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Encyclopédie internationale
des histoires de l’anthropologie

Le terrain breton aux sources de l’ethnomusicologie de la France. Claudie Marcel-Dubois et Donatien Laurent, deux expériences fondatrices

Marie‑Barbara Le Gonidec

Ministère de la culture, UMR9022 Héritages

2023
Pour citer cet article

Le Gonidec, Marie–Barbara, 2023. « Le terrain breton aux sources de l’ethnomusicologie de la France. Claudie Marcel-Dubois et Donatien Laurent, deux expériences fondatrices », in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l'anthropologie, Paris.

URL Bérose : article2864.html

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Publié dans le cadre du thème de recherche « Histoire de l’ethnomusicologie », dirigé par François Gasnault (INHA, InVisu) et Marie-Barbara Le Gonidec (Ministère de la Culture, Héritages).

Résumé : Claudie Marcel-Dubois (1913-1989) est connue comme la fondatrice de l’ethnomusicologie du domaine français dont on fait remonter la création à l’année 1939 avec la « mission de folklore musical en Basse-Bretagne » lancé par le musée national des Arts et Traditions populaires qu’elle co-organise avec l’abbé Falc’hun, linguiste brittophone. Terrain privilégié de Marcel-Dubois et de son assistante Maguy Pichonnet-Andral jusque dans la deuxième moitié des années 1950, le terrain breton semble délaissée dès lors qu’arrive, s’inscrivant bientôt officiellement dans le champ institutionnel, un jeune chercheur prometteur, Donatien Laurent (1935-2020). Breton de Paris, fils d’un militant culturel, musicien et brittophone, formé par Leroi-Gourhan et Jean-Michel Guilcher, il va renouveler en profondeur l’approche du terrain et les thématiques de l’ethnologie de la Bretagne. Cet article, en rendant compte des terrains bretons de Marcel-Dubois et de Laurent montre que le second inaugure finalement une véritable « ethno(musico)logie du proche » là où la première a fondé une discipline plus généraliste.

C’est par l’approche du terrain bas-breton de deux personnalités ayant marqué la discipline, Claudie Marcel-Dubois (1913-1989, dite CMD) et Donatien Laurent (1935-2020), que nous allons réfléchir à la question de la construction de l’ethnomusicologie du proche [1].

En 1939, la première fonde [2] le domaine au sein du musée national des Arts et Traditions populaires (les ATP) où le second sera affecté en 1966. La première laissera le terrain au second dès son entrée en scène, pourtant discrète. Examiner le rapport de ces deux chercheurs au terrain breton va nous permettre d’apporter des éléments d’information sur leurs conceptions et sur le vécu de l’enquête ethnomusicologique, mais pas uniquement : c’est aussi la place de la Basse-Bretagne – terre d’initiation pour l’une (mission de folklore musical, 1939) comme pour l’autre (Plozévet 1964), en tant qu’un terrain parmi d’autres pour CMD, son terrain pour Donatien Laurent – que nous interrogerons la construction de cette ethnomusicologie du proche [3]. À dire vrai il serait plus juste de substituer au terme « construction » celui de « conception » (d’ailleurs utilisé dans le titre) car il faudrait, pour tirer quelque généralité que ce soit, se pencher sur le parcours d’autres chercheurs sur ce même terrain ou sur d’autres « enfants du pays » ayant travaillé sur leur terroir, ailleurs en France [4].

C’est donc l’approche individuelle de deux ethnomusicologues que nous restituons ici avec, comme décor, la Basse-Bretagne. Au second plan, dans l’ordre d’entrée en scène, Georges Henri Rivière, François Falc’hun, André Leroi-Gourhan et Christian Pelras.

Naissance de l’ethnomusicologie de la France

Avec la création en 1937 à Paris, du musée de l’Homme et du musée national des Arts et Traditions populaires, l’ethnologie va bénéficier d’une véritable reconnaissance que le musée d’Ethnographie du Trocadéro, dont ils héritent des collections, avait vainement tenté de faire valoir au plan institutionnel. Dès lors, en France, la discipline empruntera deux voies distinctes : au musée de l’Homme l’ethnologie exotique, ou des lointains ; aux ATP celle, populaire, ou du proche. Le proche, c’est ce paysan de nos campagnes, dernier témoin d’une tradition multiséculaire dont la quête de la mémoire constituait pour les romantiques une des démarches essentielles. George Sand le voyait comme, « si l’on peut ainsi dire, le seul historien qui nous reste des temps antéhistoriques [5] ». Si la chanson, expression supposée de la mémoire collective, occupe alors une place essentielle dans cette démarche quasi archéologique, que dire de celle que tient la péninsule armoricaine où sont censés vivre les descendants des « Français » d’avant la conquête romaine… ? En témoigne le fait de qualifier de celtique l’Académie créée à Paris en 1804 dont le but est de « retrouver le passé de la France, recueillir les vestiges archéologique, linguistique et coutumier de l’ancienne civilisation gauloise [6] » ; en témoigne aussi l’engouement pour le Barzaz-Breiz publié en 1839 par Théodore Hersart de la Villemarqué. George Sand qualifiera de « diamants » les textes qui s’y trouvent publiés [7].

Cent ans plus tard, ce fut une nouvelle fois la Basse-Bretagne qui fut choisie pour la constitution de l’ethnomusicologie [8] de la France en domaine d’étude à part entière. Georges Henri Rivière (1897-1985) décida en effet « de placer la Bretagne en tête d’une série de missions de folklore que doit organiser [son] établissement dans les différentes régions de la France, missions qui [avaie]nt pour but de rassembler des matériaux originaux avec les méthodes et les techniques dont dispose maintenant notre science [9] ». En 1939, le terme folklore était encore en usage – celui d’ethnologie n’aurait pas été compris, mais nous étions bien dans une nouvelle ère, celle de l’institutionnalisation et de la professionnalisation des études sur les savoirs populaires, et le jeune musée, écrivait encore le directeur des ATP se devait « [d’] organiser des missions à l’instar de celles qu’envo[yai]ent vers les contrées lointaines les grands musées d’ethnographie [10] ». Parmi les objets ethnographiques que rapportaient ces missions, on comptait désormais des objets immatériels dont l’évolution des techniques rendait enfin possible la captation : les enregistrements sonores. C’est en grande partie grâce à l’invention de l’enregistreur à la fin du xixe siècle que la musique est devenue un objet saisissable. Jusqu’alors seul cet outil, muet, qu’est l’instrument permettait l’étude de la musique des lointains tandis que pour celle du proche, la chanson était privilégiée comme on l’a dit, bien souvent silencieuse elle aussi, soit en raison de l’incapacité du collecteur à la noter soit en raison de la difficulté d’une telle entreprise même par les plus experts [11].

On doit à André Schaeffner (1895-1980), recruté en 1929 au musée d’Ethnographie du Trocadéro, la création en France de la discipline. Cette année-là, il prit en charge les collections d’instruments dont il entreprit le classement et l’étude. En 1937, il fonda le département d’ethnographie musicale du nouveau musée de l’Homme tandis que Claudie Marcel-Dubois, qui travaillait avec lui depuis 1934 pour s’occuper de la phonothèque du musée récemment constituée, choisit de suivre [12] Rivière. Au début de l’année 1939, il lui confia la première enquête d’envergure organisée par les ATP [13]. C’est grâce à celle-ci que le secteur que CMD eut en charge prit véritablement son envol faisant de son instigatrice la pionnière de l’ethnomusicologie de la France et du musée, une institution en vue dans ce domaine.

La Mission de folklore musical de 1939 en Basse-Bretagne

Ayant lui-même participé à son organisation et à son déroulement, Rivière avait conservé le souvenir de la première grande enquête conduite par le musée d’Ethnographie du Trocadéro, la Mission Dakar-Djibouti (1931-1933). La dernière citation donnée plus haut atteste qu’il avait conscience du double handicap de sa jeune institution : être un musée et non un laboratoire comme c’était le cas au musée de l’Homme [14] ; s’occuper du folklore français dont l’approche devait être renouvelée : « À la différence de la plupart des autres pays européens, le folklore qui existait en France comme tradition intellectuelle certaine, quoique discontinue, n’y possédait aucun enracinement universitaire et presque pas d’existence institutionnelle publique. Il était donc normal – et le musée de l’Homme avait valeur d’exemple – d’inscrire cette future institution dans le prolongement du folklore certes, mais autant dans celui de l’ethnographie exotique » (Chiva 1985 : 11).

Il semble que, pour cette première grande enquête organisée par le musée, le choix de la musique s’imposa, pour au moins deux raisons. Le fait tout d’abord qu’elle constituait un objet complexe, au croisement de la littérature orale, du jeu instrumental et de la danse. Elle nécessitait diverses compétences pour en appréhender toutes les facettes au plan scientifique – car la finalité ne visait plus seulement la collecte de chansons qui, cela dit, constituait encore le principal objet d’intérêt de l’enquête, mais leur étude en contexte [15]. Pour mener à bien cette mission, la phase préparatoire ne fut pas négligée comme en témoignent les nombreux documents écrits aujourd’hui conservés par les Archives nationales. Son caractère novateur tint aussi dans le choix de constituer une équipe polyvalente. Trois enquêteurs furent missionnés : Marcel-Dubois bien sûr, François Falc’hun pour la linguistique et Jeannine Auboyer pour l’aspect technique. La présence de cette dernière était indispensable car la deuxième raison qui motiva le choix du folklore musical était que pût être désormais fixé sur un support reproductible cet art évanescent : celui, sonore, de la musique, désormais « gravable », et celui, gestuel, de la danse, désormais « filmable ».

C’est d’ailleurs grâce à la technique que se hissa au niveau scientifique le folklore, domaine dont la partie musique et danse devint alors la plus visible de l’ensemble de ces traditions populaires en raison de l’existence de nombreux groupes amateurs quand bien même leur démarche était tout à fait différente ; une « vraie » science puisque les chercheurs pouvaient désormais, pour en constituer la matière intellectuelle, s’appuyer sur des données objectives. Leur recueil justifiait ainsi l’emploi d’un appareillage impressionnant pour l’époque [16]. Telles sont, brièvement exposées, deux des principales raisons qui ont pu motiver le directeur de la jeune institution quant à l’objet de l’enquête.
Qu’en fut-il pour le choix du terrain ?

Une lointaine province de l’Extrême-Occident [17]

Les arguments avancés par Falc’hun étaient imparables du point de vue scientifique : «  Le conservateur jeta son dévolu sur la Basse-Bretagne [parce qu’il s’agissait d’un] domaine réputé spécialement riche au point de vue musical, bien délimité par la mer et une frontière linguistique très nette, assez restreint d’une part et facile à explorer, en somme, le terrain d’expérimentation idéal [18] ». Un autre point de vue ayant émergé à l’époque précédente était toujours d’actualité ainsi que le souligne Defrance : « Du point de vue parisien, et de surcroît de celui des chercheurs allemands et autrichiens qui s’y intéressent [19], la Bretagne est perçue comme une très lointaine province de l’Extrême-Occident où sont restées, comme prises dans le cul-de-sac géographique de la presqu’île armoricaine, les traditions populaires les plus anciennes de l’Europe occidentale » (2009 : 36). Bretagne, Vieux pays de nos pères… ce tropisme valait encore pour les chercheurs de cette jeune institution qui ne bénéficiait pas de la fascination qu’exerçaient, sur le public comme sur les chercheurs, les terrains exotiques [20].

S’il est manifeste que le choix de la péninsule armoricaine s’inscrivit dans cette démarche que Jean Cuisenier décrit comme la transposition d’un « lointain spatial au lointain temporaire » (1995 : 11), une troisième raison peut être avancée : la nécessité d’une « ethnologie d’urgence ». Falc’hun avait bien conscience de « l’effondrement de cette civilisation artisanale qui se développait sans arrêt depuis l’âge néolithique, et que, dans certaines régions, la grande industrie [avait] déjà balayée sans laisser de traces [21] ». Ce n’était pas vraiment le cas en Basse-Bretagne, rurale à cette époque, mais ce fils de paysans du Léon, né en 1909 et monolingue jusqu’à l’âge de 6 ans, voyait bien qu’autour de lui le paysage linguistique était en voie de transformation radicale en raison de celle, tout aussi radicale, du mode de vie ancestral. Il proposa à Rivière d’opérer dans la région de Vannes car il était « persuadé que le dialecte vannetais, surtout au sud du Blavet, [étai]t une survivance gauloise peu influencée par l’apport breton, et les autres dialectes, un gaulois simplement plus marqué par la langue des immigrés d’origine insulaire  » (1981 : 530).

Il fallait donc, de toute urgence, étudier cette civilisation archaïque moribonde sur le plan linguistique et probablement aussi musicologique car les mélodies de Basse-Bretagne, chantées dans cette vieille langue, n’étaient-elles pas également une survivance de l’époque celtique ? (Defrance 2009 : 40). Marcel-Dubois avoua, dans un rapport qu’elle rédigea pour le CNRS en 1965, qu’elle souscrivait alors à cette vision plus archéologique qu’ethnologique : « Les activités que je pus avoir dans le domaine de la musique traditionnelle française, au cours des années que je passais au musée [du Trocadéro] pour une récolte avec enregistrements sonores du “folklore musical” français me firent découvrir l’intérêt scientifique de ce domaine dont Curt Sachs [22] […] me faisait entrevoir la valeur de préhistoire musicale vivante [23] ». Ce premier terrain lui fit finalement découvrir une autre réalité qu’elle décrivit dans ce même rapport : l’enquête de 1939 lui offrit la possibilité d’avoir accès « à un matériel de premier ordre […] qui [lui] permit de constater la réalité, toujours vivante, du fonds musical français [24] ». Elle entendait par là que, par rapport à l’approche de l’école de Berlin, l’année 1939 fut pour elle l’occasion de « faire du terrain » : l’ethnomusicologie de la France était lancée.

Une Mission envoyée depuis la capitale

En ethnologie, la mise à distance entre le chercheur et son objet est un des fondamentaux heuristiques et méthodologiques. Mais de quelle distance s’agit-il ? Est ou plutôt devrait être, car aux ATP, il apparaît qu’un « principe qui sert de base à nos missions est que l’indispensable collaborateur linguiste soit “du pays” », écrivait Rivière à Xavier de Langlais le 21 juin 1939 [25].

Ce dernier, comme de nombreux acteurs du Mouvement breton sollicités par le biais d’un questionnaire destiné « à nous [les enquêteurs] informer des ressources locales auxquelles nous pouvions faire appel [26] », se fit l’écho de l’indignation provoquée par la démarche du musée qui, à l’instar de ce qui se faisait dans les colonies, allait, depuis la capitale, envoyer une « mission » et enregistrer les meilleurs chanteurs... : « N’est-ce pas la mainmise de l’État sur notre folklore ?  », demanda Langlais à Rivière. Une partie de l’élite bretonne, qui vivait souvent à Paris ou s’y rendait pour y faire des études, à l’exemple de Langlais, ne connaissait pas le nouveau musée qui pouvait d’autant plus être assimilé au musée de l’Homme qu’il était l’héritier du musée d’Ethnographie, qu’il était situé au Trocadéro et qu’il avait recours aux mêmes méthodes. Les propos d’Isac Chiva nous permettent de mesurer le décalage entre Rivière, ce « mondain parisien [27] » et les gens de terrain, entre Paris et la Province : « Les liens étaient alors étroits, sur la scène parisienne, entre les protagonistes de la naissance de l’ethnologie française moderne, et les avant-gardes créatrices, critiques et subversives, parmi lesquelles le surréalisme occupait la première place. Le “populaire”, au même titre que le “primitif”, y était célébré et l’ethnographie faisait, comme maintenant, les frais d’utilisations et interprétations diverses. L’objet – celui des ethnographes et des collectionneurs, celui qui inspirait les peintres – se voyait conférer vertus et fonctions multiples, détourné et réinventé, à la fois signe et émotion cristallisée » (Chiva 1985 : 76). L’objet ethnographique, c’était ici « l’âme bretonne ». En un mot comme en cent, les Bretons ne voulaient pas être vus comme des « primitifs » et ils n’avaient pas attendu, tels les Africains, que des ethnographes viennent s’intéresser à eux : ils avaient leurs savants comme l’exprima clairement Erwanez Galbrun. Son courrier est révélateur de ce malentendu, car il s’agit bien, de mon point de vue, d’un malentendu au plan épistémologique : l’enquête de 1939 n’était pas à l’image de ces grandes expéditions organisées par les nations colonisatrices. À en lire le pré-rapport, elle était conduite par les précurseurs d’une nouvelle discipline pour laquelle le recueil de données visait l’étude du « fait social », musical en l’occurrence. Erwanez Galbrun qui ne connaissait probablement ni Durkheim, ni Mauss – aux cours duquel Marcel-Dubois avait assisté –, n’appréciait pas que les Bretons soient pris pour des « indigènes » :

En réponse au questionnaire que vous lui avez fait parvenir, la signataire de cette lettre, co-directrice de la Fédération des Cercles Celtiques s’excuse de la liberté qu’elle prend de vous signaler que […] nous sommes constamment sur place, nous parlons breton […] [que] dans la Bretagne de 1939 où règnent la TSF, l’automobile et le cinéma, il serait vain de chercher des assemblées de village, veillées au coin du feu avec chanteuses de complaintes et fileuses au rouet. La Bretagne est un pays vivant, par conséquent qui évolue. [Les anciennes traditions] sont remplacées, transposées […] parce qu’elles demeurent chères au cœur de tout vrai Breton – dans les grandes manifestations annuelles […], dans les programmes de toutes les fêtes où nos cercles [sont présents]. Il y a désormais en Bretagne une élite […] qui a pleinement conscience de la valeur de notre patrimoine artistique, qui s’applique à le connaître et à l’enrichir [suivant la voie que les] grands précurseurs comme les Luzel, de La Villemarqué, Le Gonidec, Le Bras et les pionniers tels le Marquis de l’Estourbillon, l’abbé Perrot, Jaffrennou-Taldir, Loeiz Herrieu et autres nous ont ouverte et tracée [28].

Être ou ne pas être breton...

Loeiz Herrieu, originaire du pays vannetais comme Langlais et, comme lui également, proche des catholiques conservateurs, se montra tout aussi critique face à l’initiative des ATP :

Étant un des folkloristes bretons qui a prospecté le plus dans mon pays […] je suis surpris que le gouvernement français s’aperçoive seulement aujourd’hui de l’utilité d’une semblable collection et qu’il désigne pour l’exécuter, en seconde main, non des personnalités bretonnes compétentes, qui ne manquent pas, mais [des inconnus], dont nous sommes par conséquent en droit de suspecter et la compétence et le désintéressement. Je ne m’explique pas que le gouvernement qui fait tout ce qu’il peut pour détruire notre langue […] semble, d’un autre côté, s’intéresser aux monuments traditionnels de cette langue [29].

Outre la dimension politique de la protestation, la principale critique exprimée par ces deux acteurs du Mouvement breton portaient sur ce double aspect : parler la langue, être compétent. Dans son courrier à Langlais, ce furent bien ces deux points que Rivière érigea en principe : le linguiste devait être du pays « et doté de toute la formation scientifique nécessaire, […] consacrée par des diplômes [30]  ». Rivière répondit plus sèchement à Jean Delalande. Directeur d’Ar Falz, association laïque communisante, il aurait, en « des termes particulièrement vifs [31] [porté] sur l’objet et les méthodes de la Mission […] des appréciations qui ne correspond[ai]ent nullement à la réalité  ». On imagine que la critique portait aussi sur l’absence de la double compétence car Rivière informa son correspondant en lui disant que non seulement « l’abbé Falc’hun […] conna[ssai]t parfaitement la mentalité de ses concitoyens » mais aussi que, « possédant le certificat de grammaire comparée des langues celtiques, il [étai]t donc on ne peut plus qualifié ». Le directeur se sentit également dans l’obligation d’exhumer les lointaines origines de « la musicologue, Melle Claudie Marcel-Dubois […] d’ascendance bretonne (Plancoët), […] lauréate du Conservatoire […] experte en dictée musicale, elle peut transcrire les airs comme il convient de le faire ».

Il n’est pas utile de multiplier les exemples. Les critiques, venues des deux extrémités du champ politique, ont unanimement porté sur l’importance de l’identité locale et sur la connaissance du terrain, qualités que possédaient les folkloristes d’antan. Il apparaît que l’ethnologie de la France serait ce nouveau folk-lore institutionnalisé et professionnalisé, et non l’étude de l’altérité qui ne pouvait être que celle, lointaine, des « sauvages ».

Musée français ou musée des Français ?

La réaction des folkloristes bretons montre donc la difficulté à mettre en place une ethnologie de notre proche, ce paysan de nos campagnes, par une « institution centrale, nécessairement parisienne » (Chiva 1985 : 77). C’est en 1935 qu’avait germé l’idée de l’implantation d’un « Musée français » à Paris. Le projet partait de la conviction de Rivière – qui n’était pas qu’un fils de bourgeois mais aussi, par sa mère, le petit-fils de paysans picards – de l’importance de valoriser les cultures populaires pour lesquelles il avait autant d’attirance que de respect. Quel que fût finalement le nom de son institution, « c’est le folklore et l’ethnographie de la France qu’il allait mettre au service de son ambition personnelle et servir de son talent » (Segalen 2005 : 11). Rivière voulait un musée de synthèse car « la formule des grands musées nationaux de plein air, mise au point surtout en Europe du Nord, à partir de la fin du xixe siècle, lui apparaissait inadéquate pour la France, en raison notamment de la diversité culturelle, géographique, historique du pays » (Chiva 1985 : 77). La difficulté pour ce musée national fut de trouver la bonne adéquation pour évoquer les diverses composantes culturelles qui constituaient le pays et dont l’institution se voulait, tout en les mettant au second plan, le faire-valoir. Le choix de montrer les collections, partie immergée de cette ethnologie de la France concoctée dans la partie laboratoire du musée, via des expositions sur des thématiques générales [32], permit à Rivière de tourner définitivement la page d’un folklore « nécessairement provincial » (je paraphrase Chiva) pour donner au visiteur une vision d’ensemble sur la civilisation paysanne en France. Cela ne se fit pas, on vient de le voir, sans conflit car, comme le dit Carol Duncan, « à l’image des structures cérémonielles du passé, en affichant clairement ses fonctions (conserver et exposer des objets d’art), le musée a d’importantes fonctions politiques et idéologiques, parfois moins évidentes [33] ». Évidentes, elles le deviennent en effet quand il s’agit de « mettre en scène » des objets ethnographiques, véritables « échantillons culturels », dans un pays où les liens entre nation, État et peuple sont ambigus (Segalen, 2005). L’adjectif français ne s’applique qu’aux deux premiers termes : la notion de peuple français n’était pas pertinente au plan ethnologique, d’où le choix fait par Rivière, qui paraissait intelligent et, en tout cas, habile (Rivière, autant que son choix !), de la transversalité et de la synthèse, ce qui n’empêcha pas son institution de subir de vives attaques dès l’organisation de cette première grande enquête.

Claudie Marcel-Dubois : une ethnomusicologie généraliste

L’ethnomusicologie se transforma radicalement après la seconde guerre mondiale. L’ouverture sur les lointains amena à reconsidérer les terrains français et à les désenclaver d’une idéologie et méthodologie passéistes dont on a vu les dernières manifestations dans l’enquête de 1939. Pour prendre la mesure de ce tournant, citons quelques-uns des principes méthodologiques que prônait Claudie Marcel-Dubois. En écrivant que « l’enquête […] réunit l’observation du fait musical et celle des phénomènes à la fois connexes et complémentaires » (1961 : 13), elle affirmait qu’une véritable anthropologie du sonore se dessinait. « Les matériaux récoltés [servent] à des recherches particularisées comme à des études de synthèse » (1960 : 116) : il n’est en effet de bonne ethnologie que « de terrain » et cela vaut, bien sûr, pour l’ethnomusicologie, sa branche musicale. « Savoir le plus de choses possibles, au préalable, sur les gens chez lesquels on se rend, sur les mœurs et l’écologie de cette société entraîne la pertinence des questions posées », écrivit-elle encore. Elle estimait enfin qu’en « connaître la langue [étai]t quasi indispensable pour la fiabilité de la communication et pour l’intelligence des textes que supporte la musique » (1969 : 700). Doit-on comprendre que son premier terrain bas-breton lui permit de prendre la mesure du problème ? Après 1939, elle ne délaissa pourtant pas ce terrain difficile en raison de la barrière linguistique – difficile, mais pas impossible car on y communiquait en français. Aussi, dans cette dernière citation, tout tient, semble-t-il, dans ces cinq lettres qui composent le « quasi »… Selon sa conception de l’ethnomusicologie, malgré l’importance de l’imbrication entre langue et musique, le terrain pouvait néanmoins se faire et s’il était moins approfondi, il n’était pas pour autant inutile pour celle qui se positionna finalement comme une généraliste : c’est en effet la France entière qui constitua son terrain d’observation et après « épuisement » du territoire métropolitain (Le Gonidec 2011), elle se rendit avec Maguy Pichonnet-Andral (dite MPA ou Maguy Andral) – son assistante depuis 1946 qui l’accompagna pendant toute sa carrière (Cheyronnaud, 2005) – dans les aires d’ancien peuplement français (Canada, Louisiane, les îles Anglo-Normandes) ou aux Antilles et à la Réunion, ce qui lui permit de construire cette ethnomusicologie du domaine français dont elle eut le quasi-monopole pendant presque cinq décennies. Comme j’ai pu l’écrire ailleurs [34], au cours de leur carrière, Claudie Marcel-Dubois et Maguy Andral ont véritablement fondé puis structuré la discipline pour le domaine français. Leurs enquêtes, ainsi que celles de leurs rares collaborateurtrices, ont fourni l’occasion d’effectuer de nombreux enregistrements pour la phonothèque du musée, d’acquérir bien souvent des instruments et un nombre d’archives bien plus impressionnant que leurs publications en regard de l’ampleur du travail effectué et de sa durée. Si celles-ci – notamment celles de Claudie Marcel-Dubois – furent relativement nombreuses et, pour certaines, importantes sur le plan disciplinaire, aucun ouvrage de synthèse et surtout, pas une seule monographie ne vit le jour. Les deux chercheuses ont laissé essentiellement les archives de leurs séjours sur le terrain, inégales quant à leur intérêt scientifique [35] et, il est vrai, d’importantes collections sonores. N’oublions pas l’indéfectible lien de cette ethnomusicologie du domaine français à l’établissement qui lui donna sa lisibilité institutionnelle. La consigne avait été toujours extrêmement claire : « Récolter, conserver, élaborer, ont été dès l’origine les trois buts essentiels que ce département-laboratoire s’est assigné » (Marcel-Dubois 1960 : 11). On dut aussi à Claudie Marcel-Dubois et Maguy Andral, les deux grandes vitrines dans le nouveau siège du musée qui donnaient à voir, à travers l’exposition d’instruments populaires, de la campagne mais aussi de la ville (fanfare, piano mécanique…), une synthèse de l’ethnomusicologie de la France [36].

Le choix délibéré d’une approche généraliste a donc poussé les deux enquêtrices à effectuer essentiellement des séjours courts et superficiels au sens premier du terme, sans une problématique véritablement construite. L’enquête de 1939 constitua presque une exception par la longueur de sa préparation et sa durée (16 juillet-26 août). Dès lors, peut-on parler d’ethnomusicologie du proche ? Le qualificatif d’ethnomusicologie du domaine français, employé plus haut, semble plus exact.

L’entrée en scène de Donatien Laurent [37]

Au milieu des années 1950, un moment qui correspond à l’entrée en scène de cet « enfant du pays [38] », figure incontournable de l’ethnologie [39] de la Bretagne (Couilloud 2003 ; Treguer 2009), les deux chercheuses des ATP délaissaient la Bretagne. Claudie Marcel-Dubois se rendit à Scaër en 1943. Elle profita de la présence de membres du musée venus dans le cadre du Chantier intellectuel 1810 pour enregistrer les chanteurs qu’elle n’avait pu voir en 1939 [40]. En 1949, invitée à donner une conférence lors des Fêtes de Cornouaille à Quimper, elle enregistra le concours de sonneurs. En 1951, Ar Falz l’invita à Carantec dans le cadre des formations organisées par l’association. Claudie Marcel-Dubois était alors la seule spécialiste officielle, car institutionnelle, de la musique bretonne. Un séjour sur l’île de Batz, où Charlez ar Gall les accompagna en tant que linguiste, persuada les deux chercheuses de l’intérêt de s’y rendre à nouveau l’été suivant, en compagnie cette fois-ci de Claudine Mazéas. Cette dernière, bretonnante, s’occupa des transcriptions et traductions des chants. Elles y retournèrent toutes les trois en 1953. C’est probablement grâce à l’investissement de Claudine Mazéas (elle s’était découverte une passion, le collectage) que les résultats de l’enquête sur l’île furent publiés (Marcel-Dubois 1954). Enfin, en 1955, les deux ethnomusicologues se rendirent à Poullaouen pour enregistrer des chants à l’occasion de ces nouveaux bals bretons qu’étaient les festoù-noz « relancés » par Loeiz Ropars. Ce fut leur dernier voyage en Basse-Bretagne. L’année d’après, à l’automne, un certain Donatien Laurent, sonneur de cornemuse au bagad Bleimor, se rendit au musée pour remettre à la phonothèque ses premiers enregistrements effectués cet été 1956 en Bretagne.

Les séjours de Claudie Marcel-Dubois et Maguy Andral tinrent donc fréquemment à des opportunités. Il était fort intéressant d’enregistrer de la musique bretonne, peu connue alors sinon localement, en particulier en ces occasions de concours ou de festoù-noz où se réunissaient les meilleurs interprètes, ce qui n’est toutefois pas un critère nécessairement pertinent dans le cadre de l’enquête ethnomusicologique. Nous disions que l’un des buts poursuivis par les ATP visait l’enrichissement des collections. En voilà un exemple. Ces terrains ne s’inscrivaient pas directement dans cette ethnomusicologie du fait musical que Claudie Marcel-Dubois évoquait dans la citation infra. Telle n’était pas non plus, au début, la démarche de jeunes musiciens comme Donatien Laurent : pour lui et ses amis bretons de Paris, enregistrer pour conserver, mais aussi pour servir de base à la constitution d’une nouvelle musique traditionnelle telle qu’elle prenait forme et ampleur à cette époque, représentait un acte essentiel alors que le paysage musical était en totale mutation. Dès que l’occasion lui fut donnée – avec l’argent qu’il toucha de l’assurance suite au grave accident survenu en avril 1957 –, il fit l’acquisition d’un matériel de grande qualité : en 1959, il s’offrit un Nagra, la Rolls des enregistreurs portables. Engranger, rassembler, ne pas perdre, restera une des principales démarches de Donatien Laurent.

Quel était son parcours et comment, à l’automne 1956, en arriva-t-il à pousser la porte du département d’ethnomusicologie de ce musée où il fut recruté dix ans plus tard ? Suite à son accident, les médecins le déclarèrent inapte aux études « sérieuses [41] ». Il abandonna donc sa licence d’anglais pour se consacrer à ce qui le passionnait, la culture bretonne et celtique et, sans véritablement penser faire carrière, il se forma aux sciences humaines : linguistique, ethnologie, archéologie, ethnomusicologie… Il exploita chacune des approches comme ses publications en témoignent (Morgant 2009). Cette passion l’avait déjà poussé à suivre, en parallèle de ses études, le cours de philologie celtique à l’École pratique des hautes études. Il assista aussi à celui de linguistique générale donné par André Martinet qui, à la rentrée universitaire 1957-1958, lui conseilla de s’inscrire à la licence libre d’ethnologie encadrée par André Leroi-Gourhan. Donatien Laurent obtint le certificat de linguistique générale de la faculté des lettres de l’université de Paris en 1958, celui d’études supérieures d’ethnologie en 1960 et d’archéologie préhistorique en 1961, le certificat d’assiduité d’ethnomusicologie [42] de l’Institut d’ethnologie en 1961 également. Pourquoi ne pas continuer ? C’était surtout le chant qui l’intéressait et sur les conseils de Jean-Michel Guilcher, qu’il avait connu au stage d’Ar Falz en 1957, il décida d’entreprendre une thèse sur les collectes d’Yves Le Diberder qu’il avait rencontré en 1953 à Châteaulin à l’occasion d’une sortie du bagad Bleimor. Le Diberder souhaitait que l’on puise dans ses collectes pour créer des pièces à inscrire au répertoire du bagad. Il avait remis à Donatien Laurent ses carnets pour les recopier.

À la rentrée universitaire 1961-1962, l’École pratique des hautes études ouvrit un nouveau séminaire, celui d’ethnomusicologie confié à Claudie Marcel-Dubois, auquel il s’inscrivit. Les séances avaient lieu au Musée des ATP situé dans l’aile orientale du palais de Chaillot. Il connaissait les ATP qui avaient ouvert au public en juin 1951 avec une première exposition in situ consacrée à… la Bretagne [43]. Il connaissait aussi l’existence de la phonothèque depuis au moins 1956. Il avait entendu parler de l’enquête de 1939 qui n’était pas passée inaperçue et, grâce à son amie Claudine Mazéas, il connaissait celle de l’île de Batz. Son désir était grand de mettre les pieds, et surtout les oreilles, au département d’ethnomusicologie du musée pour avoir accès aux enregistrements.

Claudie Marcel-Dubois le lui a-t-elle proposé ? Jean-Michel Guilcher le lui a-t-il suggéré ? L’intéressé ne s’en rappelle pas mais une note de service nous en informe. Le 8 janvier 1962, il entrait au département comme stagiaire : « M. Laurent continuera en outre l’enseignement d’ethnomusicologie de l’EPHE. Il recevra […] une formation complémentaire en ethnomusicologie et sera orienté dans les recherches qu’il envisage d’entreprendre dans le but d’un doctorat de 3e cycle sur un sujet à préciser dont le domaine est la poésie et la chanson populaires bas-bretonnes [44] ». Sur place, Donatien Laurent eut accès aux enregistrements dont ceux de 1939. Il se mit rapidement en relation avec Falc’hun, alors titulaire de la chaire de celtique à l’Université de Rennes. Le 25 mai 1962, il lui écrivit au sujet d’une des versions du Comte Guillou publiée dans le deuxième volume des Gwerziou de Luzel : « Vous en avez recueilli à Brandérion, je crois, une version en 1939 que je serais curieux de comparer aux miennes. »

Voyant le profit que l’un et l’autre peuvent tirer d’une collaboration, le projet mûrit dans l’esprit de de reprendre la publication de l’enquête des ATP de 1939, restée en plan : « J’ai écrit à M G. H. Rivière pour lui proposer de vous confier, sous ma direction, la publication des documents de la mission de 1939 dont l’élaboration n’a jamais été achevée. Cela me soulagerait beaucoup, car je suis engagé dans des travaux plus importants ; et d’autre part, pour vous, ce travail pour lequel mon aide ne vous manquerait pas, serait un excellent complément de formation, et un moyen de vous préparer à des tâches [45] ». Cette lettre officielle de Falc’hun à Rivière n’a pas été retrouvée mais elle semblait essentielle car Donatien Laurent avait informé le chanoine de la position de Claudie Marcel-Dubois. Dans ce courrier du 25 mai cité plus haut, il écrivait en effet : « J’ai parlé à mademoiselle Marcel-Dubois [pour lui dire que] nous souhaiterions voir publier les résultats de l’enquête [...]. Elle en a paru enchantée mais, m’a-t-il semblé, plus désireuse de récupérer ces textes que de les confier à quelqu’un qui puisse achever votre travail ». La publication ne se fera jamais et c’est une autre histoire... [46]

Falc’hun appréciait donc visiblement ce jeune chercheur bretonnant [47] puisque non seulement il souhaitait le voir reprendre la publication de l’enquête de 1939 mais il lui proposait aussi le poste d’assistant en celtique pour l’année 1963-1964 [48] ou un poste de collaborateur technique rétribué par le CNRS [49]. Au même moment, Leroi-Gourhan offrait à Donatien Laurent d’intégrer, à Plozévet, l’équipe de chercheurs des enquêtes de Pont-Croix.

Parler breton, un gage de confiance pour faire oublier l’étranger qu’il était

De jeunes ethnologues, il n’en manquait pas dans l’entourage de Leroi-Gourhan qui formait de futurs chercheurs à ce métier (Collectif 1986). L’un d’eux, Christian Pelras, était déjà sur le terrain, mais à Goulien : « Il semble que l’enquête [à Plozévet] n’ait pu être menée jusqu’ici que par des chercheurs ignorant la langue bretonne. De ce fait, la portion la plus âgée de la population – seule témoin de l’évolution de la vie et des mœurs – n’a pu être interrogée, quand elle l’a été, que de façon très fragmentaire. Même les autres, agriculteurs ou pêcheurs, n’ont pu livrer de leur vie quand ils s’exprimaient en français, qu’une image sans doute approximative [50] ». Comme Falc’hun avant lui, dont Rivière disait qu’il était « doté de toute la formation […] consacrée par des diplômes », Donatien Laurent fut donc choisi par Leroi-Gourhan pour être envoyé sur le terrain car sa « connaissance du breton [lui] permettra de corriger ou de préciser ces insuffisances. […] Une étude de Plozévet qui prétend embrasser la totalité des faits qui s’y sont déroulés depuis 1850 ne serait évidemment pas vraiment représentative si elle s’amputait de tous les domaines dont seule la connaissance du breton donne la clef [51] ». Ce fut aussi, semble-t-il, la clef pour entrer au CNRS

Donatien Laurent rejoignit cette commune du pays bigouden au mois de janvier 1964 pour un an. En septembre de cette année-là, il découvrit les carnets originaux de La Villemarqué qui allaient bouleverser sa carrière. Chargé de l’« étude ethnologique de la civilisation traditionnelle dans la commune de Plozévet par enquête directe auprès de ses derniers témoins et usagers [52] », il se vit missionné de nouveau pour l’année 1965. À l’issue de celle-ci, Donatien Laurent remit son pré-rapport de synthèse à André Burguière. Ayant ainsi « fait ses preuves », il entra au CNRS comme stagiaire de recherches. Bien que Leroi-Gourhan, directeur de l’étude qu’il mena à Plozévet, fût affecté au musée de l’Homme, Donatien Laurent ne l’y rejoignit pas : ethnologue travaillant sur la France, il fut « naturellement » affecté aux ATP. Rivière, qui était son parrain [53], y tenait absolument. Il espérait qu’avec son aide, l’enquête de 1939 pourrait être enfin publiée. Mais Donatien Laurent n’intégra pas le département d’ethnomusicologie contrairement au souhait de CMD. Il choisit celui de littérature orale dirigé par Marie-Louise Tenèze, domaine et personne dont il se sentait plus proche. Il fut pourtant amené à travailler au département d’ethnomusicologie pour des questions techniques car « il entr[a] dans le travail de Donatien Laurent de dépouiller un important métrage de bandes magnétiques enregistrées par lui à Plozévet [54] ». Cela dut être fait d’autant plus rapidement que la remise de son bilan d’activité était nécessaire à sa prorogation au CNRS. Il acheva donc son rapport sur « Le cycle de la vie individuelle », une centaine de pages correspondant à la première partie d’un travail qui devait en contenir deux autres, l’une portant sur « Le calendrier : déroulement de l’année et fêtes saisonnières », l’autre sur « Les manifestations culturelles : jeux, danse, musique, littérature orale, veillée, travaux, costume, outillage et autres éléments matériels de la culture ». Ces chapitres ne furent jamais terminés. Donatien Laurent était bien trop curieux de découvrir ce que contenaient les pages des carnets qu’il avait entre les mains depuis deux ans déjà. Son silence fut tel que le colonel de la Villemarqué, qui lui avait laissé emporter « tout cela pour l’examiner à loisir » (Laurent 1988 : 33), commença à douter du sérieux de ce jeune chercheur de Paris… Donatien Laurent n’avait-il pas choisi d’être affecté au département de littérature orale plutôt qu’à celui d’ethnomusicologie ? Il était temps qu’il se consacre à sa passion avec l’assentiment de Leroi-Gourhan, convaincu de l’importance de la découverte des carnets ; une passion dont fit l’objet sa thèse d’État soutenue en 1974 : « Tout est parti du Barzaz-Breiz, par-delà la musique, ce sont les textes qui m’intéressaient depuis mon enfance. J’avais connaissance de la querelle du Barzaz-Breiz, et la question, non pas de l’authenticité, mais de la vérité était centrale pour moi ».

La mémoire, histoire vivante

Ce terrain à Plozévet a permis à Donatien Laurent d’être

en relation avec des familles bretonnantes. Je parlais bien le breton mais mes connaissances étaient jusqu’alors plutôt livresques. Plozévet a été pour moi une immersion dans un milieu où il y avait encore des monolingues. J’allais prioritairement vers les détenteurs de la tradition ». Il s’agissait alors surtout de femmes âgées : « Elles n’étaient pas passées par le français ni par les compositions comme celles de Taldir Jaffrennou par exemple. Cela a été une sorte de “baptême” d’ethnologue, sur une longue durée, alors que j’avais déjà commencé à m’intéresser au terrain comme on dit, au Conquet notamment, quand j’étais en vacances, avec des monolingues si possible comme madame Rivoalain qui a été ma première informatrice. À Plozévet je me suis intéressé aussi à la musique, en dehors du travail “officiel” confié par Leroi-Gourhan, j’avais rencontré des personnes comme Catherine Madec dont j’ai enregistré une partie du répertoire.

Le parcours de Donatien Laurent est à l’inverse de celui du chanoine Falc’hun qui avait « commencé l’étude raisonnée [du breton] dès l’âge de 15 ans, au collège de Lesneven, sous la direction du chanoine Batany […] à qui [il devait sa] vocation de celtisant » (Falc’hun 1951 : 13). Le rapport de décembre 1964 rapporte les conditions de cette immersion :

L’enquête de Donatien Laurent auprès de la population a été menée seule du début à la fin, solitude interrompue de temps en temps par la venue de chercheurs [de l’équipe]. Il avait, au début, pensé pouvoir se transporter tour à tour dans les trois groupes humains […] cultivateurs, pêcheurs et gens du bourg. Étant donné d’une part, son étendue et le nombre de ses habitants, d’autre part les limites de temps dont nous disposions, il nous semblait que vivre ainsi en étroit contact avec les habitants serait pour lui le meilleur moyen de gagner la confiance d’une population que l’on pouvait supposer un peu fatiguée par la présence depuis trois années des chercheurs. De fait, cela n’a pas été possible, en grande partie pour des raisons de logement [55], mais il s’est avéré que sa connaissance du breton, par exemple, lui était une meilleure recommandation et un gage plus sûr d’acquérir cette confiance que de cohabiter avec ses informateurs [56].

La connaissance de la langue s’était une fois encore avérée indispensable pour mener à bien les recherches. Ce que Donatien Laurent tira du terrain également fut la confirmation de l’importance de la mémoire et de la transmission orale qu’il avait déjà pu entrevoir à Paris grâce, par exemple, au cahier de chansons de son ami Pierre Le Padellec. En voyant les textes des chants que ce dernier tenait de sa mère, Donatien Laurent avait pris conscience du fait que la transmission orale du répertoire continuait d’être assurée puisqu’une femme, qui n’avait jamais lu le Barzaz-Breiz, avait chanté à son fils sa version de la gwerz de Louis Le Ravallec. Consciente de l’ancienneté de ce chant, il n’en constituait pas moins une pièce de son répertoire à elle, actuel et vivant.

Au début des années 1960 comme en 1939, l’opinion savante adhérait encore à la représentation de la Basse-Bretagne comme conservatoire d’archaïsmes : à Plozévet, les ethnologues avaient cru pouvoir «  observer la tradition “in vivo” […] par l’un de ces anachronismes dont [elle] est coutumière » (Laurent 1968 : 3). L’envie était grande d’aborder la Basse-Bretagne dans le cadre de cette ethnologie d’urgence déjà prônée par Malinowski chez les Trobriandais. Dans ce contexte, ce que l’ethnologue pouvait recueillir au cours de l’entretien n’appartenait plus au présent : « Les faits évoqués, les gestes décrits relèvent désormais d’un passé dont l’éloignement varie selon les informateurs mais qui ne reviendra plus » (Laurent 1968 : 3). Ce n’est pourtant pas à cette ethnologie-là que Donatien Laurent se consacra ; ce ne sont pas les archaïsmes qui l’intéressèrent mais ce que la mémoire permettait de transmettre et les mécanismes de la transmission [57]. Évoquant la gwerz de Louis Le Ravallec qui relate un crime ayant eu lieu sous l’Ancien Régime, il confia sur les ondes de Radio France [58] : « Ils ne savent pas quand ça s’est passé, mais ils savent que c’est vrai ». Son objectif fut, dès lors, comme à l’époque romantique d’ailleurs dont il avait retrouvé l’esprit, de se focaliser sur la littérature orale après qu’une récente thèse (Gourvil 1959) avait renouvelé les accusations portées contre La Villemarqué [59]. Il lui fallut collecter « pour mettre en évidence l’authenticité de La Villemarqué collecteur » et vérifier les sources écrites pour mettre en évidence l’importance de l’oralité et sa fiabilité. L’analyse de cette gwerz (Laurent 1967) est, à ce titre, exemplaire. La méthode de Donatien Laurent, atypique dans le cadre de la discipline – et qui est à rapprocher de celle de Jean-Michel Guilcher –, tient bien de l’ethnologie parce qu’elle porte sur la tradition orale et passe méthodologiquement par l’enquête, mais elle relève de l’histoire parce qu’elle s’appuie sur des archives écrites. Que dire de la découverte du calendrier celtique et de l’analyse de la grande troménie de Locronan (Treguer 2009 : 15) qui a associé à la démarche ethnologique celle de l’archéologie ?

Une posture en surplomb

On peut désormais caractériser les deux approches, celle de Claudie Marcel-Dubois secondée par Maguy Pichonnet-Andral et celle de Donatien Laurent afin de donner un élément de réponse à la question qui nous occupe ici.

Au musée, nous l’avons dit, la vision était volontairement généraliste et la démarche « inventoriale ». Maguy Pichonnet-Andra indiqua avoir eu « la chance de collaborer sans relâche depuis 1946 à la vaste entreprise […] mise à exécution dès 1939 en Basse-Bretagne : l’Enquête nationale sur la musique paysanne française [60] ». Avant que l’adjectif ethnomusicologique ne s’imposât en 1954, « l’Enquête » fut qualifiée de musicologique et phonographique [61]. Il faut entendre par là, musée-laboratoire oblige, l’explicitation du double objectif prôné par l’institution : l’étude scientifique et la réunion de collections afin de constituer le « corpus des musiques ethniques de tradition populaire française ». Cette reformulation quelque peu surprenante l’est d’autant plus qu’elle apparaît en 1964. Le service que dirigeait Marcel-Dubois était « dénommé “Département de musique ethnique” (depuis 1964) » [62]. Comment expliquer l’emploi de cet adjectif pour cette musicologie censément du proche menée aux ATP ? Falc’hun n’a jamais défini les informateurs par le terme utilisé par Marcel-Dubois, « paysans de vieille race [63] ». Quand elle rendit compte de la mission Léon-Trégor de 1952, elle ne parla pas d’indigènes puisque ce terme était réservé aux lointains, mais elle est était dans le ton en écrivant que c’était « par le truchement d’originaires transplantés et fixés à Morlaix ou à Guingamp, [que] la mission réunit des pièces très pures du Vannetais [64] ». L’usage de cette terminologie serait donc imputable à une posture :

Nouer et développer des relations n’entrent en effet ni dans la démarche qu’ont adoptée [CMD et MPA] ni dans la conception de l’enquête à laquelle elles adhèrent […] : leur questionnement amorce sans doute des récits de vie mais qu’elles interrompent dès que leur ont été fournis les éléments biographiques qui suffisent à contextualiser le “phénomène musical [65]” recueilli. En somme, elles adoptent tout naturellement une posture en surplomb […]. Assurément conscientes de la distance sociale et culturelle qui les sépare des “incultes”, pour reprendre l’expression de Patrice Coirault [...] elles considèrent peut-être, même si elles ne l’ont pas verbalisé, que ce ressenti d’une radicale altérité suffit à prouver, à leurs yeux du moins, qu’elles ont atteint une position comparable à celle de leurs collègues travaillant sur “les sociétés exotiques” et que leur “démarche” se trouve de ce fait “valid[é]e” (Gasnault & Le Gonidec 2016).

Il s’agit bien effectivement de se légitimer aux yeux de la communauté scientifique et de faire de l’ethnomusicologie de la France un véritable champ scientifique (Charles-Dominique 2009), d’où l’utilisation du terme « ethnique » pour qualifier ce département qui étudie les musiques paysannes françaises et pour gommer « l’image de divertissement champêtre au style suranné, léger ou même paillard qu’on s’en était faite » (Marcel-Dubois 1960 : 114). Les termes de « vieille race » et d’« originaire » qualifiant les informateurs vont évidemment dans le sens de transférer à l’objet d’étude « un état pur et vrai » (Marcel-Dubois 1960 : 117). Ainsi, la définition de l’ethnomusicologie du proche ne peut pas s’entendre dans l’opposition à celle des lointains car le schéma conceptuel de cette expression n’est pas de nature géographique : Claudie Marcel-Dubois, entrée en 1934 au musée du Trocadéro, a toujours traité de musique indigène. Pourquoi, une fois aux ATP, aurait-elle fait une différence ? Elle n’a, semblerait-il donc, jamais souhaité se situer dans le « prolongement du folklore » mais dans celui de « l’ethnographie exotique [66] », un exotisme de l’intérieur.

Mais alors, comment désigner la démarche de Donatien Laurent ? En tentant de répondre à une autre question qu’il importe de se poser. Si l’antagonisme proche/lointain ne tenait [67] qu’au territoire dans ces « accords de Yalta » qui réglèrent le partage ethnographique du monde à la disparition du musée du Trocadéro, et qui entraîna en 1966 l’affectation d’office aux ATP de Donatien Laurent, ethnomusicologue de la France, comment expliquer l’absence, à Plozévet, dans le cadre d’une Recherche coopérative sur programme (RCP) de chercheurs des ATP « qu’il aurait été facile de solliciter puisque Rivière s’intéressait de près aux “enquêtes de Pont-Croix” », étude complémentaire à celle de Plozévet, s’est demandé Christian Pelras (2010 : 154-155). Le docteur Gessain, expliqua-t-il, souhaitait pourtant appliquer « tout simplement la méthode ethnographique traditionnelle », c’est-à-dire envoyer sur le terrain « un chercheur solitaire immergé dans une société villageoise ». Pelras, aveyronnais, jeune époux d’une alsacienne au village de laquelle il avait consacré sa thèse, était aussi inscrit en indonésien à l’Institut national des langues orientales car il souhaitait « mener parallèlement des recherches d’ethnologie française et d’ethnologie “exotique” ». Avant de partir à Goulien, il avait fait un séjour de quinze mois en Indonésie. On peut penser que cette préoccupation comparatiste incita Gessain à confier le terrain au jeune Pelras. Celui-ci avança pourtant une autre raison. Il s’agissait de mener l’enquête non pas selon « l’approche “étude de la vie traditionnelle” » propre aux chercheurs des ATP mais en prenant en compte « la “totalité de l’actuel” […] avec le même esprit neuf qu’en aurait un jeune chercheur débarquant pour la première fois dans une société exotique totalement inconnue de lui ». Tout est dit ! Sur, d’une part, une ethnologie à deux vitesses, celle portant sur les « originaires » qui visait l’étude des traditions et celle portant sur les « indigènes », matière à la réflexion sur l’altérité culturelle ; sur, d’autre part, la règle d’or de la discipline, à savoir l’indispensable mise à distance.

Le témoignage de Christian Pelras aidant, on peut penser que le projet de la « maison Rivière » était toujours perçu, une génération après son ouverture pourtant, comme dans la lignée des folkloristes. Pelras a pris soin, en note de bas de page, de préciser que « c’est en tirant les leçons [des enquêtes de Pont-Croix] qu’il [Georges Henri Rivière] allait, quelques années plus tard, organiser les travaux de la RCP Aubrac » (Pelras 2010  : 154). Tirer les leçons peut vouloir dire reprendre la main sur les enquêtes pluridisciplinaires faites en France ; cela peut vouloir dire également prendre en considération la demande de jeunes chercheurs pour une ethnologie de la France plus « moderne » dans ses problématiques voire dans ses terrains, avec notamment l’ouverture au monde urbain, afin de lui donner une nouvelle légitimité. La terminologie employée par Marcel-Dubois et Pichonnet-Andral dans leur publication commune issue de l’enquête sur l’Aubrac (1975) fut peut-être une tentative pour dépoussiérer le terrain français. Le lecteur en jugera au titre – Musique et phénomènes paramusicaux – et sous-titres de l’ouvrage – Position du phénomène musique Aubrac (l’introduction), substance musicale (correspond à une analyse musicologique des données), agents de la musique (traite des joueurs et facteurs d’instruments) ou encore Évolution des faits de musique et transfert des savoirs (évoque les changements dans la pratique et la transmission)…

Questionner un passé qui était aussi le sien

La difficulté pour l’ethnologue (musicologue, linguiste, botaniste… quel que soit l’angle d’approche de la société qu’il étudie) tient finalement dans cet équilibre qui consiste à rendre plus proche ce qui est lointain et plus distant ce qui est proche. Pelras avait bien compris que c’était pour cette raison que Robert Gessain l’avait choisi, lui, le Français d’ailleurs [68]. Évoquant la position du chercheur qui, comme un équilibriste doit conserver ce constant recul « aussi indispensable à l’ethnologue qu’est nécessaire son insertion – qui lui est antinomique – dans le milieu qu’il a à connaître », il nota : « C’est [ce] souci de rendre proche ce qui est étranger, tout en gardant la faculté de voir comme d’un œil étranger ce qui est proche qui me faisait souhaiter mener de front des recherches d’ethnologie française et d’ethnologie exotique » (2010 : 155). Pelras s’était mis au breton, ce qui lui « permit de tisser des relations d’amitiés plus confiantes avec quelques informateurs particulièrement intéressants » (2010  : 159). Et de souligner combien son « intérêt pour la langue et pour les traditions bretonnes contribua aussi sans doute à donner une certaine image de moi et de ma recherche aux habitants de Goulien et à façonner nos rapports » (2010 : 159).

En répondant favorablement à la proposition de Leroi-Gourhan, Donatien Laurent, Breton de Paris – mais ne faut-il pas dire plutôt Breton « à » Paris – avait saisi l’occasion d’être « au contact d’informateurs âgés dont la langue, souvent unique, d’échange et de pensée, était le breton » (2010 : 96). Il réalisa rapidement qu’il n’était jamais vraiment du « pays » où il enquêtait, tout bretonnant qu’il était. La question de la langue est essentielle dans ces espaces où les variations dialectales sont telles que l’étranger est celui qui ne parle pas le badume [69]. Si l’ethnologue doit rester un étranger, il ne doit pas être un intrus. Venant d’un milieu aisé, cultivé et citadin, il n’était pas issu du même monde que ses informateurs mais par le travail sur la mémoire collective, il questionnait un passé qui était aussi le sien. Son approche peut être définie comme une ethnographie de la mémoire d’une société traditionnelle. La mémoire est vivante, par définition. Elle permet au passé de traverser l’épreuve du temps et c’est bien l’articulation passé-présent qui a intéressé ce chercheur.

Pour mener à bien ses recherches, Donatien Laurent a fait le choix du « plan rapproché ». Pour lui, l’ethnologie est une science de la relation. Ce qui fait la force et la portée des enquêtes qu’il a entreprises, ce ne sont ni sa « bretonnitude » ni sa maîtrise de la langue, mais son appréhension des informateurs. En allant à leur rencontre pour questionner les processus mémoriels de la tradition orale, il s’est placé dans la position de celui qui cherchait à comprendre. Bien différente a été l’approche « naturaliste » de Claudie Marcel-Dubois qui avait pour finalité le collectage-catalogage dans le cadre d’une conception de la discipline entendue comme une science expérimentale. Nous irons donc volontiers dans le sens de Jean-François Simon pour qui Donatien Laurent fut un de ceux qui contribuèrent à faire émerger une « ethno(musico)logie bretonne de la Bretagne » (2010 : 191) tandis que se construisait au sein du musée des Arts et Traditions populaires une « ethnomusicologie nationale [70] ».

Références bibliographiques

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[1Cet article, légèrement revu, a précédemment été publié, sous le titre : « Claudie Marcel-Dubois, Donatien Laurent : du surplomb à l’immersion, conceptions et vécu de l’enquête ethnomusicologique en terrain bretonnant », dans Le Gall Laurent et Simon Jean-François (dir.), Jalons pour une ethnologie du proche, savoirs, institutions, pratiques, Brest, CRBC, 2016, p. 189-218.

[2Pas officiellement, car à l’ouverture des ATP, son titre est « chargée de la documentation musicale ». C’est à la fin de l’année 1944 que la section Musicologie dont elle est nommée responsable est créée (Arch. nationales, 20130147/152, Claudie Marcel-Dubois, Titres et travaux scientifiques, septembre 1965, p. 4). Pianiste, élève de Marcel Mauss à l’Institut d’ethnologie, diplômée de l’École du Louvre avec un mémoire sur les instruments de l’Inde ancienne, Claudie Marcel-Dubois entre en 1934 au musée d’Ethnographie du Trocadéro où elle travaille à la phonothèque du département d’ethnologie musicale avant d’intégrer les ATP dès 1937 pour s’occuper du secteur musical.

[3Le sujet n’est pas totalement nouveau, Jean-François Simon l’a abordé dans son article « Les enquêtes de Plozévet. Quelle place dans les recherches bretonnes en ethnologie du proche ? » (2010).

[4Voire sur des terrains « exotiques » d’autres pionniers. Schaeffner dont il sera question plus loin a, sur le terrain dogon, appris à jouer du tambour pour non seulement « développer sa connaissance des rythmes, mais aussi intérioriser profondément cette connaissance au point de la rendre naturelle à sa pensée et de cesser de considérer cette musique comme nègre  », écrit Brice Gérard (2014 :107) qui parle de mode dialogique pour exprimer la relation ethnologue-informateur. La démarche de Schaeffner s’inscrit dans une volonté de se mettre au niveau de son informateur et non de s’en tenir à distance.

[5Avant-propos des Légendes rustiques, Paris, A. Morel & Cie, 1858.

[6Voir Jean Cuisenier (1995 : 13) ; le chapitre s’intitule Sous la tradition populaire, les monuments de l’antiquité.

[7L’Illustration du 23 octobre 1852, cité par Fañch Postic (« George Sand et les “diamants” du Barzaz-Breiz », Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l’anthropologie, Paris, https://www.berose.fr/article722.html ).

[8Le terme n’est pas encore celui-là. C’est en 1954 que CMD appelle le département qu’elle dirige du nouveau nom de la discipline.

[9Arch. nationales, 20130043/31-20130043/35, courrier du 21 juin 1939 à Xavier de Langlais.

[10Rapport de Rivière du 28 juin 1937 (Christophe 2000 : 140).

[11« J’ai vu Chopin », écrit George Sand à Champfleury en 1854 « et madame Pauline Viardot, la plus grande musicienne qui existe, passer des heures à transcrire quelques phrases mélodiques de nos chanteuses et de nos joueurs de cornemuses » ; cité par Mic Baudimant dans Les chants de plein air des laboureurs, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 133.

[12Elle dépend, précisément, et jusqu’en 1940, du Muséum national d’histoire naturelle auquel était attaché le musée du Trocadéro. À la disparition de ce dernier, elle n’entre pas dans l’équipe du musée de l’Homme mais choisit celle de Rivière, alors directeur du département des Arts et Traditions populaires placé au sein des musées nationaux (décret du 1er mai 1937). CMD entrera au CNRS en 1948, affectée au MNATP.

[13Jusqu’alors, il s’agit plutôt de collectes d’objets à l’occasion de déplacements faits par Rivière ou d’autres collaborateurs. Ces « missions » n’ont pas l’envergure de celle de 1939 en Basse-Bretagne.

[14Le musée de l’Homme dépend du Muséum national d’histoire naturelle alors que le MNATP est rattaché, par la loi du 31 décembre 1936 qui entérine sa création, aux Musées nationaux lesquels dépendent de la direction générale des Beaux-Arts du ministère de l’Instruction publique. Depuis 1972, le musée de l’Homme abrite trois laboratoires, ou chaires, du Muséum national d’histoire naturelle (Préhistoire, Anthropologie physique et Ethnologie) dont il dépend. Rivière dira des ATP qu’il est un musée-laboratoire.

[15En témoigne le pré-rapport publié p. 225-229 (Le Gonidec 2009).

[16L’ensemble des appareils (l’enregistreur, une caméra, deux appareils photos) plus les accumulateurs, les pellicules et les disques vierges pesaient une centaine de kilos.

[17J’emprunte ce sous-titre à Yves Defrance (2009 : 36).

[18Conférence du 29 novembre 1942 donnée à Rennes (Le Gonidec 2009 : 391).

[19La musicologie comparée, future ethnomusicologie, doit beaucoup à l’école de Berlin dont l’essentiel de la méthode se fondait sur l’analyse de transcriptions faites à partir d’enregistrements sonores des musiques.

[20Dans le milieu de la recherche, on l’a vu, c’est une évidence que les méthodes des folkloristes sont dépassées. On a compris aussi que pour les scientifiques, le « populaire » des folkloristes est ressenti comme moins intéressant que le « primitif » des ethnologues (Jamin 1985 : 65).

[21Conférence du 29 novembre 1942 donnée à Rennes (Le Gonidec 2009 : 391).

[22Musicologue allemand (1881-1959), membre de l’école de musicologie comparée, dite école de Berlin. Ayant fui l’Allemagne nazie, il vécut à Paris avant de gagner les États-Unis. CMD a reçu auprès de lui, entre autres, les bases de son futur métier.

[23Arch. nationales, 20130147/152, Titres et travaux scientifiques, 1965, p. 7. Nos italiques.

[24Ibid.

[25Peintre, graveur et écrivain (1906-1975), il aidera les enquêteurs pendant leur séjour à Sarzeau.

[261940, conférence donnée à la Société du folklore (Le Gonidec 2009 : 368).

[27Bourgeois par son père, esthète par son oncle Henri (le peintre connu), ami du vicomte de Noailles, de Boris Vian et de Joséphine Baker. N’oublions pas comment il a organisé le financement de la mission Dakar-Djibouti à grand renfort d’opérations médiatiques et, même un combat de boxe, où tout le Tout-Paris assista : « La soirée […] eut une grande importance pour la réussite de l’expédition. Quand le champion du monde de boxe, Al Brown, mit K.O. le boxeur français Roger Simandé, il le fit pour la science. Rivière […] avait engagé la “merveille noire” – c’est ainsi que Jean Cocteau appelait le boxeur américain en raison de la couleur de sa peau et l’avait acquis à sa cause : “Je lui avais dit : il s’agit de la culture de vos ancêtres, ce serait magnifique si vous consentiez à abandonner votre cachet…”. Marcel Griaule a présenté Al Brown, sur le ring entre quatre gardiens de musée en uniforme : “Cet homme va boxer pour la culture africaine” » (Gorgus 2003 : 61).

[28Cité par Le Gonidec (2009 : 118 et 121). Nos italiques.

[29Daté du 3 juin 1939, et signé « L. Herrieu, Directeur de Dihunamb, Hennebont, Morbihan », il n’a jamais été renvoyé au musée (document communiqué par Fañch Postic que je remercie). Il est très probable que Langlais ait communiqué avec Herrieu sur cette question et qu’il lui aura fait connaître ses échanges avec Rivière.

[30Suite de la citation du courrier du 21 juin 1939 évoqué supra.

[31On ne sait pas lesquels ni comment ils sont parvenus à Rivière (ou à Falc’hun ?) car nous avons retrouvé uniquement la copie de la réponse de Rivière du 28 juillet 1939 d’où provient cette citation et la suivante.

[32Voir la note 37.

[33Citée par Martine Segalen (2005 : 11).

[342013, programme de recherche SAHIEF (sources, archives et histoire institutionnelle de l’ethnomusicologie de la France) mené avec François Gasnault au sein de notre laboratoire de rattachement d’alors, le IIAC-LAHIC (CNRS-EHESS-MCC).

[35On y trouve rarement un pré-rapport dévoilant la problématique du terrain envisagé. Les rapports d’activité annuels du musée quoique succincts nous aident à suivre le parcours des deux chercheuses.

[36On peut se reporter au guide du musée (1987) et surtout au catalogue de l’exposition L’instrument de musique populaire, usage et symbole (1980).

[37Je remercie Donatien Laurent pour la relecture attentive des paragraphes qui suivent et pour les informations et les conseils qu’il m’a fournis pour les rédiger.

[38Né à Belfort où travaillait alors son père, originaire de Brest, sa mère, pianiste, est de Nantes. La famille s’installe à Paris en 1939. Pierre Laurent, père de Donatien, est une figure importante dans le milieu des Bretons de Paris.

[39Ce terme générique évoque mieux le travail de Donatien Laurent dans lequel le chant est plus souvent abordé sous l’angle de la littérature orale. Donatien Laurent a par ailleurs peu publié sur la musique instrumentale.

[40La mission devait durer jusqu’à la mi-septembre mais elle a été interrompue par la mobilisation.

[41Sauf information contraire, les parties entre guillemets proviennent d’un entretien mené avec Donatien Laurent en décembre 2015.

[42Les cours étaient assurés par Gilbert Rouget, africaniste travaillant au musée de l’Homme avec Schaeffner.

[43Soit quinze ans après son ouverture au Palais de Chaillot. Le musée est jusqu’alors constitué des réserves et de bureaux. Les expositions précédentes se sont tenues dans d’autres lieux et musées parisiens tels que l’Exposition internationale, le musée des Arts décoratifs, le Palais de Tokyo, la Bibliothèque nationale… (Gorgus 2003 : 351). Bretagne, arts populaire, ethnographie régionale sera la seule exposition consacrée à une région.

[44Arch. du Centre de recherche bretonne et celtique, fonds Donatien Laurent (en cours de classement, dorénavant cité « Fonds DL »), note de service 62.2 du 9 janvier 1962 signée du directeur qui ajoute à la main « Soyez le bienvenu ».

[45Fonds DL, courrier du 10 juillet 1962.

[46Des échanges de courriers retrouvés en 2016 (fonds DL) nous éclairent un peu sur la mésentente entre les deux auteurs de l’enquête qui a rendu impossible la publication (Le Gonidec 2009 : 194-202)

[47« Lorsque vous êtes venu me voir pour la première fois, vous n’étiez surtout pour moi que le fils d’un compatriote connu à Paris et avec lequel je sympathisais beaucoup. La sympathie s’est portée naturellement du père sur le fils et vous ne m’étiez d’ailleurs pas totalement inconnu », courrier du 17 janvier 1963 (fonds DL).

[48Le courrier du 17 janvier se poursuit en ces termes : « Pour ce qui concerne le poste dont je vous ai parlé pour l’année prochaine »... ce poste était occupé par Jean Le Dû qui devait partir faire son service militaire.

[4928 avril 1963 : « Monsieur Le Dû décide de garder le poste d’assistant encore un an mais je puis demander en votre faveur le rétablissement du poste de collaborateur technique rétribué par le CNRS ».

[50Arch. du Centre de recherche bretonne et celtique, fonds DL, note dactylographiée, non datée.

[51Ibid.

[52Arch. du Centre de recherche bretonne et celtique, fonds DL, rapport d’activité du 15 décembre 1966.

[53Terme de l’époque, il s’agit d’un parrain scientifique.

[54Arch. du Centre de recherche bretonne et celtique, fonds DL, note de service 66.31 du 22 août 1966.

[55Donatien Laurent a choisi de louer un logement dans le bourg pour pouvoir d’une part rayonner vers toutes les extrémités de la commune et pour avoir, d’autre part, son indépendance. Une manière aussi de préserver l’intimité de ses informateurs. Être présent donc, mais à la distance qui sied.

[56Arch. du Centre de recherche bretonne et celtique, fonds DL, document manuscrit.

[57Qu’il a étudié notamment avec le conteur Jean-Louis Rolland (Laurent 1981).

[58À voix nue, France Culture, 30 novembre 2009.

[59Voir le dossier documentaire coordonné par Fañch postic dans Bérose : https://www.berose.fr/rubrique201.html

[60Arch. nationales, 20130147/134, Andral, Titres et travaux.

[61Arch. nationales, 20130043/41, enquête phonographique : intitulé de la mission en Haute-Loire de 1946, enquête musicologique et phonographique ; celui de l’enquête de 1949 en Brière faisant suite à celle, technologique, de Dan Lailler en 1943 (Arch. nationales, 20130043/46).

[62Arch. nationales 20130147/151-152, Titres et travaux scientifiques, septembre 1965, p. 4, note 2. L’expression se maintient au moins jusqu’en 1972 : « Ces missions [Deux-Sèvres, Nivernais-Morvan, îles Anglo-Normandes, Louisiane, Petites Antilles] ont en commun de s’inscrire dans le programme “Corpus des musiques ethniques” et de poursuivre les investigations ethnomusicologiques menées depuis plusieurs années dans le cadre du musée-laboratoire, principalement par Cl. Marcel-Dubois et M. Pichonnet Andral », p. 1 (Arch. nationales, 20130520/69, Papiers de l’équipe de recherche ethnomusicologique, série 2, n° 1, comptes rendus de mission, mars 1972).

[63Conférence pour la Société du Folklore, septembre 1940. Précisons que cela signifie qu’ils viennent de la campagne et non de groupes folkloriques du milieu urbain.

[64« Chroniques », Arts et traditions populaires, n° 1, 1953, p. 77.

[65Les parties entre guillemets dans la citation proviennent de Titres et travaux, Andral, 1981 (Arch. nationales, 20130147/134).

[66Je reprends la citation d’Isac Chiva, page 3, évoquant la démarche de Rivière qui s’applique pour partie seulement à l’ethnomusicologie des ATP.

[67Car, en effet, il y tient : Bernard Lortat-Jacob, qui fit du terrain avec CMD et MPA en Aubrac et qui voulait continuer sur le domaine français au sein de l’équipe de Gilbert Rouget au musée de l’Homme, en reçut l’interdiction formelle (entretien personnel, novembre 2015).

[68Comme Ariel Nathan, auteur du film Retour à Plozévet (1999), qui était « en 1961 un petit parisien qui ne connaissait la Bretagne que pour ses plages, [vivant] sans grand contact avec la population autochtone » et qui avait l’impression, en voyant « de l’autre côté de la plage […] des femmes en noir qui portaient la coiffe du pays bigouden et parlaient une autre langue que la nôtre » d’être en « vacances à l’étranger » (voix-off). Quand il arrive à Plozévet en 1962, Pelras n’est certes pas un petit parisien en vacances à l’étranger, mais – n’est-ce pas « tout comme » ? – un jeune chercheur parisien d’origine rouergate envoyé en Cornouaille… Dans la France rurale du début des années 1960, les différences régionales sont encore bien marquées.

[69Le (breton) de chez nous, expression forgée par les linguistes J. Le Dû et Y. Le Berre.

[70« Nous travaillons pour la nation, pour le pays, nous travaillons pour la France », propos tenus par Maguy Andral à Jacques Cheyronnaud qui, en 1987, lui succéda à la direction du département (entretien du 18 février 2016).