« J’aime maintenant le ciel laiteux de Hollande et ses femmes pâles »
Marcel Mauss
Le volume conséquent d’articles et d’ouvrages consacré aux travaux de recherche et à la correspondance de Marcel Mauss (1872-1959) depuis des décennies laisse à penser que l’ensemble des facettes de la personnalité et de l’activité intellectuelle du savant français a largement été exploré [1]. Cependant, bien qu’un très sérieux et patient travail de regroupement et de description des archives ait été réalisé ces dernières années – mentionnons celui, remarquable, des collaborateurs du Collège de France [2] –, force est de constater que la localisation de documents inédits, souvent difficiles à débusquer, n’est pas encore terminée. L’œuvre de Mauss est en fait caractérisée par l’extrême dispersion des écrits qu’il a légués. En outre, l’ensemble de sa correspondance connue n’a pas encore été totalement retranscrit, ce qui prendra encore un certain temps avant d’en arriver au bout. Le dossier présenté ici se veut une contribution à cet inlassable travail de compilation et de traduction afin de donner une image au plus proche de la réalité des productions scientifiques du « père de l’anthropologie française ».
La correspondance retranscrite ici regroupe trente-six lettres [3] conservées à la bibliothèque de l’université de Leyde, aux services des archives du Collège de France et de la ville d’Amsterdam (Stadsarchief) classées de manière chronologique : quatre lettres de M. Mauss à Henri Hubert ; huit lettres de Willem Caland à M. Mauss ; une lettre de M. Mauss à W. Caland ; six lettres de S. R. Steinmetz à M. Mauss ; quatre cartes de M. Mauss à J. P. E. Schmeltz ; deux lettres échangées entre Mauss et C. P. Tiele ; une lettre en néerlandais de Madame Tiele à Mauss ; une carte en néerlandais de H. Kern à Mauss ; une lettre dactylographiée de Mauss à J. Huizinga ; une carte de P. A. A. Boeser à Mauss ; une lettre de G. van der Leeuw à Mauss ; deux lettres de Mauss à W. H. Rassers et une de W. H. Rassers à Mauss ; et enfin trois lettres échangées entre Mauss et le rabbinat d’Amsterdam, dont une en allemand. L’ensemble s’échelonne de 1898, alors que Mauss n’a que 26 ans et n’est encore qu’un étudiant, à 1938, année durant laquelle le grand savant est alors au sommet de sa renommée. Le parti pris de ce dossier a consisté à dresser un inventaire des liens qui ont existé entre Marcel Mauss, la Hollande et des savants néerlandais durant cette période. Il s’agit essentiellement ici des lettres publiques qui ont été conservées et archivées. Il est certain qu’il en existe d’autres qui seront sans doute mises au jour au fur et à mesure de l’archivage de fonds non encore exploités, entre autres celui du Museum national d’Histoire naturelle. De courts extraits de certaines des lettres présentées ici ont déjà été retranscrits par Marcel Fournier dans son ouvrage monumental sur Marcel Mauss dont plusieurs pages retracent le voyage de Mauss en Hollande [4]. Ce voyage est également mentionné à quelques reprises par des chercheurs néerlandais qui cependant, de toute évidence, n’ont pas consulté les lettres et se réfèrent directement à l’ouvrage de Marcel Fournier [5]. P. E. de Josselin de Jong dans son article « Marcel Mauss et les origines de l’anthropologie structurale hollandaise » [6], quant à lui, n’en fait aucune mention. La publication de la majorité de ces lettres est donc inédite et se veut un complément au chemin tracé par Fournier. Elle permet la reconstitution d’un réseau d’universitaires et de chercheurs caractérisé par sa variété et sa complexité et contribue aux débats sur les influences réciproques et les échanges féconds entre savants français et néerlandais dans le domaine de l’anthropologie structurale. Le contenu de cette correspondance est bien souvent personnel et n’aborde donc pas que des questions scientifiques.
Marcel Mauss partit pour la Hollande à la fin de décembre 1897 jusqu’au mois d’avril 1898, puis il poursuivit son voyage vers l’Angleterre [7]. Plusieurs raisons concoururent à ce choix. Durkheim lui avait conseillé de s’orienter vers des études en histoire des religions et Mauss, inspiré par les cours d’Octave Hamelin à Bordeaux [8], envisagea de consacrer sa thèse de doctorat à Léon l’Hébreu et à Spinoza [9]. La Hollande constituait de ce fait un passage obligé pour mener à bien son projet. Il loua une chambre au 30 Korte Mare dans le centre de Leyde, près de l’Oude Singel où il passa de nombreuses heures à étudier le philosophe : « Je m’abrutis pour achever mon Spinoza et faire ici le plus de recherches possible sur lui » (L3) confia-t-il à Henri Hubert. Dans une lettre inédite adressée en mars 1898 au rabbinat de la grande synagogue d’Amsterdam, Mauss fit la demande suivante conforme à son ambition : « Venu en Hollande pour étudier, en partie, les origines juives de Spinoza, je vous serais reconnaissant de vouloir bien m’aider dans certaines recherches que j’aurais à faire dans les archives de la Communauté Portugaises d’Amsterdam. […] Je suis sur le point d’achever pour la Revue des études juives un article sur Spinoza et Léon l’Hébreu (Leo Abrabanel) » (L12). Fruit de ce long et méticuleux travail, Mauss rédigea ses réflexions sur Spinoza dans un texte non daté et non publié à l’époque, intitulé « Théorie de la liberté ou de l’action » [10]. Fidèle à la pensée du philosophe, plusieurs années plus tard, en 1908, il ne se fit pas prier pour adresser deux lettres de recommandation, respectivement à W. Caland et J. Huizinga pour soutenir Mademoiselle Françès, agrégée de l’université, qui, sur les pas de son maître, effectua également un voyage en Hollande pour préparer une thèse sur « Le politique et les sources de la politique de Spinoza » [(L30 et L31). À côté de ses recherches sur Spinoza, Mauss consacra aussi largement son temps à l’étude des langues anciennes, second but de son voyage en Hollande, sur les conseils du grand indianiste français, professeur au Collège de France, Sylvain Lévi, qui l’incita à effectuer un séjour aux Pays-Bas et en Angleterre pour y parfaire en particulier sa connaissance du sanskrit auprès des meilleurs maîtres européens de l’époque [11]. Lévi loua le courage du jeune homme de s’engager dans un parcours semé d’embûches, tout en se voulant rassurant : « Vos projets ou mieux vos espérances d’avenir se précisent-elles ? Personne n’y prend plus d’intérêt que moi. Je serais heureux de conserver près de moi un ami aussi sûr, aussi bon, aussi dévoué, et un esprit aussi actif, aussi largement ouvert. Ceux qui accusent et bafouent les juifs, faut-il qu’ils les connaissent mal ! Vous avez quitté votre mère en deuil, vous avez retardé votre établissement, vous avez eu le courage de rester étudiant quand vous étiez en état de passer maître, et moi, vous savez quel sacrifice rendu plus douloureux encore j’ai consenti à m’imposer [12] et quelle récompense en espérons-nous l’un et l’autre, celle de rendre service à notre pays et à la science sans l’assurance de nos moyens » [13]. Il est clair qu’à cette époque déjà, tout chercheur qui avait l’ambition d’occuper des fonctions universitaires se devait d’effectuer un séjour d’étude à l’étranger. Émile Durkheim encouragea alors le jeune Mauss dans cette entreprise à première vue incertaine : « Je crois très fondé ton appréhension de trop prolonger ta carrière d’étudiant. Tu as besoin d’être astreint à des obligations régulières et à des devoirs déterminés. Du moins, si tu dois garder ta liberté encore un an, avec ses avantages et ses inconvénients, que ce soit en vue d’un but précis, comme ton voyage en Angleterre et en Hollande. Ce voyage est à faire et il faut le faire. Peut-être à tes frais si c’est nécessaire. Mais j’espère qu’il n’en sera rien » [14]. Davis S. Moyer, dans sa recension de l’article de P. E. Josselin de Jong en H. Vermeulen, signala à la suite des deux auteurs [15] qu’Émile Durkheim aurait adressé une lettre au KITLV (Koninklijk Instituut voor Taal-, Land- en Volkenkunde) à Leyde le 21 avril 1898 afin de proposer l’échange de leur périodique respectif : le Bijdragen tot de Taal-, Land- en Volkenkunde contre L’Année sociologique. Dans cette même lettre, Durkheim aurait annoncé le séjour de Marcel Mauss en Hollande pour quelques mois [16]. Lors de la consultation des archives du KITLV à la bibliothèque de l’université de Leyde [17], cette lettre n’a pas été retrouvée, mais elle peut très bien se trouver dans d’autres fonds dont nous n’avons pas connaissance. La date mentionnée par Moyer reste cependant problématique, car en avril 1898, Mauss termine son séjour et il paraît surprenant que Durkheim annonce la venue de son neveu de manière aussi tardive alors que celui-ci se prépare à partir pour l’Angleterre.
Le fait que la science religieuse hollandaise – en particulier à Leyde – bénéficiait d’un fort capital de sympathie et d’une aura internationale ne fut certainement pas étranger non plus au choix du jeune Mauss pour la Hollande : « Lorsque Marcel Mauss entre à l’École pratique, les principaux animateurs de la Ve section sont protestants : ce sont Albert et Jean Réville, Maurice Vernes et Auguste Sabatier. Albert Réville a lui-même exercé des fonctions pastorales aux Pays-Bas avant de revenir en France en 1873 pour défendre les idées libérales en religion et en politique. Professeur au Collège de France depuis 1880, ce spécialiste de l’histoire des dogmes est l’un des représentants les plus éloquents et les plus écoutés des tendances libérales du protestantisme. La direction de la Ve section est profondément influencée par la jeune science religieuse hollandaise représentée par les professeurs de l’université de Leiden en particulier C. P. Tiele et P. D. Chantepie de La Saussaye. Formés par eux, Albert et Jean Réville se veulent tout à la fois théologiens libéraux et chercheurs universitaires » [18].
Très vite après son installation, Mauss déchanta et dans la correspondance à Hubert, lorsqu’il évoque la Hollande et les chercheurs néerlandais, son ton est cinglant : « La Hollande est un pays profondément nul » (L1). Il a l’impression de ne pas apprendre grand-chose et il a une bien piètre opinion de ses interlocuteurs : « L’orgueil semble les dominer tous. […] Je les flatte, ça ne me coûte rien, et ils sont même tout à fait gentils avec moi » (L1). Pour obtenir des informations de première main, il mit en place quelques stratagèmes : « Les jeunes sont de fort braves gens. Le P. Pleyte ne demande que la paix. Ils m’apprennent d’ailleurs des masses de choses que j’ai l’air de savoir. Pensez-donc, si je disais que je ne sais rien ! » (L1). Une deuxième lettre toujours adressée à Hubert n’est guère plus encourageante : « Intellectuellement le voyage n’est pas à faire. Artistiquement et pour le pittoresque le voyage vaut 15 jours. Il n’y a qu’une classe de penseurs qui seraient bien ici, c’est ceux qui y ont réellement pensé, mais qui n’étaient pas des Hollandais Spinoza Descartes » (L2). À défaut d’apprécier la couleur locale, il s’isola pour travailler d’arrache-pied son sanskrit : « Très loin d’être malheureux ici, je sens ma vie s’éteindre. Je bavarde avec un petit avocat très nul, lui tire tant que je peux de lui, mais n’ai pas obtenu qu’il me présente à une seule femme. Le reste du temps je suis seul. J’écorche souvent le Hollandais avec ma propriétaire. Et tous désirs disparaissent. Des habitudes tyranniques, des manies, l’absence de goût, de désirs sexuels. Des rêveries peu longues mais déprimantes, dans ma chambre où je reste jusque trois heures. Voilà ce qui avec un travail machinal de remise au sanskrit mène au bout ma longue journée » (L2). Plainte lancinante qu’il réitéra dans une autre lettre : « Je suis dans une vraie frénésie de travail et de tristesse. L’avancement de la ponte, puisque j’écris, la sensation de ma lenteur, du temps qui s’écoule du peu qu’il en reste. Le besoin où je suis d’aboutir avant mon départ, tout cela me torture le cœur et je n’ai rien pour me distraire » (L3). Mauss par contre s’animait et retrouvait vie lorsqu’il discutait avec Hubert des stratégies et des jeux d’influence mis en place par le monde universitaire français pour attribuer les postes de professeur dans leur discipline.
De cette correspondance, il ressort qu’un des principaux chercheurs néerlandais qui semble avoir eu une réelle valeur à ses yeux, lors de son voyage, fut le sanskritiste Willem Caland. Willem Caland avait étudié de 1877 à 1882 le sanskrit avec Hendrik Kern, linguiste et orientaliste renommé, que Mauss d’ailleurs rencontra : « Le professeur Kern me reçoit très aimablement, et me fait faire deviser avec lui, très dignement d’ailleurs, mais sans m’apprendre grand-chose » (L1). Après avoir occupé la fonction de directeur-adjoint et professeur de grec dans un lycée de Breda, Caland fut nommé professeur de sanskrit à l’université d’Utrecht de 1903 à 1929. Il fut également membre de l’Académie néerlandaise royale des sciences à partir de 1897. Mauss chercha rapidement à le rencontrer, sans succès dans un premier temps, car Willem Caland, fort modeste, estimait ne pas être à même de l’aider (L5 et L6) : « Caland est le meilleur des hommes, une bonne et solide intelligence. Et beaucoup d’ouverture d’esprit. Il est très séduit par tout ce que je lui ai raconté et très flatté de ma recherche. Mais il est professeur de lycée et n’a que peu de temps à lui, il m’écrit encore pour me demander de le lui épargner. Tu peux penser si je le ferai. Et puis il est infiniment modeste, ne veut pas convenir qu’il en sait plus que quiconque. Il refuse de me mettre au courant de ce que lui seul peut m’apprendre parce qu’il ne le connaît pas parfaitement. Je suis très désolé. Si je pouvais, je le ferai millionnaire pour travailler avec lui. Je ne sais donc pas si je viendrai à bout des Sūtra que je vais étudier » (L2). Mais à force d’insister, Caland lui accorda tout de même un rendez-vous à Breda où il résidait (L7 et L8) en prenant soin de préciser : « Mais j’ai une prière à vous adresser : si les frais de voyage et le temps qu’il vous coûte ne sont pas compensés suffisamment par le peu d’aide que je vous offre ayez la bonté de ne pas venir en pensant qu’autrement vous pourriez me choquer » (L8). Il s’ensuivit un échange fructueux et courtois entre les deux hommes qui se témoignèrent un grand respect leur vie durant. Mauss consacra à son maître de sanskrit plusieurs comptes rendus élogieux dans L’Année sociologique [19].
Deux autres noms de savants néerlandais figurent également en bonne place dans le panthéon maussien. Si George Alexander Wilken n’est ici que brièvement cité : « Je m’abrutis pour achever Wilken » (L3), il ne faut certainement pas sous-estimer son influence sur le savant français qui vit en lui l’égal de Tylor et pour qui il voua une profonde estime [20]. Le professeur Wilken, successeur du professeur Veth, né aux Indes en 1847, s’inscrivit à Delft à l’Institut polytechnique afin de devenir fonctionnaire des Indes. En 1868, il occupa la fonction de contrôleur sur l’île de Buru puis fut successivement muté à Menado et sur la côte ouest de Sumatra. En 1878, malade, épuisé par ses séjours sous les tropiques, il obtint un congé aux Pays-Bas où il suivit des cours de sanskrit, d’arabe et de droit. En 1885, il fut nommé professeur à l’université de Leyde et donna aux cours de géographie d’alors une orientation ethnologique et juridique. Il plaça l’étude des sociétés indonésiennes dans le contexte théorique de l’évolutionnisme. Parmi ses ouvrages de référence, il écrivit entre autres De Vrucht van de beoefening der ethnologie voor de vergelijkende rechtwetenschap (De l’intérêt de l’ethnologie pour la science juridique comparée) ainsi que Over de primitieve vormen van het huwelijk en den oorsprong van het gezin (À propos des formes primitives du mariage et de l’origine de la famille). Ses travaux firent de nombreux adeptes et toute une génération d’étudiants se consacra à l’étude de l’ethnologie juridique et plus particulièrement à l’étude du droit coutumier. Citons notamment parmi ses élèves, qui acquerront tous une renommée certaine : Van Vollenhoven, Snouck Hurgronje, Van Ossenbruggen et Steinmetz. En 1891, Wilken fut nommé, avec le soutien de Tylor qui l’appréciait grandement, membre d’honneur du Anthropological Institute of Great Britain and Ireland. À sa mort, le sinologue De Groot lui succéda provisoirement de 1891 à 1904. Provisoirement, car ne se sentant pas anthropologue, il quitta cette chaire pour se consacrer à la chaire de chinois de l’université de Leyde. Mauss recensa favorablement le travail de De Groot dans quatre comptes rendus dans L’Année [21].
Marcel Mauss tenait également en haute estime C. P. Tiele, professeur d’histoire et de philosophie religieuse fort renommé à l’université de Leyde, avec qui il se lia d’amitié lors de son séjour en Hollande et à qui il demanda une lettre de recommandation (L25) afin de postuler à la chaire d’histoire des religions des peuples non civilisés, poste occupé par son ancien maître, M. Marillier, mort dans des circonstances dramatiques. Tiele accepta de bonne grâce malgré les comptes rendus critiques que Mauss lui consacrait dans L’Année [22] : « J’ai reçu dans les temps les brochures et tirages à parts que vous avez eu la bonté de m’envoyer, comme aussi votre critique de mes Gifford-lectures, qui ne fut pas encourageant pour l’auteur quoique le ton fût des plus courtois, et je suis bien reconnaissant de votre obligeance » (L26). La lettre adressée en néerlandais à Marcel Mauss par l’épouse de Tiele lors du décès du grand savant atteste bien que le sociologue français lisait le néerlandais (L28).
Les liens qu’il entretenait avec S. R. Steinmetz furent, quant à eux, polis, mais moins cordiaux, – Mauss dit de lui : « L’orgueil semble les dominer tous, même Steinmetz (lui surtout pour ainsi dire) » (L1) – mais la longue étude critique de son ouvrage Ethnologische Studien zur ersten Entwickelung der Strafe, paru en 1892, sur la religion et les origines du droit pénal, qui présente des observations sur 200 peuples, fera date dans le parcours scientifique du jeune chercheur [23]. En 1898, Sebald Rudolf Steinmetz (1862-1940) était alors enseignant en ethnologie et sociologie à l’université d’Utrecht, puis il fut professeur d’ethnologie et de géographie humaine à l’université d’Amsterdam de 1908 à 1933. Par la suite, Mauss lui consacra trois autres comptes rendus [24]. Cependant, à plusieurs reprises, Mauss tarda à répondre à Steinmetz et ne prit même pas la peine de lui rendre les livres que le Néerlandais lui avait prêtés (L19 et L20). Marcel Fournier indique d’ailleurs à ce propos : « Les silences prolongés et les négligences de Marcel Mauss ne cessent d’irriter son oncle, qui ne peut cacher qu’une telle insouciance lui cause « peine et inquiétude ». Et aussi : « Tu me fais passer cette semaine de bien mauvais moments ». À plusieurs reprises, sur plus de deux mois, Durkheim demande à Mauss d’envoyer à un Steinmetz « mécontent » qui les réclame « impérativement » le dernier volume et les placards publicitaires de l’Année sociologique : « J’ai été surpris péniblement ». Sa négligence apparaît aux yeux de son oncle d’autant plus « inqualifiable » que Steinmetz doit collaborer au prochain volume de l’année » [25]. Cependant, dans les lettres retranscrites ici le ton entre les deux hommes reste plutôt cordial, même si transparaît une certaine impatience chez Steinmetz. Marcel Fournier note également que « les recensions d’ouvrages de Steinmetz sont nombreuses dans L’Année. Durkheim à lui seul en rédige six, Fauconnet, Davy, Mauss et Parodi et Mauss seul, chacun un autre » [26].
Enfin, Marcel Mauss recensa également le travail de A. C. Kruyt, missionnaire, traducteur de la bible et chercheur en géographie et ethnologie aux Indes néerlandaises [27], et fit le compte rendu des importantes publications du juriste néerlandais aux Indes néerlandaises F. D. E. van Ossenbruggen [28]. Ce dernier fit des recherches sur des classifications, des structures territoriales récurrentes dans des sociétés géographiquement proches à Java [29].
Après quelques semaines passées à Leyde, Mauss changea d’avis sur la Hollande, non parce qu’il s’y plaisait mieux, mais à cause de la situation politique en France s’étant détériorée suite à l’affaire Dreyfus qui l’attristait : « Penser à notre pays ne m’est d’aucune douceur. J’aime maintenant le ciel laiteux de Hollande et ses femmes pâles ; le brouillard moral qui couvre la France me fait oublier ses beautés. Aimer et ne pas estimer est douloureux » (L4). Mauss ne reviendra jamais aux Pays-Bas, mais il n’aura cessé de rappeler la valeur des productions scientifiques de ce pays qu’il plaçait au même niveau que celles de l’Angleterre, des États-Unis et de l’Allemagne, alors que la France faisait, d’après lui, maigre et pâle figure :
Presque toutes les nations européennes ont aidé, par des subventions temporaires ou permanentes au développement des recherches et des publications ethnographiques. Prenons pour exemple la Hollande. Le Koninklijk Institut van Nederlandsch Indië a organisé, aidé, subventionné de multiples travaux. Dans son important périodique, Bijdragen tot de Taal-Land-en Volkenkunde van Nederlandsch-Indië, et dans ses volumes spéciaux, ont vu le jour les belles études de van der Tuuk, de van Hasselt, de Wilken, de Kruijt. La Société de Batavia, qui est une véritable académie, le gouvernement des Indes néerlandaises lui-même dirigent et publient de non moins remarquables travaux. L’expédition à travers Bornéo de M. Nieuwenhuis, aujourd’hui professeur d’ethnographie à Leide, a été officielle, faite pour ainsi dire en service commandé. Le livre de M. Snouck Hurkronje [sic], Atjeh, consacré aux fameux rebelles malais, celui de M. Riedel, De Sluik-en Kroeshaarigen Rassen Tusschen Timoer en Celebes, consacré à la population de quantité de petites îles, doivent tous deux leur exécution à l’appui et même à l’initiative de l’administration et des corps savants. Enfin le gouvernement des Indes a fait entreprendre et poursuivre une vaste compilation sur le droit coutumier de toutes les populations malaises, pour le publier et le codifier. Les volumes de l’Adat Kommissië, commission des coutumiers, reste pour toujours un monument. Elle n’aura pas été seulement utile à l’administration de la justice indigène, elle sera aussi une œuvre scientifique dont l’histoire du droit et la sociologie devront tenir compte. Le Musée national de Leide, publie, lui aussi, d’excellents Rapports, des catalogues précieux, et enfin le gouvernement des Pays-Bas subventionne la coûteuse et belle publication de l’Internationales Archiv für Ethnographie [30].
Mauss a ainsi connu et cité les plus grands noms de l’anthropologie néerlandaise. Il a également rencontré la génération montante d’un certain nombre de savants néerlandais qui, à l’occasion, le saluèrent par l’entremise de W. H. Rassers, dans une lettre datée du 6 décembre 1938 :
« M. M. Kruyt, de Josselin de Jong et Locher me prient de les rappeler à votre bon souvenir. Moi-même, je reste, avec une bonne poignée de main, bien à vous, Rassers » (L36). Il s’agit ici bien entendu de J. P. B. de Josselin de Jong [31], l’un des pères de l’anthropologie structurale, éminent représentant de l’école de Leyde, qui déjà en 1935 avait publié son fameux « De Maleische Archipel als ethnologisch studieveld ». Étonnamment, à partir de 1938, alors que jusque-là, les Néerlandais avaient tenu le haut du pavé, grâce notamment à l’extraordinaire travail de recension et de passeur qu’avait réalisé Mauss, la plupart des anthropologues néerlandais, bien qu’ils aient travaillé sur des sujets et des modèles théoriques assez similaires, disparurent soudainement du champ de vision des chercheurs français [32]. Ceci pose la question des influences mutuelles ou d’idées qui se propagent sans doute de manière orale ou qui naissent peut-être au même instant sans aucun contact d’aucune sorte. Cette question est évoquée à demi-mot par Gerard van der Leeuw – sans vouloir donner l’impression d’insister – dans une lettre adressée à Mauss le 21 janvier 1932 : « En préparant le chapitre de ma « Phénoménologie générale de la religion » qui traitera du sacrifice, je viens de lire votre étude sur le Don, dans l’Année Sociologique de 1925. Cet essai important me rappelle vivement l’article que j’avais moi consacré il y a bien d’années à la formule do ut des [33]. Il m’a semblé qu’il y existait bien des rapprochements entre votre essai et mon article, du moins dans leur tendance générale » (L33). Il n’est jamais aisé de retracer l’histoire des influences nombreuses entre chercheurs, d’où la nécessité de prendre aussi en considération les sources primaires afin de mieux saisir le cheminement des idées véhiculées au cœur d’un vaste réseau transfrontalier de relations humaines et intellectuelles, parfois concurrentes, mais toujours fécondes.
(L1) [34][Fonds Collège de France][Lettre de Marcel Mauss à Henri Hubert][Non datée – sans doute début 1898]
Mon cher Hubert,
Je pense enfin à vous : ou plutôt, je m’exprime mal, je pense souvent à vous, mais au fond n’ayant rien de bien neuf à vous écrire je tarde à le faire. Je sais tant que la lettre que je commence ne sera jamais finie, que j’ai réussi de vous écrire les balivernes que voici. Et d’abord je voudrais vous dire (de loin ça se dit mieux), toute la profonde amitié que je vous ai vouée. Car il n’y a pas entre nous que des liens intellectuels et (j’aime à faire plaisir à ceux que j’aime) votre délicatesse extrême m’a donné pour vous la plus réelle estime, et la plus grande confiance dans votre caractère. Je regrette tout simplement de ne pas vous avoir connu avant. Mais nous allons n’est-ce pas nous rattraper. Nous avons du temps devant nous.
Voilà ma déclaration et ma première stupidité expédiée. La seconde va consister à vous parler de moi. La Hollande est un pays profondément nul. Vous-même qui êtes peintre et saisissez le dessous des couleurs, ne vous y intéresseriez pas [35]. Dans l’imagination, les artistes hollandais nous ont forgé une Hollande non pas plus belle (ils n’ont pas réussi à la faire belle) mais plus intéressante. C’est plat, délavé, sans accidents, sans relief, sans vie. Les eaux sont mortes, les rafales mêmes arrivent comme essoufflées, et il tombe moins de pluie qu’il n’y en a dans l’atmosphère. Le clair-obscur n’est pas la lumière des choses. Ou bien l’air est comme chez nous, ou il n’est obscurci tout à fait ; et les intérieurs hollandais sont clairs et lumineux. D’ailleurs sans vie bien intense. Amsterdam n’est pas la Venise du Nord, La Haye est une ville internationale, et Leyde est une bonne ville flamande avec un peu plus de canaux que de coutume. Les larges fenêtres, et les maisons rouges commencent à Maubeuge et ne sont guère spécifiques. Les choses correspondent aux gens. La vie tout entière est réglée par le mouvement des lents bateaux qui remplacent notre roulage ; le Hollandais se lève aussi difficilement qu’il ne se couche. Le travail des gens, quoique réel, n’est ni imposant ni précieux. Il est honnête, intéressant. La Hollande, intellectuellement, est à sa place comme elle l’est économiquement. Le professeur Kern [36] me reçoit très aimablement, et me fait faire deviser avec lui, très dignement d’ailleurs, mais sans m’apprendre grand-chose. Mais j’ai besoin de directions. Je suis en train de m’aboucher avec Caland [37] pour mes Sūtras, ça a l’air de marcher. J’ai vu deux fois Tiele [38], et la menace de mon C.R.à la Rev. Philo. m’a fait inviter à dîner. L’orgueil semble les dominer tous, même Steinmetz [39] (lui surtout pour ainsi dire). Je les flatte, ça ne me coûte rien, et ils sont même tout à fait gentils avec moi.
À propos, vous devez être nommé. Or j’ai écrit à Reinach [40]. Dites-lui donc que j’ai vu aujourd’hui le P. Pleyte [41], et que l’affaire est emmanchée il n’a qu’à m’écrire, et me donner le détail de ce qu’il veut. Je leur ai identifié une série de petits dieux hindouistes, dont j’ai vu par hasard des photographies actuelles et ils se feraient pendre pour moi. Les jeunes sont de fort braves gens. Le P. Pleyte ne demande que la paix. Ils m’apprennent d’ailleurs des masses de choses que j’ai l’air de savoir. Pensez-donc, si je disais que je ne sais rien ! Au point de vue archéologique (!), j’aurais fait mes études à Leyde. [illisible] préhistorien m’a l’air tout à fait sympathique. Il faudra voir.
Je touche quelques mots à Reinach, de l’Année, voulez-vous lui en parler : j’indique même qu’on pourrait lui en faire venir un exemplaire à un titre quelconque, expliquez- lui ce que l’on pourrait entendre par là. Il serait fort amusant et fort bon, matériellement, de séduire Reinach. Tels des Buddhas, faisons tourner devant lui la roue de la loi. D’ailleurs c’est une âme prête aux conversations.
Je n’ai écrit qu’une courte carte postale à Lévy pour lui souhaiter un bon voyage [42]. Je n’avais guère à lui dire. J’ai d’ailleurs, pour lui, d’assez mauvais renseignements en ce qui concerne Bordeaux. Les Athéniens sont terriblement forts. Il ne semble pas qu’on pourra empêcher le Foucart [43] palmé de partout, d’arriver là, sauf en refusant le principe même de la chaire et en proposant une autre. Je n’ai pas eu le courage d’en parler en ces termes à Lévy. Enfin, que faire ? Voyez quelque chose. J’en ai d’autant moins eu à le faire que je suis moi-même en jeu. Et je vous dis ici une chose dont je ne voudrais parler à personne sinon à vous. Hamelin [44] a pensé que l’on pourrait parler plutôt d’une chaire de science des religions, pour moi, et se concentrer sur moi contre Foucart. Durkheim m’en a parlé et abonde mienne. J’ai énergiquement refusé ; outre les relations que j’ai avec Lévy, je ne veux pas, conscients des autres injustices et des autres faveurs, qu’il y ait en cela une apparence d’ailleurs fondée de népotisme et de coterie. C’est d’ailleurs de la générosité à bon marché, la chose étant au-delà du problématique et c’est pourquoi tout ceci doit rester entre nous. En tout cas j’ai écrit pour maintenir la candidature de Lévy à une chaire d’histoire, religions, d’archéologie et langues sémitiques, par opposition à l’égyptologie et l’archéologie foucartienne, et ai exposé les raisons pour préférer l’une ou l’autre. Je crains malheureusement qu’il ne sorte rien de là pour Lévy. Me conseillez- vous de le tenir au courant. Je n’ai pas pu le faire tant que j’étais en question, il peut être informé par moi, maintenant que l’incident est clos. Écrivez-moi longuement sur ce point.
J’espère que vous avez vu Fauconnet [45] ces jours derniers et qu’il vous a fait part de mes recommandations au sujet du colis postal.
Ma lettre traîne, vous voyez, et je n’ai pas encore parlé de notre topo commun. Au fait, avez-vous reçu communication des dernières lettres que j’ai écrites à Durkheim, sinon, demandez les lui, je crois que j’arrive à fixer un certain nombre de points mieux que vous n’aviez fait. Il faudra à toute force n’est-ce pas que nous passions les vacances ensemble.
J’ai vu De Goeje [46] à propos de l’ihrâm [47]. Il n’a pas l’air d’en savoir plus que les autres, mais il veut bien lire avec moi les textes auxquels les autres réfèrent. Ce que c’est donc embêtant de ne pas tout savoir et je ne puis songer à faire de l’arabe sérieusement. Je ferai un peu d’hébreu avec Oort [48] – je verrai. Kosters, qu’avait remplacé Kuenen [49], vient de mourir. La bibliothèque est bonne. Mon travail est bon. J’ai pondu mon C. R. de Tiele [50] pour Ribot [51].
Dites-moi les potins de Paris n’est-ce pas. Donnez de mes nouvelles à Simiand [52] et à Drouin [53] si vous les voyez et dites leur bien des choses de ma part. Je voudrais être autant à moi que je suis à vous.
Votre Mauss
30 Korte Mare – Leyde
Chez Mej. Audreac
(L2) [54][Fonds Collège de France][Lettre de Marcel Mauss à Henri Hubert][Non datée – sans doute 1898]
Mon cher Hubert,
J’avais bien pensé à te tutoyer dans ma dernière lettre. Aussi bien cela a été souvent sur le bord de nos lèvres à tous deux. Et si, alors que je tutoyais Lévy [55] sans que je le fasse avec toi, c’est que Lévy a si peu de prestige pour tous, que tous nous le tutoyons un peu comme un esclave de confiance. Tandis que j’ai longtemps eu peur que certains tutoiements ne pénètrent des replis délicats de ton âme. Je ne suis probablement pas plus expansif que toi mais plus raseur, et j’ai eu peur que ce côté ne t’apparût trop prêt de mon caractère.
Voilà donc ce tu adopté, transmets à Stickney [56] mes remerciements de m’en avoir indiqué le chemin. Nous voilà pour longtemps réunis.
Ma vie devient de jour en jour plus somnolente. J’écris pourtant, mais je ne pense pas, je ne cherche pas. Si j’avais le temps, l’argent ou un débouché, je crois que je ramènerais de curieuses observations sur la Hollande. On n’y pense pas, on n’y invente pas. Nulle excitation philosophique. Ils mettent en un style clair de bonnes dissertations allemandes ; ils adaptent lentement leur pays à l’utilitarisme anglais, au progressisme européen ; les peintres même les jeunes (très forts, c’est tout) suivent avec sagesse et clarté le mouvement impressionniste. Mais si tu savais comme on est loin de ce bouillonnement d’idées de Paris ; le grand souci c’est d’être « accurate », et d’être fin, d’être clair et d’être complet. C’est tout. Nulle préoccupation de l’idée réellement neuve et originale. Intellectuellement le voyage n’est pas à faire. Artistiquement et pour le pittoresque le voyage vaut 15 jours. Il n’y a qu’une classe de penseurs qui seraient bien ici, c’est ceux qui y ont réellement pensé, mais qui n’étaient pas des Hollandais Spinoza Descartes. J’ai fait leur pèlerinage et j’ai vu à la nuit tombante, sous les hêtres et les sapins la vaste maison où habitait Descartes à Endeburg et qui est maintenant le centre d’un ensemble de pavillons de fous. Pour un solitaire, auquel suffit sa pensée, sans artifice, sans vue de la vie et sans sensation des choses, la vie d’ici est convenable. Le temps que j’y vais passer est le maximum que j’y pourrai supporter.
Alors, cher ami, toi aussi tu t’es ennuyé lors de notre envolée aux quatre coins de l’Europe, voire de l’Asie. À Dieu ne plaise que jamais je critique les arrangements que tu choisis pour ta vie. Ils me semblent d’autant mieux faits pour toi que tu te les es proposés en pleine conscience et les as appliqués de même manière. Et pour tout t’avouer comme ils me semblent te mener droit au mariage et à te donner la vie que tu rêves, douce et complète, je les trouve parfaits. Mais permets-moi de te dire pourtant que souvent un whist délasse plus qu’une grave flânerie avec un camarade, et de te conseiller encore quelques sorties qui apprennent plus sur la vie que toute réflexion. Le temps que tu prends en ce moment, sans profiter de la jeunesse, ne se retrouvera plus. Non pas que je te prône les choses au-dessus de tes forces, des gueules delacroinesques chez Amédée Balzar [57], et la fréquentation des champs de course. Mais je crains pour quelques instants des années qui vont s’écouler, des périodes d’isolement pour toi, parce que ta vie ne fera pas assez de place à une végétation et une action qui précisément occupent ces moments de solitude.
Très loin d’être malheureux ici, je sens ma vie s’éteindre. Je bavarde avec un petit avocat très nul, lui tire tant que je peux de lui, mais n’ai pas obtenu qu’il me présente à une seule femme. Le reste du temps je suis seul. J’écorche souvent le Hollandais avec ma propriétaire. Et tous désirs disparaissent. Des habitudes tyranniques, des manies, l’absence de goût, de désirs sexuels. Des rêveries peu longues mais déprimantes, dans ma chambre où je reste jusque trois heures. Voilà ce qui avec un travail machinal de remise au sanskrit mène au bout ma longue journée. À propos que Reinach m’écrive il faut battre le fer tant qu’il est chaud [58].
Pour Lévy je l’informerai. Si je puis faire agir je n’y manquerai pas. J’ai malheureusement cessé depuis longtemps toutes relations avec Egger [59] auquel j’aurais pu glisser des choses dans l’oreille. Je vois quelquefois Lichtenberger [60] aux vacances. Mais fort peu intimement et sa nullité me le rend fort peu sympathique.
Cette histoire d’orientalisme de Liard [61] est louable. Malheureusement je crois que ça doit se rattacher aux études coloniales qu’on va planter dans les universités pour caser Chailly-Bert [62], et pas du tout à des préoccupations scientifiques et pour moi on m’offrira longtemps le Cambodge.
Pour Bordeaux ma décision est prise et je n’y reviendrai pas. J’ai d’ailleurs une réponse de D. [Durkheim] qui comme moi répugne à pousser à la roue.
Je vais donc écrire à Lévy pour l’informer que le conseil à Bx [Bordeaux] ne se réunira que dans quelques mois pour traiter cette question. Que si, avant, un poste se présente qu’il le demande ; le parti Athénien semble en effet redoutable et la lutte ne pourra guère se faire contre Foucart, elle devra se faire contre le principe de la chaire. Si une majorité se forme ce sera en faveur d’une chaire de sémitisme ou de toute autre chaire, en face de celle de Foucart. Je ne lui conseillerai donc pas d’espérer autrement que cela, et lui dirai de surveiller de son mieux à Paris. Tu es là et Reinach plus.
Je ne te parle pas aujourd’hui du sacrifice. Ton plan et tes formules pour le sacrifice agraire me séduit beaucoup ; mais je crois que la variation n’est pas aussi nette et qu’il faudra marquer, dans les termes, qu’il s’agit plutôt d’une classification que d’une généalogie. Le sacrifice agraire en effet est ou bien général ou spécial et l’esprit du champ ou l’esprit de la végétation ont été suivant les cas les objets du culte. Tu es d’ailleurs dans l’impression des Mythologie Forschung. Les B.W.F.K. sont mieux correspondant des faits sur ce point.
D’autre part je me tente en ce moment aux Sūtra. Et quelque restreinte que devienne ma besogne, elle est horrible pourtant.
Caland est le meilleur des hommes, une bonne et solide intelligence. Et beaucoup d’ouverture d’esprit. Il est très séduit par tout ce que je lui ai raconté et très flatté de ma recherche. Mais il est professeur de lycée et n’a que peu de temps à lui, il m’écrit encore pour me demander de le lui épargner. Tu peux penser si je le ferai. Et puis il est infiniment modeste ne veut pas convenir qu’il en sait plus que quiconque. Il refuse de me mettre au courant de ce que lui seul peut m’apprendre parce qu’il ne le connaît pas parfaitement. Je suis très désolé. Si je pouvais, je le ferai millionnaire pour travailler avec lui. Je ne sais donc pas si je viendrai à bout des Sūtra que je vais étudier.
Je n’étudierai que les Çrautasūtras [63] c’est-à-dire les sacrifices solennels et je ne sais si j’en viendrai à bout. Sauf dans un, les mantras ne sont donnés qu’en abrégé. Il faut les chercher dans le commentaire et puis dans le veda correspondant. Voici cela d’ici.
En second lieu, je songe et je tacherai, sinon t’en déléguerai la charge de faire quelque chose sur les rites du sacrifice dans le temple d’après le talmud. Je me rappelle en effet des textes beaucoup plus détaillés que ceux de la Bible. Ils sont réunis dans une section spéciale et facilement accessible. Je vais en débattre encore là-dessus.
Du point de vue philologique, mon travail de cette année sera nul, sauf du pali et un peu d’arabe je n’apprendrai rien de nouveau et moi qui étais parti claironnant de projets gigantesques.
Ton Mauss
(L3)[Fonds Collège de France][Lettre de Marcel Mauss à Henri Hubert][Non datée – sans doute 1898]
Cher ami
J’ai demandé l’adresse de Tuchmann [64] à Gaidoz [65] qui est très obligeant, transmets ma lettre à ce dernier. La lettre de Gaidoz est très sympathique et pour moi et pour les Tendances de l’Année. Ce sera un homme à cultiver. D’autant plus que c’est un brave homme auquel on n’a pas assez, en France, rendu justice. Donne-moi l’adresse de Lumout. Je consacrerai peut-être quelques heures à le voir à Bruxelles ; dis-moi quels renseignements tu pourrais avoir à lui demander. Veinard [toi] qui vas à Florence. D’où te vient cette envie ? Stikney serait-il un peu cornac. À propos de lui je crois bien avoir péché une paire de çloka [66]. Deux livres sūtra, les Gṛhyasūtra. Connait-il les origines du çloka il y a quelque chose de Weber [67] et quelque chose d’Oldenberg [68] dans la question. Je serai bien content de te voir à Oxford. Mais je ne sais pas encore bien précisément si ce n’est pas à Cambridge que je me fixerai. Tu sais bien que c’est Cambridge que j’avais choisi à cause des anthropologues et de la Bibliothèque que Frazer [69] s’y est installée. Mais voilà, les sūtras bouleversent tout ; à Oxford Winternitz [70] pourrait m’aider et me surveiller – Un certain nombre de mythes du genre assyrien se trouvent dans les Brāhmāṇa [sic], on peut même dire qu’ils en forment le fonds mythologique. Tu verras sur ce point le bouquin de Lévi [71] et nous pourrons en choisir un certain nombre de remarquables. Il faut même dire que la théorie expresse du sacrifice védique (A. Bergaigne [72] Relig. védique) que le mythe est l’ombre du sacrifice ou inversement, l’action humaine dérive de celle des Dieux, mais elle les oblige par incertitude. Tu vois que les équivalents pourront être indéfinis. D’ailleurs à chaque instant le mantra fait allusion au mythe : de la même façon qu’Indra a tué les Asuras avec son vajra (tonnerre) de la même façon, il tue avec ce sabre (de bois). Au fonds, Regnaud est fou [73] mais il a quelques fois raison.
Dis à Reinach que j’ai l’autorisation qu’il recevra les photographies faites le plus artistiquement possible par le meilleur photographe de Leyde – ceux du reste de la Hollande [74].
Je suis dans une vraie frénésie de travail et de tristesse. L’avancement de la ponte, puisque j’écris, la sensation de ma lenteur, du temps qui s’écoule du peu qu’il en reste. Le besoin où je suis d’aboutir avant mon départ, tout cela me torture le cœur et je n’ai rien pour me distraire. Je m’abrutis pour achever mon Spinoza et faire ici le plus de recherches possible sur lui. Je m’abrutis pour achever Wilken [75] et je ne peux pas lâcher les sūtra, [fin de la lettre perdue]
(L4) [76][Fonds Collège de France][Lettre de Marcel Mauss à Henri Hubert][Non datée – sans doute 1898]
Mon cher Hubert,
Tu me demandes une réponse rapide et je ne manque pas de t’obéir. D’abord parce que tu me parais, peut-être une suite de ta grippe, dans un état moral qui me laisse quelque souci. En fait, mon oncle et toi, vous avez conservé l’idéal de Normal et du lycée. Votre vie entière tournée vers les choses de l’intellect, n’a pour but que les renoncements ou les jouissances très hautes, vous n’avez pas de milieu. Tu as mon cher ami, les habitudes qu’une éducation très violente, d’école, vous impose. Et certes, cet idéal est trop beau, et ces renoncements trop nobles pour que je vous blâme jamais ; si dans mon amour pour mon oncle, dans mon amitié pour toi, se mêle quelqu’admiration, c’est bien ce trait de votre caractère qui est en cause. Mais c’est pour la même raison que je vous vois souvent malheureux, et je l’ai dit à Durkheim je peux bien te le dire, souvent sans raison. Des renoncements, cher vieux, il en faut certes, et j’ai depuis bien longtemps, distingué, mieux que d’autres, ce que je dois refuser de désirer, et ce que je dois désirer. Durkheim et maman ont eu plus de peine que moi lorsque j’ai subi quelqu’échec. Mais, vous, vous vous refusez les plaisirs qui consistent dans la simple expansion, si peu esthétique, dans les jouissances matérielles. Et de temps en temps, quand la fatigue vous prend, ou que l’effort vous apparaît inutile, ce sont les crises qui me font peine. Oh ! comme je voudrai vous donner de ma sérénité !
J’ai reçu une bonne lettre de Lévy [77], bien courageuse, bien allègre, le bon garçon qui se vautre dans les mûres ? Veux-tu que je te l’envoie ?
Mon travail traîne et avance. C’est du « deux fiches par jour ». Les documents ethnographiques vous donnent une autre moisson. Ah ! s’ils avaient la même valeur que ces sacrés textes. Je vais aujourd’hui en huit, faire passer à l’éprouvette, chez Caland à Breda (2h30 de chemin de fer d’ici) mes traductions, de l’un des sutras. Peut-être aurais- je fini à temps. Mais je travaille de peur de n’avoir rien compris.
Après cela, je n’aurais pas trop le temps pour m’atteler à mon article sur Wilken et à la rédaction des premières pages de notre topo avant mon départ. Renvoie le plan annoté.
À ce propos, renvoie-moi donc n’est-ce pas les Mythologische Forschungen, et pour cela porte le chez mes cousins qui ont un envoi de bouquins à me faire.
Pour les textes Bibliques, j’ai vu la Genèse et le Lévitique, comme je fais les Rois chez Oort, veux-tu me les laisser. Charge-toi du reste et du Talmud. Ce que je ferai en même temps que toi ne sera pas du temps perdu. Il faut pourtant que je n’oublie pas le peu que je sais d’hébreu.
Rappelle à Reinach la question des photographies. Je deviens ridicule à ainsi tarder.
Et toi comme tu es tu me réponds « musée d’Oxford » quand je te parle de Leyde.
Pour le tabou de la chose jugée voici la question. 100 lignes je peux les faire, un article sérieux, ça m’est impossible. Mes recherches de sociologie criminelle et religieuse ont exclusivement porté sur la peine, non pas sur la procédure. Je ne connais cette dernière que par ses connexions avec la première. Je pourrai peut-être faire un peu quelque chose sur les caractères de la procédure primitive et montrer que nous n’en sommes pas si éloignés que cela, allusions au tabou de la chose. Mais pas plus de 6 pages. J’ai trop à faire et cette science serait n’est-ce pas tendancieuse (à dire vrai).
Penser à notre pays ne m’est d’aucune douceur. J’aime maintenant le ciel laiteux de Hollande et ses femmes pâles ; le brouillard moral qui couvre la France me fait oublier ses beautés [78]. Aimer et ne pas estimer est douloureux. Combien suis-je heureux d’avoir des amis comme toi,
Ton Mauss
(L5)[Fonds Collège de France][Lettre de Willem Caland à Marcel Mauss][Breda, le 12 janvier 1898]
Cher Monsieur Mauss,
Après mûre réflexion je vous donne la réponse suivante à la demande flatteuse que vous venez d’adresser à moi. L’étude des Śrautasūtras est, vous le savez, fort difficile, car elle embrasse aussi l’étude des Vedas propres puisque chaque astre est accompagné de son Mantra védique. Pour mon compte, j’ai trop peu étudié ces textes, pour pouvoir servir de guide d’une manière qui me contenterait. On doit être pour soi-même exigeant, n’est-ce pas ? Et vous-même serez le premier à me donner raison à ce propos. Il y a encore autre chose : mes moments libres sont, comme je vous l’ai dit déjà, comptés et je craindrai qu’une préparation suffisante pour une sorte de cours sur le rituel hindou ne me coûtât trop de mes loisirs. Si par hasard vous auriez des difficultés insurmontables, je tâcherai volontiers de vous aider, et je vous prie de vous adresser par écrit à moi. Alors j’essaierai de vous aider yathāśakti [79].
En attendant je pourrai vous indiquer ces parties du rituel qui me paraissent être pour votre but les plus intéressantes. Je vous recommanderai l’Āpastambaśrautasūtra parce qu’il est édité avec soin par Garbe et avec commentaires, ce qui est une circonstance de la plus grande valeur : le darśapūrṇamāsa [80] (I.1-III.14.5 surtout le piṇḍapitṛyajña [81] (I.7-I.11), le rituel du yajñamāna présentant le darśapūrṇ(amāsa) (IV.-5 ; IV. I4- fin IV.16.20) ; la pitryeṣṭi (VIII.13-VIII.16.22) ; le très intéressant rituel du tryambaka- sacrifice (VIII.17-18.20) et enfin la dīkṣā pendant le sacrifice du Soma (X.5.1 – X.20).
Je vous remercie encore pour votre très intéressant et instructif compte rendu du livre de Steinmetz et je vous pie, cher Monsieur, d’agréer mes sentiments les plus distingués.
Je suis votre dévoué,
W. Caland
(L6)[Fonds Collège de France][Lettre de Willem Caland à Marcel Mauss][Breda, le 23 janvier 1898]
Cher Monsieur,
Comme antidôron [82] à votre gracieux cadeau (votre compte rendu de Steinmetz), j’ai l’honneur de vous offrir mon compte rendu du Mānavagrhya ; peut-être vous avez déjà vu le texte ?
Je regrette beaucoup de ne pouvoir vous être plus utile, cher Monsieur. Si encore je demeurais à Leiden, je pourrais vous donner de temps à autre un petit conseil. Par exemple j’ai cru remarquer que vous ayez de la peine à déchiffrer les pratīka des mantras dans Āpast. [sic] Eh bien vous connaissez pourtant l’édition de Weber de la Taittirīya Samhitā ? Elle a paru dans les Indische Studiën (tome XI-XII) et se trouve dans la bibliothèque de l’université. Vous y trouverez à la fin la liste complète des pratīka qui est indispensable à l’étude des Śrautasūtra du Yajus noir. Encore un conseil cher Monsieur. Si vous avez trop de peine à comprendre un sūtra passez outre et prenez-le suivant. Après vous pourrez revenir à ceux que vous n’aurez pas compris. Et n’étudiez le commentaire seulement lorsque le sūtra ne vous est pas clair. Et pourquoi est-ce que vous n’y parviendrez pas à comprendre autant que moi ? Vous avez le temps et la volonté, les deux choses indispensables à toute étude. Je vous souhaite bons progrès cher monsieur.
Croyez-moi votre dévoué,
W. Caland
(L7)[Fonds Collège de France][Lettre de Willem Caland à Marcel Mauss][Breda, le 13 février 1898]
Cher Monsieur,
Avec beaucoup de plaisir je me mettrai à votre disposition mercredi le 23 février. J’espère vous pouvoir être utile. Mais afin que je vous sois aussi utile que possible, je vous prie de m’indiquer d’avance ces passages, qui vous ont causé les plus grandes difficultés. Je vais les étudier un peu. Car je le répète, il y a dans ses sūtras un grand nombre de passages qui ne me sont pas plus clairs qu’ils ne l’auront été pour vous, de sorte que je crains beaucoup que votre visite à Breda ne vous laissera désenchanté. Je serai libre dès deux heures et vous pourrez trouver mon adresse assez facilement. Aussitôt sorti de la gare, vous passez la rue à droite devant vous ; vous trouverez un pont que vous avez à traverser ; en tournant à votre gauche (que ce ne soit pas en mauvais sens !) vous suivrez le canal et vous vous trouvez sur la Heiligsingel où je demeure n° 5. J’ajoute un petit plan :
– chemin de fer de Rotterdam
Surtout, cher Monsieur, veuillez ne pas oublier de m’indiquer ces parties que vous avez étudiées et qui vous ont causé les plus grandes difficultés. Vous apporterez votre Āpastamba ? Moi j’ai toute la littérature qu’il nous faudra.
Croyez-moi cher Monsieur votre dévoué,
W. Caland
(L8)[Fonds Collège de France][Lettre de Willem Caland à Marcel Mauss][Breda, le 20 mars 1898]
Cher Monsieur,
Si vous trouvez, après expérience faite, que je puis vous être de quelque utilité pour vos études des sūtras rituels je me mettrai avec beaucoup de plaisir à votre disposition samedi ce 26 mars. Mais j’ai une prière à vous adresser : si les frais de voyage et le temps qu’il vous coûte ne sont pas compensés suffisamment par le peu d’aide que je vous offre ayez la bonté de ne pas venir en pensant qu’autrement vous pourriez me choquer. Ce serait pousser la politesse trop loin. Donc le samedi entre 1 ½ et 2 heures de l’après-midi vous pourrez disposer de moi.
À propos du mot darda j’ai demandé si M. Kern me pourrait expliquer pourquoi les Indes appellent darśa la nouvelle lune c.à.d. quand on ne voit pas la lune (avijñāya candramasam dit Baudhāyana). Mais il ne paraît pas non plus voir de la lumière dans cette question.
Voulez-vous me faire plaisir monsieur en me communiquant par écrit votre définition d’une lustration ? J’ai étudié beaucoup ce sujet les derniers mois mais je tiens beaucoup à connaître votre définition [83].
Est-ce que le compte-rendu que vous avez écrit à propos du rite funéraire [84] n’a pas encore paru ?
Je suis toujours, cher Monsieur, vôtre dévoué.
W. Caland
(L9)[Fonds Collège de France][Lettre de Willem Caland à Marcel Mauss][Breda, le 23 mars 1898]
Cher Monsieur Mauss,
Je regrette infiniment ne pas pouvoir vous recevoir le 8 avril. La cause est que je vais en voyage moi-même le 7e pour passer mes vacances de Pâques ailleurs. Mais si vous voulez m’envoyer une liste de ces passages d’Āpastamba qui vous intéressent le plus, je tâcherai à les vous [sic] interpréter aussi bien que mal. Si vous voulez me donner votre adresse à Londres, je pourrai vous envoyer mes explications. Toutefois je préférerais vous les envoyer à Leiden, mais pour cela il me faudrait recevoir votre liste quelques jours avant les Pâques.
Je vous remercie d’avance de vôtre compte-rendu et de la peine que vous avez prise pour me procurer un tiré-à-part.
Quant à la signification propre du mot darśa, le passage de Hiraṇyakeśin cité par vous, ne prouve rien, à ce qu’il me semble. Il s’agit ici d’un prāyaścitta [85], donc d’un événement anormal. En effet il est possible que juste au moment de la conjonction du soleil avec la lune on voit par une sorte de reflet les contours de la lune. Il me semble que la prescription de Hir se rapporte à ce phénomène anormal.
Au contraire il est possible que pourtant vous avez [sic] raison en prenant darśa comme dénotant le moment où la lune commence de nouveau à se montrer. Mais alors darśa n’est pas synonyme de amāvāsyā [86] ni strictement le contraire de pūrṇamāsa probablement darśa est le jour après l’amavasya le pratipat.
Voilà encore une question à résoudre.
Je suis cher Monsieur Mauss votre très dévoué,
W. Caland
(L10)[Fonds Collège de France][Lettre de Willem Caland à Marcel Mauss][Breda, le 27 mars 1898]
Cher Monsieur M.
Vous me trouverez à votre disposition mercredi 6 avril environ 1 ½. Merci beaucoup pour votre définition détaillée de la lustration. Je constate avec plaisir et satisfaction que l’idée que j’en avais formée est à peu près la même. Ma définition est aussi double. Vous m’obligerez encore grandement cher Monsieur en m’écrivant si vous le voulez bien de quelle manière on fait la lustration et l’expiation du criminel (chez les Romains) pour lui enlever son caractère de « vacer ». Voulez-vous vous donner la peine en m’écrivant encore sur une carte postale ?
Je vous serai très obligé.
Toujours votre dévoué
(L11)[Fonds Collège de France][Lettre de Willem Caland à Marcel Mauss][Breda, le 20 novembre 1898]
Cher Monsieur,
Avant de vous envoyer quelques tirages à part je vous prie de me vouloir indiquer votre adresse exacte. Est-ce que vous demeurez toujours avenue des Gobelins, l’adresse que m’a donnée Monsieur Steinmetz ? Et comment va votre numéro sur le sacrifice ?
J’ai vu que M. Lévy [sic] a annoncé un mémoire sur le sacrifice dans les Brāhmanas [87]54 ; l’avez-vous déjà vu ? Je suis toujours votre dévoué,
W. Caland
[12][Fonds Stadsarchief Amsterdam][714 2294 – 19a – N° 540/g][Maart 98]
Monsieur le Rabbin,
Venu en Hollande pour étudier, en partie, les origines juives de Spinoza, je vous serais reconnaissant de vouloir bien m’aider dans certaines recherches que j’aurais à faire dans les archives de la Communauté Portugaises d’Amsterdam.
J’ai tenté, vendredi dernier, de vous faire une visite, mais n’ai pu vous rencontrer, à cause du samedi qui commençait.
Vous seriez bien aimable de vouloir bien m’assigner un rendez-vous pour un des jours de la semaine prochaine, le mercredi ou le vendredi de préférence, et de vous entendre sur ce sujet avec Monsieur le secrétaire de la Communauté auquel j’écris par le même courrier. Le temps de mon séjour en Hollande étant très limité, je ne puis consacrer que fort peu de temps à ces recherches.
Mais je crois qu’il y aurait intérêt à chercher et à trouver probablement les livres qui étaient, lors de la jeunesse de Spinoza, en usage à l’école de la communauté d’Amsterdam. On possède déjà sur ce point des renseignements intéressants mais vagues du Rabbin Sabbathai Horrowitz [88]. Peut-être les archives en possèdent-elles de plus précis. Il serait surtout important de savoir si 1er Hasdaï Creskas [89], que Spinoza cite, a été réellement étudié par lui. 2e si par un moyen ou par un autre, Spinoza a connu Ibn ben Gebirol [90].
Telles sont les questions que je me pose et à la solution desquelles vous pouvez peut-être m’aider.
Je suis sur le point d’achever pour la Revue des études juives un article sur Spinoza et Léon l’Hébreu (Leo Abrabanel) [91]. Et je me recommande à vous de la part de Monsieur le grand Rabbin Zadoc-Kahn [92] et de mon maître M. le rabbin Israël Lévi [93].
Je vous prie, Monsieur le Rabbin, d’agréer mes sentiments respectueux.
Marcel Mauss
Professeur agrégé de philosophie
Chargé d’une mission du gouvernement français [94]
Leiden, 30 Korte Mare
(L13) [95][Fonds Collège de France][Rabbinaat enz. No. 540/g][Lettre de J.H. Dünner à Mauss][16 Adar ’58 – 10 mars 1898]Rabbinaat der Nederlands-Israëlietische Hoofdsynagoge te AmsterdamN° 540/g
Geehrter Herr !
Die portugiesische Gemeinde hierselbst wacht mit außerordentlicher Aengstlichkeit über ihre Selbstständigkeit (sic), auch dem Oberrabbiner der HauptGemeinde gegenüber. – Sie dürften daher erst dann Ihr Ziel erreichen, wenn Sie sich direkt mit Ihrem Gesuche an den Vorstand der portugiesischen Gemeinde wenden wollten.
Ergebens [96]
Dr. J. H.. Dünner [97]
Aan Marcel Mauss
Korte Mare 30 Leiden.
(L14)[Fonds Stadsarchief Amsterdam][714 2294 – 19a – N° 540/g][Maart 98]
Monsieur le Grand Rabbin,
Je vous remercie du renseignement que vous voulez bien me donner. Je m’adresse en conséquence, directement au Président de la communauté Portuguaise [sic], et à son secrétaire.
Je vous prie, Monsieur le Grand-Rabbin, d’agréer mon respect.
M. Mauss
Leiden, 30 Korte Mare
PS : Je reçois à l’instant une réponse de Monsieur le Secrétaire de la Communauté Portugaise qui fait droit à ma demande.
(L15)[Fonds Collège de France][Lettre de S.R. Steinmetz à Marcel Mauss][La Haye - nd - sans doute 1898]
Cher Monsieur,
Je vous remercie de tout mon cœur pour votre étude critique sur mon livre [98]. Vous avez raison, c’est ainsi que je voulais être critiqué.
Je regrette beaucoup que vous n’avez [sic] pas pu prendre en considération mon dernier article sur les peines célestes que je vous envoie maintenant [99]. J’espère un peu que ça vous convaincra que je pourrais avoir raison en cette matière. Veuillez donner votre attention à ce que je dis sur le manque de besoin à une justice organisée pour la conception de peines célestes.
Je me suis basé pour certaines recherches sur les théories de Post [100] etc mais est-ce que je pourrais faire autrement ? Elles étaient alors (une jeune science marche vite) les meilleures existantes, et je ne pouvais pas tout recommencer. J’ai mis de côté une étude sur la punition du vol, parce que, après tout, nos connaissances sur le développement de la propriété me semblaient trop superficielles et trop incomplètes.
Ce que j’ai voulu donner ne sont que des études basées sur des données ethnographiques et pas du tout une histoire complète de la peine primitive ; alors l’étude de toutes les cases serait indispensable et les ancêtres historiques des peuples civilisés ne pourraient manquer.
Je proteste sincèrement contre votre assertion que je n’aurais pas critiqué les données ethnographiques et accepté naïvement les interprétations des ethnographes. Rien ne m’est plus loin. Mais un doute sur une donnée sans autre fondement que ça nous paraît étrange ou que ça ne convient pas avec notre théorie, n’est pas une véritable critique. Le livre de Mucke (Horde und Familie) [101] nous montre à quoi ça mène.
Moi aussi, cher monsieur, je serai très content de vous rencontrer à Paris pendant le congrès. Et votre visite en Hollande me ferait beaucoup de plaisir. Si vous avez quelques heures à votre disposition nous pourrions causer un peu une des journées du Congrès ; j’arrive à Paris le 20e de ce mois et mon adresse sera : Hotel de la Seine, rue de la Seine, près du Boulevard Saint Germain.
Veuillez accepter l’expression de mes sentiments les plus distingués.
S. R. Steinmetz.
(L16)[Fonds Collège de France][Lettre de S.R. Steinmetz à Marcel Mauss][La Haye, 15 mars 1898]
Mon cher Monsieur Mauss,
Je n’ai pas bien compris votre lettre. Est-ce que vous désirez prêter de moi tout l’œuvre de Wilken ou du moins ses écrits de religion comparative ou bien quelques écrits déterminés. Avec grand plaisir je vous enverrai tout ce que vous désirez.
Les personnes qui dirigent le mouvement malthusuaniste chez nous sont les suivantes ;
M. E Kempe, secrétaire du « Bond », Barentzstraat vis-à-vis de la Prins-Hendrikstraat, La Haye.
M. Heldt membre de la seconde chambre (représentant) à La Haye.
Je ne connais ces noms que très superficiellement mais j’en suis sûr qu’ils se mettront à votre disposition avec plaisir. Je connais notre meilleur statisticien M. Verrijn Stuart [102] qui aussi pourrait vous renseigner. Poignée de mains, votre dévoué,
S. R. Steinmetz.
(L17)[Fonds Collège de France][Lettre de Steinmetz à Marcel Mauss][La Haye, nd – sans doute 1898]
Mon très cher Monsieur Mauss,
Je vais vous demander quelques renseignements. Ma femme et sa sœur veulent passer quelques semaines de juillet dans les Vosges. Elles désirent une région couverte de bois, un hôtel situé au milieu d’eux afin qu’il ne leur faut pas aller loin pour être dans l’ombre.
Si je me rappelle bien, vous m’avez déjà nommé comme répondant à toutes mes exigences l’hôtel Hohwald près de Barr. Ou bien est-ce qu’il y a une autre place encore plus recommandable ? Voulez-vous m’obliger en me répondant immédiatement ?
Je regrette qu’en mars vous ne pouviez pas venir à La Haye au seul jour où j’étais libre. Vous m’êtes disparu beaucoup trop soudainement. Si vous avez encore quelques minutes inoccupées, veuillez me communiquer quelques-unes de vos impressions d’Oxford. Tylor vit-il encore ? Est-ce que vous avez fait sa connaissance ?
Avez-vous vu avec M. Frazer (le totémisme) ?
Vous me feriez beaucoup de plaisir en me donnant quelques nouvelles. Et votre adresse ! En ne la sachant pas, je dirige cette lettre à l’adresse de M. Durkheim avec prière de vous l’envoyer.
Veuillez accepter l’expression de mes meilleurs sentiments et de ceux de ma femme.
S. R. Steinmetz
(L18)[Fonds Collège de France][Lettre de Steinmetz à Marcel Mauss][nd –1898]
Cher Monsieur,
Votre carte charmante me fait rougir. Ma femme a profité de votre avis et passé quelques semaines à Hohwald ; elle a bien joui de la beauté du paysage, mais la dernière semaine de son séjour sa maladie chronique s’est aggravée et elle a dû tenir le lit et après la chambre. Aussitôt qu’elle s’était un peu retrouvée après son retour, une de nos amies nous a surpris avec un petit enfant de quatre semaines qui devait changer d’air pour éviter la mort. Tout ça m’a tellement préoccupé que j’ai oublié de répondre à votre lettre obligeante de Londres.
Je n’ai pas profité de mes vacances. Comme j’aurais été heureux de vous rencontrer dans votre beau pays natal. Ma femme m’en a tant raconté que l’eau me vient à la bouche d’y aller aussi.
Veuillez remercier Madame votre mère de son invitation aimable. Combien je regrette de n’en pouvoir faire usage.
Le travail de mon élève Nieboer [103] dont vous savez sur l’origine de l’esclavage, approche sa fin, il m’a coûté beaucoup de temps, mais j’espère qu’il contiendra le résultat de recherches sérieuses. La méthode suivie est l’induction comme je l’entends mais maniées avec plus de rigueur encore que dans mes autres ouvrages et je crois avec quelque succès. J’en dirai quelques mots dans la prochaine première section de la nouvelle société hollandaise anthropologie et des sciences parentes.
Moi-même je suis occupé à un travail ethnologique qui me prend un peu trop de temps mais dans lequel j’espère d’approfondir de fort importants problèmes.
Est-ce que vous êtes content de votre séjour en Angleterre ? Quand recevrons-nous les travaux que vos voyages vous auront inspirés ? J’en suis impatient.
Veuillez recevoir les meilleurs saluts de moi et de ma femme, votre SR Steinmetz Avec beaucoup de sympathie moi et mes amis nous avons pris connaissance de la conduite de votre oncle M. Durkheim dans l’affaire Stapfer [104].
(L19)[Fonds Collège de France][Lettre de SR Steinmetz à Marcel Mauss][La Haye, 14 février 1899]
Mon cher Mauss,
Il y a plusieurs semaines je vous priais (à votre adresse d’Épinal) de me retourner les livres que vous avez encore de moi et dont j’ai besoin. Je n’ai reçu aucune réponse c’est pourquoi je répète ma demande. Je suis étonné de ne trouver nulle part quelques fruits de votre voyage. Vous ne m’avez encore envoyé aucune étude de votre main. Ou est-ce que votre esprit est gâté par l’affaire Dreyfus et l’état actuel de la France. Comme il doit être douloureux pour un véritable patriote. Nous autres hollandais nous sommes unanimes dans notre sympathie pour les victimes et dans notre haine pour les ignobles intrigants. Je regrette que la France perde tant de sympathie à l’étranger. Si j’étais français je vouerai toute ma force à la victoire de la justice et à la condamnation de ceux qui déshonorent la patrie et l’armée. Nous craignons qu’une révolution vous jettera dans les bras du clergé et des rétrogradataires [sic]. Pour nous aussi c’est une grande et profonde douleur. Nos progrès sont bien superficiels qu’une telle haine, qu’un tel dédain de la justice est encore possible. J’attends avec beaucoup d’intérêt le second volume de l’Année sociologique.
Veuillez recevoir l’expression de mes sentiments les plus distingués.
S. R. Steinmetz
(L20)[Fonds Collège de France][Lettre de S. R. Steinmetz à Marcel Mauss][2 juin 1899]
Mon cher Monsieur Mauss, je vous remercie beaucoup de l’envoi de l’Année sociologique. Je l’apprécie extrêmement. Je pense que ce travail trouve beaucoup de sympathie chez notre public. Vous aurez la bonté de m’envoyer aussi tôt que possible les divers articles de Wilken, Juynboll [105] etc que je vous ai prêtés il y a 14 mois j’en ai un besoin pressant. Votre article sur le sacrifice m’intéresse beaucoup il est bien documenté.
Poignée de main cordiale, votre dévoué.
S. R. Steinmetz
(L21)[Fonds bibliothèque Leyde BPL 2404][Carte de visite de Marcel Mauss à J.D.E. Schmeltz] [106][nd – sans doute 1900]
Marcel Mauss, agrégé de philosophie, regrette de n’avoir pu trouver le Dr Schmeltz. Il lui fait envoyer l’Année Sociologique demain soir. Il tâchera de venir samedi dans la journée vers 11h, probablement, cordialement,
M. M.
(L22)[Fonds bibliothèque Leyde BPL 2404][Carte de visite de Marcel Mauss à J.D.E. Schmeltz][nd – sans doute 1900]
Marcel Mauss, avec tous ses regrets et ses meilleurs compliments. Il écrira au Dr Schmeltz. Au cas où vous resteriez à Paris lundi, voulez-vous avoir le temps de me donner un rendez-vous. Au revoir,
M. M.
(L23)[Fonds bibliothèque Leyde BPL 2404][Carte postale de Marcel Mauss à J.D.E. Schmeltz, directeur du Musée de Leiden, Hôtel de Hollande, rue de Radziwill 31, Paris][2 novembre 1900]
Cher Monsieur, je serai heureux de vous voir un de ces jours. Malheureusement, en ce moment, toutes mes soirées sont prises. Mais voulez-vous me permettre de vous amener déjeuner demain samedi, avec moi. Je viendrai vous prendre, vous et madame Schmeltz vers 11h1/2. Mes respects à Madame Schmeltz et pour vous Monsieur, mes respectueuses amitiés,
Mauss
(L24)[Fonds bibliothèque Leyde BPL 2404][Carte pneumatique de Marcel Mauss à J.D.E. Schmeltz, Hôtel de Hollande, rue de Radziwill 31][nd – sans doute 1900]
Cher Monsieur,
Je tâcherai de passer à votre hôtel vers 6h1/2, et pour vous dire un bref adieu. Je regrette beaucoup de n’avoir pas pu vous voir samedi, où j’étais plus libre. Votre télégramme ne m’est pas parvenu. J’espère pouvoir vous rencontrer ce soir, et avoir le plaisir de vous serrer encore une fois la main. Votre cordialement dévoué.
Mauss
(L25)[Fonds bibliothèque Leyde BPL 2710][Lettre de Marcel Mauss à C.P. Tiele][22 rue des Gobelins, Paris V][nd – sans doute 1901]
Cher Monsieur et cher Maître,
Je vous demande parfois de ne rompre un long silence que pour un motif intéressé, c’est me donner toutes les allures d’un élève ingrat et oublieux de l’accueil que vous avez bien voulu me faire, vous et Madame Tiele. Mais j’ai eu assez souvent de vos nouvelles par le Dr Schmeltz, par le professeur Kern que j’ai vu à Paris plusieurs fois. Et il me semblait que vous saviez que je me souviendrais toujours de vous. J’ai appris avec peine que vous aviez cessé votre enseignement universitaire. Je n’ai été informé que trop tard de la démarche qu’ont faite à ce moment vos anciens élèves. J’aurais été heureux d’y prendre part même de loin. Je pense que certaines brochures que je vous ai envoyées vous sont correctement parvenues. Sinon voudriez-vous avoir la bonté de m’en prévenir, pour que je puisse vous les envoyer, en particulier les divers C.R. de votre Introduction.
Mes travaux qui étaient fort avancés au commencement de 1900 ont été brusquement interrompus. J’ai été obligé de suppléer presque au pied levé M. Foucher [107] qui partait dans l’Inde et presque toute l’année dernière a été absorbée par mon enseignement d’histoire des religions de l’Inde, à l’École des Hautes études (section des Sciences Religieuses). M. Foucher doit, heureusement, rentrer en février 1902. Mais la mort lamentable de mon ancien maître, M. Marillier [108] vient de laisser vacante la chaire d’histoire des religions des peuples non civilisés. Cet enseignement coïnciderait plus exactement à mes travaux actuels. Vous vous rappelez peut-être, cher Monsieur et cher Maître, que j’étudie justement la prière chez les « non-civilisés ». Il se peut donc que je pose ma candidature à cette chaire. Dans ce cas, je le crois, une attestation de vous, un testimonial, comme on dit en anglais, pourrait m’être infiniment précieux auprès de l’école où tout le monde vous respecte infiniment. Je vous prierais de certifier surtout que j’ai quelque compétence en histoire générale et comparée des religions, que je ne me suis pas formé, dans mes études, à l’indologie, et que vous m’avez eu à Leyde pour élève, et que vous m’avez vu y travailler avec le professeur Oort, avec le professeur Kern, et dépouiller les travaux de Wilken. J’espère cher Monsieur et cher Maître, n’être pas trop indiscret ni trop audacieux en vous demandant de vouloir bien m’envoyer cette sorte de certificat. Je vous prie de me rappeler au bon souvenir de Madame Tiele dont l’amabilité m’avait tant touché. Permettez-moi de vous serrer respectueusement la main,
Votre profondément dévoué,
Mauss
(L26)[Fonds Collège de France][Lettre de C.P. Tiele à Marcel Mauss][Stationweg 29, Leiden][Leiden – 8 novembre 1901]
Mon cher Monsieur Mauss,
En effet j’ai reçu dans les temps les brochures et tirages à parts que vous avez eu la bonté de m’envoyer, comme aussi votre critique de mes Gifford-lectures [109], qui ne fut pas encourageant pour l’auteur quoique le ton fût des plus courtois, et je suis bien reconnaissant de votre obligeance. Aussi je vous aurais écrit depuis longtemps, si prudemment j’eusse possédé votre adresse. Acceptez donc, cher Monsieur, mes remerciements un peu tardifs mais qui n’en sont pas moins sincères.
Je suis profondément touché de la mort regrettable de M. Marillier, dont je ne savais rien. C’est une grande perte pour l’École des études supérieures pour la Revue de l’Histoire des Religions et pour la science du folklore. Je crois que vous aurez le droit de poser votre candidature à cette chaire vacante et j’espère que vous réussirez. Quant à moi si vous pensez qu’un certificat signé par moi puisse y contribuer, je vous le donne volontiers et je vous l’envoie ci inclus.
Lors de mon 70e anniversaire, la limite d’âge pour les professeurs d’université chez nous, on m’a fêté un peu contre mon gré, mais d’une manière si cordiale et sincère, que je ne saurai oublier ce jour néfaste et heureux. Je jouis beaucoup de ma liberté qui me donne plus de loisirs pour mes recherches et je donne encore quelques leçons historiques et pratiques au séminaire des Remonstrants. Mon successeur à la chaire de l’histoire et de la philosophie de la religion M. Brede Kristensen [110] de Christiana est un de mes élèves d’ancienne date et aussi distingué comme savant qu’aimable de caractère.
Soyez assuré, cher Monsieur et ami, que nous ne vous oublions pas, et recevez nos salutations cordiales. Votre bien dévoué,
C. P. Tiele
Mme Tiele vous remercie des mots aimables que vous lui adressez et me prie de vous remettre ses meilleurs vœux.
(L27)[Fonds Collège de France][Lettre de W. Caland à Marcel Mauss][Breda – 17 juin 1901]
Cher Monsieur Mauss, Merci de votre lettre avec vos bonnes nouvelles. Je vous félicite avec l’honneur de devoir suppléer M. Foucher. En conséquence de votre demande d’envoyer un exemplaire pour l’Année sociologique à votre adresse. Si vous ne l’avez pas reçu dans une semaine voulez-vous alors m’écrire encore ? Votre compte-rendu de ma monographie sur le paryagnikarana [111] ne m’est pas connu mais j’espère le lire un de ces jours. Je suis flatté de votre bonne opinion que vous avez la politesse d’exprimer à propos de mes études. J’espère que votre mémoire sur la magie verra bientôt la lumière. D’ici là je vous pourrais peut-être encore envoyer une petite publication qui traite aussi de cette matière Je vous salue cordialement et je suis votre dévoué.
W. Caland.
(L28)[Fonds Collège de France][Lettre de Madame Tiele à Marcel Mauss][Dundee Schotland – 9 janvier 1903]
Waarde Heer,
Eergisteren ontving ik een brief van een myner Leidsche vrienden mij meldende dat gy zo vriendelijk waart geweest zulke mooie bloemen aan my te zenden. Doch ik ben sinds de helft van december in Schotland en ze konden ze my niet nazenden daar ze niet precies wisten waar ik was. Ze hebben toen uw prachtige en zo wonderlijke bloemen nedergelegd op het graf van mijn dierbaren echtgenoot. Ze konden niet beter doen en ik geloof dat daarmede zult instemmen. Ik dank u hartelijk voor uw geschenk en ik zal dit nooit vergeten. Ik ben deze drie maanden die zoveel droevige herinneringen voor mij hebben naar Schotland gegaan. Het was mij niet mogelijk die in mijn eigene omgeving in hetzelfde huis waar ik zoveel leed heb gehad door te brengen. De Schotsche vrienden van mijn [illisible] echtgenoot hadden mij uitgenodigd een te komen om hen te bezoeken en ik heb daaraan gehoor gegeven en ga een gedeelte van Schotland door om veel over mijn besten man te horen spreken. Ze hadden hem daar ook zo lief en waardeerden zijn werk. Wanneer u Leiden bezoekt hoop ik dat ge ook mij niet zult vergeten. Hetzelfde huis waarin gij door mijn man zijt ontvangen zal zich even gastvrij voor u openen nu ge er alleen zijn treurende vrouw vindt. Ik heb de bibliotheek van hem aan de Universiteit van Leiden gegeven en hoop u spoedig een exemplaar van de Catalogus te zenden. U nogmaals dankende voor uw geschenk dat ik op hoogen prijs stel en mijn in uwe vriendschap aandenkende noem ik mij uwe zeer hoogachtende. [112]
(L29)[Fonds Collège de France][Carte de Hendrik Kern à Marcel Mauss][Leiden – 7 avril 1903]
Voor het bewijs van vriendschap mij door U betoond bij gelegenheid van mijn zeventigsten verjaardag breng ik diepgetroffen U mijn hartelijken dank [113].
H. Kern
(L30)[Fonds Collège de France][Lettre de Marcel Mauss à W. Caland][Sans doute 17 décembre 1908]
Cher Monsieur Caland,
Voulez-vous me permettre de vous rappeler nos vieilles relations et de vous présenter Mademoiselle Françès [114], agrégée de l’université de France. Elle vous donnera de mes nouvelles et me donnera des vôtres. J’espère qu’elle vous trouvera en bonne santé. Elle vous remettra aussi quelques petites choses de moi.
Mademoiselle Françès est à Utrecht où elle se documente pour deux thèses sur la théologie et la politique de Spinoza. C’est une de nos plus brillantes élèves.
Vous pourrez peut-être lui dire quelles sont les personnalités qui pourraient la guider dans ses travaux, et, avec votre haute autorité, la leur présenter.
Vous savez quels sentiments de gratitude et d’amitié je vous ai toujours voué.
Croyez-moi toujours.
Votre bien dévoué,
(L31)[Fonds Collège de France][Lettre de Marcel Mauss à Johan Huizinga][Lettre dactylographiée][17 décembre 1908]
Cher Monsieur Huizinga,
Je vous envoie Mademoiselle Françès, agrégée de l’université, une de mes meilleures élèves.
Elle est en Hollande pour préparer deux thèses sur « Le politique et les sources de la politique de Spinoza ». J’ai pensé que vous pourriez lui donner d’utiles renseignements et en tout cas la diriger vers ceux qui pourraient lui en donner.
Elle vous apportera aussi de mes nouvelles, et, dans un autre voyage quelques travaux de moi.
Excusez-moi de ne pas vous en dire davantage et de me rappeler simplement à votre [b]on [sic] souvenir.
Bien sincèrement vôtre,
(L32)[Fonds Collège de France][Lettre de Boeser à Marcel Mauss][Leiden – 20 mars 1920]
Cher Monsieur Mauss,
Quoiqu’il s’est écoulé beaucoup de temps depuis votre séjour à Leide, je me rappelle encore avec le plus grand plaisir les heures agréables que nous avons passées ensemble [115]. C’est pour cette raison que je me hasarde de vous troubler un moment afin de vous présenter un de mes étudiants Monsieur Bakhuyzen van den Brink [116]. C’est un jeune homme habile qui a passé ses examens de théologie avec succès et qui voudrait maintenant suivre votre cours sur l’histoire des religions des peuples non civilisés. Pendant deux années il étudiera sous ma direction la langue copte.
Agréez cher Monsieur Mauss l’assurance de mes sentiments dévoués
Pieter Adriaan Aart Boeser
Lecteur d’égyptologie à l’université de Leiden.
(L33)[Fonds Collège de France][Lettre de G. van der Leeuw à Marcel Mauss][Groningen - 21 janvier 1932]
Cher Monsieur et collègue,
En préparant le chapitre de ma « Phénoménologie générale de la religion » qui traitera du sacrifice, je viens de lire votre étude sur le Don, dans l’Année Sociologique de 1925. Cet essai important me rappelle vivement l’article que j’avais moi consacré il y a bien d’années à la formule do ut des [117]. Il m’a semblé qu’il y existait bien des rapprochements entre votre essai et mon article, du moins dans leur tendance générale. Je prends la liberté de vous envoyer cet article qui a été approuvé entre autres par feu
M. Södeblum tant parce que j’espère vous y porterez quelque intérêt, que parce que je tiens à vous témoigner ma vive reconnaissance non seulement pour votre essai sur le don mais aussi pour votre revue publiée en collaboration avec M. Hubert qui m’a aidé depuis si longtemps déjà dans mes études à moi. Veuillez recevoir honoré collègue l’expression de ma plus haute estime et mes salutations cordiales
(L34)[Fonds Collège de France][Lettre de Marcel Mauss à Rassers][Lettre dactylographiée][10 octobre 1938]
Mon cher docteur Rassers,
Je vous suis bien obligé de tout le soin que vous prenez pour mes élèves, (plus très jeunes), VANDENBROOK [118] et LEVITSKI [119], qui veulent faire, avec l’autorisation de votre gouvernement, une exploitation ethnographique de parties encore à convenir de la Nouvelle-Guinée.
Je connais Monsieur LEVITSKI depuis de très nombreuses années. Il a été mon élève et à tous ses certificats de licence de la Faculté des Lettres et de l’Institut d’Ethnologie depuis sept ans. Il est chef des travaux techniques au Musée du Trocadéro, et il y a fait un travail considérable, sa compétence s’étendant à peu près à tout le Musée et aussi à ses aménagements matériels.
Il est naturalisé Français, d’origine Russe (ancien officier de la guerre). Il a émigré lors du Bolchevisme, et nous n’avons que des éloges à faire, de lui et de sa famille.
Il s’est naturellement spécialisé, sous ma direction, dans l’étude des populations de l’Asie du Nord, mais il a d’excellentes notions de toute l’ethnographie muséale. Il a fait d’excellents travaux sur les publications russes concernant les Golde [120], et le Buriak, et les Yakut [121].
Il est un élément scientifique tout à fait recommandable.
Monsieur VANDENBROOK, avec sa femme, née de GANAY [122] et avec le lieutenant DE GANAY et Madame DE GANAY [123], sont connus en France et même à l’étranger pour leur croisière de la Korrigane [124]. Ils ont passé environ un an et demi en Polynésie et surtout en Malaisie, et enfin en Nouvelle-Guinée (territoire mandat).
Ils ont rapporté d’admirables collections et un album de dessins qui a été publié par Madame DE GANAY, plein de talent.
Monsieur VANDENBROOK est actuellement à la tête du département d’Océanie au Musée du Trocadéro. Lui et les siens appartiennent, comme vous le voyez, aux meilleures familles de France.
Je vous serais bien obligé de faire pour eux tout ce que vous pourrez auprès des autorités hollandaises et des autorités des Indes néerlandaises, et je vous serais aussi obligé de les recommander tout spécialement à Monsieur le Docteur [le] Roux, que j’espère bien voir un de ces jours à Paris.
Quand venez-vous vous-même ?
Je vous prie de m’excuser si, malgré toutes mes envies, je ne puis venir vous retrouver à Leiden. Je vous ai fait transmettre par nos collègues hollandais que j’ai rencontrés à Copenhague [125] toutes mes amitiés. Malheureusement, je suis fort chargé d’occupations et de travaux.
Voulez-vous, je vous en prie, me rappeler à tous mes amis, y compris les plus anciens, à Leiden, en particulier à Boeser, avec lequel je partageais un étage au 30 de la Korte Mare. Il y a maintenant quarante ans.
(L35)[Fonds Collège de France][Lettre de Marcel Mauss à Rassers][Lettre dactylographiée][onsieur [sic] le Docteur Rassers Conservateur du Musée d’Ethnologie de Leiden LEIDEN (Hollands)][95, Bld Jourdan, Paris XIVe] [Paris, le 12 décembre 1938]
Mon Cher Monsieur Rassers,
Merci bien de votre lettre. Nos jeunes gens connaissent les intentions de vos amis sur la date de ces expéditions. Je crois d’ailleurs qu’ils ne perdront rien à se perfectionner dans leur préparation. Et d’ailleurs qui sait où nous en serons dans deux ans.
Je vous remercie bien de vos nouvelles. Hélas, je ne pouvais pas penser que tous mes amis d’autrefois pouvaient survivre ! Moi aussi, je suis du côté qui mène à la fin ! Mais enfin, je suis heureux que tant d’entre vous gardent mon souvenir.
Voulez-vous bien, s’il vous plaît, dire à M. Loecher que j’ai bien lu son manuscrit et que j’ai bien lu son travail imprimé, et aussi celui qui concerne le Sisiutl [126]. Mais j’aurais tant à lui en écrire que ce serait bien long et vraiment, j’ai tant à faire en ce moment avec tous les retards qui nous ont été infligés par les circonstances, qu’il m’est impossible de lui répondre une ligne.
Vous ne sauriez croire comme vous êtes heureux, vous, en Hollande !
Je tâcherai de venir vous voir un jour, mais je ne sais pas quand !
(L36)[Fonds Collège de France][Lettre de Rassers à Marcel Mauss][Rijksmuseum voor volkenkunde][Leiden – 6 décembre 1938]
Cher Monsieur Mauss,
Veuillez m’excuser que j’ai longtemps tardé à accuser la réception de votre lettre du 10 octobre. Au moment où cette lettre m’est parvenue, j’osais espérer des renseignements définitifs sur la possibilité d’une collaboration de vos élèves à l’exploration projetée. Depuis presque 2 mois sont passés, et je dois avouer que je me suis trompé. Les choses traînent en longueur. La Société de Géographie, qui prépare l’expédition, n’a pas encore reçu l’autorisation définitive du Gouvernement des Indes Neerl., et j’ai même l’impression que, pour le moment, tout a été de nouveau remis quelque peu en question ; c’est-à-dire, il n’est pas à craindre que le projet soit abandonné, mais il ne m’étonnerait pas que l’exécution serait remise au printemps 1940. En sus, je dois reconnaître, et à mon grand regret, que l’offre de collaboration ne trouve pas partout l’accueil favorable que j’espérais ; je ne saurais dire à quelles raisons l’attitude de certains membres du Bureau doit être attribuée, mais en tout cas, ils sont difficiles. Pourtant, M. le Roux, avec qui j’ai eu des conversations à ce sujet, ne désespère pas ; à son avis, tout ce qu’on peut faire en ce moment, c’est de patienter un peu. Inutile de vous dire que je continuerai à faire tout ce qui peut contribuer à la réalisation du projet.
J’ai vivement regretté qu’il vous a été impossible, lors de votre voyage à Copenhague, de passer par ici. Cela m’aurait été un si grand plaisir de vous revoir où j’ai fait votre connaissance il y a maintenant plus de quarante ans. Pendant tout ce temps, étrange à dire, je ne vous ai plus rencontré, quoique j’aie suivi de près votre travail.
Est-ce qu’il en reste encore ici, de vos plus anciens amis ? Je ne le crois pas. Boeser est mort, il y a déjà quelques années.
M.M. Kruyt [127], de Josselin de Jong [128] et Locher me prient de les rappeler à votre bon souvenir. Moi-même, je reste, avec une bonne poignée de main, bien à vous,
Rassers.