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Encyclopédie internationale
des histoires de l’anthropologie

Entre passé et présent : l’ethnologie bulgare au service du façonnage d’une tradition à des fins idéologiques

Marie‑Barbara Le Gonidec

Ministère de la culture, UMR9022 Héritages

2023
Pour citer cet article

Le Gonidec, Marie–Barbara, 2023. « Entre passé et présent : l’ethnologie bulgare au service du façonnage d’une tradition à des fins idéologiques », in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l'anthropologie, Paris.

URL Bérose : article2780.html

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Publié dans le cadre du thème de recherche « Histoire de l’ethnomusicologie », dirigé par François Gasnault (INHA, InVisu) et Marie-Barbara Le Gonidec (Ministère de la Culture, Héritages).

Résumé : L’exemple de la musique bulgare dont il est question dans cet article permet de montrer comment « ethnologues » et « ethnomusicologues » (folkloristi en bulg.) ont été mis à contribution, dès le début des années 1950, pour maintenir les traditions du monde agro-pastoral et permettre aux compositeurs de forger la nouvelle tradition musicale de la République populaire. L’article explique ainsi comment s’est mise en place la musique populaire (narodna muzika) officielle, conforme aux idéaux qu’adopte le gouvernement de ce pays balkanique au lendemain de sa libération par les troupes soviétiques (septembre 1944). Il dévoile ainsi les enjeux idéologiques dont a été l’objet la musique traditionnelle (bitova muzika).

Comme toute autre science, l’ethnologie s’inscrit dans une époque, aussi faut-il la regarder à la lumière des mentalités de cette dernière et en connaissance des besoins auxquels il lui est demandé de répondre, au sein par exemple des empires coloniaux à l’Ouest ou dans le cadre des États-nations puis des Républiques démocratiques à l’Est, qui nous occupera ici à travers le cas bulgare [1]. Sans que l’objectivité de ses acteurs soit à remettre en cause, ces derniers sont pourtant liés aux divers événements et contextes sociaux, économiques et politiques qu’ils traversent et qui construisent l’histoire de leur discipline et en orientent les différents courants, le cas échéant.

Nous tenterons ici d’évoquer brièvement l’histoire de l’ethnologie ou de la folkloristique bulgare, pour utiliser un terme plus approprié localement. Notre but n’est pas de discuter les appellations, encore qu’il sera nécessaire d’y revenir au fil du propos, mais plutôt de comprendre les différents contextes dans lesquels cette discipline a évolué depuis les prémices de sa création jusqu’à récemment. Nous montrerons, qu’étant donné le champ d’investigation qui est le sien, elle a été l’alliée du politique, officieusement à la fin du XIXe siècle, officiellement après les années 1950 pour définir la tradition populaire et la « bulgarité ».

La musique sera notre fil directeur, pas seulement par choix, mais parce que ce matériau ethnologique, par le biais du chant, est à l’origine de la constitution de la discipline et prend, avec la danse, une part essentielle dans la construction du modèle culturel bulgare.

D’un régime tsariste, la Bulgarie passe après la seconde guerre mondiale, à un régime totalitaire socialiste basé sur le modèle soviétique puis, en 1989, effectue une transition vers le modèle parlementaire démocratique [2]. La musique, au début du XIXe siècle, se développe sur le modèle dit classique, celui de la bourgeoisie et de l’élite, reconnu comme muzika, et entretient des liens plus que ténus avec l’expression musicale du peuple bulgare, celui de la campagne, qui n’est pas considérée comme muzika mais comme un ensemble de svirni, pesni et bitove, soit littéralement, des mélodies instrumentales, chansons et coutumes. Après le 9 septembre 1944, qui marque la libération par les Soviétiques de la Bulgarie pro-nazie, le modèle musical officiel va profondément changer. Pourquoi la musique, et la danse, subissent-elles plus que les autres formes artistiques un tel changement ? Probablement, comme c’est également le cas du sport, parce qu’elles constituent d’excellents moyens de propagande pour le nouveau régime en se prêtant mieux au spectacle et au divertissement que d’autres formes culturelles et artistiques, et aussi, parce qu’elles s’exportent facilement. Le peuple, protagoniste, deviendra alors l’agent de la transition politique et sa culture traditionnelle, abondamment décrite par les ethnographes depuis la fin du XIXe siècle, sera vue comme la base sur laquelle construire l’identité bulgare jusqu’alors noyée dans une culture bourgeoise qui n’a culturellement rien de spécifique sur le plan national et surtout, qui ne représente pas les idéaux prisés.

Voyons dans le détail comment se met en place le processus de cette construction identitaire, dans quel contexte historique et politique il trouve ses racines et comment l’ethnologie, « science du peuple » par excellence, devient avec le nouveau régime dit démocratique, une des disciplines essentielles pour aider à la construction d’une « bulgarité authentique » idéalisée.

La renaissance d’un peuple oublié par l’Histoire

Atteignant une certaine notoriété, au sens premier du terme, à l’époque communiste, la notion d’identité bulgare telle qu’on l’entend aujourd’hui n’a pas toujours existé. C’est à la fin de la période ottomane qu’il faut remonter si l’on veut comprendre comment elle a émergé pour soutenir la création d’un État-nation à la fin du XIXe siècle, puis comment elle a été littéralement forgée dans la seconde moitié du XXe siècle, comme nous le verrons en prenant l’exemple du matériau musical, vocal et instrumental.

Dans l’Antiquité, le terme de barbare s’appliquait à ceux qui ne parlaient pas le grec. On sait concernant notre propre pays, combien le pouvoir politique a lutté contre les parlers régionaux pour imposer la cohésion nationale basée sur l’unicité linguistique. Posons donc d’emblée le fait que la langue soit l’un des éléments fondamentaux qui définit l’identité d’un peuple.

Dans la Bulgarie rurale de l’époque ottomane, on utilise différents parlers considérés aujourd’hui par les spécialistes comme des variantes du bulgare actuel [3]. Les citadins et les lettrés utilisent de plus différents idiomes étrangers : le turc osmanli constitue la langue administrative tandis que le grec byzantin est la seule langue ecclésiastique officielle et celle de l’instruction [4]. Pour tenter de libérer le pays de « l’esclavage turc », turskoto robstvo, l’intelligentsia bulgare doit d’abord se doter d’une langue académique afin, tout d’abord, de forger le sentiment national et fonder l’unité de la nation ; afin de créer, une fois le pays libéré, une administration et un système éducatif et surtout, afin d’assurer à terme la légitimité territoriale du peuple bulgare face aux ennemis héréditaires, les Grecs, dont personne ne peut nier la présence depuis la plus haute antiquité [5]. L’existence d’une langue fixée, unique et reconnue permettrait en effet aux Bulgares de construire une nation et légitimerait leur extension territoriale et celle de leurs « cousins » installés en Macédoine. On sait l’enjeu que représente cette partie du territoire balkanique dans le contexte politique de l’époque.

L’importance des chants au XIXe siècle

Au XIXe siècle, le Romantisme qui s’impose comme un mouvement majeur parmi l’élite intellectuelle d’Europe occidentale, gagne l’Europe orientale où il conduit, comme c’est le cas en Bulgarie, à la prise en compte de la littérature populaire pour appuyer la construction de la langue nationale. Les « chansons paysannes » – on parle aujourd’hui de littérature orale – vont faire dès lors l’objet d’importants collectages. Si, en Europe occidentale, le Romantisme gardera son aspect littéraire et artistique, en Europe centrale et orientale, il servira aussi à alimenter les revendications politiques évoquées à l’instant. En Bulgarie, ce mouvement s’appellera Renaissance,Veuzrajdane, et conduira à la libération du pays en 1878.

Comme l’Écossais Macpherson avec le faux d’Ossian, cherchant dans la littérature populaire de tradition britannique un ancrage historique face à la domination anglaise, de la même manière, certains intellectuels de culture slave ne vont pas hésiter à produire des faux, comme ce sera le cas avec Veda slovena, publié en 1874 par le Serbe Stefan Verković [6]. Ces hommes cherchent par tous les moyens à démontrer l’antériorité du peuplement slave dans la péninsule balkanique par rapport au peuplement grec. Les instigateurs du mouvement grécophobe en Bulgarie, tels que le poète Rakovski, se basèrent sur ces faux, notamment celui de Verković évoqué plus haut, pour exacerber le sentiment national.
L’existence de chants slaves dont Orphée lui-même aurait été l’auteur – la légende grecque fait naître Orphée dans les Monts Rhodopes, bulgarophones depuis des siècles et la croyance veut que les Bulgares soient les héritiers culturels des Thraces –, mettra le feu aux poudres puisque leur soi-disant redécouverte par les Slaves parviendra jusqu’en Occident. Ces questions littéraires, en ce qu’elles servent les visées expansionnistes panslavistes, inquièteront le milieu politique occidental alors fort préoccupé par la « question macédonienne ». Le Gouvernement français ira même jusqu’à envoyer dans les années 1870 un rapporteur, Auguste Dozon [7], afin de vérifier sur les lieux mêmes, c’est-à-dire l’ancienne Thrace macédonienne, l’authenticité de ces chants recueillis parmi les Bulgares qui habitent cette région revendiquée par les Grecs.

On notera que les Bulgares sont initiés à la collecte des chants populaires par d’autres Slaves tels que le philologue Vuk Karadžić, réformateur de la langue littéraire serbe et éditeur du premier dictionnaire du serbe (1818). Ce dernier sera l’instigateur des premières recherches en Macédoine, publiant dans Narodna srbska pesnarica (1815) vingt-huit chants bulgares recueillis à l’est de la Serbie ; ce sont aussi des Russes, comme Juri Venelin qui fonde l’ethnographie bulgare en organisant avec les Bulgares une mission de recherche subventionnée par l’Académie des sciences de Russie, en 1830. Ainsi, en cas de libération du nord des Balkans par les Ottomans, les Grecs ne pourraient pas revendiquer ces terres en arguant de leur passé byzantin, preuve étant faite de l’ancienneté du peuplement slave.

Les chants collectés et en particulier ceux de tradition épique, en raison de leur « noblesse » (Cuisenier 1998), vont donc représenter à la fin de l’occupation ottomane un enjeu capital. La Renaissance bulgare inaugure ce que les Bulgares considèrent alors comme la « science du peuple ». Comme l’écrit Stojanka Bojadžijeva [8], la construction d’une nouvelle Bulgarie s’est faite sur l’attention portée à la culture littéraire populaire. D’ailleurs, l’ancêtre de l’Académie bulgare des sciences est la Société des lettres [9]. On comprend dès lors à quel point l’esprit romantique occidental a influencé les milieux politiques et scientifiques dans ces régions orientales. Mais, poursuit Bojadžijeva, si l’esprit patriotique continuera, après la Libération, d’habiter la « science du peuple », celle-ci s’émancipera bientôt du pouvoir.

Élaboration de la folkloristika, savoir de l’élite sur le savoir du peuple

Dans toute l’Europe, des sociétés et des revues folkloriques sont officiellement créées, support d’une nouvelle discipline appelée folkloristika en Bulgarie. On reparlera plus loin de la terminologie adoptée. Pour le moment, considérons folklore et ethnographie comme équivalents, les Bulgares, plus proches culturellement de l’Allemagne et conformément à l’époque où seul ce terme existe, forgent cette notion à partir de germanisme volk (peuple)-lore (savoir traditionnels) anglicisé. Cela dit, cette terminologie permet de différencier le folklor proprement dit de la science du folklore, élaborée par les folkloristes (ou ethnographes). Ce terme folklor, en tant que ce que le peuple élabore, crée, est important pour la suite, on le verra.

C’est aussi l’époque de la création des institutions muséales. En 1892, le Musée d’ethnographie ouvre à Sofia bientôt suivi par d’autres grandes villes, ce qui témoigne d’un intérêt grandissant pour la culture matérielle populaire. Les objets acquièrent, comme les chants à la période précédente, le statut de « monuments » au sens mémoriel du terme. À cette époque où les nations balkaniques sortent de l’occupation ottomane et élaborent une société moderne sur le modèle occidental, ces musées et les collectes ethnographiques « construisent le passé, la communauté, l’identité (Bojadžijeva 2001 : 210) », autrement dit, mettent en scène l’héritage culturel pour forger l’identité bulgare dont la prise de conscience est récente.

Onze ans après sa libération, la Bulgarie se dote par décret gouvernemental [10] de sa première revue professionnelle appelée Sbornik za Narodni Umotvorenja, Nauka i Knižnina [11] ce que l’on traduira littéralement par Recueil d’œuvres de l’esprit populaire, science et lettres. La revue mêle aux « œuvres de l’esprit populaire » (folklore), le savoir scientifique (archéologie, histoire, géographie, etc.) et la littérature. Sous le joug, le roman patriotique d’Ivan Vazov [12], y sera publié pour la première fois. Dans la partie « narodni umotvorenja », paraissent surtout des textes chantés, des contes et légendes. En 1913, alors que 27 numéros ont déjà été publiés, les sections science et littérature disparaîtront et la revue se consacrera uniquement à la tradition rurale, devenant une véritable revue d’ethnographie [13]. Le rédacteur en chef de ces recueils SbNU, Ivan Šišmanov [14], détermine dans le premier numéro (1889 : 1-64), les grands principes méthodologiques que la revue souhaite appliquer : « si notre folklore n’a pas encore jusqu’à présent fait l’objet de recherches, la raison principale est que l’on n’a donné aux collecteurs ni règles, ni méthodologie ». Quelques pages plus loin, il ajoute : « nos plus jeunes philologues désirent que soient recueillies les traditions populaires de la bouche même de l’informateur, avec la plus grande exactitude, s’il est possible aux collecteurs d’être tous physiologistes  [15], et leurs recueils, phonographiques (Šišmanov 1889 : 16) ». Et, abordant les pratiques musicales, il écrit encore : « ici, comme dans les autres domaines de l’ethnographie, nos collecteurs n’ont pas toujours eu une idée claire de l’importance du matériel récolté ou bien ils n’ont pas eu assez de préparation méthodique. [...] Il doit être clair qu’en ce qui concerne les chants bulgares tout comme les chants orientaux, on ne peut utiliser les règles en usage dans la tradition de l’Europe occidentale. Dans cette optique, le collecteur doit faire abstraction de toute habitude et transcrire les chants sur de nouvelles bases solfégiques. [...] Tel que le peuple chante, ainsi doit-on transcrire (Šišmanov 1889 : 58-59) ». Une telle rigueur montre bien que le folklore est abordé en Bulgarie avec le même esprit scientifique qu’en Europe occidentale avec des hommes comme Van Gennep, pour citer l’un des plus illustres folkloristes. Si bien que la question de l’authenticité des chants collectés alors, qui soulève celle de l’objectivité de la discipline, ne se pose pas dans les mêmes termes qu’avant la Libération. Alors qu’à la période précédente, la collecte a des applications politiques et est plutôt le fait d’érudits non professionnels, à cette époque, elle sert la recherche et la compréhension de ce qui forge l’identité du peuple bulgare dont on craint une brutale transformation, et s’effectue par les « chercheurs en sciences humaines » de l’époque. On peut dire que l’ethnologie bulgare (la « folkloristique » pour garder le terme local) est née avec la nation bulgare, et dès lors, le matériau ethnographique abondamment collecté a été étudié en soi et non à des fins idéologiques. On commence alors à envisager les chants comme le fondement d’une tradition musicale vivante que nourrissent des pratiques sociales. Ceci dit, ils représentent encore à cette époque le principal matériel ethnographique recueilli sur le terrain et la base de l’enseignement universitaire.

Mais peu à peu, les différents domaines de cette discipline commencent à se spécialiser et les chants relèvent désormais du muzikalen folklor. Cette discipline prend véritablement son essor à la suite de la sortie, en 1913, du premier recueil de chants publiés avec les transcriptions musicales [16]et avec la création en 1926, d’un département de la musique au sein du Musée d’ethnographie de Sofia dont Vasil Stoin est le premier directeur. Aidé de ses assistants, il collecte dans les décennies qui suivent plus de 30 000 chants avec, pour la plupart, la transcription musicale dont l’absence devient dès lors inconcevable.

Cette première moitié du XXe siècle correspond à ce que les Bulgares appellent « l’épanouissement académique » de la discipline, laquelle s’engage principalement dans deux voies : une meilleure connaissance des phénomènes socioculturels du milieu traditionnel rural et la conservation d’un patrimoine menacé par la vie moderne. De fait, il s’agit toujours du folklore, au sens de savoir que détient le peuple et savoir que les élites possèdent sur le peuple, pris comme objet de connaissance.

Avec l’accession au pouvoir du parti communiste, l’ensemble de la recherche scientifique va être recentrée autour de l’Académie bulgare des sciences (BAN) qui regroupera des dizaines d’instituts et laboratoires de recherche dans divers domaines. En 1947, est créé un Institut des sciences du peuple devenant en 1949, l’Institut d’ethnographie et Musée (Etnografski Institut i Muzej) avec les sections d’ethnogénèse et d’ethnographie historique, de culture matérielle, de culture publique, spirituelle et folklorique, d’art et d’architecture populaires (Bojadžijeva 2001 : 211). En ce qui concerne le domaine qui nous intéresse ici, est créé en 1948 l’Institut de musique. Son directeur Stojan Džudžev, est l’auteur d’une thèse en français [17]. Bien que les chercheurs traitent la musique d’une manière essentiellement musicologique et ne s’intéressent pas encore à l’ethnologie du fait musical, cette discipline est novatrice pour l’époque. En effet, les échelles et les rythmes propres à la tradition rurale ne sont pas encore bien connus. Dix ans après, en 1968, une nouvelle structure se dégagera de l’Institut d’ethnographie et musée, l’Institut du folklore (Institut za folklor), comprenant une section d’étude de la musique de tradition rurale, appelée folklorna ou narodna muzika, section qui s’ouvrira véritablement à l’étude de la pratique musicale, en plus de l’approche musicologique qui reste le fondement. À la base de la création de l’Institut du folklore, l’idée exprimée par son instigateur, Petăr Dinekov est la suivante : considérant que le folklor, une discipline en soi, doit être abordé globalement sous tous ses aspects, il réunit au sein d’une seule et même structure de nombreux chercheurs répartis jusqu’alors dans différents instituts, et constitue une équipe de spécialistes pluridisciplinaire.

Jusqu’en 1989, « la forte institutionnalisation scientifique [de la culture] est attentivement suivie par le pouvoir étatique et le parti. Elle est une des pièces maîtresse des stratégies politiques » écrit Bojadžijeva (2001 : 211). À côté de l’Académie dont les instituts cités plus haut ont pour objet le bălgarski folklor, l’Université en poursuit activement l’enseignement.

L’enseignement du folklor a commencé dès 1888, époque où il est envisagé comme l’étude de faits culturels et de savoirs populaires en voie de disparition. Après le 9 septembre 1944, il devient un moyen de former des folkloristes, au sens pourrait-on dire de « collecteurs de traditions », qui s’occupent de la sauvegarde et du maintien de ces dernières pour les besoins politiques. Et si auparavant cette discipline s’intégrait plutôt à d’autres cursus tel que celui de philosophie (les traditions comme matière à penser) et d’histoire (les traditions comme un ensemble de faits constituant le passé de la Bulgarie), voire à celui de littérature (la poésie populaire bulgare comme objet d’étude littéraire), avec l’époque communiste, elle acquiert son indépendance [18] et des cours sont donnés dans toutes les grandes villes du pays à partir des années 1970.

Pour Mihajl Arnaudov (1878-1978 [19]), l’enseignement du folklore se justifie, comme il le précise une décennie avant le début de l’époque communiste, par le fait que la Bulgarie était « si riche en matériel folklorique, comme rarement un autre pays en Europe ne l’a été qu’elle avait un grand besoin de solidifier ses traditions nationales [20] ». Quarante ans après, en 1974, Manol Todorov, professeur au Conservatoire Supérieur de Sofia, spécialiste des instruments traditionnels, fait preuve du même état d’esprit :

la façon dont les folkloristes bulgares se représentent la tradition avant le 9 septembre 1944 est liée au mode de vie de notre peuple, qui s’exprime à travers ses habitudes, ses croyances, ses traditions orales, ses créations musicales. Cette culture (...) devait subir une secousse profonde à la Libération [9 sept. 1944], causée par des changements économiques considérables qui ont [aussi] créé les conditions de son développement : [en effet] s’efforçant d’expliquer et de valoriser avec justesse ces changements, les folkloristes perçurent la destruction de l’ancienne tradition. [Cela] entraîna chez ces militants de l’art populaire, qui avaient une vision vraie de la valeur de cette culture, un véritable élan pour le recueil et la sauvegarde de ce patrimoine. Ainsi ont-ils jeté les bases pour cette collecte massive. Le résultat de leurs efforts a permis à la Bulgarie de se hisser au premier rang dans le domaine de la conservation des traditions populaires (Todorov 1974 : 7).

Pour Arnaudov, et conformément à l’esprit du XIXe siècle, le folkor est à la fois la culture spirituelle populaire, mais aussi la science qui l’étudie « dans un sens plus étroit, national », précise-t-il (Bojadžijeva 2001 : 212). Il apparaît clairement, pour des questions historiques évoquées plus haut, que depuis le XIXe siècle, l’ethnologie bulgare est essentiellement tournée sur la Bulgarie elle-même et produite par les Bulgares. Il n’existe aucun enseignement d’ethnologie « exotique », mais seulement nationale, d’où ce terme anglo-saxon de folklore que conservent les scientifiques comme synonyme d’autres termes en usage alors tels que narodouka, science du peuple, narodoznanie, savoir populaires, et narodopis, écrits sur le peuple. Alors qu’en Europe occidentale, la notion de folklore se détache de celle d’ethnologie, la première, notamment dans l’expression « folklorique » devenant même un peu péjorative, pour des raisons idéologiques, le regard en Bulgarie reste « géocentré » ou « ethnocentré » [21]. On le voit dans les propos d’Arnaudov, un fort sentiment de fierté nationale anime les hommes de science d’avant comme d’après le 9 septembre, même si les travaux qu’ils réalisent sur le matériau ethnographique de leur propre pays sont d’une grande qualité, et bien que certains, dont Arnaudov, notamment dans ses écrits de 1934, se positionnent pour une science, la folkloristique, séparée du folklore proprement dit. Pendant la période socialiste au contraire, « on affirme que ce sont les deux noms d’une même science (Bojadžijeva 2001 : 215) ».

Élaborer la culture officielle populaire

Même si les Bulgares reconnaissent aujourd’hui ce phénomène de « forte institutionnalisation scientifique », le régime communiste n’a pas vraiment été à l’origine d’un changement radical : il s’est plutôt inscrit dans la continuité d’une pensée, ou tout au moins celle de la majorité des folkloristes d’alors. Son apport, on va le voir plus loin, est dans la mise en place d’une néo-tradition que les ethnologues-folkloristes bulgares vont être chargés de « valider » par un label d’authenticité et de garantie scientifique. En effet, le régime d’après le 9 septembre 1944 a, semble-t-il, trouvé dans la communauté scientifique un terreau favorable pour l’institutionnalisation de la culture populaire. Stojanka Bojadžijev écrit « Détruite en tant que système de vie et de rapport au monde, la culture populaire est vivante en tant qu’héritage et mémoire. Pour l’État national, c’est la possibilité d’une “production” qualitativement nouvelle de symboles et d’une affirmation identitaire » (Bojadžijeva 2001 : 213). Même si certains chercheurs auraient souhaité déplacer l’intérêt que l’on portait au passé sur la contemporanéité, « les activités relevant de la science du peuple se répartiront [...] entre une culture traditionnelle originelle, héritée du passé, et la vie sociale contemporaine », poursuit-elle.

Le changement qui va avoir lieu après le 9 septembre 1944 se traduit donc par le fait que la culture de tradition rurale, héritage du passé, va surtout représenter un « matériau de construction » pour les intellectuels et chercheurs bulgares dans la « tâche » qui leur est confiée par l’État, d’élaborer la culture officielle populaire. Comme ce sont les ethnologues qui étudient la culture populaire, au sens étymologique du terme ethnos, ce sont eux qui vont être chargés par le régime de la création d’une nouvelle culture populaire, au sens de démos, nationale, publique, officielle et démocratique conformément aux nouveaux idéaux politiques. Cette nouvelle culture populaire se base sur celle de la tradition rurale du peuple bulgare telle qu’elle a émergé en tant qu’identité nationale à la Libération, et qui reste le modèle par excellence du peuple « pur et authentique ». L’ethnologie d’après 1944 « devait lutter contre les préjugés religieux, les coutumes et les habitudes démodées, formés durant les siècles de domination des classes d’exploiteurs, comme le formulait le programme du 10e congrès du parti communiste. Par exemple, la Saint-Georges fut transformée en fête du berger où l’on mange le même mouton, mais au lieu de célébrer le saint (patron des bergers), on fêtait le travail des éleveurs. Des rites d’enterrement, de mariage, de fiançailles, de baptême et de naissance furent inventés à partir des années 1970 avec la participation de poètes, de musiciens idéologues et, toujours, d’un expert en ethnologie » (Dičev 2001 : 332). Comme pour la Saint-Georges, ces néo-rites étaient vidés de tout leur contenu spirituel traditionnel, pour ne garder que les gestes et la structure basique. Comme l’explique Todor Todorov, le propos de la politique culturelle bulgare n’est pas tant de préserver la tradition, mais de l’orienter vers un développement qui réponde aux besoins contemporains (1976 : 176).

Le folklor, un nouvel art démocratique

Cette période qui va de 1947 à 1989 est donc favorable à la poursuite massive des collectes de données ethnographiques systématiques, pour des raisons idéologiques évidentes. En suivant le modèle soviétique d’organisation de la science, la plupart des chercheurs se focalisent essentiellement sur la description du patrimoine afin de fournir un matériau « de source » tel que les Bulgares le définissent eux-mêmes à cette époque en parlant d’izvoren folklor, matériau destiné à la construction du folklore officiel définit lui comme obrabotern folklor (littéralement, folklore arrangé, re-travaillé). Comme on va le voir plus loin avec la musique, « des professionnels placés à mi-chemin entre les arts et l’ethnologie retravaillaient le folklor pour lui donner plus de profondeur et de qualités esthétiques » dira en 1997, un ancien responsable idéologique au Comité central du parti communiste (Dičev 2001 : 333). Le folklor devient un véritable système culturel qui s’exprime à travers les reconstitutions scéniques. « C’est un genre de reproduction de pratiques dont on suppose qu’elles sont propres à la culture traditionnelle nationale. [...] Le style folklorique devint un univers à part, opposé à la haute-culture que la modernité tentait d’imposer comme modèle unique de l’expression identitaire, imposé comme une contre-culture subventionnée d’en haut (Dičev 2001 : 333) ».

C’est bien un nouvel art démocratique, ou néo-folklore, que l’on va inventer à partir de l’art traditionnel populaire, notamment dans le domaine de la musique et de la danse qui sont les plus spectaculaires et les plus accessibles. La conception du folklor se déplace alors de la notion de science et de savoir à celle d’expression artistique.

Il est vrai qu’en Bulgarie, en sortant du seul champ du populaire (par la création des grands ensembles comme on va le voir) et du champ du scientifique, le folklor, ou tout au moins la danse et la musique folklorna deviennent un art à part entière. Dans les années 1980, le directeur de l’Institut du folklore, Todor Iv. Živkov pense finalement le folklor comme « un besoin spécifique de l’homme, une réalisation artistique du quotidien » (Bojadžijeva 2001 : 216). Ce point de vue est intéressant, nous dit Bojadžijeva, car il témoigne d’une tentative d’aller au-delà du folklore en tant qu’antiquité vivante et de le penser en tant qu’universalité culturelle (Bojadžijeva 2001 : 216) ». Pour ma part, je généraliserais et écrirais plutôt « aller au-delà des folklores nationaux en tant qu’antiquité vivante pour les envisager finalement comme des phénomènes artistiques propres au XXe siècle ». En effet, le folklore, en devenant une expression artistique qui se donne aussi « à regarder » [22] et non plus « à vivre », alors qu’elle était le fait de tous, est une des nouvelles formes de pratique de l’expression musicale et de la danse, typique des sociétés dites modernes. Le travail de chorégraphie, de ré-écriture des mélodies, bref d’organisation et d’encadrement d’une expression à l’origine plutôt spontanée en fait une expression qui relève des arts du spectacle au sens artistique et étymologique du terme. Il devient dès lors un nouveau genre du fait artistique avec un répertoire, un style, etc. La différence entre l’Est et l’Ouest se trouve peut-être dans la professionnalisation et l’institutionnalisation de ce nouvel art qui vise à le hisser au niveau de l’art dit savant, plus que dans le mécanisme de son apparition qui est propre à la majorité des sociétés économiquement développées du XXe siècle dans leur quête d’identité culturelle, que la motivation relève du politique comme c’est le cas en Bulgarie ou du militantisme, comme ce fut le cas en France (Duflos-Priot 1995).

Les foyers de lecture, conservatoires de traditions, et les groupes amateurs

Le processus d’institutionnalisation de la culture populaire et de création d’un nouvel art démocratique recouvre deux aspects : les mouvements amateurs et le professionnalisme. Dans le premier cas, tout tourne autour des tchitalichta, foyers [23] ou clubs de lecture créés avant l’époque communiste qui ont joué dès leur création, un grand rôle sur le plan de l’instruction en général (on pourrait les comparer aux Maisons de la culture instaurées en France par le Front populaire), plus orientée ensuite vers la propagande : après 1944, ils jouent « un rôle immense pour l’éducation politique et culturelle progressiste des travailleurs, pour l’augmentation de leur activité créatrice (Balabanov 1959 : 206) ».

Tous les foyers proposaient des activités de musique et de danse traditionnelles [24]. Ils ont ainsi constitué de véritables conservatoires de traditions. Sous la direction d’un folklorist professionnel formé à l’Université, une bonne partie des habitants d’un village par exemple ou le personnel d’une usine, se réunissaient dans un « groupe » (littéralement, un kolektif, qui n’existait pas à l’origine et qui traditionnellement n’avait pas besoin d’exister sous cette forme) pour continuer à pratiquer les chants, pesni, la danse, horo, la musique traditionnelle, svirni, et transmettre par ce biais « artificiel », les coutumes, bitove [25] telles qu’ils les avaient vécues et pratiquées dans le contexte avant 1944, en en étant tout naturellement les acteurs. Avec le temps, les plus âgés, encadrés par le folklorist, assuraient la transmission auprès des jeunes générations qui ne connaissent plus le mode de vie traditionnel suite à la collectivisation. Ainsi ces foyers permirent-ils l’entretien quasi scrupuleux de la tradition du milieu rural.

Nous parlons, on l’aura compris, d’une musique qui, à l’origine, possède un fort caractère fonctionnel et rituel dans la mesure où elle était intimement liée au contexte agro-pastoral et au mode de vie communautaire ancestral (rites de passage, fêtes calendaires d’origines païennes, veillées, moissons…). C’est cette musique qui va relever de l’izvoren folklor, folklore de source. Elle constitue en effet la source, izvor, au sens de « point de départ » et de « référence », la base à partir de laquelle construire l’autre volet de la narodna muzika, la musique populaire ou nationale, celle de la représentation et de l’institution, l’art démocratique officiel de l’État bulgare.
Le festival de la ville de Koprivčtica, fondé en 1960, réunissait tous les cinq ans tous ces ensembles amateurs qui se présentaient sur scène, reproduisant la partie musicale d’un mariage ou une veillée « comme avant », jugés par un jury spécialiste de l’izvoren folklor, évoqué plus haut par l’informateur de I. Dičev : folkloristes, ethnochoréologues, ethnologues, ethnomusicologues. Ils veillaient au respect de la tradition dans le sens d’une stricte fidélité d’exécution par rapport à ce que l’ethnographie avait pu livrer. Des prix et des médailles étaient remis aux meilleurs interprètes de cette tradition qui s’est ainsi figée, pour ainsi dire, jusqu’à aujourd’hui.

Figure 1.
Petăr Kirkov et Borinka Daražijska au festival de Koprivčtica, août 2005
Marie-Barbara Le Gonidec
Audio 1.
Petăr Kirkov joue du duduk (la flûte est glissée dans sa ceinture) et accompagne la chanteuse Borinka Daražijska. Vivant dans le village de Stubel (Bulgarie du Nord-Ouest), ils étaient membres du kolektiv local, et se rendaient régulièrement au festival de Koprivčtica. Ils interprètent ici « Marko Todorka zaljubi »
Enregistré à Stubel en 1993, par Marie-Barbara Le Gonidec

Les auteurs du nouvel art démocratique

Ce sont ces spécialistes du folklore de source, ce « marqueur d’ancestralité » pour J. Cuisenier, et j’ajouterais, de « bulgarité », qui ont été à la base de la création – le verbe estobrabotvam (arranger) – du folklore officiel, obraboten folklor. Des ethnomusicologues tels que Nikolaj Kaufman (né en 1925), qui dirigera la section du muzikalen i tancov folklor de l’Institut du folklore de l’Académie bulgare des sciences a été amené à réaliser de nombreux enregistrements et transcriptions de musique rurale. À partir de celles-ci, il a composé, comme d’autres, des mélodies instrumentales ou des œuvres chorales pour ensembles professionnels [26].
En effet, d’après les travaux de K. Lutzkanov (2002 : 20 et suivantes), « le régime ne pouvait baser toute la culture bulgare uniquement sur le milieu traditionnel rural, il fallait se situer par rapport au “Grand Art”, celui de l’élite, pour exalter le génie populaire avec une musique qui tout en restant de la musique populaire, narodna (issue du peuple, narod) [...] utilisait les principes de la musique classique occidentale (orchestration, harmonisation) ». Il fallait montrer poursuit-il :

que ce qui vient du peuple est bon, mais que le peuple peut être instruit, et faire “mieux” [...] Il est très intéressant de préciser aussi que ces musicologues-compositeurs [créateurs du folklore officiel] appartenaient pratiquement tous à l’Union nationale des compositeurs bulgares [équivalent de la SACEM] [...]. Des personnes comme Nikolaï Kaufman [...]est aussi un musicien de formation classique et un compositeur appartenant à cette Union. [...] Cette nouvelle musique, fondamentalement bulgare, rassemblait ces deux courants que nous distinguons ici [folklore de source et folklore arrangé] mais qui pour les Bulgares de l’époque constituaient une seule et même entité : la narodna muzika (musique populaire), car ces deux courants sont si intimement liés dans l’esprit des Bulgares, le obraboten découlant de l’izvoren (l’inspiration venant toujours d’une source), que cela est la tradition, au sens identitaire du terme. On est toujours dans le narodno tvorchestvo (création populaire), même si c’est Nikolaï Kaufman ou Filip Kutev qui signent l’harmonisation d’une mélodie à l’origine traditionnelle interprétée par des professionnels fonctionnaires d’État.

Ainsi les œuvres issues du peuple étaient-elles, comme l’a bien vu J. Cuisenier, « élevées à la même dignité que celles de la haute culture, [...] promues à la même position dans l’échelle des valeurs que celles du grand art ou de l’art prétendu tel (Lutzkanov 2002 : 128) ».

Les groupes professionnels, une nouvelle catégorie d’artistes officiels

Pour révéler cet art populaire officiel ou néo-folklore destiné tout autant au spectacle idéologique à l’étranger qu’à instruire et à révéler au peuple lui-même la richesse et la créativité de sa culture traditionnelle, différents ensembles ont été montés tels que l’Ensemble national et l’Ensemble de la radio-télévision bulgare, ou des ensembles régionaux, dont la présence était quotidienne sur les ondes radio-télévisées.
En plus d’avoir été pionnier, le plus important d’entre eux est resté le Dărjaven ansambăl za narodni pesni i tanci (ensemble d’État de chants traditionnels et danses), ou Ansambăl Filip Kutev, du nom de son créateur (1903-1985). Il intervenait notamment dans le cadre des cérémonies officielles auxquelles participait le chef de l’État Todor Živkov, localement et à l’étranger. Directement copié sur le modèle soviétique, l’Ensemble Kutev, basé dans la capitale, possédait une valeur emblématique.
Donna A. Buchanan raconte [27] comment Kutev avait travaillé. On sait qu’en tant que musicien et compositeur, il appréciait la tradition rurale et pensait qu’elle pouvait perdurer dans une forme contemporaine. Il avait rêvé d’y parvenir bien avant que cette tâche ne lui soit officiellement confiée par le Conseil des ministres le 7 janvier 1950. Pour lui, c’était le seul moyen d’empêcher la disparition de la musique rurale causée par les changements que connaissait la Bulgarie depuis le début du XXe siècle. Pour créer l’Ensemble national, il rechercha volontairement des musiciens et des chanteuses, des danseurs et des danseuses complètement issus de la tradition orale. D’après D. Buchanan (2006 : 138 et suivantes), près de 500 candidats furent auditionnés par un jury pluridisciplinaire composé de musiciens, de plasticiens, de musicologues, de gens de théâtre, d’ethnomusicologues, de dessinateurs… Kutev pensait que seul un tel jury pouvait juger les candidats, fidèle à l’idée qu’à la campagne les expressions artistiques forment un tout, c’est-à-dire qu’on ne connaît pas la sectorisation des différents arts savants. Pendant un an et demi, il fit travailler un groupe de danseurs et de danseuses avec une vingtaine de chanteuses et de musiciens tous capables d’être solistes. Ces derniers arrivèrent avec leur répertoire, pour certains jusqu’à 200 mélodies ou chants, ce qui forma, une fois « arrangé », le noyau du répertoire de l’ensemble. Maria Kuteva, la femme de Filip était folkloriste. Elle se chargea de sélectionner (voire de re-rédiger) des textes de chants pour la chorale, tandis que des assistants de Kutev, I. Kavaldžiev, Ž. Klindova et K. Kjurkčijski réalisèrent les premiers arrangements des mélodies de l’ensemble (ensuite, comme on l’a dit, interviendront aussi des ethnomusicologues tels que N. Kaufman). Un chef chorégraphe, M. Dikova, régla la mise en scène et la coordination des danses. Les costumes furent dessinés par N. Tucuzova qui avait déjà travaillé avec des compagnies de ballet et pour des opéras. Elle devait respecter le style des costumes traditionnels ruraux et utiliser des scratchs pour faciliter les changements de costumes des danseurs et pour qu’ils soient à l’aise sur scène. Dans sa structure, l’organisation du travail entre le direktor Filip Kutev, ses asistanti et korepetitori était conforme au modèle soviétique des ensembles de musique et danses nationaux [28], qui, on le voit dans l’expression du vocabulaire, avaient fait le choix de termes d’origine occidentale déjà existant dans le monde des Arts du spectacle…
L’ensemble fit sa première le 1er mars 1952. Le musicologue V. Kruštev rapporte que, découvrant un nouveau type de spectacle, tout le monde compris que le futur style de la musique et de la danse bulgares avait été décidé.
Il faut ajouter que ce style a bien sûr été largement repris par des groupes amateurs puisqu’il s’agissait de folklor officiel. On parlait alors de « Collectif de folklore arrangé », par opposition à bitov ansambăl (cf. note 28). Bien que de qualité, leur niveau n’était pas celui des ensembles professionnels. Ces collectifs étaient invités d’une ville à l’autre, donnaient des concerts, se présentaient à des concours municipaux, régionaux voire nationaux. Ils se rapprochent de ce qu’on l’on appelle en Europe occidentale « groupes folkloriques ». Il est difficile à dire vrai de séparer strictement les deux folklores, le « pur » et l’« arrangé », car ces ensembles, aussi bien professionnels qu’amateurs, mélangeaient les genres, même si la part laissée à l’izvoren folklor fut toujours moindre en raison de son « austérité », et sachant que celui-ci avait ses officiants privilégiés avec les ensembles amateurs « coutumiers » (kolektivibitovi).

Qu’en est-il concrètement sur le plan musical ?

Ce nouveau style de la musique bulgare passe par des sélections et des transformations sur le plan instrumental et vocal. Si seules les femmes chantent, fidèlement à ce qu’exige la tradition ancestrale, différents pupitres sont créés comme dans les chorales de la musique classique occidentale (Le Gonidec 2005 : 173-182). Sur le plan instrumental, l’orchestre exclut les instruments pourtant populaires comme l’accordéon et la clarinette, ainsi que les fanfares car ils ont un lien avec l’Occident. Les formations musicales doivent représenter l’idéal recherché pour définir l’identité de la nouvelle culture populaire bulgare, à caractère national. Ainsi certains instruments pourtant ruraux seront éliminés. Soit parce que la Bulgarie les partage avec d’autres pays comme la petite flûte duduk (serbe et roumaine), la vièle monocorde gusla (serbe), soit parce qu’ils font double emploi. La cornemuse des Rhodopes, moins répandue que celle de Thrace, ne sera pas retenue. Seuls, bien évidemment, les ensembles amateurs « coutumiers » des foyers de lecture conservent absolument tous les instruments selon l’usage local qui en était fait et continuent à exécuter le répertoire selon les modalités définies implicitement par la tradition rurale. Ces instruments « abandonnés » pourront, cela dit, être joués dans l’Ensemble Kutev en termes d’accessoires, pour donner une couleur locale, par exemple en interprétant un morceau des Rhodopes, mais aussi dans les ensembles professionnels régionaux. Comme l’écrit avec ironie K. Lutzkanov, « la formation typique de l’ensemble officiel de musique “dite” populaire est donc : la flûte kaval, la cornemuse gaïda aiguë, la vièle gâdulka [sic], le luth tambura... qui est typiquement macédonien mais qui permettra d’ajouter une section de cordes pincées à l’ensemble national, et la percussion tâpan, laissant les tambours calice et sur cadre au répertoire local... de Macédoine (Lutzkanov 2002 : 35) ».

Pour faciliter l’orchestration, les instruments retenus vont être accordés au tempérament égal et les tonalités fixées. La vièle gădulka va être déclinée afin de constituer un groupe de cordes à l’image des violons, altos, violoncelles et contrebasses de l’orchestre symphonique occidental. Le musicologue Ivan Kačulev, spécialiste des instruments populaires, écrit que ce groupe de vièles « correspond traditionnellement au premier et deuxième violon. On a construit des viola-gădulki, des čelo-gădulki et des kontrabas-gădulki, qui ne correspondent pas à la pratique musicale traditionnelle (1959 : 172) ». Le luth tambura n’est pas non plus celui de la musique traditionnelle car sa sonorité était trop délicate. L’instrument est doté de quatre cordes doubles en métal accordées comme la guitare classique, ou une octave au-dessus.

On le voit, l’imitation de l’orchestre occidental est explicite. « Le groupe des cordes frottées dans son développement actuel occupe pleinement la place des violons. La technique des pizzicati, qui n’existe pas dans la tradition, tout comme les staccatos, prend place dans ces nouveaux orchestres populaires. L’utilisation dans les ensembles folkloriques [sic] du jeu à l’unisson perd son sens premier. Dans le nouvel ensemble populaire, mis sur une base harmonique, il [le jeu à l’unisson, soit, la ligne mélodique] devient un moyen d’expression, un matériau de composition. Cela demande d’abandonner le jeu dans l’accord naturel parce qu’il était nécessaire de jouer selon les exigences de l’échelle tempérée (Kačulev 1959 : 174) ». Il s’agit bien « d’utiliser les techniques musicales occidentales d’un orchestre aux possibilités étendues, mais surtout de ne pas introduire d’instruments occidentaux pour garantir, même avec des instruments ré-inventés (les gădulka alto, basse et contrebasse) ou amputés (la cornemuse sans son bourdon), une identité bulgare et populaire » conclu K. Lutzkanov (2002 : 40).

Beaucoup de compositions vont être écrites pour des spectacles folkloriques grandioses avec ou sans danseurs, chœur et orchestre, avatar populaire des opéras-ballets et oratorios de la musique classique occidentale. Lutzkanov poursuit : « Le contexte de ce répertoire institutionnel pour orchestre populaire était assez varié : spectacles sur scène, spectacles pour le jeune public, fêtes nationales, anniversaires des événements politiques et historiques importants, fêtes municipales, festivals folkloriques nationaux ou internationaux, accueil de figures politiques locales ou étrangères, etc., sans oublier la radiodiffusion bien évidemment (2002 : 50) ».

On terminera en donnant deux extraits musicaux de la même mélodie, l’un dans sa version « de source » et l’autre relevant du folklore « otraboten ». Il s’agit de Bre Petrunko, un chant à danser exécuté (figure 2) à deux voix parallèles, dont la mélodie reste très peu développée – elle oscille autour des même notes comme on le voit visuellement sur la transcription de Lozanka Pejčeva.

Figure 2.
Chant Bre Petrunko, version « de source » (izvoren folklor)
Collectage et transcription Lozanka Pejčeva

Cette ethnomusicologue a collecté ce chant en 1983 au village de Djakovo (région de Dupnica), auprès de Bezistena Kitova et Venka Falina (nées respectivement en 1918 et 1926). On voit ensuite (figure 3) le début de la version arrangée par Krasimir Kjurkčijski et Sl. Dimitrov pour un chœur féminin à quatre voix (soprano, alto, ténor, basse). Les paroles du texte orignal sont chantées par la voix la plus grave. Ces deux exemples nous paraissent éloquents ; même ceux qui ne déchiffrent pas la musique verront visuellement la différence : un schéma assez épuré dans le premier cas et une écriture plus complexe dans l’autre [29].

Figure 3.
le même chant Bre Petrunko, version « retravaillée » (otraboten folklor) par Sl. Dimitrov
D’après la version originale transcrite par Kr. Kjurkčijski

Entre passé et présent, tradition et innovation, continuité et rupture

On a vu combien le contexte idéologique a favorisé le développement de ce nouvel art traditionnel démocratique et cette période est assurément, sur le plan musical qui nous occupe, une période faste pendant laquelle un riche répertoire et des pratiques contemporaines variées inspirés de la tradition ont été créés de toutes pièces. Entre passé et présent, tradition et innovation, la Bulgarie des années 1950 à 1989, connaît un développement culturel remarquable auquel contribue directement cette discipline qu’est la folkloristique. On peut dès lors se demander si, depuis l’instauration de celle-ci jusqu’à la période moderne, il y a eu rupture ou continuité ?

Pour y répondre, je m’associerai aux propos tenus par les ethnologues bulgares contemporains qui réfléchissent désormais à ces questions et dont j’ai déjà cité les écrits dans le présent texte. « Les activités de folklore et d’ethnographie, les sciences du peuple et de la culture populaire ont toujours eu en Bulgarie [...] un rôle social d’envergure, tant en raison des circonstances historiques qu’en raison des inévitables idéologisations nationales (Bojadžijeva 2001 : 213) ». Pendant toute une époque, les ethnologues/folkloristes bulgares auront été au service de la construction de l’identité. « Tout commence par la collecte, l’enregistrement, la publication, la vulgarisation du matériel du folklore et de la vie quotidienne, valorisés comme tradition, héritage, savoir, création, poésie, art, etc. [...] L’identité nationale est déjà l’objectif des efforts de la Renaissance bulgare (Bojadžijeva 2001 : 213) », puis on l’a vu, de l’épanouissement académique. Dans les années 1950, qui marquent bien une rupture sur le plan politique en tous cas, les ethnologues/folkloristes bulgares, parce qu’ils sont les professionnels par excellence de la culture populaire, sont directement mis à contribution pour forger « une ethnicité homogène, efficace et instrumentale », selon les termes d’Ivajlo Dičev (Bojadžijeva 2001 : 332). Ces chercheurs ont toujours, pour des raisons différentes selon les époques, travaillé sur les thèmes de l’origine, des racines, de la mythologie, du traditionnel. De là à se servir de ces éléments pour construire un modèle identitaire exprimant la bulgarité, il n’y a qu’un pas que franchit le politique, et les ethnologues en tant que travailleurs au service de l’État. Il y a donc eu continuité si l’on considère l’ethnologie bulgare comme ayant toujours été ethnocentrée, même si les enjeux et les contextes motivant cet ethnocentrisme ont varié. L’histoire en a voulu ainsi jusqu’aux derniers événements politiques… encore eux.

Bibliographie

[N. de A.] Dans le cas d’écrits en français, les noms bulgares sont orthographiés tels qu’ils figurent dans l’ouvrage et non selon la norme préconisée par l’Unesco choisie dans le texte de notre article.

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[1Cet article a été originellement publié sous le titre « Entre passé et présent : l’ethnologie au service du façonnage d’une tradition à des fins idéologiques » in Ravis-Giordani Georges (dir.), Ethnologie(s) : nouveaux contextes, nouveaux objets, nouvelles approches, Paris, CTHS, 2009, p. 119-142.

[2En 1878, le traité de San Stefano offre à la Bulgarie, occupée depuis 1396 par les Ottomans, l’autonomie politique par le biais d’un régime monarchique assez mouvementé. La monarchie prendra fin sous l’impulsion de Georgi Dimitrov, chef du parti communiste, avec la promulgation le 5 décembre 1947 de la nouvelle Constitution Nationale instaurant la République populaire de Bulgarie. Todor Živkov, premier secrétaire du parti dès 1954 dirigera le pays de 1971 à 1989. Živkov, forcé de démissionner le 10 novembre 1989 laisse sa place au leader de l’opposition Želju Želev, élu président de la République de Bulgarie.

[3D’après Léon Beaulieux (1950 : 3), le bulgare est issu du vieux bulgare (IXe siècle), puis évolue vers le moyen bulgare (XII-XVe siècles) dont l’une des caractéristiques est la perte des déclinaisons. Le bulgare littéraire est attesté par les damaskini (XVIe siècle), recueils d’homélies rédigées en langage populaire, puis avec l’ouvrage du moine Paisij Hilandarski sur l’histoire du peuple bulgare (1762) qui sera à l’origine du « réveil national ».

[4Les Grecs avaient obtenu en effet d’administrer et de représenter spirituellement les chrétiens de Turquie d’Europe à l’exception des Arméniens.

[5Plovdiv, l’une des plus grandes villes bulgares à la fin du XIXe siècle, deuxième ville du pays aujourd’hui, n’est autre que l’ancienne Philippopolis, la cité de Philippe de Macédoine père d’Alexandre le Grand.

[6Voir à ce sujet l’article dans Bérose [à paraître]Le Gonidec, Marie-Barbara, 2023. « Un diplomate français dans les Balkans au service de la littérature orale : biographie d’Auguste Dozon (1822-1890) », in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l’anthropologie, Paris.

[7Il fut membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et Consul de France à Janina, en Épire. Il publia son rapport de mission pour le gouvernement français en 1873 et deux ans plus tard, le premier recueil connu en français de chants bulgares, fruit de ses collectes sur le terrain dans le cadre de cette mission (cf. bibliographie).

[8Stojanka Bojadžijeva, « Folklore, ethnographie, ethnologie : recherche et théorie en Bulgarie au XXe siècle », Ethnologie française tome 31 : Bulgarie, voix d’hier, paroles d’aujourd’hui, p. 209.

[9Notez qu’elle est fondée en 1869 à Braila dans l’actuelle Roumanie, la Bulgarie n’étant pas encore libérée. C’est en 1911 que l’Académie prendra le nom qu’on lui connaît aujourd’hui (bălgaska akademija na naukite).

[10Comme cela s’est passé en France, cf. le décret Fortoul (1852). Voir à son sujet l’article d’Yvon Guilcher (1993 : 32-41).

[11Soit,SbNU (prononcer Seu-beu-Neu-Ou). Publié sous l’égide du ministère de l’Instruction publique, le décret d’édition paraît au journal officiel le 1er décembre 1890, alors qu’est déjà sorti le premier volume (1889).

[12Il retrace la vie du héros national Vasil Levski, pendu par les Ottomans avant la Libération.

[13Avec la publication, par exemple, de « Foi et coutumes religieuses populaires », no 28 ; « Météorologie et astronomie populaires », no 30 ; « Le droit pénal coutumier bulgare », no 37, etc.

[141862-1928. Il fut le créateur du Musée d’ethnographie de Sofia et son premier directeur, en 1906. Il publiera de nombreux articles qui font date, et notamment « Chant pour le frère mort dans la poésie des peuples balkaniques » (Pesenta za mărtvijabrat v poesijata na balkanskite narodi, SbNU XIII, 1896 et SbNU XV, 1898), dans lequel il introduit la méthode comparative.

[15C’est-à-dire« auteurs d’ouvrages de physiologie ». Cf. le dictionnaire Le Robert, à « Physiologie : hist. litt., ouvrage décrivant une réalité humaine d’une manière objective (à la mode au début du XIXe siècle) ».

[16Il s’agit du SbNU XXVII, 1913, p. 4-75.

[17Rythme et mesure dans la musique populaire bulgare (1931).

[18C’est seulement après 1989 que cet enseignement sera rebaptisé « ethnologique » avec, au sein de l’Université, le Centre d’ethnologie, l’Institut d’ethnologie et la chaire d’ethnologie.

[19Qui enseigne le folklore dès les années 1930 ; il sera pourtant condamné à la prison par le Tribunal populaire d’après1944 pour avoir été ministre dans le gouvernement d’avant-guerre.

[20Otčerki po bălgarskija folklor [Écrits sur le folklore bulgare], Sofia, 1934, cité par Stojanka Bojadžijeva (2001 : 213).

[21Seules les comparaisons avec le reste des Balkans ou avec les autres cultures slaves sont « autorisées ».

[22Je dis « aussi » car cette pratique est devenue un loisir depuis les dernières décennies. En effet, une fois arrivé en France, le mouvement revival des années 1970, le « folklorique » ne va plus seulement s’exprimer à travers le spectacle mais constituer aussi le support d’une nouvelle forme de pratique communautaire. Pensons aux bals folks qui sont bien des moments de vie partagée, des occasions de danser. On va au bal folk (au fest-noz en Bretagne) comme on va « en boîte ».

[23Lieux privilégiés de la vie sociale et culturelle, les foyers étaient largement répartis sur le territoire puisque dans les années 1950, 4 534 sont construits à raison d’un, voire plusieurs, dans chaque ville et pratiquement dans chaque village, souvent au sein même de l’usine ou de la coopérative agricole. Outre une bibliothèque, on y trouvait des salles destinées « à l’épanouissement des groupes artistiques d’amateurs [...]. Les foyers de lecture populaire apportent une contribution énorme à l’édification de la nouvelle culture nationale bulgare » (Balabanov 1959 : 209). Balabanov indique qu’il « existait déjà 13 000 groupes d’amateurs rassemblant 300 000 adhérents [...], 3 000 chorales, 6 250 ensembles dramatiques, 2 540 ensembles de danse, 520 orchestres, 61 opérettes et 4 opéras, uniquement formés d’amateurs, fonctionnant dans les villes et les villages, les entreprises et les bureaux, les coopératives agricoles et les chantiers, les écoles et les formations militaires » (1959 : 211).

[24Précisons qu’il s’agit aussi, mais alors plutôt en contexte urbain, pour les groupes de travailleurs des usines ou des administrations d’exécuter les chansons patriotiques et politiques écrites par les compositeurs, relatant la collectivisation de l’agriculture, la gloire du travail des ouvriers dans la sidérurgie, celle des dirigeants, l’amitié bulgaro-soviétique, la place des femmes dans la nouvelle société égalitaire, la construction de réservoirs, les grands travaux… Comme dans les chansons urbaines cette musique recourt au style strophique, aux rimes, à l’alternance couplet-refrain, à l’élargissement de l’ambitus, aux mesures strictement binaires, à l’harmonisation, etc. (cf. Donna A. Buchanan qui décrit cet aspect, 2006, chapitre V).

[25D’où leur autre appellation bitov ansambăl, ensemble, litt. « coutumier », au sens de traditionnel, qui respecte la coutume.

[26Du type, par exemple de ceux qui, découverts par Marcel Cellier dans les années 1970, ont généré en Occident, à la suite d’opérations de marketing, l’appellation « Le mystère des voix bulgares ».

[27Chapitre VI de son ouvrage (2006).

[28Tels que le ballet Moïsseïev et le chœur Piatnitsky (J. Cuisenier, 1998, p. 126).

[29Je remercie Sylvain Boughida de m’avoir mise en contact avec Lozanka Pejčeva, à laquelle j’adresse mes vifs remerciements pour sa contribution.