En revisitant l’œuvre de Günter Tessmann en Afrique équatoriale sur la base de ma propre expérience du Bwiti chez les Fang du Gabon (Mary 1992 [1]), je n’imaginais pas la somme des sources, inspirations et rebondissements que comportait cette entreprise ethnographique exceptionnelle. Pour en rendre compte, il faut croiser et articuler les éléments d’une histoire locale du champ des colonisations allemande et française dans les années 1900, la diffusion des préoccupations ethnologiques de cercles scientifiques et muséologiques spécifiques (Lübeck, Leipzig) et les éclairages autobiographiques rétrospectifs de l’individu Tessmann lui-même, évoqués dans ses carnets. Les télescopages de temporalités et la confusion des temps constituent ainsi un vrai défi pour le lecteur. Le jeune homme qui débarque en 1904 comme « assistant de plantation » au sud du Cameroun allemand (Kamerun), dans un monde brutal quasi esclavagiste qui broie tout ce qu’on lui a appris à l’école coloniale de Hambourg, n’est pas celui qui se révèlera dans les lettres des années 1920 à sa mère, à son retour de l’Amérique Latine. En un mot, il n’est pas évident que Günter Tessmann soit resté le même, du fait de ses multiples allers-retours entre l’Allemagne, l’Afrique et le Pérou.
La comparaison avec les aventures exploratrices du missionnaire français Henri Trilles (1898-1912) [2], son contemporain (et frère ennemi) sur le terrain fang, m’a permis de mieux comprendre et contextualiser les conditions dans lesquelles pouvaient se dérouler dans les années 1900 ces immersions dans le milieu villageois et forestier des Pahouins [3], au sein d’un espace équatorial où les frontières nationales (allemandes, espagnoles et françaises) étaient en question. Qu’on soit ethnologue « missionné » par un musée – tel Tessmann – ou missionnaire engagé dans le combat contre le Diable – tel Trilles –, les contraintes de l’enquête de terrain font qu’au-delà des professions de foi ou des déclarations de principe (les unes invalidant les autres), l’ethnographe se prête au débat contradictoire, bien que les deux hommes partagent une même passion naturaliste, botanique et zoologique. La place des « garçonnets » et des jeunes gens indigènes s’agglutinant autour du Blanc, court-circuitant le rapport aux chefs et aux anciens, prêts à assumer tous les services et les honneurs (et à recevoir tous les coups de pied), est alors une donnée structurelle de l’enquête en milieu colonial [4]. La vie du chef de mission est très éloignée d’une vie solitaire : il doit gérer un collectif de main-d’œuvre et ménager son monde en veillant à ne pas « les tuer tous » (selon les mots d’exaspération de Malinowski dans son Journal d’ethnographe (1985 [1967]). Tessmann est surtout connu en France à travers les extraits traduits par Philippe Laburthe-Tolra (1991) de la célèbre monographie Die Pangwe (1913), enrichis d’un résumé de l’histoire de vie de Tessmann [5]. Depuis lors, le musée d’Ethnologie de Lübeck et son équipe (Templin & Dinslage 2012) se sont engagés dans un travail de transcription et d’édition remarquable de Mein Leben – les carnets de Tessmann, de l’Afrique au Pérou.
Cette contribution m’aura permis, sur le plan personnel, de prendre la mesure des cercles universitaires et muséaux (Academic und Musual « Kreise »), mais aussi des figures charismatiques et des filiations académiques qui structuraient le champ anthropologique colonial de l’Allemagne à la veille du départ de Tessmann pour le Kamerun (1904-1909), au-delà de l’incontournable figure de Leo Frobenius. Ma sensibilité aux lieux et au monde africain du Gabon équatorial dont parlait cet aventurier me conduit à faire silence sur la seconde carrière de Tessmann en Amérique latine, pourtant non sans continuité thématique avec la première. Elle ne relève pas de ma compétence et appellerait de la part de nos collègues américanistes une mise à jour (au-delà des comptes rendus des années 1920-1930 de Konrad Theodor Preuss sur la religion des Indiens du Pérou ou autres) [6].
Chasseur d’éléphant, collectionneur de papillons, amoureux des contes (Märchen)
Günt(h)er [7] Tessmann (1884-1969) appartient au départ à la catégorie des « expéditionnaires » de l’Afrique équatoriale, que Johannes Fabian (2000) appelle les « protoethnographes » auteurs de « travelogues ». La vocation ethnographique de l’auteur de Die Pangwe (1913), son grand œuvre, émerge d’un parcours d’aventurier et de commerçant, tout à la fois homme d’affaires coloniales, chasseur d’éléphant et passionné de collecte de papillons. Il s’est identifié aux héros explorateurs allemands, comme Georg August Schweinfurth (1836-1925), le héros blanc d’Au cœur de l’Afrique (1875). Son expérience équatoriale participe du climat d’Au cœur des Ténèbres (2017 [1899]) de Joseph Conrad, ou du Voyage au bout de la nuit (1932) de Louis-Ferdinand Céline : même région, même climat, au carrefour forestier du sud du Cameroun, de la Guinée espagnole et du Congo français (futur Gabon). L’espace d’entre-deux frontalier, très incertain et risqué, qui est investi par cet aventurier, contremaître dans une plantation allemande de cacao et chasseur d’ivoire, est un lieu saturé d’entreprises hétérogènes. Les tournées missionnaires des années 1870 à 1900 croisent aussi bien les expéditions militaires pour le compte des États (suscitées entre autres par le tracé contesté de la frontière franco-espagnole), les ministères étant soucieux de leurs territoires coloniaux, que les explorations des compagnies forestières ou minières (Coquery Vidrovitch 1963), comme la Société d’explorations coloniales. Les missions scientifiques des sociétés de géographie et des musées d’ethnologie, comme l’expédition de Lübeck (1907-1909), qui consacre Tessmann comme ethnologue, se surajoutent à cette effervescence exploratrice.
Le parcours de « chercheur itinérant » ou de « franc-tireur » de Tessmann s’inscrit dans la transition entre l’ethnologie d’expédition et la monographie stationnaire en pays fang (groupe pahouin) qui a scellé sa vocation d’ethnologue. Les récits de ses premières années quelque peu errantes et indécises au sud du Kamerun, entre 1902 et 1904, bien documentées par ses carnets et les lettres à ses parents, sont surtout marqués par la dureté des conditions de travail (sous des pluies abondantes) dans les plantations de cacao avec, d’un côté, l’encadrement brutal au quotidien d’une population noire en situation de quasi-esclavage, soumise à la violence et à l’arbitraire, et, de l’autre, une petite société allemande d’assistants bien logée (avec maison et jardin) et bien nourrie par l’établissement employeur de Hambourg. Le vécu du jeune allemand et de ses camarades de l’École coloniale se révèle néanmoins particulièrement pénible et éprouvant [8].
Tessmann réussira, dans ce climat très pluvieux et malgré les crises de paludisme, à produire ses premiers articles de zoologie et de botanique pour les sociétés savantes. Ses collectes prédatrices d’objets rares (calebasses décorées, plumes d’oiseaux et fourrures) ont établi, lors de ses retours ponctuels, sa réputation en Allemagne. En 1907, de passage en Allemagne, à Hambourg, avant son départ, le docteur Richard Karutz, directeur du musée d’Ethnologie de Lübeck, lui propose une « vraie mission » scientifique à laquelle il se prépare en rêvant de rencontrer les grands noms de l’ethnologie allemande (à défaut du grand Adolf Bastian, du moins le jardinier botaniste – et explorateur – August Georg Zenker). L’objectif est clairement de créer une station d’observation et de mission scientifique pour une enquête monographique intensive. Grâce à son matériel photographique et d’enregistrement sonore, et à l’aide d’un jeune photographe et dessinateur, taxidermiste – son seul compagnon blanc –, Hans Jobelmann (Böhme & Templin 2018), il accumule des données ethnographiques sur la culture matérielle et rituelle des Fang d’une qualité remarquable. Sa connaissance savante et ses savoirs naturalistes des espèces végétales ou animales impressionnent les guérisseurs ou maîtres d’initiation, nganga ou autres, qui finissent par le considérer comme l’un des leurs. Les soirées de récits de contes (Märchen) (qui lui rappellent ses souvenirs d’enfance) et les nuits tropicales accompagnées des chants et de la harpe le conduiront à l’étude des épopées fang, comme celles du mvet, et justifient sa critique des conditions de collecte des traditions orales du père Trilles.
Pour rappel, Henri Trilles, arrivé au Gabon en 1893, ayant opté pour l’apostolat missionnaire chez les Spiritains, fait connaissance avec le « pays des Noirs » à partir de Lambaréné, sur l’Ogooué, véritable carrefour des tribus galoa, mpongwé, ivilé, schéké et fang. L’ancrage de la mission dans le pays côtier des Mpongwé (que l’on appelle à l’époque les Gabonais) permet à Trilles de rencontrer ses premiers villages fang à quelques journées de la mission par le bateau ou le canot, avant de s’engager dans des « tournées » à l’intérieur du pays. Les premiers informateurs de Trilles sont d’anciens élèves, apprentis « recrutés » et fidèles catéchistes de la mission Sainte-Marie, qui le guident chez leurs pères et l’introduisent auprès des anciens qui « savent » . Sa connaissance de la langue fang, acquise entre autres par la traduction en fang du catéchisme, et sa réputation d’amateur des tournées en brousse lui valent de faire partie de la commission mixte franco-espagnole de la Société d’explorations coloniales au sujet du « contesté hispano-français », chargée de délimiter les frontières entre le Gabon et la Guinée espagnole. Avec le père Tanguy, il est engagé par le chef de mission Albert Lesieur dans un long voyage d’exploration d’un an (1899-1900), les conduisant jusqu’à la région nord du Gabon et la frontière au sud du Cameroun.
Tessmann évoquera dans ses carnets la rencontre, cinq ans après la mission Lesieur, avec des « officiers » français de la mission Cottes (1905-1906), mais en l’absence de langue commune (leur connaissance de l’anglais se révélant trop limitée), l’échange tourne court. Connaissant Trilles essentiellement par la série « Chez les Fang » [9], parue dans le bulletin Les Missions catholiques de l’Œuvre de la propagation de la foi de Lyon (en 1898 et les années suivantes), et surtout par l’article publié par la Société neuchâteloise de géographie (1905) et qualifié « d’important travail » (Laburthe-Tolra & Falgayrettes-Leveau 1991 :173), Tessmann juge l’auteur – non sans contradiction – « de loin le plus fécond et le plus ennuyeux », mais retire toute portée scientifique à ses écrits. Cela n’empêche pas Tessmann de s’en remettre, à défaut d’observation directe, aux informateurs de Trilles (comme pour le So [10] des Jaunde) ou même à Trilles, notamment sur les migrations (Laburthe-Tolra & Falgayrettes-Leveau 1991 : 181-184, notes 4 et 5). Il faut dire que les disputes sur les appellations ethniques et rituelles, particulièrement fluctuantes, y compris chez les autochtones betsi, bulu ou ewondo, sont exploitées par les Français et les Allemands, en quête de délimitation des frontières commerciales, à la suite de la Conférence de Berlin.
Pour compléter le tableau de l’ethnologie régionale, notons que le seul ethnologue laïc français que cite Tessmann est l’administrateur Victor Largeau, incontournable grâce à son Encyclopédie pahouine (1901) – une compilation de sources secondaires comme des éléments de grammaire, un dictionnaire et un répertoire de légendes, en langue fang ou pahouine, du Congo français – soi-disant dictée par les indigènes eux-mêmes (p.4), dont tout le monde se nourrit. Quant au pasteur américain de Boston, Robert Hamill Nassau, spécialiste des Mpongwé et des peuples côtiers, il se trouve pendant quarante ans (de 1861 à 1906) dans la baie de Corisco sur le Rio Muni, puis sur l’Ogooué (« My Ogooué », selon ses mots [11]). Visité par la célèbre Mary Kingsley, en quête de poisson frais, à Lambaréné en 1895, Nassau rédige à partir de 1900 son grand œuvre sur le fétichisme (Fetishism in West Africa : Forty Years’ Observation of Native Customs and Superstitions, paru en 1904) qui retiendra l’attention du français Trilles, et recevra son estime, mais qui est ignoré par le jeune allemand Tessmann.
Tous ces aventuriers explorateurs se croisant au cœur du « zéro équatorial », pour reprendre le titre de l’ouvrage d’un autre spiritain, le père Maurice Briault (1930), auraient pu se rencontrer sur le terrain. Ce ne fut pas le cas. Henri Trilles, qui a commencé sa carrière de missionnaire à Lambaréné et Libreville en 1898, achève en 1904 ses tournées et expéditions en pays fang. Disparu pendant 17 mois (on le croyait mort) lors de son expédition avec le père Tanguy, lui-même blessé au nord du Gabon, il repart en France en 1907, alors que Tessmann, arrivé sur le terrain en 1904, rentre précipitamment (également pour raison de santé) de la mission Lübeck, qui s’achèvera à Libreville en août 1909. L’un et l’autre se consacreront, qui à Paris qui à Berlin, à la finition de leur grand œuvre sur la même période, puisque paraissent Chez les Fang en 1912 et Die Pangwe en 1913.
Comme le soulignent les parallèles avec les « tournées missionnaires » de Trilles dans la Mondah (dans la province Estuaire au Gabon), sa « disparition » dans le nord du Gabon pendant dix-sept mois quelques années auparavant (Mary 2022), ou avec, à sa façon, le récit du Voyage au bout de la nuit et l’échec de l’installation d’une « factorie » sur le Rio Muni, l’espace frontalier investi par l’aventurier, planteur, chasseur qu’est Tessmann est sillonné de parcours croisés et d’entreprises hétérogènes, concurrentes et complémentaires :
1) les tournées missionnaires catholiques (Laburthe-Tolra 2009), qui succèdent aux débarquements des pionniers que sont toujours les baptistes, démarrent dès les années 1870 avec les Spiritains qui sont installés à Bata et les missionnaires de Barcelone installés à Corisco en 1887.
2) les expéditions militaires en mission officielle pour le compte des États (France et Espagne, Allemagne à partir de 1884) soucieux de leurs territoires « coloniaux », vont de pair avec les missions religieuses, comme l’illustrera la mission Cottes croisée par Tessmann (1905-1908).
3) les explorations pour le compte des compagnies privées d’exploitation forestière ou minière font pression sur les ministères des Affaires étrangères ou des Colonies, comme pour la mission Lesieur de 1898, qui embauche Trilles comme interprète.
4) les missions scientifiques d’« exploration » et de collecte vers l’intérieur des sociétés de géographie (Crampel, secrétaire de Brazza 1888-1989) et des musées d’ethnologie, comme celui de Lübeck (1907), ne sont pas sans intérêt politique national et économique.
Faut-il rappeler enfin, par contraste avec ces missions localisées et régionales, la figure impériale de Frobenius, incarnation de l’esprit expéditionnaire à grande portée qui débarque principalement dans ce qu’on appellera à partir de 1908 le Congo belge, évitant ce qu’on appelle encore le Congo français. Frobenius passera du Nigeria et du Togo au Congo, sans s’arrêter vraiment au Cameroun où il n’entendait pas trop s’aventurer (Kuba 2020 :72). La première expédition de Frobenius pour le Kasaï date de 1904. Mais son fameux questionnaire mobilisant des agents anonymes a agité l’esprit de tous les administrateurs de l’époque, et pas seulement du Congo, comme l’indique Charlotte Braillon (2016). Ses collectes d’objets ont alimenté les musées de Hambourg ou de Tervuren, sans parler de la « diffusion » de ses théories diffusionnistes. Tessmann ne manquera pas d’être irrité par les survols prétentieux de Frobenius sur un grand rituel comme celui du So.
Dans l’entre-deux, des aventuriers plus ou moins à leur compte, planteurs (les cacaoyères commencent à se développer), chasseurs (l’ivoire des éléphants de l’intérieur est recherché), commerçants ou trafiquants, se constituent leurs « petits royaumes » et s’inventent leurs mondes. À cette époque, les concessions accordées par les États laissaient au propriétaire un statut de maître absolu. La propriété « indigène » était restreinte à l’habitation et aux plantations nécessaires à la consommation domestique (Coquery-Vidrovitch, 1963 : 22-68).
Entre ethnologie itinérante et monographie stationnaire
Tessmann ne fait pas partie des grandes figures de l’anthropologie allemande, et certains aspects de sa personnalité pourraient alimenter le dossier de l’ambiguïté de l’ethnologie coloniale allemande (Kohl 2019). Lübeck lui a toujours refusé la reconnaissance académique et il a été manifestement ignoré pendant longtemps des historiens germanistes de l’ethnologie allemande, sur le plan à la fois ethnologique et muséologique. L’association initiale du jeune Tessmann avec le monde de Lübeck et la personnalité du Dr Karutz peuvent expliquer ce malaise [12], même si on ne peut qualifier l’ethnologie des Pahouins d’ethnographie « raciale ». La seconde carrière de Tessman en Amérique du Sud l’a précipité dans les oubliettes d’un entre-deux colonial, entre africanistes et américanistes, son nom restant associé chez les américanistes à une thèse connue et reconnue sur les relations intra et interethniques entre certains groupes indiens du nord du Pérou (Surrallés-Calonge 1992).
Sa vocation ethnologique incontestable émerge, on l’a dit, d’une passion de naturaliste et d’un parcours d’aventurier. Il s’est identifié, on l’a dit, aux héros explorateurs allemands comme Schweinfurth, célèbre pour ces trois ans d’expédition entre le Haut-Nil, le Tchad et le Congo. Il trouvera l’occasion de rencontrer ce personnage devenu expert ethnologue à Berlin lors d’un de ses retours. Sa fascination pour le roman d’aventure de ce héros blanc, Au cœur de l’Afrique (Schweinfurth 1875), est notoire. Son expérience africaine équatoriale témoigne de la manière dont l’individu, dans ces années 1900, peut « péter les plombs » (Fabian 2000), à la manière des protagonistes d’Au cœur des Ténèbres ou du Voyage au bout de la nuit. Il s’agit ici de la même région, du même climat, entre le sud du Cameroun et la Guinée espagnole.
Son travail ethnographique illustre la transition entre ethnologie menée au gré des opportunités commerciales ou ethnologie d’expédition (il se disait « chercheur itinérant ») et monographie stationnaire. On peut parler chez lui d’une pulsion d’exploration des peuples inconnus, qui rebondira ensuite de l’Afrique à l’Amazonie, non sans préoccupations mystico-religieuses de plus en plus prégnantes, comme l’illustre son ouvrage Menschen ohne Gott (« Hommes sans Dieu », 1928). Son intérêt pour les questions mythologiques et ethno-théologiques soulevées par l’anthropologie religieuse, qui était au cœur de la revue Anthropos, le conduit d’une pratique essentiellement au service de la collecte d’objets et du transfert de caisses vers une ethnographie des rituels et des séquences initiatiques du So et du Ngil fang, qui a nourri l’anthropologie africaniste contemporaine, comme chez James Fernandez, Philippe Laburthe-Tolra, Michael Housemann et André Mary. Fernandez accorde une grande place aux descriptions et interprétations des rituels du So de Tessmann (Fernandez 1982 : 246 et suiv.), et lui restera fidèle en amitié, jusqu’à lui rendre visite en Amérique Latine.
Sa passion pour les affaires autant que pour l’exploration ethnographique conduira Tessmann à partir pour le terrain sud-américain en 1920, à la poursuite des mêmes questions d’ethnologie religieuse présentes au sein des « Kulturkreise », jusqu’à sa mort en 1969 dans un institut de biologie et une mission tenue par des religieuses à Curitiba, au Brésil, ce qui en fait une figure connue et troublante pour les américanistes.
Mein Leben, histoire de vie et carnets de route
Tessmann a tenu très jeune et sur le terrain des carnets de notes manuscrites, patiemment écrites à la plume et scrupuleusement ordonnées, avec passages à la ligne, sur un cahier d’écolier [13]. Il y note tout de son quotidien, y compris les menus des voyages en bateau, les listes des passagers et les programmes musicaux. Mein Leben obéit au genre des carnets de voyage, même si ses aveux et ses accents un peu bruts évoquent parfois le Journal d’ethnographe de Malinowski. C’est par les incidents de parcours, les cartes et dessins, les scènes des travaux et des jours, que l’on saisit les relations du petit monde qui l’entoure dans la forêt équatoriale. Les cartes reproduites sont surchargées de notes, et il multiplie les plans et schémas des lieux rituels, sans négliger les photos [14].
Né le 2 avril 1884 à Lübeck, dans le milieu bourgeois des brasseries, d’une mère d’origine juive et d’un père remarié à 52 ans qui a ignoré ce fils non désiré, Tessmann est un « avatar du monde juif qui a mis à mort le Christ » (Laburthe-Tolra 1991 :17). Cet enfant battu, voué à souffrir, trouvera refuge auprès d’une mère très possessive d’une grande sensibilité mystique et religieuse. « Unique » fils de son père, passionné de chasse aux papillons, et plus globalement de collections d’insectes, de têtes d’oiseaux, de crânes, et plus tard d’objets en tout genre, il ne rêve que de partir, comme son père, dans les pays où vivent ces « parcelles du ciel », ce qui encourage sa mère à lui imaginer un destin de missionnaire. Passionné de cactus, son père a eu, lui aussi, un passé d’aventurier et d’homme d’affaires en Amérique Latine, et a même, dit-on, participé en 1868 au soulèvement de Cuba contre les Espagnols – mais il n’en parle jamais. Ce n’est pas par hasard que le fils rêvera, après l’Afrique, d’Amazonie et se rendra lui-même en Amérique du Sud (Bolivie, Pérou) pour collecter des insectes et papillons, en bon naturaliste. Ratant ses études académiques, privé de l’obtention de l’Abitur qui conditionne l’entrée dans une carrière administrative, son père lui impose l’inscription, entre 1902 et 1904, à une école technique pour agents coloniaux des territoires allemands, l’École impériale coloniale de Witzenhausen, où il assimile des connaissances agricoles, zoologiques et médicales adaptées aux pays tropicaux. Dans ce cadre, il fait un stage agricole de quatre mois.
En juillet 1904, à l’âge de vingt ans, il part sur la proposition d’une compagnie commerciale de Hambourg, la Société de plantation ouest-africaine de Bibundi (Westafrikanische Pflanzungsgesellschaft ’Bibundi’) qui lui offre, avec le soutien de son père, de travailler au Cameroun allemand (Kamerun). Il débarque sur la côte atlantique, dans la baie de Victoria, près de Campo, un poste investi par les baptistes anglais, mais chef-lieu de l’implantation cacaoyère allemande. Engagé pour trois ans, il est surveillant (Aufseher) de plantations de cacaoyer, puis agent prospecteur de recrutement. Son expérience coloniale d’employé des camps de plantation et d’assistant des chefs blancs de la société allemande, tout autant que ses relations avec les populations locales dans cette région forestière du sud du Cameroun, sur la frontière de la Guinée espagnole, vont de pair avec la chasse à l’ivoire et la poursuite d’une entreprise obstinée de collecte d’insectes et de plantes, transférés par caisses aux musées zoologique et ethnologique de Berlin, et plus tard de Lübeck.
Entre les expéditions dans l’intérieur, dans l’arrière-pays des villes d’Edea, de Kribi et de Yaoundé, qui mobilisent des moyens et des hommes, et prennent des allures de voyages d’exploration (escalade initiatique au mont Cameroun incluse), et les stations forcées dans les villages et camps de base (à Allen et Nkolentangan), le jeune Tessmann rêve comme bien d’autres de fonder une « station » et de s’implanter à son compte, à la fois pour le profit commercial, ses collectes naturalistes, et pour l’observation approfondie de la nature et des hommes. L’observation des hommes associée à l’apprentissage des langues véhiculaires n’est pas première, le bon sens colonial et le racisme ordinaire peuvent suffire pour dominer ses gens, mais c’est par son attirance pour les jeunes Noirs, dont il se fait des alliés, qu’il apprend à apprécier ce monde et s’initie aux langues locales (fang, ewondo, bulu), tout en tenant régulièrement son journal. On y reviendra.
Ses diverses expériences d’installation, notamment sur le fleuve Ntem à la frontière du Kamerun à Makomo, et plus tard en Guinée espagnole à Nkolentangan [voir fig. 2], vont se révéler fortement animées par des rêves ou délires de création d’un petit royaume soumis à l’arbitraire d’un gouverneur puissant, et plus globalement par un rapport de commandement très colonial, à la fois violent, sadique et protectionniste vis-à-vis des boys africains qui l’entourent, le servent et le vénèrent (interdiction de le voir manger en public, interdiction aussi de voir des femmes s’approcher de lui…voir la fig. 2).
Il n’est pas exclu que ces boys entretiennent le respect de ces interdictions également à leur profit en jouant du prestige du « roi blanc » auprès des chefs de village, auprès desquels ils peuvent ainsi s’imposer. Néanmoins, par crainte du contrôle de l’administration coloniale allemande, il se tiendra toujours sur la frontière au plus près de la Guinée espagnole (Alèn, Woleubourg, Babaï) où, à vrai dire, il pensait résider. Il espérait ainsi obtenir une délégation de souveraineté des Espagnols et pouvoir régner sans partage sur son monde en vrai « commandant de poste », imposant journellement à ses ouailles la cérémonie de la levée du drapeau de Lübeck sur fond de musique du phonographe, baptisé « la voix de Dieu ». Il chasse et prélève un tribut, réquisitionnant des hommes auprès des chefs de village, et fouettant ses boys à la chicotte à tour de bras, jusqu’à ce que les chefs fang finissent par le menacer en retour et l’obligent à fuir sur la côte, par Kribi, avec un premier retour en Allemagne (décembre 1905) [15].
La mission ethnographique de Lübeck sur les Pahouins (1907-1910)
Les récits des trois premières années de Tessmann au sud du Cameroun et ses premiers articles savants ont construit sa réputation en Allemagne. Le directeur du musée de Lübeck, le docteur Richard Karutz, lui propose une « vraie mission » scientifique de trois ans à laquelle il se prépare en cherchant à rencontrer les grands noms de l’ethnologie allemande, en multipliant les lectures ethnobotaniques et ethnozoologiques. Le contrat de la mission implique un stationnement prolongé, l’apprentissage des langues, et des collectes ciblées d’objets [16].
Commanditaire de la mission, Richard Karutz est un écrivain anthroposophe réfléchissant aux questions raciales. Karutz, comme le père Wilhelm Schmidt, fondateur de la revue Anthropos, voulait protéger l’anthropologie comme discipline de ce qu’il a appelé « l’inondation sociologique de la pensée matérialiste », lui préférant une ethnologie du « spirituel » basée sur la doctrine de la race-racine et l’exaltation de l’âme nationale (on y reviendra). Il insiste sur la supériorité culturelle et spirituelle de la « race
aryenne » et, ouvertement antisémite, il dénonce « l’esprit de la communauté juive » qu’il décrit comme rigidement liée au passé, consacrée à la connaissance des morts et avide de puissance mondiale. Au cours de la dernière décennie de la république de Weimar, Karutz et d’autres anthroposophes ont dû composer avec la notoriété croissante d’une « science raciale » d’obédience nazie. Opposé aux théories eugénistes biologiques, négligeant le « spirituel » (et le rôle de la réincarnation, sic), il apporte son soutien à la proscription du « métissage », surtout entre Blancs et non-Blancs.
Tessmann entrera par la suite en conflit avec Karutz sur tous les plans (et notamment pour protéger sa propriété intellectuelle sur l’édition de Die Pangwe). En attendant, en 1907, il lit beaucoup pour sa préparation et achète du matériel photographique et d’enregistrement sonore. Il s’adjoint même les services d’un jeune dessinateur et photographe, Hans Jobelmann. L’objectif est clairement de créer une station d’observation et de mission scientifique pour une « enquête ethnographique intensive » (Karutz 1913 : v-vi) [17].
La mission officielle d’ethnologue de 1907 transforme donc le jeune aventurier Tessmann en commandant de poste accompagné de cinq militaires indigènes, recrutés sur place en arrivant. Il va s’installer tactiquement à la frontière de la Guinée espagnole, à Nkolentangan, « la colline du blanc » (tang, mitang, les Blancs, un nom de lieu qui se retrouve en double comme celui des villages fang, du fait de la pratique séculaire de la segmentation [18]). Tessmann reproduit dans ce petit royaume, où il règne en maître absolu, son environnement précédent et mêle l’observation des populations et la chasse à l’ivoire à la prédation sans vergogne des objets réquisitionnés dans les habitations.
C’est peu dire que le chasseur d’éléphant, planteur et pêcheur, mangeur de chenilles et dénicheur d’oiseaux est un passionné de nature toujours accompagné de ses serviteurs fidèles, Essun et Mabale, et de ses garçonnets dévoués qui lui ramènent quotidiennement quantité de chenilles et d’insectes, et jouent les rabatteurs de petits gibiers. L’examen savant et la classification des espèces inconnues sont toujours au rendez-vous, selon les leçons que sa mère lui a inculquées. Mais la dimension gastronomique et gustative, le goût des choses et de la bonne chère, vont de pair avec le commerce et l’appréciation de la valeur des produits. Pas de chasse en forêt sans un bon cuisinier :
Ma nourriture était assez variée. Si seulement un bon cuisinier ou une ménagère sensée les avait préparés ! Mabale, qui cuisinait depuis fin juillet, c’est-à-dire après le départ de Max, comprenait un peu moins que Max cet art, mais il faisait le moins possible d’efforts et était toujours sympathique, même s’il devait aussi jouer l’interprète, le taxidermiste et la femme de ménage. Habituellement, seul du poulet était servi à table, mais je mangeais aussi des singes, des touracos, des pigeons et des canards que j’avais ramenés de la chasse. Souvent, il y avait aussi du poisson que j’achetais aux habitants d’Alen ; le poisson-chat avait un goût particulièrement bon, en particulier le poisson-chat tacheté que les Fang appelaient nsing (Templin 2015 : 395).
La scène du jeune serviteur en costume cérémoniel [19], lavé et dépouillé sur le champ, transmué en « steward » et vêtu du costume du Blanc « évolué », est plus que révélatrice :
Un fils de chef, Boka, est embauché pour servir le café. Il arrive paré comme un jeune homme riche traditionnel, portant dans la cloison nasale une plume de coq recourbée et autour du cou un lourd anneau de laiton. Tessmann trouve que tout le costume forme un ensemble ethnologique à joindre d’urgence à ses collections. Il ouvre son répertoire, ordonne au garçon d’enlever sa plume, qu’il inscrit soigneusement sous un numéro d’ordre, puis son collier (qui prend le numéro suivant), et enfin son pagne d’écorce. Il le douche ensuite lui-même et lui offre en récompense un pagne de tissu à fleurs et une chemise blanche, dans lesquels le nouvel acculturé, voué à devenir un tendre ami, se pavane avec joie (Laburthe-Tolra 1991 : 28).
Dans la version allemande du journal (Templin 2015 : 398) la scène équivalente met surtout en évidence, au-delà de l’arbitraire du « roi blanc », les hiérarchies d’âge, les discriminations ethniques et claniques, et les complicités initiatiques entre jeunes fang au service du Blanc. C’est toute une « colonie » de petits boys, de cuisiniers, de chasseurs, pêcheurs et de dépeceurs d’oiseaux ou d’animaux qui entourent notre chef d’entreprise.
L’intérêt ethnologique, toujours en alerte pour les usages de l’habillement, des parures et coiffures d’écorce, sans parler des tatouages, vont de pair avec la fascination pour les jeunes corps masculins à demi nus qui l’entourent. La pulsion d’archivage (répertoire et numérotation) est au cœur de cette observation muséologique in vivo des coutumes en situation, mais l’impératif colonial du commandement, l’adoption par le Blanc et le blanchiment de l’évolué, tout heureux d’abandonner sa parure pour une chemise, rappellent les lignes de force de l’ordre colonial. À l’inverse, quand le « roi blanc » chute dans la rivière en glissant et se retrouve à échanger ses vêtements sales et boueux avec ceux de ses « sujets », il ne perd rien, malgré son allure de vagabond, de sa dignité royale (ibid. :407).
C’est son attirance pour les corps noirs, autant que sa familiarité et son amitié avec les jeunes hommes (aux surnoms évocateurs : Max, Piccolo, Steward, et surtout Maballe, Ndong Si, ses compagnons fidèles), qui motivent son intérêt progressif pour le déroulement des cérémonies initiatiques, même si les jeunes garçons « évolués » qui l’entourent se moquent des rites qui fascinent leur patron, comme l’illustre l’anecdote du « mille-pattes », spécimen rare égaré par Tessmann, dont la perte provoque l’hilarité des boys autant que la colère du Blanc (Laburthe-Tolra & Falgayrettes-Leveau 1991 : 267).
Ses savoirs naturalistes sur les espèces végétales ou animales impressionnent les guérisseurs ou maîtres d’initiation, nganga ou autres, qui finissent par le considérer comme l’un des leurs. Il existe chez lui une préoccupation de longue date, qui va croissant, pour les questions mythologiques et mystiques dont sont porteuses les religions des peuples naturels. Il glisse ainsi d’une pratique initialement au service de la collecte d’objets et du transfert de caisses vers une ethnologie des rituels et des séquences initiatiques.
La mission n’ira pas jusqu’au bout des trois ans prévus car les relations avec les indigènes et leurs chefs vont se dégrader. Il finira par être « empoisonné » par son cuisinier (expression classique du soupçon de sorcellerie) et devra fuir les lieux pour se réfugier cette fois au plus proche du nord du Gabon, dans un lieu apaisé (près de Bitam), où son intérêt pour les rituels et les pratiques cultuelles des Fang (Byeri, Ngil et So) va pouvoir se déployer pleinement.
D’août 1909 à mai 1913, Tessmann rentre à Lübeck. Il entre en conflit avec Karutz, qui espérait cosigner avec lui l’ouvrage Die Pangwe. L’ouvrage publié, sous son seul nom, en 1913 (à peine un an après Chez les Fang de Trilles) aura peu de succès et ne lui permettra pas d’obtenir le grade et le poste qu’il attendait.
En 1914 et 1915, il revient ponctuellement, pour des missions d’expéditions « impériales », de nature plus politique, dans le sud-est du « Nouveau Cameroun [20] ». Du fait des blocages de la situation diplomatique, il trouve l’occasion de se livrer à des observations comparatives des rituels du So chez les Baya. Il rédige une monographie, qui sera publiée seulement en 1934 sous le titre Die Bafia und die Kultur der Mittelkamerun-Bantu (« Les Bafia et la culture des Bantous du Centre-Cameroun »). Arrêté par les Espagnols en Guinée équatoriale où il s’est réfugié, il trouve encore le moyen de se faire embaucher par le consul espagnol pour une étude sur les Bubi de Fernando Po (Tessmann 1934).
Une fois installé en Amérique du Sud, il apprendra que la plus grande partie des 1200 objets ethnographiques qu’il a recueillis et répertoriés pour le musée de Lübeck a été détruite dans un bombardement, pendant la Seconde Guerre mondiale. Comme il le notera de manière prémonitoire dans son journal :
Je pense souvent, quand je vois maintenant mes vieilles peaux d’oiseaux gisant parmi les autres dans notre musée d’Histoire naturelle de Berlin : pourraient-elles nous dire quelle richesse de misère et de sacrifices mentaux, intellectuels et matériels elles ont utilisé pour arriver à ce qu’elles décrivent aujourd’hui [21]
De l’Afrique à l’Amérique latine : vers de nouveaux terrains exploratoires, vers les « hommes sans dieux »
Après un séjour de 9 ans en Allemagne en retrait par rapport à la guerre en Espagne, et après la mort de sa mère, il décide en 1921 de repartir avec son compagnon Eduard, avec un contrat d’exploration forestière d’une compagnie germano-péruvienne, cette fois en Amérique latine, et plus particulièrement en Amazonie péruvienne. On retrouve le même scénario de fondation de stations, mais cette fois sur l’Amazonie, notamment à Monte Allegre, et la même faillite de l’entreprise avec retour en Europe.
Son intérêt ethnologique ne diminue pourtant pas. Les thèses universitaires qu’il soutient en 1930 sur les migrations ethniques (qui intéressent les sociétés d’exploitations forestières), sur les distributions linguistiques et affiliations ethniques des Indiens du nord-est du Pérou (Tessmann 1930) font référence pour nos collègues américanistes – on pense à Stephen Hughes Jones sur les Tucano, Anne Christine Taylor sur les Jivaro, Irène Bellier sur les Mai Huna, et surtout Alexandre Surrallés-Calonge,, et son ouvrage À propos de l’ethnographie des Candoshi et des Shapra (1992).
Manifestement, il retrouve chez ces sociétés amérindiennes ses préoccupations mythiques et initiatiques : le symbolisme sexuel de la Lune et du Soleil, le rôle de la Mère originelle, thèmes qui imprégnaient déjà son étude sur les rites d’initiation. Mais il verse de plus en plus dans des écrits relevant de la spéculation mystique, portant sur le « plan de la création » (Schöpfungsplan), et produit un ouvrage très discuté sur la religion amérindienne : Menschen ohne Gott (« Hommes sans Dieu »). Il sera quand même reconnu en 1930 pour son travail sur les Baya du Cameroun par l’université de Rostock, qui lui décernera un doctorat honorifique.
En octobre 1936, il repart pour le Brésil. À nouveau, il enchaîne les faillites entrepreneuriales ; il multiplie les petits boulots, notamment de technicien de laboratoire dans le musée de Curitiba au Paraná (le Brésil ayant déclaré la guerre à l’Allemagne, il ne rentre pas dans son pays). Il accède enfin, en 1950, à un emploi stable de travailleur scientifique, comme botaniste à l’Institut de biologie de Curitiba. Pendant sa retraite dans une petite maison sur la côte brésilienne, il poursuit ses spéculations sur « le plan de la création », jusqu’en 1969, avant d’être recueilli, à la suite d’une attaque, dans une maison de retraite tenue par des religieuses, où il reçoit les visites de l’anthropologue James Fernandez, qui salue ses travaux sur les Fang.
Die Pangwe, une monographie ethnologique de référence
Die Pangwe, (les Pahouins, selon l’appellation coloniale des Français), est bien une « monographie » qui se justifie par sa référence au socle d’une ethnie : « À l’exception de traces infimes d’une race plus ancienne […], la population appartient aux Pahouins, ethnie nègre venue du nord-est et possédant une langue et une culture homogènes », (Laburthe-Tolra & Falgayrettes-Leveau 1991 : 178) [22]. Une homogénéité qui n’est pas synonyme de pureté raciale originelle, les métissages des pahouinisés étant la règle.
Comme toujours, cet ethnonyme est en fait un exonyme attribué par leurs voisins et ennemis, les Mpongwé. Tessmann reprend la version légendaire et bricolée de Trilles, comme le feront d’ailleurs Pierre Alexandre et Jacques Binet (1958 : 4-5) : « Pahouin » serait une déformation de Fang, transformé en Pang, par les gens de la côte ; wé, marquant le pluriel, les gens …comme dans Mpongwé. L’appellation, au départ étrangère, est reprise par les colons, et finalement par les autochtones eux-mêmes. On y retrouve donc une pluralité d’appellations ethniques : Fang, Ntumu, Ewondo, Bulu, Beti, etc, de sous-groupes « pahouinisés », et même de clans ou de lignages importants. Au-delà de l’Encyclopédie pahouine de Largeau (1901), qui maintient la double appellation Fang ou Pahouin, et de la mise à jour d’Alexandre et Binet sur « Le groupe dit pahouin » (1958), les travaux ethnologiques postérieurs se répartissent principalement entre les Beti (étudiés par Laburthe-Tolra 1981), les Ewondo (Mallart i Guimerà 1977) et les Mpongwé (Nassau 1913). L’expansion migratoire et guerrière du peuple fang, conquérant, sorti de la forêt, et son histoire ne permet plus de le traiter ni comme un sous-groupe pahouin, ni encore moins comme une ethnie homogène.
Ce conglomérat linguistique pahouin est en fait une fiction coloniale, la langue véhiculaire étant toujours solidaire du contexte d’énonciation, comme l’illustrera sa transmutation politique lors du mouvement de regroupement clanique des années 1930, et le congrès pahouin de 1947 (Balandier 1982 : 162-254). Du côté des colons allemands (sans parler des Espagnols de la Guinée espagnole, qui deviendra la Guinée équatoriale), Tessmann sera le premier dans l’espace des Jaunde (Yaoundé) ou des Beti à faire fi du précepte de son prédécesseur admiré, Georg August Zenker, qui voulait imposer les usages linguistiques locaux (les transcriptions en langue ewondo), quitte à rendre toute communication impossible (Tessmann 1913 : xvi). Dans une contribution impertinente, Germain Nyada (2018) souligne la manière dont les Beti jouaient avec les incompréhensions et contresens des étrangers sur les appellations ethniques, y compris en adoptant ces erreurs ou malentendus pour des raisons tactiques [23]. Il faut ajouter à cela le rôle capital des missionnaires pallotins qui imposeront par le biais de la traduction de la Bible l’ewondo (ou le mongo ewondo, le petit ewondo) comme langue véhiculaire. Compte tenu de ses déplacements et campements entre le pays des Jaunde (Yaoundé), le sud du Cameroun, et la Guinée espagnole, mais aussi en fonction des lieux occupés (Allen, Woleubourg), Tessmann, aidé de ses serviteurs fang privilégiés, pratiquera principalement le fang pour ses affaires. Comme il l’avoue dans son journal :
La communication avec les Fang n’est pas allée aussi vite que je le pensais - j’avais considérablement sous-estimé les difficultés de la langue - je n’avais aucune idée à l’époque que la tonalité musicale joue un rôle aussi important et distinctif dans la langue. Mais j’ai pu me faire comprendre avec l’ayong (le dialecte clanique) lors de mes excursions et des longs discours que tenaient, par exemple, les chefs qui me rendaient visite ; j’en ai surtout compris le sens (Templin 2015 : 400).
Les soirées de récit et d’enregistrement des « contes de fées » l’ont aussi beaucoup aidé :
J’avais déjà transcrit un grand nombre de contes et dans mes lettres à ma mère, j’ai essayé de décrire les magnifiques images d’ambiance des nuits tropicales au clair de lune et la poésie des soirées de contes de fées comme je l’ai fait dans l’introduction à mon livre de contes de fées (Templin 2015 : 400).
En termes savants, dans l’esprit des « Kulturkreise », Tessmann parlera comme Karutz d’« organisme culturel » pour qualifier cette société segmentaire et cette culture vivante. La durée du travail monographique, comme on l’a dit, s’étale en fait de 1904 à 1909, et relève principalement de deux temps entrecoupés de retours à Lübeck ou Berlin, et de lectures de l’anthropologie allemande de l’époque. Le temps fort, celui de la mission officielle d’expédition proprement dite, est relaté dans les pages du journal Mein Leben, qui s’arrête malheureusement en mars 1907. Dans l’ensemble, Tessmann nous livre une ethnographie à la fois extensive et intensive, qui se déploie par glissements et ruptures, un peu à la manière du « saute-mouton » des groupes villageois de ces sociétés « segmentaires » qui se déplacent au gré des zones de plantation, en un mouvement d’abandon de village pour en fonder un autre.
Il faut rappeler – ce que Tessmann reprend à sa façon, imprégné de la littérature missionnaire et des légendes locales – le fait que les Pahouins, et particulièrement les Fang, s’inscrivent dans une histoire migratoire légendaire qui est censée les avoir menés de l’intérieur de l’Afrique (et même de l’Égypte ?) en descendant vers la côte – le royaume des Blancs (mais aussi le pays des Morts [24]) – et en franchissant la barrière de la forêt (et ses arbres mythiques). Toute cette mythologie du « peuple conquérant » imprègne la mémoire collective et les écrits d’exploration, au moment même où entre 1870 et 1890, ces populations vont se stabiliser, notamment sous la pression coloniale allemande et française. Tessmann participe pleinement (là encore, en commun avec Trilles) de la discrimination entre type bantu (et négroïde) et type hamitique, qui alimente les spéculations sur les origines égyptiennes, nubiennes (ou même romaines) des Fang [25]
Ce travail monographique et ethnographique tire d’emblée profit de la littérature existante. L’autodidacte est nourri d’abord des écrits d’aventure et d’exploration des pionniers Paul Du Chaillu, Pierre Savorgnan de Brazza, Richard Burton (qui ont réalisé les premières descriptions des Pahouins) et des premiers Allemands sur place : Georg August Schweinfurth, Curt von Morgen, et surtout Georg August Zenker (qui s’installera à Yaoundé, et dont il rêvera d’être un assistant). Les années 1880-1890 sont celles de l’arrivée des missionnaires pallotins allemands à Yaoundé, qui vont précéder les Spiritains, déjà installés au Gabon depuis 1847.
On l’a dit, Die Pangwe, l’encyclopédie de Tessmann, est d’abord botanique et zoologique, et d’esprit naturaliste, avec son étude des insectes, poissons et plantes. Dès sa descente du bateau, ce qui l’attire, ce sont les fleurs et la végétation. Ce qui surprend, c’est sa collaboration précoce, dès 1907, à une revue comme Zeitschrift für Ethnologie, avec deux à trois articles sur la religion des Fang qui renvoient manifestement à sa première période, antérieure à sa mission de trois ans, qui le fera connaître dans les cercles de l’ethnologie allemande. Quand il revient plus tard, à partir de 1912, il collaborera à Anthropos : rien de surprenant à ce qu’il cite le père Schmidt et le père Trilles, même si c’est pour soutenir que les écrits de ce dernier ne peuvent être considérés comme des « travaux scientifiques ».
Si Tessmann ne se gêne pas pour laisser planer le doute et le soupçon sur les écrits missionnaires français, il accorde en revanche une pleine confiance aux thèses d’un missionnaire luthérien comme Bruno Gutmann, qui publie dans le cercle de Leipzig justement en 1909 un fameux opuscule sur la religion bantoue, même si sa référence est l’Afrique de l’Est et des Grands Lacs, intitulé Dichten und Denken der Chagganeger : Beiträge zur ostafrikanischen Volkskunde (Poetry and Thinking of the Chagga, 2017). Pour Gutmann, proche de la psychologie des peuples de Wilhelm Wundt, la religion est l’expression de l’unité culturelle organique du peuple. Tessmann y trouve l’affirmation de l’opposition entre religion, magie et sorcellerie, et une ethno-théologie en termes de forces et d’essences corporelles et spirituelles distincte de la croyance en l’âme. Et naturellement, la recherche du Dieu originel créateur est manifeste ; c’est un arrière-plan incontournable de Boston à Berlin, en passant par Lübeck. Dans ces années 1900, la recherche du monothéisme originel n’a pas de frontière nationale, et le Dieu créateur de la Bible compose avec le dieu arrangeur des mythes d’origine.
Trilles, le bon élève du père Schmidt d’Anthropos, est à la fois critiqué et même invalidé, tout en étant volontiers repris et exploité comme source. Tessmann partage aussi une fascination pour les résurgences de la religion « égyptienne » d’Isis, du culte de la Lune et du Soleil (Isis évoquant bien des rapprochements phonologiques et théologiques), et donc de la légende sur l’origine hamitique ou égyptienne, sinon romaine, des Fang, reprise ultérieurement par les mouvements identitaires pour l’indépendance et par l’afrocentrisme d’aujourd’hui. Faut-il enfin préciser qu’au-delà des missionnaires catholiques, et bien avant eux, les pasteurs missionnaires protestants donnent eux aussi dans l’ethnographie des Fang : Élie Allégret (le père du cinéaste Marc Allégret), avec Les idées religieuses des Fang (1904) ; et surtout Robert Hamill Nassau, avec Fetishism in West Africa (1904), que Tessmann ignore, alors que Nassau n’a cessé de longer les côtes de la Guinée espagnole par la baie de Corisco jusqu’à l’Ogooué.
Ethnographie des rituels et anthropologie de l’evus
Dans une grande continuité avec d’autres représentants des mondes savants, missionnaires ou laïcs, français ou allemands, Tessmann recourt à la rhétorique de la « bonne ethnographie », qui se pratique sans interprètes et implique certaines conditions d’observation et de recueil des données. L’impératif de la maîtrise des parlers locaux s’impose : « L’ethnographie par l’intermédiaire d’un interprète ne peut pas donner de bons résultats » (Laburthe-Tolra & Falgayrettes-Leveau 1991 : 173) » ; le recours aux entretiens avec des indigènes (qui plus est des petits nègres des missions ou des stations…) ne peut autoriser à faire l’économie de l’observation directe :« Seule une observation personnelle et répétée permet de se faire une idée précise du sens des activités rituelles » (ibid. : 275).Cette insistance sur les préceptes de l’enquête est la même que celle des ethnographes missionnaires d’Anthropos (Schmidt, Alexandre Leroy et Trilles), même si en pratique rien n’est aussi simple qu’affirmé. Ainsi, comment observer en tant qu’homme les rituels féminins du Mevungu et autres ? « Je m’en tiendrai à ce qu’on m’a dit hélas (qui plus est dans ce cas un compte rendu de troisième main par un homme qui a trompé les femmes pour les amener à trahir leurs secrets… ». De même, son observation de visu du So chez les Ntumu l’autoriserait implicitement à lire ou à interpréter correctement à titre comparatif le So des Jaundé, qu’il n’a pu observer directement.
Tessmann s’engage dans une ethnologie qui va de la cave au grenier, en dessinant et photographiant tous les aspects de la culture matérielle [26], des constructions de ponts et techniques de pêche aux pièges et armes de chasse, en passant par les pratiques culturales de plantation et les plans d’habitation des villages, les maisons et les vêtements. Les soins du corps des hommes et des femmes (qui sont très propres et se lavent souvent pour mieux s’enduire d’huile de palme) font une grande place aux tatouages ou à la taille des dents. Le façonnage des corps va de pair avec le travail des métaux et matières (bracelets), le « tannage » des écorces battues et le montage des coiffures. La coquetterie individuelle et l’influence de la mode dans les motifs de tatouage prennent déjà le dessus sur le marquage cérémoniel des corps et les scarifications claniques.
Mais l’ethnologue entend aussi, reprenant les termes de la Völkerpsychologie de Wundt, pénétrer la « vie intérieure des peuples de la nature » (Laburthe-Tolra & Falgayrettes-Leveau 1991 : 238). Il n’est pas question ici de la vie psychologique intime des individus et de leurs états d’âme (partagés avec ses « serviteurs », comme lors de la mort d’un proche), mais plutôt de leur Weltanschauung, de leur conception de la vie et de la mort. Les liens personnels avec les amis serviteurs et informateurs sont mis à l’épreuve : interrogeant directement son domestique Essun (qu’on surnomme justement l’innocent, ebin, celui qui ne sait pas), ce dernier se voit doubler pour la réponse par un camarade qui n’hésite pas à affirmer que les Blancs ont, comme il se doit, plusieurs bevu (pluriel d’evu, le pouvoir sorcier) (ibid. : 297, note 7).
Les photographies remarquables prises par Tessmann ou par son assistant Hans Jobelmann [27], qui l’a accompagné de 1907 à 1909 avant de tomber malade, seraient à commenter en détail : hommes ou femmes en costumes et parures tenant la pose devant leur case ; domestiques en compagnie de Tessmann dans sa case [figure 3], très révélatrices. Le travail scrupuleux de Jobelmann de reproduction des tatouages, gravures sur écorces relève du grand art.
L’insistance sur la compétence linguistique et la connaissance de la langue vernaculaire des Fang, chez Tessmann comme chez Trilles, est constante et réitérée, au risque de faire de l’étymologie des termes la clé des expressions de l’ontologie et de la théologie indigènes. On est bien loin de l’intérêt pragmatique pour les situations d’énonciation, tel que l’anthropologue gabonais Jean-Émile Mbot le mettra en pratique, sur le terrain, dans son monde familial d’origine (bitam), et qu’il restituera dans son ouvrage ebughi bifia – « Démonter les expressions » : Énonciation et situations sociales chez les Fang du Gabon (1975). Les rapprochements purement phonologiques ou « les similitudes des radicaux » (So, et autres) ont inspiré, y compris à Tessmann, toutes sortes de spéculations ésotériques, à la manière des « manipulations » missionnaires sur les noms divins (Nzame, Nzambe , Mebeghe, Nkwa) justement dénoncées par Mbot.
Tessmann verse dans la recherche d’une « trinité divine » qui fait écho aux éléments fondamentaux (Soleil, Lune, eau) de la nature et aux trois composantes de la personne humaine (corps, « essence corporelle », âme). Autant la description des techniques de la culture matérielle (instruments, coiffures, tatouages, etc.), avec les indications savantes des espèces végétales et animales, est rigoureuse et remarquable, autant l’interprétation quelque peu métaphysique du symbolisme des séquences rituelles avec ses éléments fondamentaux et ses couleurs de vie et de mort donne un peu trop dans le dualisme des archétypes : Lune/Soleil, femme/homme, bien/mal, … C’est toujours sur la cosmologie et le religieux que l’ethnologue « pète les plombs » ou renoue avec ses démons ou ses archaïsmes inconscients, comme le dirait Johannes Fabian (2000). Les interprétations font surtout une large place aux influences bibliques, sinon égyptiennes, sur la cosmogonie de la création ou même sur l’incontournable monothéisme primitif selon les thèses des missionnaires comme le luthérien Gutmann. Les légendes de la création, largement extraites des légendes et contes de Trilles (1905), mais aussi de l’Encyclopédie pahouine de l’administrateur Largeau (1901), sont abondamment citées et prises en compte par Tessmann (1913 : 28 et suiv.), sans qu’on sache toujours s’il s’agit de prendre acte d’un syncrétisme sinon « originaire », du moins avéré de longue date de ces légendes ou mythes d’origine, élaborés dans l’interaction missionnaire [28].
Toute l’ontologie pahouine est censée reposer sur un jeu subtil entre principe dichotomique et triadique, entre dualité première et trinité. Au commencement (Laburthe-Tolra & Falgayrettes-Leveau 1991 : 239), il y a deux mondes : la matière organisée et inorganisée (voir l’argile malléable dont sont faites les statues informes et allongées du Ngi ou autres, ou encore l’evu, cette chose visqueuse et informe logée dans le ventre). L’élément médiateur ou opérateur de toute mise en forme de la matière est la « force organisatrice » (notion inspirée des sciences de la nature et reprise de la Völkerpsychologie de Wundt [1912] ; voir Espagne [1998]). Si le Dieu créateur du monothéisme garde sa prééminence, il ne joue qu’un rôle de premier moteur, d’arrangeur ou ordonnateur. À cette dualité première des mondes s’ajoute pour les êtres humains ou les « personnes » (mais pas seulement) celle de « l’essence corporelle », ou « substance sorcière » et celle de l’essence spirituelle (pas tout à fait l’âme). L’individualité, la personnalité d’un être participe de ces deux « essences », au point qu’on pourrait peut-être dire que l’individu est composé de deux êtres, de deux composantes (Wesen, c’est la chose, la substance, l’essence) ? [29]
La sorcellerie qui a pour principe la « substance sorcière » n’a rien à voir avec la religion ou la croyance, elle introduit à toute une anthropologie des pouvoirs et des rapports humains, elle est fondamentalement indifférente à la dualité du bien et du mal, elle commande la chance et la malchance. Et là Tessmann anticipe avec l’evu (pouvoir sorcier) des Fang ce que le missionnaire Henri Lavignotte nous dit de l’évur (1936) [30] et ce que nous apprend Edward E. Evans-Pritchard sur le mangu des Azandés (1972 [1937]).
Les biais du classement linéaire et hiérarchique des déclinaisons de l’evus, et ses traductions sociales immédiates (riches, pauvres), ignorent qu’on est dans une pensée par dédoublement ambigu des catégories, comme l’illustre le texte un peu brut de Tessmann, associant concepts ontologiques, métaphores vernaculaire, principe théologique et poétique naturaliste :
Comme pour l’âme, on distingue aussi entre relativement bon et très mauvais dans le corps. Les personnes avec un bon corps sont appelées memieme, aussi miemê, mi mie (clair de lune), signe que tout être est en réalité mauvais. Par conséquent, visible à la lumière de la nature humaine. Toutes les autres personnes bojem, ou beyem pluriel de nnem, de a nem = rencontrer, passer au-dessus de quelqu’un, toucher quelqu’un, parce qu’ils touchent les gens la nuit – comme les fantômes. Je les appellerai des sorciers pour faire bref ; ils sont la minorité. Comme vous pouvez le voir, ces différences relatives correspondent à celles des âmes, celles faites dans les êtres spirituels, qui sont divisés en bebin (relativement bons) et bongus (relativement mauvais), de sorte que chaque ebin est aussi un mimie. Il ne fait rien de mal à ses semblables, mais à l’inverse chaque miemie n’a pas besoin d’être un ebin, puisqu’il y a des pécheurs qui violent certes les commandements divins, mais n’essayent pas de faire du mal à leurs voisins. Il en ressort à nouveau que l’âme et le corps ne doivent pas être considérés de la même manière.
Les bojem, sont des magiciens (Zauberer) qui visent à nuire à leurs voisins, ils sont à nouveau divisés en deux groupes selon la force de leur malice. Le premier comprend les personnes qui obtiennent l’avantage désiré par toutes sortes de ruses et de machinations, le second ceux qui marchent sur des cadavres, qui atteignent leur but en assassinant leurs rivaux et qui prennent plaisir à ce meurtre. La pratique de la magie en général signifie que puisqu’elle nous est visible comme une expression vivante de l’être corporel, ce que je ne cesse de souligner, nous devons également être capables de montrer son siège dans le corps. Et ce siège est l’evu, evus, de a vu= tuer. Le Pangwe ne peut imaginer aucune force physiquement et personnellement sans reconnaître la forme d’un animal dans cet evu. Puisqu’il existe maintenant des « créatures magiques » meilleures et pires, il doit également y avoir deux types différents d’evu. L’evu des meilleurs sorciers est appelé evu-besi - acquérir quelque chose mystiquement - parce qu’il a le pouvoir d’acquérir quelque chose, de s’élever à des niveaux plus élevés dans la lutte pour l’existence. L’evu des mauvais sorciers qui peuvent tuer des gens est evu-bojem ou evu-ngbwo. (Tessmann 1913 : 128-129, ma traduction)
Lluís Mallart i Guimerà retrouvera chez les Evuzok tout le « système de l’evu » et ses ambivalences dans son application à la pharmacopée et aux thérapies (Mallart i Guimerà 1981).
Cette contribution de Tessmann dès 1905 à l’anthropologie de l’evu et à la trilogie des types d’hommes nuance sérieusement le dualisme manichéen du bien et du mal, et le sentiment de la malédiction du péché qui hante pourtant l’esprit de Tessmann. Reste que l’ambivalence du pouvoir sorcier que tout homme puissant possède nécessairement sera en partie incomprise par les administrateurs et missionnaires. Il faudra attendre les années 1930, avec L’Evur d’Henri Lavignotte (1936), écrit à la même époque que l’ouvrage d’Evans-Pritchard sur les Azandé (1972 [1937]) ou les Niam Niam de Schweinfurth, pour en prendre la mesure, et beaucoup plus tard encore pour la théorie savante que nous fournit Lluís Mallart i Guimerà sur le système de l’evu chez les Evuzok (1981).
La « religion » (au sens de Wundt dans sa Völkerpsychologie : théogonie, culte des ancêtres, rites initiatiques) mobilise l’essence spirituelle des êtres, et là se niche, pour Tessmann, au-delà des oscillations de la nature humaine et des penchants individuels, la source du mal radical, le péché, le tourment des âmes, présent dès la création et les relations entre les êtres divins. C’est la véritable obsession de Tessmann : « Comme le Pahouin a lui aussi le sentiment que tous les hommes sont des pécheurs, l’essence spirituelle est fondamentalement mauvaise » (Laburthe-Tolra & Falgayrettes-Leveau 1991 : 242). Et la source déniée » de ce mal, le péché originel, c’est finalement pour Tessmann le sexe, la sexualité même qui a engendré le nsem, l’inceste originel des mythes d’origine. La psychologie essentialiste du peuple pahouin (innocent et pécheur) se confond ici avec l’idiosyncrasie du chercheur, non sans la médiation de la trame biblique de la chute du péché originel qui, de fait, travaille depuis longtemps la tradition fang – comme le confirment les légendes et contes recueillis par Trilles (1905), cités par Tessmann lui-même (1913 : vol. 2, p. 13).
Tous les rituels comme le Ngi, ou le So [31], au-delà du dualisme entre rite du bien et rite du mal, se lisent selon Tessmann comme des rituels de purification du mal. La ruse symbolique (pour reprendre les termes de Fernandez, 1982) repose sur la traduction des oscillations du bien et du mal, de la vie et de la mort, dans les termes des éléments de la nature (Soleil=bien=jour=terre ; Lune=mal=nuit=eau… sperme/sang, etc.). La ruse symbolique revient à opérer une mise à mort symbolique purificatrice des initiés, les « voués à la mort », présidant à leur régénération et renaissance. Parmi les « acteurs » des différents rituels, on trouve les animaux plus ou moins personnifiés, confrontés à la vie et la mort. L’interprétation de leur agonie et de leurs soubresauts, donnent lieu à des diagnostics divinatoires que Tessmann connaissait bien en tant que chasseur : l’antilope à corne du So, l’éléphant du Schok, le gorille du Ngi, et même la tortue, etc. Trilles documentera largement, à sa façon, par les contes et légendes, le « totémisme des Fang », mais ce n’est pas le problème de Tessmann (qui d’ailleurs ignore la somme de Trilles retranscrite dans son ouvrage Le totémisme chez les Fân, 1912b). Les animaux représentés dans les rites, notamment par les fameuses sculptures de terre, sont des médiateurs de la lutte des hommes contre les forces du mal et les substances sorcières. Il faut dire que les photographies de ces figures de glaise anthropomorphes allongées, aux gros ventres, et au sexe marqué [32], par définition éphémères, constituent une contribution majeure et inédite de Tessmann à l’étude de ces manifestations rituelles que l’on ne retrouvera plus par la suite [33].
Belle illustration des malentendus et des œillères supposées de l’observation in situ : Trilles aurait eu tendance, selon Tessmann, à diaboliser toutes les manifestations des cultes auxquels il ne pouvait pas assister (Laburthe-Tolra & Falgayrettes-Leveau 1991 : 171) [34]. Il aurait confondu ainsi les statuettes en bois du Byeri (le culte des ancêtres) et les sculptures d’argile du Ngi (Ngi ou Ngil, un culte anti-sorcellerie). Mais de là à voir comme Tessmann dans le Ngil, le rite « le plus sympathique qui soit » (Laburthe-Tolra 1985 : 53) [35], on comprend que l’ethnologue n’échappe pas aux tromperies et aux pièges que les petits Noirs qui l’entourent tendent au Blanc.
On comprend mal surtout comment Trilles aurait pu confondre les statuettes en bois du Melan [36], le culte des ancêtres, traînant parfois par terre dans le temple en dehors des temps de cultes, et les modelages de terre d’argile blanchie (parfois de plusieurs mètres) exposés dans la forêt hors du village (voir la figure 3 [37]). Dans Chez les Fang, Trilles consacre plus d’une dizaine de pages à décrire dans le style narratif qui est le sien l’arrivée du Ngil au village, ce personnage féticheur et sorcier convoqué par les anciens, chargé d’effrayer les femmes et les meurtriers présumés, qui ne séjourne dans l’espace du village que quelques jours en se livrant à des danses nocturnes « horribles », sans disposer vraiment d’un lieu de culte (1912a : 174-197). Les statues sexuées d’homme et de femme, les « blanchies » évoquées par Trilles à l’entrée d’un temple (ibid. : 189) font partie des piliers traditionnels des lieux de culte du Melan ou du Bwiti, et représentent les couples ancestraux (Nzame et Nyingone).
Dans le Ngil, ou ses variantes Bokung et Elong, et leurs figures de terre, on retrouve toutes les formes animales : le gorille, l’éléphant, l’antilope, tout le bestiaire mobilisé dans les contes et légendes fang. Lors du So, le candidat à l’initiation plonge dans un bain de boue pour rejoindre ce monde matriciel qui épouse les formes animales de la saleté et y participer avant d’être lavé et de renaître tout en blanc.
Tout le problème, souligné particulièrement par Fernandez (1982 : 253) est que Tessmann, dans sa passion métaphysique, méconnaît le fait que la source du mal dans cette cosmogonie pahouine comme dans l’ordre social et ses enjeux rituels de purification, est la malédiction de l’inceste (entre les figures divines, comme entre frère et sœur de clan) et non la sexualité en tant que telle, dont Tessmann reconnaît d’ailleurs qu’elle n’est soumise au quotidien à aucun interdit entre adolescents avant le mariage. Mais, comme dans tous les mythes fang d’origine, c’est la femme qui incarne le désordre du sexe incontrôlé, sans les promesses de fécondité des ancêtres bienveillants – ce que le christianisme ne démentira pas.
Il faut dire néanmoins, pour corriger les inclinations ethno-métaphysiques d’une lecture symboliste qui se veut fidèle à l’esprit des peuples naturels, que Tessmann conserve un fond de culture botanique, anatomique et médicale qui admet parfaitement l’hypothèse de la réalité organique de l’evu et de l’existence d’un organe spécifique suggérée par les autopsies, et que la médecine sera peut-être plus tard amenée à diagnostiquer. Il témoigne aussi, par ses déplacements et ses scrupules d’observation, d’une information très documentée sur la variété des rituels et de leurs versions (près de huit à dix grands rituels chez les Fang) et d’un sens aigu du jeu des variantes du Ngi ou du So, et de leurs avatars, entre Pahouins du nord et du sud, entre Fang, Ewondo, Beti, et même d’un clan à l’autre, son information étant toujours située (avec photos à l’appui).
Tessmann est un des rares ethnologues, comme il le répète lui-même, à avoir pu assister aux rituels qu’il décrit [38], et la plupart des anthropologues qui se réfèrent au So se nourrissent de ses descriptions, y compris pour organiser des reconstitutions contemporaines (comme Laburthe-Tolra 1983, chap. IX, « Le So, initiation des garçons »). La dimension théâtrale et spectaculaire des montages rituels et des mises en scène offertes au public des non-initiés (femmes, enfants, visiteurs) par les principaux « acteurs » (comme le personnage de Ndong mba le « chimpanzé », joué par un vieillard qui provoque le rire de l’ethnologue), est fortement soulignée, et contribue sur plusieurs nuits rituelles à « désacraliser » l’ordre des séquences cosmiques ou généalogiques, en faisant même place aux relations à plaisanteries, y compris vis-à-vis du Blanc, grand sorcier reporter, chargé de « faire le rapport ».
Enfin, Tessmann ne cache pas que « les temps nouveaux », sous l’influence missionnaire en particulier, ont déjà provoqué « une dégénérescence accentuée des institutions religieuses » (Laburthe-Tolra & Falgayrettes-Leveau 1991 : 257) qui a pour corollaire une anomie morale de la société fang – y compris chez les indigènes qu’on dit « évolués » – et des sentiments confus, ambivalents, engendrés par la situation coloniale et que les rituels des années 1930, comme le bwiti, sont censés ordonner. Néanmoins, par ces références – conscientes ou inconscientes – au christianisme, au Dieu créateur, au péché, au dualisme du bien et du mal, etc., il contribue, autant que Trilles, à la production de la culture et de l’anthropologie religieuse des Fang, comme l’illustre l’héritage toujours actuel de la purification de l’initié du Nzom so [39] dans le bricolage du Bwiti fang (voir fig. 4 [40]).
C’est, entre autres, à la lecture de Tessmann que j’ai découvert personnellement, après Fernandez, à quel point le Bwiti fang fonctionnait bel et bien comme un conservatoire culturel et cultuel du corpus des rituels fang, comme l’illustre la reprise de la danse du Nzom So associée à la mise en croix de l’initié au ndembe, l’arbre sacré (Mary 1999 : 112). La plus forte émotion ethnographique a été de retrouver dans les notes de Tessmann de 1907 toute la théorie fang des types d’hommes et l’anthropologie de l’evu, le principe du mal, le pouvoir sorcier, que tout initié du Bwiti fang a incorporé et qu’on m’expliquait encore en 1970 (Mary 1999 : 381). Un témoignage impressionnant de la continuité éthique et ontologique sur plus d’un siècle, rapporté par les écrits des missionnaires catholiques autant que par les protestants, et confirmés par les ethnologues, de la matrice de l’evu et de la sorcellerie en pays fang.
Il faut également toute la richesse descriptive et la mémoire vivante de Tessmann pour retrouver dans le déroulement du rituel du Nzom So la place du cabri (l’agneau), pris dans les flammes, et sacrifié au pied du ndembe, pour comprendre sur le fond la mutation qui s’opère dans le creuset du Bwiti fang à propos du sens de la danse acrobatique sur le Nzom So, qui glisse du symbolisme phallique à la scène du chemin de croix [voir fig. 5]. Enduit de boue à la sortie d’un bourbier, le candidat à l’initiation, soumis à l’épreuve de la danse sur le nzom, exhibant son phallus aux femmes dans son passage à l’âge d’homme, devient l’agent d’un rituel sacrificiel d’expiation et de purification, et de mise en croix à l’arbre sacré ndembe (Mary 1999 : 378 et suiv.). Cette lecture expiatrice d’inspiration chrétienne (dont Laburthe-Tolra se fait largement l’écho) n’aurait sans doute pas été sans résonnances inconscientes dans le vécu existentiel de ce mal-aimé « maudit » par son père que fut Tessmann. Mais il y a aussi, comme en double, dans la culture fang, toute une tradition de la malédiction du Père et de sa levée [41].
De l’Afrique au Pérou, d’un cercle à l’autre
Au regard de ses deux concurrents locaux qu’il cite régulièrement, l’administrateur colonial français Largeau, avec son Encyclopédie pahouine , ainsi que le missionnaire Trilles, avec Chez les Fang, Tessmann est, à notre connaissance, le seul chercheur contemporain du début des années 1900 qui investit le terrain équatorial en tant qu’ethnologue « missionné » par un musée anthropologique européen pour une enquête intensive. Aucun rapport avec les expéditions de Frobenius. Il a aussi le privilège d’avoir accédé à ses risques et périls à ce terrain, en toute indépendance par rapport aux territoires missionnaires et aux emprises confessionnelles, et à leurs foyers protégés (de Zenker à Laburthe-Tolra).
Son aventure équatoriale présente en même temps toutes les marques du péché colonial inculqué par sa formation d’assistant, associant la brutalité des méthodes esclavagistes et la protection des fidèles. Son œuvre ethnologique associe le scrupule du détail ethnographique, issu de l’observation naturaliste et muséologique [42], et l’esprit métaphysique de l’anthropologie allemande. Le rebondissement de sa seconde carrière en Amérique latine, et ses traces, témoigne de sa fidélité au questionnement des « hommes sans dieux », à ses préoccupations cosmologiques et d’anthropologie relieuse, tout autant que de sa crédibilité scientifique dans l’étude de la diffusion ethnolinguistique.
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