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Encyclopédie internationale
des histoires de l’anthropologie

Promouvoir le patrimoine ethnologique. Drôle de cause pour les archivistes français (1989-2021)

François Gasnault

Conservateur général du patrimoine
Ministère de la Culture, UAR 3103 InVisu

Christian Hottin

Conservateur en chef du patrimoine
EUR Humanités création et patrimoine, UMR 9022 Héritages

2023
Pour citer cet article

Gasnault, François & Christian Hottin, 2023. « Promouvoir le patrimoine ethnologique. Drôle de cause pour les archivistes français (1989-2021) », in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l'anthropologie, Paris.

URL Bérose : article2938.html

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Publié dans le cadre du thème de recherche « Histoire de l’anthropologie française et de l’ethnologie de la France (1900-1980) », dirigé par Christine Laurière (CNRS, Héritages).

Résumé : De 1989 à 2020, le service d’administration centrale du ministère de la Culture en charge du patrimoine ethnologique a continûment été confié à des archivistes paléographes qui avaient auparavant assuré, pour la plupart, la responsabilité de services d’archives. À des degrés divers, tous ont su dialoguer fructueusement avec les communautés professionnelles, scientifiques ou artistiques mobilisées pour la préservation de ce patrimoine, et plus largement avec les groupes sociaux concernés, alors que ni leur formation initiale ni leurs carrières antérieures ni leurs travaux de recherche ne les prédestinaient à endosser ce rôle. Les témoignages de certains d’entre eux, croisés avec les archives disponibles, permettent de démêler dans leur engagement les parts respectives de l’opportunité saisie, d’une curiosité, préexistante ou non, à l’égard des cultures populaires, ou encore du désir de participer à la remise en cause d’une hiérarchisation des patrimoines d’autant plus implacable qu’elle est informulée.

On sait que, depuis 1947, tous les secrétaires généraux du gouvernement sont issus du Conseil d’État ou encore que, depuis 1979, à une exception près [1], l’Institut d’études politiques de Paris a toujours été dirigé par d’anciens élèves de l’École nationale d’administration [2]. La présence continue à la direction d’une organisation de membres de tel corps ou d’anciens élèves de telle école pose question, et celle-ci ne saurait être résolue en invoquant une évidence, comme peuvent être tentés de le penser les premiers intéressés, pas plus qu’en stigmatisant les « réseaux » réels ou fantasmés des écoles et des corps, grands ou petits, qui structurent fortement la vie administrative française depuis plus de deux siècles. Il faudrait au contraire enquêter, comparer les trajectoires antérieures, tenter de saisir les motivations personnelles, envisager la suite des parcours professionnels.

C’est ce que l’on se propose de faire dans cet article, à propos d’une fonction et d’une appartenance professionnelles – certes nettement plus modestes que les exemples évoqués en ouverture – dont l’association pendant plus de trente ans est singulière, soit la présence ininterrompue, de 1989 à 2021, d’anciens élèves de l’École nationale des chartes à la tête de l’administration du patrimoine ethnologique, au ministère de la Culture. D’autant qu’ici il n’y a pas de lien évident entre l’une et l’autre, mais pas non plus, on le verra, de pur hasard : peut-être plutôt un entrelacement de concours de circonstances, de liens interpersonnels et de dispositions professionnelles largement partagées.

Une autre raison incite à entreprendre cette enquête. Bien que ses effectifs et ses moyens aient toujours été assez limités, et légère en retour son empreinte sur le cours des politiques patrimoniales, l’administration de l’ethnologie a fait l’objet d’une attention remarquable, sous la forme de séminaires [3], de colloques [4] ou d’articles [5], à l’origine desquels figurent celles et ceux, ethnologues du ministère ou proches de celui-ci, qui en ont été les protagonistes et observateurs, avant d’en devenir les exégètes privilégiés. Pour stimulante qu’elle soit, leur approche a toutefois largement privilégié deux niveaux de mise en œuvre de cette politique : d’une part, le Conseil du patrimoine ethnologique et ses vice-présidents, soit l’instance de débat et d’élaboration des grandes orientations, avec ses figures marquantes telles qu’Isac Chiva, Daniel Fabre [6] ou Christian Bromberger, et, d’autre part, les échelons déconcentrés du ministère, soit les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), autour de la figure du conseiller pour l’ethnologie. Le rôle de la Mission a en revanche fait l’objet de moins d’explicitations, si l’on excepte le témoignage, à ce jour malheureusement inédit, d’Élisabeth Fleury, la première titulaire du poste jusqu’en 1989 [7]. C’est donc bien une première évaluation du rôle des chefs de mission que cet article entend proposer.

Pour atteindre l’objectif, on partira d’un bref rappel historique sur la politique ethnologique du ministère de la Culture depuis 1979, avant de présenter ses protagonistes chartistes puis de tenter de comprendre les circonstances et les motivations (les leurs ou celles des dirigeants de l’administration centrale du patrimoine) qui conduisirent à leur arrivée à la Mission. Seront ensuite envisagés l’apport des conservateurs successifs à la construction de cette politique, mais aussi les limites de leur action ou comment agir comme non ethnologue parmi les ethnologues, sous le regard de ces derniers non moins que sous l’autorité d’une hiérarchie souvent assez indifférente à l’ethnologie. On tentera, in fine, de saisir en quoi l’ethnologie a pu constituer une inflexion significative dans ces parcours et non pas demeurer, comme on pourrait être tenté de le penser, un pas de côté.

L’ethnologie de la France au ministère de la Culture ou la tentation d’une politique de la recherche

L’ethnologie de la France, en tant que politique publique, est implantée au sein du ministère de la Culture en 1980 à partir des préconisations du rapport remis l’année précédente par Redjem Bensaïd [8], inspecteur général des Finances, qui ont été largement inspirées par Isac Chiva, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Incorporée au sein de l’alors toute nouvelle Direction du patrimoine, cette politique entend constituer, préserver et valoriser le patrimoine ethnologique de la France par le développement de la recherche scientifique et la structuration de la formation, notamment à destination des nombreuses associations qui ont investi le champ des cultures populaires dans les années 1970 [9]. Sa mise en place mobilise trois outils : une instance consultative, le Conseil du patrimoine ethnologique, présidé par le ministre et dont le vice-président est choisi parmi les figures éminentes de l’anthropologie française, chargé de définir les orientations stratégiques, notamment en matière de programmes de recherche ; une cellule en administration centrale, la Mission du patrimoine ethnologique, chargée de mettre en œuvre ces orientations, qu’elles concernent la recherche avec des appels d’offres thématiques, la formation avec des bourses d’étude, ou encore les publications et la création audiovisuelle, avec des subventions ; et enfin un réseau de conseillers affectés dans les DRAC, relais locaux de la politique ministérielle également habilités à développer des actions propres en fonction de leur orientation scientifique et du tissu associatif et muséal lié aux problématiques de l’ethnologie [10]. La Mission est chargée d’animer de ce réseau.

Au gré des réformes de l’administration centrale et des errements de la stratégie immobilière du ministère, la Mission du patrimoine ethnologique change deux fois de nom, devenant « Mission à l’ethnologie », puis « Mission ethnologie » avant de constituer une des composantes fondatrices du « département du pilotage de la recherche et de la politique scientifique » ; parallèlement, elle déménage à quatre reprises, la plus durable de ses implantations étant située 65 rue de Richelieu, cependant que ses effectifs croissent puis décroissent, sans que ses attributions soient réduites à proportion, bien au contraire.

Le Conseil du patrimoine ethnologique, à la vice-présidence duquel se sont succédé Isac Chiva, Marc Augé, Daniel Fabre et Christian Bromberger, cesse de fonctionner en 2001. Il est remplacé par diverses instances aux attributions assez différentes. Quant au réseau des conseillers pour l’ethnologie, il s’étoffe jusqu’au milieu des années 1990 où l’on recense un conseiller dans une direction régionale sur deux, avant de s’étioler inexorablement par suite de la mobilité des agents, souvent vers des postes d’enseignants-chercheurs, sans qu’il soit pourvu à leur remplacement. Il faudra revenir sur l’hypothèse, formée ailleurs [11], que la Mission s’est trouvée progressivement marginalisée au sein du ministère de la Culture, du fait de la place accrue accordée à l’architecture et au patrimoine monumental [12], non moins qu’en raison de la disqualification des politiques patrimoniales fondées en priorité sur la recherche scientifique, très nette à partir de la décentralisation de l’Inventaire général (2004). L’action de la Mission a en outre connu trois inflexions importantes.

La première fut la mise en place, au milieu des années 1990, d’un réseau de centres de recherche et d’action culturelle en région, dénommés « ethnopôles », appelés à épauler et à relayer l’action des conseillers en DRAC, tout en développant des recherches faisant référence dans un domaine spécifique tel que l’histoire du folklore, l’ethnobotanique, les musiques traditionnelles, etc.

La deuxième fut, en 2001, la création d’une unité mixte de recherche (UMR) associant le CNRS au ministère de la Culture, d’abord dénommée « LAIC » puis « LAHIC » (Laboratoire d’anthropologie et d’histoire de l’institution de la culture), dirigée par son fondateur, Daniel Fabre, jusqu’à sa mort. Cette création faisait suite au rapport remis par Jean-Marie Jenn sur l’avenir de la Mission et de son réseau [13] : elle a constitué l’incarnation concrète du « tournant réflexif » de la structure, initié quelques années plus tôt [14], soit le moment où les ethnologues de la Mission ou proches d’elle ont, pour nombre d’entre eux, cessé de chercher à constituer un patrimoine ethnologique pour se tourner vers l’étude du patrimoine en tant qu’objet ethnologique. En pratique, plusieurs d’entre eux ont alors rejoint le LAHIC sur des postes de chercheurs ou comme chercheurs associés [15].

La troisième inflexion fut, en 2006, la ratification par la France de la convention de l’UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine immatériel [16], acte diplomatique lourd de conséquences pour la Mission, puisque cette dernière a été chargée de sa mise en œuvre au niveau national, avec la création d’un inventaire du patrimoine culturel immatériel français et l’accompagnement des candidatures proposées à l’inscription sur les listes, représentative ou de sauvegarde, du patrimoine mondial.

Du patrimoine écrit au patrimoine culturel immatériel : motivations et positionnements

D’Yves Renaudin [17] (promotion 1957) à Isabelle Chave [18] (1999), sept archivistes paléographes se sont succédé de 1989 à 2021, sans solution de continuité, à la tête de la Mission du patrimoine ethnologique puis de ses avatars. Aux noms déjà mentionnés, il faut en effet adjoindre ceux de Gérard Ermisse [19] (1969), Michel Melot [20] (1967), Jean-Marie Jenn [21] (1968), Odile Welfelé [22] (1982) et Christian Hottin  [23] (1997), auxquels il serait légitime d’associer celui de Pierre Moulinier (1960) qui a été l’adjoint très impliqué de deux chefs de mission successifs [24]. À deux exceptions près, tous avaient initialement fait carrière dans l’administration des archives – pour la plupart dans le réseau des archives départementales [25] – et deux seulement l’ont de nouveau rejointe ensuite, directement ou indirectement. Deux autres membres de ce sous-groupe majoritaire avaient aussi, avant de prendre la tête de la Mission, occupé des emplois fonctionnels de directeur régional des affaires culturelles [26]. Mais le trait le plus notable réside dans le fait qu’aucun n’avait étudié l’ethnologie durant sa formation initiale ni mené ultérieurement des recherches entrant, même à ses confins, dans ce champ disciplinaire. Le recours à l’indicateur de référence que constitue pour un chartiste le sujet de sa thèse d’École dévoile que trois d’entre eux ont retenu un sujet ancré dans le Moyen Âge, que deux ont investi les temps modernes et si les deux derniers ont opté pour l’époque contemporaine, ils ne se sont pas aventurés au-delà de 1914. Quant à la production scientifique publiée après l’obtention du diplôme, elle ne témoigne pas non plus d’une inflexion vers les problématiques anthropologiques et moins encore d’une reconversion.

Il serait donc imprudent de postuler que l’élément déclencheur des candidatures au poste de chef de la Mission du patrimoine ethnologique aurait pu être l’attraction intellectuelle. Ce sont plutôt des considérations professionnelles qui ont déterminé le choix, d’ailleurs effectué à des stades de carrière inégalement avancés, de délaisser le patrimoine écrit et les documents graphiques ou cartographiques pour épouser la cause des patrimoines de l’oralité. Et dans ce choix, opéré sans nul doute par chacun avec discernement, les circonstances ont pesé bien davantage que la préméditation [27]. Pour autant, le pas de côté ainsi accompli ne semble jamais avoir été vécu comme un accident de parcours ni a fortiori comme une sortie de route. Les deux expressions ne figurent pas dans les témoignages recueillis auprès des intéressés [28], ce qui, en soi, ne prouve rien car l’exercice conduit plutôt à revendiquer la cohérence, sinon la linéarité, du parcours accompli, mais un examen plus objectif – ou distancié – du contexte des arrivées sur le poste n’amène pas à conclure que le temps aurait outrageusement embelli leurs souvenirs. Pour se limiter aux cinq hommes nommés au fil des douze dernières années du siècle passé, sont repérables des enchaînements contingents – ou contraints par la nécessité, voire par l’urgence de trouver une affectation en administration centrale –, des opportunités promptement saisies, ainsi que des passages de relais proches de la cooptation.

Il n’est pas moins remarquable que, dans ces diverses configurations, la hiérarchie a toujours retenu la candidature chartiste. Il semble bien qu’à la première vacance du poste, en 1989, et à nouveau en 1992, le choix des directeurs du patrimoine ait consisté à écarter, en faveur de conservateurs formés par l’École des chartes, les ethnologues pourtant reconnus par leurs pairs qui s’étaient mis sur les rangs [29] ; le pli étant pris, c’est expressément un chartiste qu’entendait en 1996 faire nommer leur successeur [30], pour en remplacer un autre avec qui pourtant l’entente n’avait pas été des plus cordiales. Faute de sonder les reins et les cœurs des décideurs, on peut supposer qu’ils ont été sensibles à des attributs d’autant plus reconnaissables qu’ils avaient leur équivalent dans leur propre communauté socioprofessionnelle d’appartenance, qu’il s’agisse du passage par une grande école ou de l’assimilation de l’habitus administratif et des codes de la sociabilité bureaucratique qui lui sont attachés ; sans doute aussi créditaient-ils les chartistes d’un capital scientifique adossé à une vaste culture générale dont eux-mêmes étaient pétris. Enfin, ils ont pu faire le calcul que le patrimoine ethnologique, par essence modeste, confiné aux échelons les plus bas de l’échelle de la distinction, au sens que Pierre Bourdieu donnait à ce terme, avait besoin d’être défendu par des avocats littéralement commis d’office, dont la légitimité et l’expertise ne pourraient être contestées, y compris par les thuriféraires des monuments historiques, si imbus que soient ces derniers du sentiment de supériorité qu’ils tirent des œuvres de pierre dont la protection leur incombe.

Quels qu’aient été les ressorts de l’inclination persistante de l’encadrement supérieur, elle ne saurait expliquer à elle seule le monopole des recrutements dans les contextes successifs où ils ont été effectués. Il faut creuser plus profondément, en posant l’hypothèse que, si l’offre s’est renouvelée à chaque vacance, c’est nécessairement aussi parce qu’il y avait chez les candidats une appétence, une curiosité, une disponibilité pour la découverte de nouveaux territoires et de nouvelles communautés professionnelles, et parce que ces dispositions d’esprit trouvaient un renfort dans la conviction – ou au moins l’intuition – d’une adéquation ou en tout cas d’une prédisposition à la fonction, procédant elles-mêmes d’une aptitude, éprouvée sur d’autres terrains, à la compréhension des premiers comme au dialogue avec les secondes.

La piste semble pouvoir être empruntée avec une particulière assurance pour rendre compte de l’insertion réussie des anciens archivistes départementaux. Ils avaient en effet l’expérience du dialogue avec les élus locaux, rendu plus cardinal que jamais par la décentralisation, mais aussi celle de la co-construction avec les milieux associatifs, dont ressortissent somme toute les sociétés savantes. De fait, ils n’ont pas eu à forcer leur talent pour trouver leurs marques et obtenir l’agrément de leurs nouveaux interlocuteurs, puisque les problématiques à affronter actualisaient au présent les questions rurales ou celles des savoir-faire, tant artisanaux que manufacturiers, auxquels les avaient familiarisés, dans la longue durée, bien des fonds d’archives qu’ils avaient conservés, accrus et souvent analysés eux-mêmes. Au surplus avaient-ils encore vécu la conquête, pour ne pas dire la submersion des salles de lecture par les généalogistes amateurs, ce qui avait fait d’eux les observateurs les plus affûtés du besoin croissant dans la société française, à l’échelle des communautés et des familles, d’une « histoire à soi » [31].

Le phénomène deviendra plus tard un thème de recherche collective particulièrement étudié par les ethnologues du LAHIC. Mais sa survenue soudaine, parfois brutale et tout sauf aimable tant il était étranger aux codes de la sociabilité érudite, a pu faire découvrir aux premiers chefs chartistes de la Mission du patrimoine ethnologique la force irrésistible de ce fait de société. Ils ont su ainsi, mieux que leurs confrères, pénétrer les ressorts de la revendication d’un bien patrimonial des plus humbles, l’acte d’état civil, en appréhendant, au-delà de sa portée juridique, sa texture symbolique, pour ne pas dire totémique. En somme une initiation à un sport de combat nommé l’anthropologie [32] !

Privés de l’atout conféré par la direction d’un service d’archives, ceux dont la carrière antérieure avait emprunté d’autres chemins ont su à l’évidence user d’autres cartes avec un égal succès. C’est ainsi que l’un d’eux a pu se prévaloir d’une expertise à ses yeux non moins prédisposante, acquise par une longue immersion, quasi ethnographique, dans le monde de la recherche, au plus près de la genèse des archives scientifiques. Mais à dire vrai, tout archiviste pratique pour réussir sa collecte une manière d’observation participante des membres et des instances de l’organisme producteur. Il apparaît ainsi qu’un fond de compréhension mutuelle préexistant a fort probablement contribué à instaurer, de façon plus ou moins consciente, une connivence entre les chefs successifs de la Mission et leurs interlocuteurs ethnologues, notamment ceux composant l’équipe qu’ils avaient à encadrer. Cette « ethnocompatibilité » est allée de pair avec une claire conscience par les intéressés du rôle qui leur était assigné, tant par ceux qui se sont succédé à la tête de la Direction du patrimoine ou à la présidence du Conseil du patrimoine ethnologique, tant qu’il a existé, que par les membres de la Mission et les conseillers sectoriels affectés dans les DRAC [33].

Pour le saisir à leur suite, il faut partir d’un paradoxe. La recherche, enjeu permanent et omniprésent dans les préoccupations des agents de la Mission, était absente du travail quotidien de chacun, entièrement absorbé qu’il était par des tâches organisationnelles, rédactionnelles, logistiques ou techniques, telles que concevoir les appels d’offres, préparer la sélection des lauréats, être à l’écoute des porteurs de projets, obtenir la livraison de leurs rapports, attribuer les bourses de formation destinées à de jeunes chercheurs en ethnologie de la France, programmer des stages de formation permanente ou encore assurer le secrétariat éditorial d’une revue et d’une collection, du contact avec les auteurs à la diffusion des fascicules et des ouvrages.

Cette réalité, quoique moins prosaïque que l’ordinaire bureaucratique, a pu être source de frustration pour des chargés de mission, tous pourvus de diplômes sanctionnant des travaux de recherche et ayant souvent engagé une carrière de chercheur avant leur affectation à l’administration centrale. Il n’en a manifestement pas été ainsi pour les chefs de la Mission dont aucun ne s’est illusionné sur la teneur d’un poste ancré dans un dispositif administratif des plus classiques, soit un registre qui leur était familier, même si la plupart connaissaient mieux l’administration déconcentrée, placée sous l’autorité du préfet, que les ministères. Autrement dit, aucun n’a posé sa candidature dans l’idée, si elle était retenue, de renouer personnellement avec la recherche. Mais tous ou au moins la plupart ont considéré que l’attractivité du poste résidait dans le fait qu’il mettait à contribution ce qu’on pourrait appeler le bilinguisme de ses titulaires, autrement dit leur capacité, selon les interlocuteurs, à parler le langage des gens de bureau et celui des laborantins des sciences humaines et sociales.

Agir pour l’ethnologie : apport organisationnel et créations institutionnelles

La double reconnaissance et l’estime que les chefs chartistes de la Mission du patrimoine ethnologique ont obtenues les ont aussi institués dans une posture de médiation, laquelle allait en l’occurrence au-delà du rôle purement fonctionnel de l’interprète ou du traducteur, soit d’un auxiliaire et non d’un cadre dirigeant. Sans doute ont-ils ainsi évité aux fonctionnaires de la Direction du patrimoine et aux ethnologues de la Mission de commettre de trop fréquentes méprises sur leurs intentions réciproques. Mais surtout, en engageant dans cet exercice de transmission circulaire leur autorité personnelle, adossée à la fois à leur statut de haut fonctionnaire et à leur capital scientifique, ils ont amené les uns et les autres à s’accorder un peu plus de considération et à s’efforcer de comprendre les attentes de ces partenaires si différents de leurs commensaux ordinaires.

Ils ont pu encore trouver une source complémentaire de gratification dans l’exercice des fonctions de représentation que le poste comporte. Elles les ont en effet mis au contact de militants associatifs, engagés hier dans la reconnaissance d’un patrimoine ethnologique peu considéré et œuvrant surtout, désormais, à la protection et à la promotion du patrimoine culturel immatériel via des procédures d’inscription qui requièrent l’appui – et l’expertise – des services de l’État. Loin des bureaux et de l’entre-soi des fonctionnaires, qu’ils relèvent ou non du personnel dit scientifique, il s’agit d’un exercice auquel sont rompus les archivistes départementaux et qui leur vaut d’être perçus comme des facilitateurs sachant se mettre à la portée des chercheurs non statutaires, le plus souvent bénévoles, qui quadrillent les territoires, publiant ici une revue, gérant là un musée de société, organisant encore ailleurs un festival. La transposition de ce savoir-faire a simplement requis dans les années les plus récentes de s’adapter aux usages de la diplomatie, fût-elle culturelle, pour maîtriser les codes de la négociation multilatérale, et d’aider ceux dont il s’agissait de soutenir la cause à surmonter leur timidité et, le cas échéant, un sentiment d’illégitimité.

L’expertise territoriale et la maîtrise des codes de sociabilité qui soudent les communautés patrimoniales non parisiennes apparaissent bien comme la clé de la réussite de plus d’un chartiste à la tête de la Mission. Cette sensibilité au territoire, qui ne va pas sans rappeler l’immersion dans « son » terrain de l’ethnographe patenté, a en tout cas inspiré l’action, résolue et constante, des chefs de mission, et constitué moins leur domaine réservé que leur apport personnel, dans le registre où ils pouvaient imprimer leur marque, sans risquer de contrarier les initiatives des chargés de mission ou celles des conseillers sectoriels des DRAC, mais au contraire par l’application du principe de subsidiarité.

Le fait est particulièrement vérifiable dans l’appui qu’ils ont apporté à des opérateurs, souvent associatifs, qui combinaient l’animation d’un territoire de taille modeste avec la mise en œuvre d’un projet scientifique et culturel à forte teneur anthropologique, ambitionnant d’occuper les champs de la recherche, de la formation, de la documentation et de la production. Leur désignation générique comme « ethnopôles » [34] a été imaginée en 1993 par Gérard Ermisse dans l’année qui a suivi sa prise de poste. Leur création, ou plutôt leur labellisation devait concrétiser une « politique d’implantation en région » portée par la Mission pour « pérenniser son action » en s’appuyant sur des « équipements culturels » à la fois « lieu[x] de référence, centre[s] de ressources et outil[s] de développement de la politique du patrimoine ethnologique » en faveur de laquelle ils avaient déjà manifesté « leur engagement » [35].

Desservie par un manque initial de soutien de la part de la hiérarchie, l’idée a pourtant surnagé ; à l’articulation des deux siècles, elle a été relancée avec insistance et de façon très argumentée par Jean-Marie Jenn qui est allé la plaider auprès du directeur de cabinet de Michel Duffour, le secrétaire d’État au Patrimoine et à la Décentralisation culturelle [36]. Cette démarche s’inscrivait dans un contexte où la visibilité de la Mission était brouillée par la place toujours plus envahissante qu’occupaient, au sein de la Direction du patrimoine, les monuments historiques et l’architecture, et où par ailleurs sa propre impartialité était mise en doute dans l’enceinte du Conseil du patrimoine ethnologique, devenu un terrain d’affrontement des grands féodaux du champ disciplinaire. Aussi la création des établissements publics de coopération culturelle (EPCC), dont Duffour était le promoteur [37], lui a-t-elle paru desserrer l’étau, mais surtout répondre à l’enjeu d’une meilleure préservation d’un patrimoine ethnologique vivant parce qu’en phase avec les attentes des populations des bassins de vie concernés.

Jenn en escomptait en effet la fourniture d’un outil qui lui permettrait de consolider les ethnopôles existants et de labelliser davantage de structures. Le futur statut répondait a priori au besoin de sécurisation juridique qu’appelaient le développement et la pérennisation de projets scientifiques et culturels généralement nés dans le milieu associatif, mais il pouvait aussi garantir un financement pérenne en instaurant le principe d’un partenariat associant au minimum une collectivité territoriale chef de file à l’État. Soutenir de la sorte des équipes opérationnelles pratiquant la recherche-action et la mise à disposition de ressources documentaires, au surplus soucieuses de diffusion, procédait assez directement d’une transposition plus ou moins consciente d’un modèle, celui du centre d’archives départementales tel que l’avaient métamorphosé la décentralisation ainsi qu’une meilleure prise en compte des attentes des usagers, à commencer par les généalogistes amateurs. Et cet appui sur des acteurs incarnés et créatifs devait paraître plus prometteur pour la cause du patrimoine ethnologique que les interventions nécessairement ponctuelles des conseillers sectoriels en DRAC, à l’effectif toujours déclinant.

La réussite du pari a été tout sauf éclatante à court terme. Mais à plus longue échéance, les résultats apparaissent probants : aujourd’hui, une dizaine de structures, réparties de façon assez équilibrée sur le territoire métropolitain [38], exception faite du nord-est [39], font vivre le label « ethnopôle ». Ce résultat est indubitablement à porter au crédit des archivistes paléographes, au même titre que le succès de plusieurs candidatures de dossiers français à l’inscription sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité [40] : à chaque fois, sans doute, une mobilisation collective a été décisive mais encore fallait-il la susciter et veiller à ce qu’elle ne se relâche pas. Doit-on y voir un indice supplémentaire du caractère sportif et agonistique de l’anthropologie ? Du moins est-il patent que l’École des chartes a formé des entraîneurs particulièrement talentueux qui ont su mener à de nombreuses reprises jusqu’au podium de l’UNESCO des équipes nationales ou locales.

Trouver sa place, entre hiérarchies et réseaux : comment et avec qui travailler

Une autre approche, complémentaire de celle qui est centrée sur les réalisations des chefs de la Mission du patrimoine ethnologique peut être portée sur leur action à la tête de cette administration. Il s’agira plutôt ici de tenter de comprendre dans quels réseaux de relations formels ou informels ils ont inscrit leur travail.

À une exception près, les archivistes paléographes qui ont dirigé la Mission sont demeurés en place entre trois et quatre ans en moyenne. Le renouvellement assez fréquent du titulaire du poste mérite d’autant plus d’être signalé que tous, il faut le rappeler, étaient initialement peu familiers du domaine. Doit également être prise en compte une donnée soulignée par Gérard Ermisse et Michel Melot : l’un comme l’autre ont eu à diriger la Mission tout en étant à la tête de l’Inventaire général, autre institution patrimoniale dont les effectifs en administration centrale étaient beaucoup plus importants et qui orientait en outre l’action de services régionaux présents au sein de chaque DRAC. Pour assumer cette double direction, ils ont été contraints de strictement limiter leur présence rue de Richelieu, en ne consacrant à l’ethnologie qu’un jour par semaine, dédié à une réunion suivie d’entretiens particuliers avec les chargés de mission [41].

Pour prendre en main leur mission (au double sens du terme), ils ont dû, plus que l’aurait fait un ethnologue de métier, s’appuyer sur leur équipe et sur les conseillers en région. Bien que tendanciellement déclinants sur l’ensemble de la période, ces deux groupes de professionnels se signalent l’un et l’autre par la très grande stabilité de certains de leurs membres, qui ont pu constituer pour les chefs de mission des référents, des personnes-ressources et des interlocuteurs particulièrement fiables ; ainsi en est-il de Christine Langlois, responsable des publications de 1983 à 2016, d’Alain Morel, en charge des programmes audiovisuels, ou encore, en région, de Christian Jacquelin et de François Portet, en poste successivement dans plusieurs DRAC, ainsi que de Pierre Schmit, qui a dirigé, dès sa création en 1984, un ethnopôle basé à Caen, le CRECET [42] Basse-Normandie, et qui fut, quelque trente ans après, l’artisan de sa transformation en EPCC [43]. Le rôle de ces interlocuteurs privilégiés doit toutefois être saisi dans toute sa complexité : un domaine d’élection pour l’action peut parfois devenir une chasse solidement gardée, comme en témoigne l’autonomisation progressive mais quasi complète de la ligne éditoriale de Terrain, revue animée par un comité de rédaction totalement extérieur au ministère. Le cas de Claudie Voisenat est assez différent, puisque, au sein de la Mission puis en détachement à l’ethnopôle GARAE [44] avant de rejoindre le LAHIC dès sa création et de participer à la fondation d’Héritages en 2020, elle a accompagné de manière continue la Mission du patrimoine ethnologique – et ses chefs – dans la construction d’une politique de recherche.

Celle-ci a longtemps été déterminée par l’instance consultative, présidée par le ministre, mais dont le vice-président, choisi parmi les figures de la discipline, était le véritable maître. Le titulaire de la fonction, ici aussi, a changé plusieurs fois, quoique moins fréquemment que le chef de la Mission. Reste que les tensions croissantes entre différentes écoles, sur fond de diminution des crédits de recherche, aboutirent au tournant du siècle à la mise en sommeil du Conseil du patrimoine ethnologique puis à sa suppression de fait. La création du LAHIC, portée par Daniel Fabre et soutenue par Jean-Marie Jenn, modifia profondément le jeu des acteurs, en créant pour la Mission et son chef un interlocuteur privilégié, parfois perçu à tort comme exclusif par les directeurs d’autres laboratoires de recherche. Consacré par l’accord-cadre conclu entre le CNRS et le ministère de la Culture, il a en effet accueilli en son sein nombre d’ethnologues du ministère et a été d’autant plus légitimé dans cette position privilégiée qu’il avait pour objet de recherche l’institution de la culture et pour axe de travail de prédilection l’ethnologie du patrimoine. Cette relation de grande proximité se concrétisa d’abord par le positionnement du chef de la Mission comme directeur adjoint du LAHIC, qui fit bientôt place à un modus vivendi plus souple, sous forme d’exercice de la tutelle et de participation aux activités de l’équipe en tant que membre associé.

Une telle reconfiguration de la relation au monde de la recherche doit être mise en parallèle avec la complexité des rapports hiérarchiques. Si d’éminentes figures de directeurs (du patrimoine, de l’architecture et du patrimoine puis des patrimoines) se sont succédé sur plus de vingt ans  [45], aucune n’a fait de l’ethnologie une priorité pour son action. Les témoignages des anciens chefs convergent pour signaler le peu d’intérêt porté, dès le milieu des années 1990, à l’ethnologie, notamment par rapport à l’Inventaire général. À partir du retour de l’architecture dans le giron du ministère de la Culture – cette « fin de la captivité de Babylone » selon l’expression de Jean-Michel Leniaud [46] –, le centre de gravité de l’administration du patrimoine réside dans la gestion du bâti et la politique patrimoniale est de plus en plus indexée sur l’expertise juridique. Les manières de « faire patrimoine » fondées sur la recherche, qui caractérisaient l’ethnologie et l’inventaire, se trouvent progressivement marginalisées [47] puis regroupées au sein d’une même entité, la sous-direction Archetis [48], dont Isabelle Balsamo, issue de l’Inventaire, prend la tête.

Si la Mission ethnologie a abordé le XXIe siècle à la fois privée de l’appui d’une instance consultative, rétrogradée dans les organigrammes [49] et étroitement liée, le plus souvent pour le meilleur, à un laboratoire, elle a connu à partir de 2006 une étonnante transformation de ses réseaux professionnels, grâce à la ratification française de la convention de l’UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (PCI). Les derniers responsables chartistes de l’ethnologie ont saisi l’opportunité que leur offrait le PCI de renouer des relations parfois distendues avec les acteurs territoriaux. Cela s’est notamment manifesté à travers des relations suivies avec plusieurs associations régionales de musiques et de danses traditionnelles (Dastum en Bretagne, Repriz en Guadeloupe, par exemple), qui ont porté des projets de candidature devant l’UNESCO (ici le fest noz breton, là le gwoka de l’archipel antillais). Les chefs de la mission ont en outre pu mettre à profit l’intérêt suscité par la Convention de 2003 dans le monde académique pour renouveler les partenariats scientifiques, en particulier du côté des juristes [50] et des économistes [51]. Ces points de vue apportés par des chercheurs d’autres disciplines ont été précieux pour contextualiser et permettre une lecture critique des nombreux travaux menés par les anthropologues liés au LAHIC et proches de la Mission [52]. Enfin les conservateurs chartistes ont réussi à s’insérer dans les instances de l’UNESCO ou gravitant à sa périphérie, en participant aux comités intergouvernementaux et en instruisant au niveau national les candidatures portées devant cette instance. Parce que fondée sur une base juridique de stature internationale, la politique du PCI leur a surtout permis, dans un contexte de réformes administratives se succédant en rangs serrés, et de ce fait, génératrices de tensions, d’asseoir leur mandat professionnel, au sens que le sociologue américain Andrew Abbott donne à ce terme [53]. Ils ont pour cela fait valoir, non sans contestations internes au sein du monde des ethnologues [54], le primat de l’expertise fondée sur cette discipline, notamment vis-à-vis des responsables d’autres services centraux du ministère, et tout particulièrement ceux en charge des affaires internationales et de l’Inventaire général du patrimoine culturel.

C’est un fait déjà relevé qu’embrasser la double cause, patrimoniale et scientifique, attachée à l’ethnologie de la France a toujours constitué, pour les chartistes qui ont piloté la Mission ou ses avatars, une étape dans leur parcours et jamais l’ultime. Pour beaucoup, le passage a marqué un infléchissement ou une bifurcation, un éloignement généralement durable des fonctions et des préoccupations archivistiques, mais en aucun cas pour rallier un laboratoire et substituer aux réseaux de sociabilité chartistes ceux de la recherche en sciences humaines et sociales, tant statutaire qu’associative, ni même pour hybrider les uns avec les autres : tout au plus quelques amitiés ont-elles perduré, à la faveur d’affinités plus esthétiques qu’intellectuelles. L’orientation prise au sortir du virage ethnologique a donc toujours consisté à s’éloigner des marges du champ patrimonial pour rallier des zones plus centrales ou plus décisionnelles de l’appareil administratif, tel que le reconfiguraient l’institution du statut unifié des conservateurs et la formation d’un corps, qualifié de scientifique.

Dans ce cadre dont il faut souligner qu’il a été tracé par des chronologies parallèles, la publication du statut de conservateur intervenant quelques mois après la nomination d’Yves Renaudin [55], tout se passe comme si l’immersion d’archivistes (paléographes) chevronnés parmi les ethnologues et leurs sujets d’étude parfois si déroutants avait surtout servi à démontrer, en s’appuyant sur leur maîtrise des problématiques des territoires, l’extension de leur domaine de compétence très au-delà du seul patrimoine écrit. Ce faisant, les intéressés ont aussi assimilé un schéma fonctionnel où l’appartenance au personnel scientifique de l’administration de la culture devient principalement un attribut caractérisant une branche du management administratif. On pourrait dès lors parler d’un détour ascensionnel si la formule, anthropologique s’il en est, du rite de passage ne s’appliquait pas mieux à cette transition qui, répétée sept fois, fait système. Certes cette captation de la Mission par les diplômés de l’École des chartes n’a jamais desservi la recherche ethnologique, dont les conservateurs à la manœuvre ont tous été des auxiliaires aguerris. Mais si consciencieux et efficaces qu’ils se soient montrés, on ne saurait parler de désintéressement dès lors que leur sincère investissement a produit en retour, comme ils l’espéraient bien, la mise en exergue escomptée – et escomptable – de leur polyvalence.

De cette histoire de trente ans, s’il n’y a pas lieu de tirer une leçon et moins encore une morale, on peut en revanche retenir la nécessité d’approfondir l’analyse de l’édification de la figure du conservateur moderne, au moins pour éclairer le paradoxe de cette scientificité postulée alors qu’elle est en pratique de moins en moins éprouvée. Il apparaît que ce serait un beau terrain à trianguler pour des arpenteurs rompus aux concepts de l’histoire des représentations comme aux méthodes de la sociologie des métiers d’art dont il serait opportun de s’aviser qu’ils incluent la conservation.




[1Alain Lancelot, qui a été directeur de Sciences Po Paris de 1987 à 1996.

[2Les auteurs ainsi que Christine Laurière et Frederico Delgado Rosa remercient très vivement Marie-Françoise Limon-Bonnet, présidente de la Société de l’École des chartes, et David Feutry, directeur de la Bibliothèque de l’École des chartes, pour avoir autorisé la publication dans Bérose de cet article, initialement paru dans L’École des chartes – Un portrait intellectuel (XXe -XXIe  siècles), études réunies par Olivier Poncet (BEC, tome 176, 1re livraison Janvier-juin 2021, p. 245-261).

[3Notamment celui sur L’instauration du patrimoine ethnologique, proposé en 2010-2011 par le Laboratoire d’anthropologie et d’histoire de l’institution de la culture (LAHIC) avec le soutien de la Mission ethnologie. Le texte de présentation élaboré par les deux animateurs de ce séminaire, Jean-Louis Tornatore et Noël Barbe, n’est malheureusement plus accessible en ligne.

[4Tel celui intitulé Du moment du patrimoine ethnologique, organisé en décembre 2016 par l’université de Bourgogne et la Maison des sciences de l’homme de Dijon, en partenariat avec l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain (IIAC) et avec le soutien de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) de Bourgogne-Franche-Comté.

[5Parmi d’autres, celui de Jean-Louis Tornatore, «  Qu’est-ce qu’un ethnologue politisé  ? Expertise et engagement en socio-anthropologie de l’activité patrimoniale  », dans ethnographiques.org, t. 12, 2007, en ligne : www.ethnographiques.org/2007/Tornatore, voir également dans Bérose https://www.berose.fr/article2920.html.

[6On pourra se reporter, notamment, aux actes d’un des colloques consacrés à Daniel Fabre après sa disparition : Daniel Fabre, le dernier des romantiques. Actes du colloque de Paris, octobre 2018, dir. Claudie Voisenat, Sylvie Sagnes et Annick Arnaud, Paris, 2021 (Ethnologie de la France et des mondes contemporains, 41).

[7Ce témoignage a pris la forme d’une intervention au séminaire susmentionné. Les auteurs remercient Noël Barbe et Jean-Louis Tornatore de leur avoir permis d’écouter l’enregistrement correspondant.

[8L’ethnologie de la France, besoins et projets, rapport présenté par Redjem Benzaïd, Paris, 1980.

[9Noël Barbe, «  Isac Chiva, ethnologie et politique patrimoniale  », Terrain, t. 60, 2013, p. 148-163, en ligne : https://doi.org/10.4000/terrain.15127, voir également dans Bérose https://www.berose.fr/article2924.html.

[10Sur le rôle des conseillers, voir Michel Rautenberg, «  L’intervention ethnologique. Témoignage et éléments de réflexion sur les relations entre recherche et action culturelle dans une direction régionale des affaires culturelles  », in Loïc Vadelorge et Philippe Poirrier, Pour une histoire des politiques du patrimoine, Paris, 2003, p. 469-489.

[11Christian Hottin, «  Des formes de continuité du patrimoine ethnologique : ethnologie des territoires, ethnologie du patrimoine, patrimoine culturel immatériel  », In situ. Revue des patrimoines, t. 33, 2017, en ligne : https://doi.org/10.4000/insitu.15469, voir également dans Bérose https://www.berose.fr/article2926.html.

[12La direction devient en 1997 Direction de l’architecture et du patrimoine. Érigée en Direction générale des patrimoines en 2009, elle affiche à nouveau depuis 2021 l’architecture dans son intitulé.

[13Il s’agit en fait d’un ensemble de fiches transmises le 5 mai 2000 par Jean-Marie Jenn, alors responsable de la Mission, au directeur de l’Architecture et du patrimoine, aujourd’hui conservé aux Archives nationales (Arch. nat., 20060629/375).

[14Jean-Louis Tornatore, «  La difficile politisation du patrimoine ethnologique  », Terrain, t. 42, 2004, p. 148-160, en ligne : https://doi.org/10.4000/terrain.1791, voir également dans Bérose https://www.berose.fr/article2918.html.

[15Devenu par la suite équipe de recherche de l’EHESS, le LAHIC a contribué en 2005 à la fondation d’une importante UMR CNRS-EHESS en anthropologie, l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain (IIAC). Il n’a toutefois pas résisté au choc provoqué par le décès de Daniel Fabre (janvier 2016). Une partie des chercheurs qui lui restaient attachés ont quitté l’EHESS pour fonder en janvier 2021, avec l’équipe d’accueil Agora de CY Cergy-Paris université et le ministère de la Culture, un nouveau laboratoire, Héritages (UMR 9022).

[16Voir notamment Le patrimoine culturel immatériel. Enjeux d’une nouvelle catégorie, Chiara Bortolotto (dir.), Paris, 2011 (Ethnologie de la France, 26), en ligne : https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.3545.

[17En poste de 1989 à 1992.

[18En poste de 2016 à 2020.

[19En poste de 1992 à 1996.

[20En poste de 1996 à 1998.

[21En poste de 1998 à 2001.

[22En poste de 2001 à 2005.

[23En poste de 2006 à 2016.

[24En fonction à la mission de 1994 à 1997, il a successivement secondé Gérard Ermisse puis Michel Melot.

[25Trois avaient ensuite rejoint, mais pour peu d’années, les Archives nationales. Un quatrième avait eu pour première affectation un poste aux Archives nationales du monde du travail (Roubaix).

[26Il s’agit d’Yves Renaudin (Pays-de-la-Loire de 1975 à 1977, puis Rhône-Alpes de 1977 à 1985) et de Jean-Marie Jenn (Picardie de 1987 à 1990).

[27Un seul des sept titulaires du poste est revenu à la charge trois ans après une première candidature infructueuse.

[28Les auteurs remercient Gérard Ermisse, Michel Melot et Odile Welfelé pour s’être prêtés à l’exercice de l’entretien enregistré. L’expression de leur gratitude va également à Isabelle Balsamo qui, dans ses fonctions successives à l’Inventaire général, à l’École nationale du patrimoine puis à la Direction de l’architecture et du patrimoine, a côtoyé la plupart des archivistes paléographes auxquels le présent article est consacré.

[29C’est ce qu’ont assuré oralement la première cheffe de la Mission et son deuxième successeur. Le premier des deux candidats non retenus était un pilier du Musée national des arts et traditions populaires, qui avait été un proche collaborateur de son fondateur, Georges Henri Rivière  ; le second faisait partie des premiers conseillers pour l’ethnologie nommés dans les directions régionales des affaires culturelles et il est devenu ensuite enseignant-chercheur dans cette discipline.

[30Selon un verbatim rapporté par l’heureux élu.

[31Pour reprendre le titre d’un ouvrage codirigé par Alban Bensa et Daniel Fabre, paru en 2001 aux Éditions de la Maison des sciences de l’homme, collection «  Ethnologie de la France  », cahier no 18.

[32Pour paraphraser le titre du film que le documentariste Pierre Carles a consacré en 2001 au sociologue Pierre Bourdieu.

[33Ou plus rarement auprès des conseils régionaux comme en Poitou-Charentes.

[34Initialement en concurrence avec celle de «  pôle d’intérêt ethnologique  ».

[35Citations extraites d’un document intitulé «  Pour un réseau d’ethnopôles  » et annexé à une note du chef de la Mission du patrimoine ethnologique au directeur du Patrimoine en date du 26 janvier 1996 (Arch. nat., 20060629/375).

[36L’audience a eu lieu en décembre 2000 et a été suivie par l’envoi d’une note en date du 6 février 2001. L’épisode est documenté à la fois par les dossiers de la Direction de l’architecture et du patrimoine et par ceux du cabinet de Michel Duffour, les uns et les autres conservés aux Archives nationales (Arch. nat., 20060629/375  ; Arch. nat., 20040408/1).

[37Institués par la loi no 2002-6 du 4 janvier 2002, qui a été ultérieurement incorporée au code général des collectivités territoriales (première partie, livre IV, titre III, articles L1431-1 à L1431-9).

[38Il y a trace dans les archives de la Mission d’un projet de création de deux ethnopôles ultramarins, l’un en Guyane, l’autre aux Antilles, esquissé dans une fiche annexée à une note du 13 février 1995 (Arch. nat., 20060629/375).

[39Les données les plus récemment actualisées à ce sujet sont accessibles sur le site du ministère de la Culture : www.culture.gouv.fr/Thematiques/Ethnologie-de-la-France/Les-acteurs-de-la-recherche .

[40Même si, à partir de 2015, ce sont surtout des candidatures associant la France à d’autres pays qui ont été retenues et si, antérieurement, le relais par les diplomates de priorités définies à l’échelon politique a entraîné l’inscription de quelques dossiers dont l’intérêt scientifique intrinsèque n’était pas majeur. La liste complète est consultable à l’adresse : https://ich.unesco.org/fr/listes .

[41Témoignage de Michel Melot.

[42Centre régional de culture ethnologique et technique.

[43Dénommé la Fabrique de patrimoines en Normandie.

[44Groupement audois de recherche et d’animation ethnographique, basé à Carcassonne.

[45Successivement Maryvonne de Saint-Pulgent, François Barré, Wanda Diebolt, Michel Clément (archéologue et le seul issu du corps des conservateurs), Philippe Bélaval et Vincent Berjot.

[46Qui l’emploie dans un article intitulé «  L’architecture à la Culture  », repris dans ses Chroniques patrimoniales, Paris, 2001, p. 257.

[47En ce sens, le transfert aux conseils régionaux des services déconcentrés de l’Inventaire général (2004-2006) vient clore un conflit larvé de près de trente ans avec l’administration des monuments historiques sur le pilotage de l’action patrimoniale. Lire à ce propos Jean-Pierre Babelon et André Chastel, «  La notion de patrimoine  », dans Revue de l’art, no 49, 1980, p. 5-32  ; l’article a été repris et amplifié dans un livre éponyme publié chez Liana Levi en 1994.

[48L’acronyme se décomposant en «  Arch  » pour l’archéologie, «  et  » pour l’ethnologie, «  i  » pour l’Inventaire et «  s  » pour les systèmes d’information.

[49On renverra à ce propos à Christian Hottin, «  Témoignage pour une histoire administrative de la Mission du patrimoine ethnologique  », In situ. Au regard des sciences sociales, t. 1, 2019, en ligne : https://doi.org/10.4000/insituarss.414, voir également dans Bérose https://www.berose.fr/article2928.html.

[50Les relations avec le Centre d’études et de coopération juridique interdisciplinaire, ou CECOJI (devenu l’Institut des sciences sociales du politique), emmené par Marie Cornu, Jérôme Fromageau et Vincent Negri, se sont intensifiées, jusqu’à soutenir un programme de recherche mené en partenariat avec l’Académie de la culture de Lettonie (Anita Vaïvade).

[51Ce volet de coopération a tout particulièrement concerné les travaux de Francesca Cominelli, maîtresse de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, en poste à l’Institut de recherche et d’études supérieures du tourisme (IREST).

[52Outre Jean-Louis Tornatore et Noël Barbe, déjà mentionnés, qui se sont tous deux saisis de la problématique du PCI, la chercheuse la plus impliquée dans ce domaine, tant en France que sur le plan international, est Chiara Bortolotto, également membre du LAHIC et aujourd’hui du laboratoire Héritages.

[53Andrew Abbott, The System of Professions : An Essay on the Division of Expert Labor, Chicago, 1988.

[54Voir à ce sujet : Christian Hottin, «  L’ethnologie, un métier du patrimoine  ? Réflexions autour de la question du patrimoine culturel immatériel  », In situ. Revue des patrimoines, t. 30, 2016, en ligne : https://doi.org/10.4000/insitu.13633, voir également dans Bérose https://www.berose.fr/article2925.html.

[55Prestement intégré dans le corps – alors distinct – des conservateurs généraux, alors qu’il était détaché depuis 1972 dans celui des conservateurs régionaux des bâtiments de France.