’archive, et le caractère changeant des configurations qui la rendent possible. Il ressort nettement du cas des enregistrements teton de Frances Densmore que l’archive se constitue et se reconstitue autour de projets de diffusion, tandis que la diffusion est productrice de nouvelles archives. On note également que la création de traces n’est pas mécaniquement suivie d’une création d’archives. Le projet conservatoire est coûteux et suppose le patronage d’institutions capables de s’engager sur la longue durée. Aux États-Unis, cela veut presque toujours dire procéder à un montage financier entre institutions publiques et fondations privées. La conservation se fait au risque de déformations importantes qui la rendent suspecte aux yeux des experts vivants. Le goût de l’archive, autrement dit, ne vient pas facilement et doit s’apprendre. Sa nécessité est loin d’apparaître immédiatement, et ce même pour la période rétrospectivement désignée comme l’âge d’or de l’anthropologie de sauvetage, et pour les anthropologues à l’origine de fonds. Le cas de Teton Sioux Music souligne ainsi la contingence qui préside à l’opération d’archivage, l’importance de la rencontre entre l’individu qui collecte ces traces et une institution qui les prend en charge, l’importance ultérieure du travail de prise en compte d’un public visitant et utilisant ces fonds. La diversité d’influences pesant sur l’archive et la restructurant régulièrement oblige, pour rendre compte de son histoire, à une reconstitution qui n’est pas sans surprise. Ici, l’ethnographe n’est pas celle qui piège et stabilise indûment les cultures ; elle est plutôt celle qui produit une archive quand elle voulait seulement produire du savoir.

Le cas de Teton Sioux Music invite ainsi à apporter une réponse nuancée sur ce qui a été appelé, de manière critique, « ethnographie de sauvetage ». Au cœur du problème se trouve moins la question de l’idéologie de la chercheuse (elle adhère pleinement à l’idée que les Amérindiens sont promis à disparaître en tant que race, ce qui justifie pour elle la collecte conservatoire de données), que la rencontre entre sa libido sciendi (la pratique entêtée d’une accumulation systématique de connaissance, devant laquelle tout doit céder) et les désirs de ceux qui sont pour elle des informateurs. Or ces désirs sont eux-mêmes complexes : complaisance envers elle, libido docendi (plaisir de lui enseigner), plaisir de se remémorer une époque évanouie, souci de leur propre gloire. C’est la libido sciendi de la chercheuse qui lui fait enregistrer subrepticement des prières ; ou recueillir, dans le cadre étroit qu’elle considère comme intéressant, une masse unique de notations ethnographiques ; et qui fait finalement de son travail une archive incontournable pour des générations à venir auxquelles elle a peu et tardivement pensé – pas plus que ses collaborateurs lakota d’ailleurs. Mais ce sont bien ces derniers qui donnent ampleur et richesse à ce travail. Il existe donc un lien très fort entre, d’une part, le sentiment d’une mission à accomplir dont dérive aussi le sentiment de supériorité de l’anthropologue, sentiments qui la font travailler sans scrupule et de manière idiosyncratique, au nom de la science et dans un flou moral qui baigne tout le travail de collecte ; et d’autre part, l’utilité sociale de ce travail, un siècle plus tard, qui repose bel et bien sur l’accumulation de données permise tout ensemble par cette libido et ce flou.

On peut rendre compte de ce lien, qui n’est pas de causalité univoque, en soulignant la chaîne des opérations de transformation qui l’ont peu à peu constitué. Ces opérations vont bien au-delà de changements d’idéologie, ou des débats intérieurs à la discipline anthropologique. La transformation s’effectue au fil de circulations multiples d’acteurs comme d’objets, au fil également de la création de livres, de disques, d’institutions archivistiques. C’est tout le paysage changeant du pays indien après la seconde guerre mondiale qui réactive un simple matériau de la recherche, les cylindres, pour en faire un objet complexe : trésor muséal, objet de rapatriement, de copie, de travail de production musical, de controverse et peut-être, surtout, des désirs variés de ceux qui s’y intéressent. La collection Densmore de chants lakota ne devient une ressource d’intérêt national à Standing Rock qu’une fois réinterprétée par des ethnomusicologues de la Bibliothèque du Congrès, des musiciens lakota, des linguistes et enseignants du lakota, des fondations privées qui financent ces activités. Un certain sens commun historique finit par justifier dans le même mouvement l’urgence de constituer des archives autochtones et l’urgence de les ouvrir et de les copier.

Tout comme la collecte elle-même, ces transformations sont cependant le produit de convergences et d’accords localisés, non de grandes alliances clairement formulées et encore moins éthiquement limpides. Elles aboutissent indubitablement au triomphe d’un paradigme archivistique de la culture. Mais elles transforment aussi la signification et la forme même de l’« archive » pour laquelle, finalement, le singulier n’est guère approprié. La migration des chants de la cire au vinyle puis aux bandes magnétiques, au polycarbonate des disques compacts et enfin aux circuits d’ordinateurs, se fonde au surplus sur une série de contrats moraux dont le sens est plus ambigu que le « retour » ou le « rapatriement », le renversement de l’héritage colonial ou sa métamorphose. Plutôt que de présenter les nouveaux réenregistrements – la sortie de l’archive – comme une libération après des années d’« emprisonnement », on peut souligner la permanence, dans le changement, d’un deuxième paradigme, circulatoire celui-là. La musique collectée par Densmore ne cesse de voyager après l’enregistrement initial : sous forme de livres, de partitions ou de disques ; dans les archives de l’anthropologue qui vont d’une institution à une autre ; d’un format à plusieurs autres également. Souligner également que ce qui rend ces circulations possibles, c’est le renouvellement régulier d’un sens de la responsabilité envers l’archive produite, sens partagé par l’anthropologue, les archivistes et ethnomusicologues et leurs institutions, enfin les auditeurs-performeurs descendants des chanteurs qui se sont prêtés à l’enregistrement. Cette responsabilité n’est pas définie pareillement par tous : pour les uns, elle est un devoir envers l’ensemble du public, pour les autres envers les seuls ethnomusicologues, les musiciens professionnels ; ou encore et surtout pour les communautés amérindiennes d’origine, les descendants des chanteurs, les ancêtres ou les générations à venir. Mais ces différents groupes convergent vers un même projet : la préservation matérielle de l’enregistrement, avec son lot de manipulations de tous ordres, sa mobilisation d’expertises et de capitaux.

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[1Le plus souvent appelée « sioux » par les Euroaméricains, la langue parlée par les chanteurs de Standing Rock est désignée comme « dakota » ou « lakota » par ses locuteurs, en fonction du dialecte utilisé, les deux étant en usage dans cette réserve. Teton est une transcription du terme Thítȟuŋwaŋ, qui désigne les sept groupes tribaux locuteurs du lakota. La littérature ethnographique les connaît comme « Sioux des prairies » ou « Sioux de l’Ouest » ou plus simplement Lakota (alliés).

[3Toutes les traductions sont de l’auteur.

[4Dossier 38523-15, boîte 322, entrée 350, Standing Rock Sioux Reservation, CCF 1907-1939, RG 75, Archives Nationales, Washington, D.C.

[5Pour une anthologie strictement contemporaine de Teton Sioux Music, voir George W. Cronyn, The path on the rainbow, an anthology of songs and chants from the Indians of North America, New York, Boni and Liveright, 1918.

[6Par exemple, Indian music, Washington, D.C., Office of Indian Affairs, 1928, https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=uc1.a0009344821&seq=1. Sur l’encouragement à chanter des chants traditionnels dans certaines écoles fédérales, voir Shipley, Lori.2012. « Musical Education of American Indians at Hampton Institute (1878-1923) and the Work of Natalie Curtis (1904-1921) », Journal of Historical Research in Music Education 34 (1), p. 3-22, en particulier p. 9, 14, 21.

[7Les réformes du New Deal ont eu leur versant indien. Un nouveau commissaire des affaires indiennes, John Collier, a notamment donné une légitimité nouvelle à des gouvernements tribaux élus dans les réserves. La dévolution de pouvoirs qui accompagne cette politique, à l’origine assez limitée, s’est par la suite considérablement accrue avec l’adoption de lois tendant à promouvoir l’auto-détermination amérindienne.

[8Il s’agit de l’institution couvrant, selon les cas, les deux, ou les quatre premières années du système universitaire.

[9Jay taken Alive à Judith Gray, 10 avril 1995 (document en possession de l’auteur).

[10Nancy O. Lurie à Thomas Vennum, 24 septembre 1979, Bess Lomax Hawes collection (AFC 2014/008), Bibliothèque du Congrès, Washington, D.C.

[11Ray Dockstader à Bess Lomax Howes, 25 avril 1985, « Indian holdings », Library of Congress, 1978-1985, mostly about Federal Cylinder Project, Manuscript/Mixed Material.https://www.loc.gov/item/afc2014008...https://www.loc.gov/item/afc2014008ms0302/.

[12’Native American Graduates of 1977’, News Report, Institute of Indian Studies, University of South Dakota, Mai 1977, p. 11 ; et ’Night of the First Americans’, News Report, Mai 1985, p. 7.

[13Sur l’implication de Locke dans la revitalisation de la danse du Soleil à partir de 1977, cf. l’entretien de l’auteur avec Virgil Taken Alive, 22 août 2017, Little Eagle, Dakota du Sud.

[14Réunion du 26 juillet 1973, Sitting Bull College Board of Trustees Meeting Minutes 1971-1988, SBC Library, Fort yates, Dakota du Nord ; ’Artists in Their Respective Fields’, News Report, Institute of Indian Studies, University of South Dakota, mai 1984, p. 3.

[15Entretien de David Swenson avec l’auteur, 27 décembre 2022, Bismarck, Dakota du Nord.

[16Voir à ce sujet la transcription de l’intervention de Ben Black Bear Jr., lors de la réunion de l’’Inculturation Task Force’, 22 septembre 1995, fichier word en possession de l’auteur ; et celle de Calvin Jumping Bull, 24 septembre 1995, dossier ’2 Lakota Task Force’, boîte 1, series 1, Inculturation Task Force Records, Marquette University Archives, Milwaukee.

[17La Société historique du Dakota du Nord a numérisé en 2017 des cylindres de cire enregistrés par Densmore dans la réserve voisine de Fort Berthold. Cf. Sarah Walker, Historical Society’s Densmore Recordings, 17 octobre 2022, Dakota Datebook : Archives Month, https://news.prairiepublic.org/podcast/dakota-datebook-archives-month

[18Pour un exemple de projet d’archives linguistiques numériques financé à Standing Rock par le National historical Publication and Records Commission, voir le projet de candidature ‘’iyapi.org : Unlocking Dakota/Lakota Primary Source Materials’ accessible sur le site de la commission https://www.archives.gov/files/nhprc/announcement/samples/argo.pdf

[20Pour un exemple de communiqué, cf. ’Lakota singers breathe new life into old Native songs’, 11 janvier 2022, North Dakota Council of the Arts.

[22Une des citations les plus répandues à Standing Rock est extraite d’un dialogue entre Sitting Bull et un négociateur canadien envoyé à sa rencontre en 1881 : ’Let us put our minds together and see what life we can make for our children’ (’Travaillons ensemble pour proposer une nouvelle vie à nos enfants’). Elle émerge de l’archive dans les années 1970 (cf. Rarihowats, ’Sitting Bull in Canada’, Akwesasne Notes, vol. 3, no. 5, Earmy Summer 1971, p. 23)

[23Sur cette question et l’implication de Locke et de Densmore dans la controverse publique qu’elle a générée, cf. Budd, Joe, ’Two sides to Lakota Language Consortium story’, Native Sun News, 23 juin 2022 https://www.nativesunnews.today/articles/two-sides-to-lakota-language-consortium-story/