Introduction
Le travail de Giulio Angioni (Guasila, 1939 – Settimo San Pietro, 2017) a incontestablement marqué l’histoire de l’anthropologie, non seulement en Italie mais aussi à l’échelle internationale [1]. Son activité de professeur à l’université de Cagliari (et, plus brièvement, en France et en Angleterre) a également influencé des générations d’étudiants et d’intellectuels qui s’y sont formés. Dans cette même université, Giulio Angioni a été l’élève d’Ernesto De Martino (1908-1965) et d’Alberto Mario Cirese (1921-2011), deux maîtres à penser célèbres pour avoir refondé les études sur le monde populaire en Italie. Son entrée dans le monde académique débute réellement en 1967, date à laquelle il obtient une bourse après sa maîtrise. Devenu professeur titulaire d’une chaire d’Anthropologie culturelle à partir de 1980, Giulio Angioni dirige l’Institut des Disciplines Socio-Anthropologiques et le Département de Philosophie et de Théorie des Sciences Humaines de la Faculté de Lettres et de Philosophie de Cagliari.
Né dans une famille de paysans du sud de la Sardaigne, il a mis à profit la connaissance intime qu’il avait de cet environnement. Ses travaux ont marqué un tournant dans les recherches sur le monde paysan et pastoral et, plus généralement, dans la compréhension de la société et de la culture de l’île. Ses réflexions sur la culture matérielle, l’identité et la langue, fondées sur une ample vision théorique, ont largement dépassé les contingences locales dont elles étaient issues, pour atteindre une portée plus « universelle » selon les canons classiques de l’anthropologie. Son travail de recherche a en outre été lié à un engagement politique et social constant et durable. C’est dans ce contexte que s’inscrivent ses activités de directeur de la Société des Européanistes et, à partir de 1995, de fondateur et de directeur de la revue Europaea, dont le siège se trouvait à l’université de Cagliari.
Tout aussi importante sur le plan existentiel et culturel, la production littéraire d’Angioni est principalement axée sur la Sardaigne (Manai 2006). Elle a commencé discrètement avec la publication de deux volumes de récits, suivis d’une longue série de romans puis, dans la dernière période de sa vie, de deux recueils de poésies (Angioni 2008a).
Dialogue avec Gramsci : les débuts du travail théorique
Peu de temps après la guerre, avec la publication des Lettere dal carcere (Lettres de prison, première édition italienne, 1947) et ensuite des Quaderni del carcere (Cahiers de prison, première édition italienne, 1948-1951), les notes, les analyses et la réflexion critique rédigées par Antonio Gramsci au cours des années 1920 et 1930 ont eu une formidable répercussion en Italie. Les Cahiers ont ébranlé et renouvelé le panorama culturel italien, étouffé par l’obscurantisme et le provincialisme de la période fasciste. La pensée de Gramsci a aussi contribué à une véritable refondation des études anthropologiques et démologiques, due en particulier à De Martino et à Cirese. L’essai de De Martino “Intorno a una storia del mondo popolare subalterno”, publié en 1949 dans la revue Società, et celui de Cirese “Concezioni del mondo, filosofia spontanea e istinto di classe nelle Osservazioni sul folklore” di Antonio Gramsci” (Cirese 1976), présenté au Congrès International d’Études Gramsciennes de 1967, constituent deux moments importants de cette phase de renouvellement amorcée par l’oeuvre de Gramsci.
On assiste donc en Italie, au cours des années 1950 et 1960, à l’essor d’un courant d’études anthropologiques d’inspiration gramscienne sur les disparités culturelles et les conceptions des « classes subalternes », qui consiste principalement en une approche ethnographique du sud et des îles de l’Italie, souvent associée à un engagement civil et politique des chercheurs eux-mêmes (Angioni 2011 : 46, 206-220 ; Alliegro 2011 : 315-524). Sans céder aux formes de mythisation de la culture rurale, même lorsque certains aspects plus « archaïques » peuvent focaliser l’attention, ce courant évite les dangers des nostalgies romantiques et est toujours prêt au contraire à saisir les formes de résistance des classes subalternes vis-à-vis du pouvoir et des institutions. Il s’attache aussi à l’étude de la grande transformation en cours, à ce processus de déruralisation capitaliste, de prolétarisation des classes paysannes qui transforme les modes de vie de façon soudaine et radicale dans les campagnes comme dans les villes. Il suffit de penser aux recherches et aux travaux de De Martino et de Cirese, déjà cités, mais aussi de Pietro Clemente (1942- ), Pier Giorgio Solinas (1945- ), Clara Gallini (1931-2017), Vittorio Lanternari (1918-2010), Tullio Seppilli (1928-2017), Carlo Tullio Altan (1916-2005), Diego Carpitella (1924-1990) et de bien d’autres anthropologues tout aussi importants.
Giulio Angioni s’inscrit dans ce courant gramscien quand, étudiant universitaire, il suit les cours de De Martino et Cirese et d’autres intellectuels comme Giuseppe Petronio, qui ont tous enseigné à l’université de Cagliari au début des années 1960. À travers leur enseignement, Angioni découvre que la culture populaire et les modes de vie du monde paysan dont il est issu font l’objet d’analyses précises dans de nouveaux programmes universitaires, et qu’il faut concevoir le folklore, suivant strictement les Osservazioni sul ‘folklore’ de Gramsci, comme « une chose qui est très sérieuse et à prendre au sérieux » (Gramsci 1975 : 2314 ; Angioni 1974 : 29), en tant que « ’conception du monde et de la vie’, en grande partie implicite », de « l’ensemble des classes subalternes et laborieuses de toutes les formes de sociétés ayant alors existé » (Gramsci 1975 : 2311-12 ; Angioni 1974 : 34).
Ce fut pour Angioni comme une sortie des ténèbres qui lui permit enfin, comme il le disait souvent, de donner un sens à son vécu (Angioni 2008a : 333-335). Deux expériences, celle de la différence et celle, intense et formatrice, de ses études lui permettent de prendre pleinement conscience de l’historicité des rapports de subalternité et de domination entre classes sociales. Elles nourrissent un intérêt, qui devient rapidement une spécialisation, pour les modes de vie des milieux ruraux et subalternes, fondé sur « la lecture des classiques du méridionalisme d’inspiration socialiste, comme Salvemini et Gramsci, [...] et […] la découverte des courants marxistes, principalement français, en anthropologie » (Angioni 1974 : 7-8).
Les études et les recherches d’Angioni ont pour premier résultat significatif trois monographies pensées et rédigées à une même période, entre 1968 et 1973, mais publiées séparément : Tre saggi sull’antropologia dell’età coloniale (1973), Rapporti di produzione e cultura subalterna, Contadini in Sardegna (1974) et Sa Laurera. Il lavoro contadino in Sardegna (1976). Ces trois monographies partagent une double exigence de fond : la nécessité d’une réflexion critique sur les questions liées aux « dénivellations socio-économiques et culturelles internes et externes des sociétés occidentales » – expression empruntée à Cirese (1973) qui lit et interprète Gramsci – et l’urgence d’adapter ou d’inverser les orientations théorico-méthodologiques des disciplines anthropologiques.
Angioni reconnaît que les études anthropologiques peuvent avoir une « fonction positive », quand elles prennent par exemple conscience des présomptions des idéologies eurocentriques et critiquent « la conviction commune de l’excellence absolue et de la différence qualitative de la civilisation occidentale ». Cependant, il considère comme toujours irrésolu le rapport théorique et pratique que l’anthropologie – savoir né dans le monde occidental et utilisé par des chercheurs appartenant aux classes dominantes, ou en rapport plus ou moins organique avec celles-ci – entretient avec ses propres objets d’étude, « qui ont toujours été des peuples ou des couches sociales soumises à diverses formes d’exploitation et de domination, de subordination et de discrimination à l’extérieur ou à l’intérieur de nos sociétés de classes » (Angioni 1973 : 22).
Ce qu’il remet en question c’est aussi la notion de culture, l’outil conceptuel que l’Occident s’est donné pour observer ses modes de vie et ceux des autres ; et la voie qu’il emprunte visera à faire converger deux concepts totalisants, celui de culture comme « mode de vie », d’inspiration tylorienne, et celui de culture comme « mode de production », propre à certains courants de la pensée marxiste, tout en conservant leur complexité et leur dynamisme interne. Angioni maintiendra un lien profond avec la pensée gramscienne, y compris après les années 1970, quand il n’était plus « à la mode » en Italie de s’intéresser au grand penseur sarde et à la « philosophie de la praxis », ni aux conflits de classes. Avec eux furent aussi oubliées, et marginalisées dans le débat culturel, les thématiques du travail et des subjectivités qui lui sont liées, comme si les classes laborieuses s’étaient dématérialisées et n’existaient plus, ni socialement, ni économiquement.
L’identité paysanne
Les volumes Rapporti di produzione e cultura subalterna. Contadini in Sardegna (1974) et Sa Laurera. Il lavoro contadino in Sardegna (1976) représentent ensemble une étape fondamentale du parcours scientifique d’Angioni. Dans le premier, il étudie les rapports de production et les conceptions du monde des paysans d’une région méridionale de la Sardaigne, dans une perspective historico-anthropologique et avec les outils d’analyse du matérialisme historique dans lequel dialoguent des approches marxistes d’orientation structuraliste avec l’historicisme marxiste d’ascendance gramscienne. Dans le second, l’auteur décrit les travaux et les jours des paysans, leurs connaissances profondes du territoire, des animaux, des plantes cultivées et des cycles de culture. Bien qu’il prenne en considération les leçons du grand linguiste allemand M. L. Wagner et l’orientation de la revue Wörter und Sachen (Mots et choses), outre celles de Maurice Le Lannou (1941), il peut compter sur une connaissance intime du monde qu’il dépeint et de ses propriétés linguistiques et idéologiques.
Sur les techniques canoniques de la documentation empirique, redevables des formes d’enquête rigoureuses qui furent formalisées à Cagliari autour de Cirese, se greffe une attitude autobiographique généralement décrite comme anthropology at home, du moins en ce qui concerne les traditions plutôt orientées vers l’étude des contextes extra-européens. Cette dimension est explicitement rappelée dans une brève note au début du premier volume :
Les recherches directes et les réflexions dont ce livre est le résultat ont aussi une origine de caractère autobiographique que je crois devoir signaler dans la mesure où il s’agit d’un aspect important dans la façon de me situer face aux phénomènes observés et dans la manière de les analyser et de les présenter (Angioni 1974 : 7).
Rapporti di produzione e cultura subalterna se présente comme le bilan partiel d’un parcours de recherches de plusieurs années, marqué par un intérêt pour la vie des campagnes, qui a commencé au début des années 1960. Ce parcours se poursuit avec la publication des volumes Sa Laurera (1976), Il sapere della mano. Saggi di antropologia del lavoro (1986) (première contribution en Italie d’une réflexion structurée autour de l’anthropologie du travail) et I pascoli erranti. Antropologia del pastore in Sardegna (1989). Ces textes seront à la base de la création, fortement voulue par Angioni, du premier enseignement d’histoire de la culture matérielle en Italie, en 1986.
Un spécialiste de « démologie » d’origine paysanne se propose d’enquêter sur le monde dont il est issu, conscient de devoir estimer jusqu’à quel point l’orthodoxie du « regard éloigné » peut s’appliquer à l’étude du proche pour que celle-ci reste scientifiquement crédible.
Naître paysan, cependant, n’implique pas qu’on soit ou qu’on se sente paysan : les origines et l’identité ne coïncident pas toujours nécessairement. Bien qu’il reconnaisse l’importance de la composante autobiographique dans son ethnographie, dans sa mise à distance et dans sa mise en écriture, Angioni semble peu se soucier d’affronter la contradiction liée au fait d’être à la fois l’enquêteur et un peu, aussi, l’objet de l’enquête.
Il est évident que ce qui importe ici n’est pas l’élément biographique en soi (ni ses répercussions psychologiques, affectives ou autres), mais ses conséquences sur les modalités et les résultats des recherches. Cet aspect reste toujours pertinent, pour tout anthropologue dans l’exercice normal de ses fonctions. Angioni maintient la juste distance avec son objet mais, à mesure qu’il progresse dans l’analyse tout se passe comme si, absorbé par celui-ci, se dévoile un rapport d’appartenance à ce monde et donc un partage de connaissances et de compétences avec les indigènes qui atténue, voire efface, toute la circonspection qui assure la distanciation.
Rapporti di produzione e cultura subalterna est une étude sur l’identité paysanne de la Trexenta, circonscrite à cette « petite zone de la Sardaigne méridionale » (Angioni 1974 : 23), même si le terme d’ « identité » n’apparaît qu’une seule fois dans tout le livre. Il est bon de commencer à parler d’identité collective en abordant et en faisant table rase de tous les stéréotypes et de tous les préjugés concernant un groupe ou une communauté, ou l’ensemble des individus que l’on considère comme porteurs d’une certaine identité, quel que soit le nom qu’on lui donne. C’est un devoir auquel Angioni s’astreint avec une rigueur iconoclaste en passant en revue les lieux communs les plus anciens comme les plus récents concernant les Sardes. Il apparaît clairement qu’il rejette toute conception substantialiste ou essentialiste de l’identité selon laquelle les Sardes seraient porteurs d’une ‘sardité’, d’une essence supposée immuable dans le temps et imperméable aux influences extérieures considérées en général comme corruptrices d’une pureté et d’une authenticité originelles. Il accepte, en revanche, quoique implicitement mais tout aussi nettement, une conception de l’identité comme produit de l’histoire, résultat de relations et de processus d’acculturation qui n’entachent pas la reconnaissance d’une particularité et d’une différence, à condition toutefois de les relativiser et de les analyser « avec une rigueur historiographique et une précision documentaire » (Angioni 1974 : 16). C’est ce qu’il se propose de faire pour la Trexenta en partant de la « réalité effective » qui se constitue « surtout au niveau structural (c’est-à-dire dans le processus de développement des forces et des rapports de production) » (ibid.). Alors, il se peut que l’on puisse reconnaître, à ce niveau, des formes de production surtout agropastorales « objectivement singulières et archaïques » (ibid.), mais à condition de préciser qu’il s’agit de formes qui ne sont ni « vraiment spécifiques et primitives ni d’origine indigène » (ibid.).
La référence au « développement des forces de production », aux « rapports de production », aux « formes de production » nous renvoie au noyau théorique de Rapporti di produzione e cultura subalterna, c’est-à-dire à une conception du matérialisme historique alors influencée par la pensée de Louis Althusser :
L’hypothèse que j’essaierai ici d’illustrer brièvement consiste à penser que c’est précisément dans le cadre d’une interprétation historico-matérialiste que la démologie trouve le critère unificateur de ses objets d’étude traditionnels (et socialement identifiables) ; un critère, non seulement plus précis, mais aussi beaucoup plus ample, qui met davantage en évidence les questions les plus importantes qui se présentent aux chercheurs du « monde populaire subalterne », pour reprendre l’expression d’Ernesto De Martino (ibid. : 31).
Ce faisant, Angioni ouvre une nouvelle perspective d’analyse du monde paysan en Sardaigne, qui n’avait jamais été appliquée auparavant avec une cohérence aussi rigoureuse et une méthode aussi systématique : une voie historico-matérialiste pour définir l’identité paysanne.
L’armature théorique et la matière documentaire du livre reposent sur deux piliers principaux : la notion de mode de production, assimilée à la notion de culture (ibid. : 38), et la notion de formation sociale. Leurs liens varient selon une logique combinatoire précise (réglée par les lois de la « dialectique »), où structure et superstructure sont interdépendantes, étant entendu que la structure est, en dernière instance, « l’aspect déterminant » (ibid.). La représentation de l’identité paysanne de la Trexenta qui en découle, pour les cinquante premières années du XXe siècle, apparaît comme une formation sociale spécifique caractérisée par un rapport particulier à la terre, objet du travail (tradition de la céréaliculture sèche) ; un degré de développement des forces de production particulier (utilisation d’outils principalement non mécaniques, mus par la force humaine et animale) ; des formes particulières de rapports socio-économiques (le plus souvent réglementés par le droit coutumier) entre producteurs et entre ces derniers et les propriétaires ; des formes particulières de contradiction avec le mode de production capitaliste qui domine au sein de la nation, cette formation sociale dont la communauté paysanne ne représente qu’une toute petite partie ; des idéologies particulières et des représentations du monde en contradiction partielle ou totale avec les idéologies hégémoniques, qu’elles soient ou non locales. Tous ces éléments (ainsi que d’autres) composent le tableau d’ensemble d’une identité collective qui n’est ni homogène, ni compacte, mais au contraire fortement stratifiée entre une classe de propriétaires − à leur tour divisés entre « grands » et « petits » propriétaires − et un ensemble de subordonnés (domestiques, ouvriers agricoles, etc.), également hiérarchisés en leur sein. Cette différenciation touche aussi d’autres aspects, comme les échanges de prestations, l’alimentation, l’habitation, les vêtements ; ce sont des traits qui finissent par faire partie du bagage identitaire des paysans de cette zone et dont l’auteur nous fournit une documentation détaillée, offrant ainsi l’image d’une communauté qui repose sur les inégalités entre les classes et se perpétue grâce à elles, et déconstruisant ainsi le mythe d’une communauté paysanne égalitaire, sans différenciations internes, si chère à tous les groupes locaux dominants et à leurs idéologues plus ou moins organiques (ibid. : 139).
L’incorporation des savoirs techniques : dialogue avec André Leroi-Gourhan
Dans les textes anthropologiques de Giulio Angioni, les savoirs techniques occupent une position centrale. Il s’agit d’un domaine de réflexion – loin des principaux sujets d’étude classiques sur le folklore – qu’Angioni a constamment approfondi et renouvelé et qui est devenu la référence constante d’écrits très élaborés, aussi bien dans le domaine spécialisé que dans le domaine narratif. Tecnica e sapere tecnico nel mondo preindustriale, publié dans des versions différentes entre 1984 et 2005 (Angioni 1984, 1986, 2005) est l’essai qui offre la synthèse théorique la plus accomplie sur ce sujet.
Angioni tient à construire et à clarifier dans tout le reste de sa réflexion une analyse sur le paysan sarde considéré comme un technicien spécialisé. Il s’agit presque d’un registre continu et récurrent sur la richesse et la complexité du monde cognitif des campagnes et, par conséquent, sur la spécificité des processus de connaissance inhérents à la production et sur leur articulation physique et symbolique. Il écrit en effet :
On pourrait qualifier le paysan sarde traditionnel (mais la définition vaut en général pour le paysan méditerranéen) d’artisan de la terre, d’abord parce que la terre est l’objet et l’instrument d’un travail qui recourt à un outillage très vaste et compliqué, ensuite parce que son attitude envers la terre et envers son produit a quelque chose de semblable au rapport de l’artisan avec le produit de son travail, le fruit d’une transformation créatrice de la matière brute (Angioni 2005 : 131).
Pour la première fois, Angioni ancre le cas de la Sardaigne dans les principes et la logique d’une discussion radicale sur la technologie comme fait culturel. Les notions de milieu technique, de processus productif, de chaîne opératoire et d’innovation, élaborées surtout par l’école française de Techniques et cultures (Leroi-Gourhan 1943-1945 ; 1964-1965) et utilisées comme grilles d’analyse du cycle agricole traditionnel, remettent en question l’image stéréotypée et paupériste de ses protagonistes.
La culture matérielle et les savoirs incorporés, passés au crible de l’analyse d’A. Leroi-Gourhan, apparaissent dans le panorama des études italiennes entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, à l’occasion de deux moments fondamentaux : le deuxième Congresso di Studi Antropologici Siciliani intitulé I mestieri : organizzazione, tecniche, linguaggi (Palerme, mars 1980) et le séminaire interdisciplinaire Per un laboratorio di tecnologia et di cultura materiale (Sienne, juin 1980). Lors de ce dernier, Angioni propose de réfléchir sur la notion de raisonnement technique. Si on peut considérer ce raisonnement comme un processus qui ne se manifeste qu’à travers et dans les limites de l’action technique, et disparaît du résultat de l’action humaine, alors l’ethnographie doit trouver un espace spécifique pour le décrire, dans lequel « rendre compte des habilités incorporées, des capacités acquises dans le faire, déposées dans la mémoire corporelle, dans cette espèce de mémoire opératoire qui fait en sorte que le corps peut agir sans le contrôle, la tension permanente de l’esprit […] » (Angioni 1989b : 45).
Les savoirs techniques se présentent dans une double perspective. D’une part, ce sont des aspects d’une phénoménologie des savoirs et de la cognition internes à toute expérience d’activité technique ; ce sont des éléments appartenant à un milieu technique, présents dans les dispositifs corporels et extracorporels qui permettent d’engendrer une production technique, en particulier la production préindustrielle. D’autre part, le caractère implicite de ces savoirs caractérise les modalités de communication et de dialogue entre le chercheur et chacun de ses témoins. L’absence de commentaires oriente un certain type de contact et de dialogue. En particulier, le rapport à la mémoire et au passé (surtout le passé technique), se réactive davantage avec l’action qu’avec les mots :
Pour celui qui non seulement se rappelle, pour celui qui ne récupère pas seulement une dimension du temps passé, mais qui peut reproduire les gestes et les procédures techniques en se servant des bons outils et des matières premières appropriées, le problème se résout de la façon la plus évidente. Il déplie ce savoir technique, ces aptitudes opératoires implicites et incorporées dans le faire concret, ce qui est la seule façon ou presque de les rendre explicites (Angioni 1989b : 44).
Cela, poursuit Angioni, pose au chercheur de « gros problèmes » parce qu’il n’a pas la possibilité d’agir sur la mémoire de son interlocuteur. Il peut seulement assister à l’émergence incarnée d’un « raisonnement technique ». Il y a un processus d’inventions et d’acquisitions (ibid.) que le corps retient et métabolise en créant une mémoire opératoire (l’usage de la technologie électronique-numérique commence à voir le jour dans les années 1980), désormais accessible principalement à travers la fonction documentaire de la « cinématographie et d’autres moyens analogues d’enregistrement de procédés opératoires » (ibid. : 45). Cependant, pour Angioni, la question fondamentale reste celle de fixer ces coordonnées de la rencontre ethnographique qui facilitent et définissent réellement l’apparition et la réapparition de cette mémoire technique incorporée. Le problème, c’est que nous voulons obtenir de nos informateurs des « discours ». Deux siècles au moins d’habitudes à élaborer des discours sur la technique comme conséquence et application de découvertes et de connaissances scientifiques nous ont rendu peu sensibles aux modes d’apprentissage, de raisonnement et de mémorisation de type prétechnologique, et nous faisons l’erreur de négliger la spécificité de ces domaines techniques que sont « le savoir et le savoir-faire implicite dans l’agir concret » (ibid. : 47).
Angioni choisit donc de travailler dans une zone d’ombre par rapport aux grandes théories sur les cultures et de leurs différences concernant le symbolique et le linguistique. Ses principales références sont le marxisme et la réflexion sur le travail humain, ses implications sur la nature et l’ordre social, ainsi que les perspectives analytiques utilisées par Leroi-Gourhan dans la reconstitution du procès d’hominisation et du déploiement progressif de l’organisme humain dans son interaction avec le milieu naturel. L’apport de Marcel Mauss est aussi très présent avec les Techniques du corps (1968), qui avait révélé à l’anthropologie un type de « mémoire du corps », celle des gestes et des postures réproduites et « naturalisées », qui, pour la première fois, avaient fait apparaître la dimension du non-dit, de l’implicite, dans les faits culturels.
La centralité absolue de ces thématiques dans la pensée d’Angioni est illustrée avec force dans sa production littéraire, comme dans le roman Una ignota compagnia (1992). C’est l’histoire de l’amitié entre deux jeunes immigrés, l’un sarde, l’autre africain, dans le Milan contemporain. Au centre du récit se situe l’expérience du travail dans une petite usine de vêtements féminins ; il s’agit d’un type de production en série et semi-artisanale, qui consiste à découper avec précision des pièces de tissu d’après un modèle. Le caractère littéraire du texte ne fait pas obstacle à une description efficace (qu’il semble au contraire faciliter) du rapport entre l’ouvrier et son outil de travail et de la mémorisation corporelle, par le travailleur, de gestes techniques et de postures :
Le ciseau électrique est le principal instrument de travail. Il ne me faisait pas simplement peur : je le respectais, je l’admirais souvent, si beau et si puissant. C’était comme un ami, et le matin, parfois, pour lui dire bonjour, je serrais de la main sa lame froide pour éprouver un agréable effroi. ( … ) Le ciseau électrique demande de la perfection. Se faire la main c’est peu de chose, il faut qu’il devienne une partie de ton corps, non pas une pièce démontable ajoutée à ta main. Comme ça il devient naturel, et quand tout le corps agit tout seul, sans aucun effort d’attention, comme un âne qui connaît son chemin, seulement alors tu peux être sûr de ton travail (Angioni 1992 : 97-98).
Dans ce passage, Giulio Angioni « transfère » une partie importante de sa réflexion anthropologique dans le récit. La structure et la logique du roman lui permettent de relier la « forme de vie » des travailleurs de l’usine à un monde à eux, plus vaste, qui les contient et les explique : cette ville de Milan, ces lumières, ces odeurs, le son de cette langue et de ces bruits. Il s’agit d’une expérience, ou de son illustration, qu’un essai ethnographique aurait probablement du mal à restituer.
Faire, dire, sentir
Fare, dire, sentire. L’identico e il diverso nelle culture (2011) inscrit les grandes lignes de recherches d’Angioni, à partir des années 1970, dans un cadre théorique qui, sans vouloir être exhaustif ni particulièrement systématique, permet de montrer la complexité et la variété des thèmes traités et leurs points communs. L’horizon de référence, universel et englobant, est représenté dans ce volume à travers trois dimensions fondamentales de l’être humain : comme espèce, comme groupe social et comme individu. Trois aspects de la vie liés à l’action et au savoir pratique, à la communication et au langage verbal, au fait de donner un sens à la vie et au monde, c’est à-dire faire, dire et sentir.
Souligner qu’il ne faut pas considérer ces thèmes, faire, dire et sentir, comme séparés les uns des autres et hiérarchisés en fonction de leur importance dans la vie de l’homme est une préoccupation constante dans l’esprit d’Angioni. Or cette observation n’a rien d’évident, même dans le domaine scientifique, où certains courants de pensée, qui sont devenus partie du sens commun, ont tendance à distinguer, et souvent à hiérarchiser ces trois registres de vie. En général, ce qui domine − comme le rappelle Angioni à plusieurs reprises − « c’est dire ou sentir, au détriment de faire, jusqu’à ignorer cet aspect ou à le réduire à un naturel non humain » (Angioni 2011 : 41), une hiérarchisation qui découle de la distinction et de la dévaluation sociale des travaux manuels par rapport aux travaux intellectuels, donc de hiérarchisations sociales millénaires.
Le thème gramscien de la subalternité des classes laborieuses de toute société est un fil conducteur, évident, qui unit les trois sections de ce livre. Cela permet à l’auteur de revenir sur le faire et celui qui fait, sur le travail sous tous ses aspects, le geste technique et les savoirs de la main. La notion de subalternité est une clé de lecture également utile pour lire la section consacrée à « dire » dans la deuxième partie du livre, où est examiné le dire et le faire de qui a le pouvoir, et donc la notion gramscienne d’« hégémonie » et de « domination » :
Avec Gramsci, on peut considérer comment, pendant des milliers d’années, les classes dirigeantes de groupes sociaux différenciés et hiérarchisés ont gouverné en utilisant la parole grâce aux compétences et aux services de leurs intellectuels organiques […]. La masse a toujours dû écouter, exécuter ; elle a souvent dû croire, obéir, combattre, mais surtout toujours obéir et travailler, faire (Angioni 2011 : 146).
Et pour terminer, la subalternité, les processus de hiérarchisation sociale sont aussi une clé de lecture dans la section « sentir », où l’auteur aborde l’analyse d’une des plus grandes évidences que nous avons tous intégrée, incorporée : l’idée toute occidentale que les produits, les activités et les capacités artistiques ne sont pas propres à tous les hommes, ne sont pas constitutifs de notre espèce, mais uniquement de quelques-uns et qu’ils ne concerneraient pas tout le faire, le dire et le sentir humains, mais seulement certains domaines et certaines activités. Derrière la distinction moderne entre art et non-art se cache donc une chaîne d’oppositions hiérarchiques, comme entre le plaisir utile et quotidien, qui naît du besoin, et le plaisir éprouvé pour ce qui n’est pas fonctionnel et que l’on tient pour cultivé, pur, désintéressé, créatif, génial, original et spontané. Cependant – remarque encore Angioni – à l’époque juste prémoderne, rien ou presque n’était considéré comme beau sans être aussi utile, en commençant par le travail et ses produits :
C’est pourquoi un champ bien labouré aussi est beau, comme une charrette bien chargée, un récipient bien solide, un panier ou une cruche sans oripeaux, une répartie bien envoyée à un gêneur, etc. (ibid. : 332).
Tout au long de ce parcours qui relie les premières oeuvres d’Angioni aux plus récentes, la conviction que les aspects matériels et les aspects symboliques des cultures humaines vivent en rapport étroit et réciproque n’a jamais faibli. Cependant, il est inévitable de se poser la question d’éventuelles inflexions de sa pensée théorique entre 1974 et 2011. Dans le volume de 2011, l’anthropologue revient sur la notion de culture et critique les courants idéalistes prédominants dans l’histoire de l’anthropologie, mais il formule aussi un jugement négatif sur cet « ensemble aujourd’hui mineur de notions communes et spécialisées de culture [que] l’on peut appeler matérialistes […] où faire devient plus important que dire et sentir parce que l’on considère que les idées et les sentiments ont une moindre importance, étant évanescents par rapport à l’agir » (ibid. : 41).
Toutefois, l’auteur ne renie jamais l’heureuse période des études de style marxiste sur le travail et sur les rapports sociaux de production – souvent considérés comme le « faire » par excellence – dont il a été l’un des principaux protagonistes dans le cadre des études italiennes.
Les émotions en littérature et en ethnographie
Dès les années 1970, Giulio Angioni a vu dans l’écriture proprement littéraire un terrain efficace où mettre en jeu ses réflexions et ses connaissances d’anthropologue. Les recherches ethnographiques de l’auteur s’inscrivent dans un moment scientifique où les rapports entre l’anthropologue et l’objet de ses recherches étaient gouvernés par des méthodes et des attitudes encore assez rigides et contrôlées, où les textes étaient souvent imprégnés de scientisme, si ce n’est de véritable objectivisme. Un certain self-control caractérisait en outre la « posture » idéale du chercheur vis-à-vis du lecteur. Les premiers revirements sur les façons de concevoir et d’établir les relations avec les « informateurs » et aussi de « rendre compte » de l’expérience ethnographique sont apparus vers la fin des années 1970, mais il s’agissait de quelques cas isolés (Gallini 1981), et il a fallu du temps avant qu’on leur reconnaisse une certaine importance heuristique.
À partir des années 1990, l’écriture littéraire devient le principal moyen d’expression et de réflexion d’Angioni. En 2011, en réfléchissant sur son propre parcours anthropologique (et implicitement littéraire), il arrive à une synthèse interprétative de l’expérience humaine qu’il désigne, comme cela a déjà été dit, avec la formule faire, dire, sentir. La littérature s’est révélée un terrain fertile où transférer aussi certains principes scientifiques désormais incontournables : « la relativité, l’indétermination, l’incomplétude, la probabilité, les nuances, la complexité » (Angioni 2011 : 15). L’horizon des histoires permet en réalité de faire apparaître dans des trajectoires claires le provisoire, les contradictions, les incertitudes, les revirements d’individus confrontés aux grands changements qui s’insinuent dans le quotidien.
Giulio Angioni fait ses débuts en littérature avec un recueil de récits intitulé A fuoco dentro / A fogu aintru (1978), où sont présentes de nombreuses références au changement culturel, c’est-à-dire à la rencontre entre ce qui est « vieux » et ce qui est « nouveau » ; une thématique qui deviendra centrale, bien des années après, dans le roman Assandira (2004), comme dans la composition poétique en sarde et en italien Tempus (2008b). Dans Assandira en particulier, on perçoit sa remarquable capacité de décrire avec intensité les conflits générationnels en liant étroitement faire, dire et sentir, c’est-à-dire l’objectif de son anthropologie la plus accomplie.
La trame du roman porte sur la création d’entreprise projetée par un jeune couple. Elle est danoise et lui, sarde (c’est le fils du personnage principal). Le jeune homme parvient à convaincre son père âgé, berger à la retraite, Costantino Saru, de lui céder sa terre pour créer un lieu d’agritourisme appelé Assandira. La structure répondra efficacement au désir d’exotisme, de primitif et de nature des touristes du nord de l’Europe. L’attraction principale sera justement la présence de ce vieux berger, symbole d’une identité archaïque, qui tentera de s’adapter à cette situation, après bien des hésitations. Il ressortira ses vieux vêtements de berger et mimera, non sans une certaine solennité de façade, les gestes du passé liés aux peines et aux sacrifices qu’il venait finalement de laisser de côté depuis peu, en les mélangeant même à d’autres usages encore plus antiques qu’il n’avait lui-même jamais connus. Après une période de grand succès, l’agritourisme sera ravagé par un incendie où Mario, le fils de Costantino, perdra la vie. Les enquêtes sur l’incendie criminel mettront en évidence d’autres affaires insoupçonnées.
Ce que Mario et sa compagne Grete demandent au vieux berger, c’est de considérer ce qui est « vieux » avec des yeux « neufs » ; mais pour Costantino, appelé à incarner l’idée qu’ils se sont faite de la « tradition », la distance paraît excessive : ses impulsions à résister sont les sonnettes d’alarme d’une distance culturelle trop importante et impossible à combler. L’intensité et la rapidité du changement se reflète dans le caractère exceptionnel et presque paradoxal de l’histoire d’Assandira, où un fils attend de son père encore alerte et capable de se rebeller qu’il se métamorphose à travers la vision de son propre « présent ». Dans l’impossibilité de trouver une solution efficace pour affronter le présent, Mario est amené à renoncer à tirer la leçon de l’exemple de la vie de son père, et l’unique possibilité de s’en sortir lui est fournie en pillant son passé, en tentant de le transformer en patrimoine à mettre en vente, en transformant le passé et son père en marchandises. Une marchandise vivante, à dresser et à exhiber pour amuser un public de touristes, en proie à l’ennui et en quête d’imaginaires exotiques avec lesquels la génération de Mario partage, du moins en partie, un sentiment commun. Angioni se concentre sur la façon de « sentir » de ce vieux père, surtout quand il le décrit, ressassant tout seul. Un ressassement féroce qui contraste avec quelques rares formules lapidaires ; ce qui ne renvoie pas purement et simplement à la psychologie du personnage, mais au champ de bataille où se condense le choc de mondes culturels tout entiers, dont les modèles s’opposent, le sien et celui de son fils et de sa belle-fille, sans presque pouvoir communiquer. Ce soliloque est certainement construit grâce à la connaissance profonde de l’auteur d’un contexte culturel où il fallait savoir choisir et peser ses mots avec attention, et aussi bien contrôler ses émotions, souvent considérées comme inconvenantes, au profit de formes de communication le plus souvent implicites, inhérentes à ce qu’on fait et aux différentes façons de faire (Angioni 2003). En partant de la perception de la forte opposition entre sa façon de faire et celle de son fils (et de sa belle-fille), le personnage principal interprète les exemples de modes de vie contemporains comme des apparences, “sembler” est la version la plus négative de faire ; c’est faire sans en avoir le sens : « Sembler. Assandira n’était qu’apparence. Et l’apparence c’était tout » (Angioni 2004 : 19).
Dans la nuée de pensées et de souvenirs qui s’agitent dans le flux tourmenté de la conscience du vieil homme, le sentiment de honte domine sur tous les autres, « cette sale chose collante qui vous serre, qui vous serre » (ibid. : 12), une émotion désagréable, extrêmement négative et révélatrice de l’inadéquation, de l’erreur, de la faute, qui n’est pas sans rapport avec l’incorporation toute culturelle du sentiment de ce qui est juste et injuste et avec la construction, culturelle elle aussi, de la réputation. La honte est présente autant comme expression d’un sentiment d’inadaptation du « je » que comme le signe d’une trahison du « nous ». Le lien entre sentir et l’identité et, dans ce cas, entre la honte et le rapport avec le groupe d’appartenance, renvoie au pouvoir de juger et de contrôler de ce dernier et en révèle les valeurs partagées et les prescriptions. Parmi celles-ci domine la valeur du faire laborieux, c’est-à-dire l’éthique du « travail bien fait » (Angioni 2005 : 135-136, et 2011 : 184). Le vieux berger est conscient d’avoir trahi les sacro-saintes valeurs d’une éthique du faire en cédant à l’attraction du gain liée à une activité qui pour lui n’est pas un vrai travail, mais une mauvaise imitation, une mascarade. Un sentiment de grande honte l’assaille justement pour avoir consenti à renier sa façon à lui de faire-dire-sentir, dénaturée et mise en vente. La honte est un symptôme, parmi tant d’autres, aussi douloureux que précieux car, précisément en vertu de son caractère provisoire, capable de provoquer des réactions susceptibles d’engendrer un rachat. L’histoire de Costantino se conclut tragiquement avec la mort, non tant la mort physique (du moins pas la sienne) mais la mort d’une continuité culturelle et d’un passage de témoin entre générations, qui n’ont pas été en mesure d’établir un compromis provisoire. La condamnation à une « mort » aussi absurde lui est infligée par ce tribunal intérieur de la culture incorporée dont Costantino est aussi un juge effectif. Un tribunal qui renvoie à une communauté désormais effilochée, ou qui probablement ne résiste désormais que dans son esprit : « Si j’en meurs moi aussi, et c’est juste, ce sera de honte » (Angioni 2004 : 17).
Références bibliographiques
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Angioni, Giulio, 1974, Rapporti di produzione e cultura subalterna. Contadini in Sardegna, Cagliari, Edes.
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Angioni, Giulio, 1978, A fuoco dentro / A fogu aintru, Cagliari, Edes.
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Œuvres principales de Giulio Angioni
Textes anthropologiques
Tre saggi sull’antropologia dell’età coloniale, Palerme, Flaccovio, 1973.
Rapporti di produzione e cultura subalterna. Contadini in Sardegna, Cagliari, Edes, 1974.
« Forces productives et rapports de production dans une zone agricole de la Sardaigne », in Ethnologie et Histoire : forces productives et problèmes de transition, Paris, Éditions Sociales, 1975, p. 445-473.
Sa laurera. Il lavoro contadino in Sardegna, Cagliari, Edes, 1976.
« Il lavoro e le sue rappresentazioni » {}(s.d.d.), numéro monographique de La ricerca Folklorica, 1984, p. 9.
Il sapere della mano. Saggi di antropologia del lavoro, Palerme, Sellerio, 1986.
« L’attitude des bergers et des paysans sardes face au hasard », Ethnologie Française, vol. 17, n° 2-3, 1987, p. 324-29.
I pascoli erranti. Antropologia del pastore in Sardegna, Naples, Liguori, 1989.
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« Identità », in Giulio Angioni, Francesco Bachis, Benedetto Caltagirone, Tatiana Cossu (s.d.d.), Sardegna. Seminario sull’identità, Cagliari, CUEC, 2007, p. 12-22.
Fare, dire, sentire. L’identico e il diverso nelle culture, Nuoro, Il Maestrale, 2011.
Textes littéraires cités
A fuoco dentro / A fogu aintru, Cagliari, EDES, 1978, éd. française L’or sarde, trad.Catherine Siné, Paris, Métailié, 2003.
Una ignota compagnia, Milano, Feltrinelli, 1992.
Assandira, Palermo, Sellerio, 2004.
Tempus, Cagliari, Cuec, 2008, (nouvelle édition dans la collection Multimedia Audiolibri, Cagliari, Cuec, 2012, assorti d’un CD)
Suggestions de lecture
Angelini et Al. (cura), Dal museo al terreno. L’etnologia francese e italiana degli anni trenta, Milano, Franco Angeli : pp. 191-213.
Angioni, Giulio, 1972, « Alcuni aspetti della ricerca demologica in Italia nell’ultimo decennio », in Alberto M. Cirese, (cura), Folklore e antropologia tra storicismo e marxismo (con scritti di G. Angioni, C. Bermani, G.L. Bravo, P.G. Solinas), Palermo, Palumbo : 169-195.
Angioni, Giulio, 1994, « Une démo-ethno-anthropologie ? Des pères fondateurs aux problèmes actuels », Ethnologie Française, Regards d’anthropologues italiens, n.s., XXIV, 3, 1994 : 475-483.
Bachis, Francesco e Antonio Maria Pusceddu, (cura), 2015, Cose da prendere sul serio. Le antropologie di Giulio Angioni, Nuoro, Il Maestrale.
Cardona, Giorgio, 1991, « Italie. L’anthropologie italienne », in Pierre Bonte et Michel Izard (s.d.d.), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris, PUF : 393-395.
Clemente, Pietro et Al. (cura), 1976, Il dibattito sul folklore in Italia, Milano, Edizioni di cultura popolare.
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Lanternari, Vittorio, 1987, « L’antropologia italiana e la svolta nel secondo dopoguerra », in Pietro Sobrero, Alberto M. et Eugenio Testa, 2000, « Perché gli antropologi scrivono romanzi ? », Il gallo silvestre, 13:164-179.
Marras, Margherita, Giuliana Pias et Felice Tiragallo (s.d.d.), 2020, Un vita due volte vissuta. Giulio Angioni scrittore e antropologo, Il Maestrale, Nuoro.