L’histoire de l’anthropologie juridique est marquée par l’invention mythologique d’une tradition courte, émanant de ses acteurs eux-mêmes. Souhaitant rompre avec la lourdeur du legs colonial de l’ethnologie juridique d’avant-guerre, les anthropologues du droit des années 1960-1970 ont longuement et patiemment travaillé à réécrire et épurer leur propre histoire, au moyen d’un éventail classique de stratagèmes : changement de dénomination de leur savoir (l’anthropologie juridique succède à l’ancienne ethnologie juridique), fondation d’un Laboratoire d’anthropologie juridique et d’une chaire à la faculté de droit de Paris en 1963-1964, adoption de figures tutélaires et de pères fondateurs idéaux. Au sommet de cette patristique trône le romaniste Henri Lévy-Bruhl (1884-1964), fils de Lucien, durkheimien au-dessus de tout soupçon colonialiste ou racialiste, érigé, pour les besoins de la cause, en fondateur de l’ethnologie du droit, contre la figure des administrateurs coloniaux de l’entre-deux-guerres,fussent-ils, à l’instar d’Henri Labouret, Robert Delavignette ou Maurice Delafosse, animés par un certain humanisme colonial. Il faut rappeler combien de telles entreprises de légitimation sont le lot habituel presque naturel des fondations disciplinaires (...)
Espace de la discipline vs espace des savoirs. Dans la boîte noire des années 1950 de l’ethnologie juridique
Laetitia Guerlain
2024
Guerlain, Laetitia, 2024. « Espace de la discipline vs espace des savoirs. Dans la boîte noire des années 1950 de l’ethnologie juridique », in Laurière Christine (dir.), Les années 50. Aux origines de l’anthropologie française contemporaine, Les Carnets de Bérose n° 14, Paris, Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l’anthropologie, pp. 356-395.
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