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Encyclopédie internationale
des histoires de l’anthropologie

Ernesto De Martino, ses traducteurs et ses passeurs en France

Giordana Charuty

EPHE, Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain (IIAC)

2022
Pour citer cet article

Charuty, Giordana, 2022. « Ernesto De Martino, ses traducteurs et ses passeurs en France », in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l'anthropologie, Paris.

URL Bérose : article2703.html

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Publié dans le cadre du thème de recherche « Histoire de l’anthropologie italienne », dirigé par Giordana Charuty (EPHE, IIAC).

Résumé : L’œuvre de l’anthropologue italien Ernesto De Martino fait l’objet, depuis le milieu des années 1960, de traductions françaises qui s’affirment comme un geste de réorientation disciplinaire dont la réussite demeure problématique. Les enjeux des éditions des années 1960 ne sont pas ceux des opérations de traduction linguistique et de translation conceptuelle des années 1980-1990, que prolongent les nouvelles éditions et traductions des années 2020. Cet article met en perspective les échanges entre les fonctions d’auteur, d’éditeur et de traducteur selon qu’il s’agit d’édifier une spécialisation régionale – l’ethnologie européaniste – ou de concevoir une anthropologie de la modernité occidentale, à partir de ma propre expérience d’anthropologue, d’éditrice scientifique et de traductrice.

L’exigence de transferts linguistiques est très variable selon les paradigmes dominants et la hiérarchie des langues dans lesquels se pense l’anthropologie depuis le milieu du XIXe siècle. Soit le cas de ce conglomérat de disciplines que l’on rassemble en Italie sous le nom d’ « anthropologie » à partir des années 1860, et qui se défait à travers des recompositions et des autonomisations successives. Dans le dernier tiers du XIXe siècle, la spécificité de l’apport italien à la science de l’homme se fait reconnaître à l’échelle internationale à travers une discipline particulière, l’anthropologie criminelle, dont la légitimité, tout comme les mises en débat se construisent très largement à travers des politiques de traduction [1]. Mais, plus que les traducteurs, ce sont les éditeurs et les auteurs des préfaces qui exercent une double fonction de distinction et de médiation. Ainsi, entre 1887 et 1910, Cesare Lombroso a soin de faire traduire tous ses livres, dès leur parution, par le grand éditeur Félix Alcan, le premier à incarner le modèle moderne de l’universitaire reconverti dans l’édition savante, pour soutenir l’esprit positiviste (Tesnière 1990). Il adopte le principe qui va s’imposer dans les sciences humaines : recourir à des traducteurs ayant une compétence dans le domaine scientifique concerné, en l’occurrence des médecins qui, pour certains, ont des spécialités voisines [2]. Les préfaces sont confiées à des savants qui sont aussi des auteurs : Charles Richet, Gustave Le Bon, Charles Letourneau. En revanche, ce que l’on appelle alors l’étude des traditions populaires élabore ses méthodes de collecte, ses techniques descriptives, ses catégories analytiques dans l’espace de revues spécialisées – qui, en Italie comme ailleurs, construisent leur champ d’étude dans une confrontation européenne –, sans passer par le transport linguistique des œuvres [3]. Entre ces deux positions extrêmes, les aléas de la réception française du projet comparatif de l’histoire des religions révèlent les limites des pouvoirs de la traduction pour franchir, dans les années 1930, les frontières entre écoles et cultures scientifiques. Raffaele Pettazzoni (1883-1959), en relation avec les principales figures de la discipline à l’échelle internationale, fournit des contributions décisives sur les problèmes du comparatisme et du syncrétisme entre systèmes religieux, en même temps qu’il occupe des fonctions essentielles d’administration et d’animation scientifiques (présidence de l’Association internationale d’histoire des religions à partir de 1950 et création de deux revues, nationale et internationale [4]). Or, si ses trois volumes de La Confession des péchés (1931-1936) bénéficient des compétences d’un italianiste familier du lexique de l’histoire des religions, René Monnot, et sont recensés de manière élogieuse par des savants aussi influents que Franz Cumont ou Charles-Henri Puech (Pettazzoni 1931-1936) cette entreprise, pourtant proche de la vaste enquête que Robert Hertz (2014) ne put mener à bien, mais dont Marcel Mauss a publié à titre posthume l’introduction, a été ignorée par l’école sociologique française.

Qu’en est-il, alors, au regard de l’anthropologie contemporaine, des diverses tentatives de transfert culturel d’une voie italienne d’analyse du religieux, à travers les traductions françaises de l’œuvre de son fondateur Ernesto De Martino ? Ces traductions ont lieu, depuis le milieu des années 1960, à des rythmes très inégaux et dans des configurations relativement contrastées du champ des sciences humaines, mais une même intention les soutient. Introduire dans l’espace intellectuel français tout ou partie de cette œuvre – et d’auteurs qui lui sont étroitement associés – se pense comme un geste, plus ou moins polémique, de reconfiguration d’une discipline ou d’une cartographie de savoirs, qui s’appuie sur tous les sens que peut prendre la notion de traduction et dont la réussite demeure toujours problématique. Les enjeux des éditions françaises des années 1960 ne sont pas ceux des opérations de traductions – linguistique et extralinguistique – des années 1980-1990, dont diffèrent encore celles des années 2020, et ce changement s’opère, en premier lieu, à travers l’identité des traducteurs. La traductrice professionnelle des premières éditions a fait place, depuis les années 1980, à des traductions de chercheurs qui ont fait du dialogue critique avec l’œuvre démartinienne une source d’inspiration pour repenser un domaine régional et ses métamorphoses. C’est à partir de mon expérience personnelle d’anthropologue, d’éditrice scientifique et de traductrice que je voudrais en poursuivre l’explicitation.

Des initiatives éditoriales qui s’ignorent

Au début des années 1960, l’école romaine d’histoire des religions refait son entrée dans l’édition française, en sortant des collections et des revues universitaires, à travers deux auteurs qui s’emploient à renouveler la portée heuristique de l’exercice comparatif. L’un, Vittorio Lanternari (1918-2010), est assistant d’histoire des religions et d’ethnologie à l’université de Bari. L’autre, Ernesto De Martino (1908-1965), de dix ans plus âgé, est titulaire de la chaire d’histoire des religions à l’université de Cagliari. Le premier rassemble dans un questionnement unificateur tous les mouvements prophétiques du tiers-monde pour reconnaître leur valeur de ressource politique, en situation coloniale. Le second ensauvage le catholicisme méridional en lui reconnaissant des affinités avec des usages des mondes antiques et de lointaines pratiques afro-méditerranéennes, voire afro-américaines. Mais rien ne permet au public français d’apercevoir la parenté intellectuelle entre ces deux gestes.

Chez l’éditeur politique Maspero, qui entretient des liens étroits avec son homologue italien Feltrinelli, paraît, en 1962, Les mouvements religieux de liberté et de salut des peuples opprimés de Vittorio Lanternari, dans la collection « Textes à l’appui » destinée à fournir aux militants intellectuels de gauche l’apport analytique et conceptuel des sciences sociales. L’éditeur a confié la traduction à un jeune historien, Robert Paris, qui deviendra, quinze ans plus tard chez Gallimard, le traducteur et éditeur des écrits politiques de Gramsci (Fabre et Massenzio 2013). Chez Gallimard, qui n’est pas encore le grand éditeur des sciences humaines qu’il va bientôt devenir, Italie du Sud et magie (1963) puis La Terre du remords (1966), deux livres où se croisent plusieurs champs de savoirs, sont confiés à une même traductrice littéraire, Claude Poncet. Ils accompagnent la disparition d’une collection d’ethnologie – « L’Espèce humaine » [5] – qui avait, initialement, participé à l’autonomisation de cette discipline au milieu des années 1930 mais a échoué, dans l’après-guerre, à lui assurer un large lectorat, au profit d’une entreprise pluridisciplinaire, la « Bibliothèque des sciences humaines », créée par Pierre Nora en 1966 avec le succès que l’on sait.

À raison d’un ou deux volumes par an, « L’Espèce humaine » faisait une large place aux traductions de l’anglais, de l’allemand et même du finnois pour rendre accessibles des études d’américanistes, d’océanistes ou de spécialistes des mondes sibériens. Mais, d’un livre à l’autre, le rôle assumé par les traducteurs était fort variable comme le montrent les deux livres édités la même année 1963 : l’enquête de De Martino sur la magie méridionale de la péninsule et la traduction des Argonautes du Pacifique occidental de Malinowski. Ce dernier étant le fondateur de l’anthropologie sociale britannique, outre la préface historique de James Frazer, le traducteur André Devyver se charge d’une importante présentation qui offre au lecteur un beau portrait de l’auteur et de son légendaire, qui dégage les lignes de force du livre et le situe avec érudition dans le contexte général de l’ethnographie des années 1920. Rien d’analogue dans le cas de De Martino soumis à ce régime que Cesare Pavese souhaitait pour la fameuse « collection violette » qu’ils dirigeaient ensemble : être livré « nu et cru » à ses lecteurs. Aucune clé ne leur est fournie pour situer cette conception non durkheimienne du religieux qui contraste avec la monographie que Louis Dumont (1951) a consacrée, dix ans auparavant, à d’étranges festivités provençales – La Tarasque – tout en relevant d’un geste analogue de compréhension de faits perçus comme des « anomalies » culturelles au sein de nos propres sociétés. Lorsque paraît La Terre du remords dans la « Bibliothèque de sciences humaines », le public cultivé découvre l’excentricité, en Europe et pas seulement hors de l’Occident, de ces Indias de por acà où l’on conserve la mémoire des cultes orgiastiques de la Grande Grèce [6], sans pour autant disposer de repères pour en comprendre la méthode comparative et l’originalité conceptuelle.

Daniel Fabre a éclairé le caractère exceptionnel, mais éphémère, de cette réception « dans le panthéon de la modernité intellectuelle » à la lumière des affinités entre l’ethnologie démartinienne et une orientation existentialiste (dans le sens sartrien du terme) de l’anthropologie française, celle de Michel Leiris et Alfred Métraux, qui valorisait alors l’étude des hybridations culturelles [7]. On peut aussi noter que l’accueil d’Italie du Sud dans « L’Espèce humaine » consacrait son rattachement à un style d’ethnologie ouverte à une écriture plus littéraire (Debaene 2017 : 850-855). En passant déjà prête à être éditée des mains de Michel Leiris à celles de Pierre Nora, La Terre du remords entre, quant à elle, dans le nouvel espace intellectuel auquel on aspire dans les années 1970, celui d’une « recherche sans frontière » qui a assuré le succès des sciences humaines auprès d’un plus large public. Comment, dès lors, motiver l’oubli relativement rapide de De Martino ? Aux raisons déjà avancées – l’effacement de cette orientation existentialiste, la difficile transformation du folklore en ethnologie française et le silence des historiens qui ne s’intéressent pas encore aux cultures populaires – on peut ajouter le fait que, mort prématurément, De Martino n’eut pas le loisir, comme Vittorio Lanternari, d’entrer en relation durable avec les promoteurs d’une hybridation disciplinaire – Georges Balandier et Roger Bastide – qui récusaient l’opposition sociologie/ethnologie héritée de l’histoire coloniale et accordaient, l’un et l’autre, un intérêt particulier à la prise en compte des savoirs du psychisme (Mary 2013).

Mais l’on doit, tout autant, souligner la singularité de la langue conceptuelle de De Martino qui vient redoubler les problèmes de traduction inhérents à toute ethnographie. On peut apercevoir l’entrecroisement de ces deux ordres de difficultés dès les premières pages d’Italie du Sud et magie. Le premier chapitre est entièrement consacré à la construction de la catégorie analytique de « fascination », à partir des conceptions locales de l’agression magique que décline un riche lexique d’italien dialectal – fascinatura, affascino, attaccatura – et que De Martino commente à l’aide d’un autre lexique vernaculaire plus familier, celui qui prévaut dans la langue commune de toute la péninsule : fattura, malocchio, invidia. En ce sens, comme on l’a souvent noté, l’ethnographe est bien un traducteur (Hanks et Severi 2014). La traduction française s’efforce de respecter les inflexions dialectales mais ne permet pas d’entendre ce jeu entre niveaux de langue dans l’idiome italien – que reconduit l’écriture ethnographique –, ni la familiarité d’une pensée de l’agression magique en milieu urbain comme en milieu rural italiens, lorsque par exemple, elle traduit affascinatura par « mauvais sort » et fattura par « sorcellerie ». L’équivocité propre aux termes italiens disparaît : en même temps que affascinatura, l’italien entend affascinante qui renvoie au registre de la séduction par le regard ou la parole, tandis que fattura n’est nullement associée à l’imaginaire diabolique qui entre dans l’équivocité de « sorcellerie », mais renvoie au faire, et donc à une action concrète qui passe par des gestes, des objets ou des matières, mais que déborde l’équivocité du terme français « facture ».

Italie du Sud et magie fait une large place à la poésie des textes d’incantation – les historiola – et l’auteur, qui a personnellement éprouvé la beauté bouleversante des chants de la Rabata [8], s’emploie par l’écriture à faire partager au lecteur cette dimension poétique qui a accompagné l’aventure ethnographique. En traductrice littéraire, Claude Poncet fait entendre la polyphonie du texte italien où le rythme saccadé des formules d’incantation alterne avec cet art de la narration parlée qui magnifie les événements les plus infimes et que De Martino restitue en réécrivant partiellement les récits de ses interlocuteurs, hommes et femmes. Mais l’explicitation psychologique de l’état de fascination en termes d’état psychique d’inhibition, de sentiment d’être dominé par, d’être agi par, se heurte à une succession d’incompréhensions dans la mesure où n’est pas reconnu le champ psychopathologique auquel ce vocabulaire est emprunté.

Soit encore, les « commentaires historiques » qui constituent la troisième partie de La Terre du remords. L’auteur commence par exposer la méthode adoptée à l’aide de formules – « réduction au type », « réduction aux antécédents », « parallèles ethnologiques » – qui relèvent d’une réflexion épistémologique sur le comparatisme enracinée dans les débats internes à l’école romaine d’histoire des religions. En l’absence de toute contextualisation, comment un lecteur étranger à cette tradition peut-il entendre ces « commentaires historiques » ?

Comme j’en prendrai progressivement conscience, la langue démartinienne et son style de conceptualisation sont le résultat de croisements entre divers idiomes qui demandent à être explicités avant de pouvoir passer dans une autre langue et dans un autre espace intellectuel. La compétence exclusivement littéraire de la première traductrice n’est pas seule en cause dans la durable étrangeté d’une œuvre qui, en dépit d’un premier accueil enthousiaste, ne s’insérait pas aisément dans la bibliothèque qu’entendait construire Pierre Nora.

Traduire pour refonder un domaine régional

La relecture de ce que, malgré sa dimension comparative, l’on désigne habituellement comme la part méridionaliste de l’œuvre démartinienne advient, en France, dans les années 1980-1990 à travers diverses opérations de traduction et de translation conceptuelle. C’est d’abord l’ethnomusicologue Gilbert Rouget qui transporte l’analyse du tarentisme dans une anthropologie des relations entre musique et possession. La Musique et la Transe, publiée en 1980 dans cette même « Bibliothèque de sciences humaines » avec une préface de Michel Leiris, fait des rites exorcistes doublement associés à saint Paul et à une entité maléfique – la taranta – un culte de possession (ce que ne faisait pas l’auteur) pour penser la manière dont la musique socialise la transe à travers le sens culturel qu’elle transmet. La référence au De Martino – analyste des « formations de compromis » – s’impose aussi aux historiens qui, tels Serge Gruzinski et Jean-Michel Sallmann, entendent intégrer les questionnements de l’ethnologie à l’histoire des dynamiques et des circulations culturelles entre les élites et le peuple, ou à la transplantation de pratiques et de modèles culturels européens dans le Nouveau Monde (Gruzinski 1988 ; Sallmann 1994).

Mais c’est au Centre d’anthropologie des sociétés rurales de l’université de Toulouse (EHESS-CNRS-Toulouse-Le Mirail), dont j’étais membre, qu’une constellation d’œuvres entre lesquelles nous percevons des affinités va permettre de fonder un domaine régional – l’ethnologie européaniste – contre l’arbitraire d’un découpage national de nos objets. Il s’agissait de restituer les dynamiques culturelles au sein de sociétés localisées, et donc l’historicité et la conflictualité des régimes de symbolisation qui leur donnent forme. L’ethnologie démartinienne est, alors, insérée dans un ensemble d’œuvres plus récentes, qui croisent l’histoire et l’ethnographie, le terrain et les archives, pour penser les circulations culturelles, plutôt que des cultures ou des religions « populaires ».

Daniel Fabre a évoqué, il y a quelques années, les commencements de ces affinités électives. S’il avait lu La Terre du remords dès sa parution en France, d’autres découvertes, dix ans plus tard, en ont pris la relève :

À partir de 1976, et pendant quelques années, l’habitude de séjourner à Florence au début du mois de septembre s’est installée. Elle s’accompagnait d’une initiation directe à la culture italienne contemporaine. Je me souviens d’avoir, par exemple, en 1979, vu le film de Rosi, Cristo si è fermato a Eboli, dans une salle de cinéma de quartier, Oltrarno, où il fallait marcher sur un tapis craquant de cosses de cacahuètes et deviner l’image au milieu de la fumée très dense des cigarettes ! C’est en 1976 que j’ai découvert un livre dont les militants d’extrême gauche ainsi que les journaux parlaient : Il formaggio e i vermi, de Carlo Ginzburg. Je l’ai déchiffré et je me suis aussi lancé dans la lecture des Benandanti, son livre antérieur, qui m’a enthousiasmé. J’en ai parlé à une collègue d’origine italienne, Giordana Charuty, qui a décidé de le traduire pour un très jeune éditeur implanté dans la région, Verdier. En 1979, nous avons fait à Florence, Piazza Santo Spirito, sur une terrasse pleine d’arbustes et de fleurs, un bel entretien avec Carlo Ginzburg, qui a été publié avec la traduction (Les Batailles nocturnes), l’année suivante. Ginzburg n’avait jamais été traduit en français et nous avons été les premiers à le faire connaître, ce que les historiens d’aujourd’hui oublient allègrement. De fait, la rencontre avait déjà eu lieu en 1977 au cours d’un grand colloque sur le charivari organisé à Paris par Jacques Le Goff et Jean-Claude Schmitt. Ginzburg était là et aussi Clara Gallini, qui m’a beaucoup étonné quand elle m’a dit qu’elle avait lu ma très aride thèse ! Ce fut le début de riches échanges. Giordana a, peu après, visité Clara en Sardaigne. Elle en a rapporté La fine del mondo de De Martino, que j’ai feuilleté à ce moment-là, sans le lire réellement. Je commençais à élargir de façon très méthodique ma connaissance de l’anthropologie italienne. Je ramenais des cartons de livres de Florence chaque année. J’en commandais aussi beaucoup grâce à une très précieuse librairie par correspondance, également florentine, le Centro Di. (Catalini 2012 : 186)

De fait, comme j’ai pu en faire l’expérience, traduire des œuvres italiennes d’anthropologie historique ou contemporaine participe, alors, pleinement de la formation des ethnologues grâce aux liens instaurés avec cette toute jeune maison d’édition, Verdier, créée dans les Corbières, par Gérard Bobillier et Benny Lévy, d’anciens militants de la Gauche prolétarienne. En 1980, la superbe étude que Carlo Ginzburg a consacrée aux procès d’inquisition à l’encontre des benandanti frioulans, dont les historiens ignorent encore largement la portée anthropologique, paraît sous le titre Les Batailles nocturnes, suivie d’un entretien où nous proposons une comparaison à partir des travaux d’africanistes sur la reviviscence contemporaine de la sorcellerie. En 1988, le même éditeur publie La Danse de l’argia, ethnographie d’une variante sarde du tarentisme apulien [9], qui paraît en même temps en italien, chez l’éditeur Liguori, sous le titre La ballerina variopinta. Il s’agissait de la version remaniée d’une étude publiée en 1967 par Clara Gallini, l’assistante de De Martino à l’université de Cagliari : I rituali dell’àrgia (Gallini 1967 ; 1988a, 1988b [10]). Pour la nouvelle édition, française et italienne, l’auteure a actualisé son analyse en fonction des débats autour de l’ethnopsychiatrie, de l’anthropologie de la maladie – au sens que lui donne Marc Augé (Augé et Herzlich 1984) – et de nos discussions autour de l’anthropologie du symbolique qui se construisait au sein du centre toulousain. Un peu plus tard, en complément d’un dossier d’Études rurales sur « Le Retour des morts » (1989), pour la revue Hésiode (GARAE, Carcassonne), je traduisis un chapitre de Morte e pianto rituale : dal lamento funebre antico al pianto di Maria (1958) où De Martino inscrit l’usage de la lamentation funèbre dans les diverses séquences du rite funéraire, à partir d’une ethnographie roumaine réalisée par les ethnologues de Bucarest. Ce texte prenait place dans un dossier sur « La Mort difficile » (1994).

En assurant ces traductions, je n’étais pas confrontée à la tâche la plus habituelle des traducteurs – devoir transporter un idiome étranger dans sa langue maternelle – mais à celle d’avoir à penser entre deux langues dont chacune était, alternativement, pour moi « maternelle » et « étrangère ». D’autre part, il ne s’agissait pas seulement de rendre disponible la matière ethnographique d’une autre culture, comme ce fut, par exemple, le cas des traductions du catalan effectuées par d’autres chercheurs du centre [11]. Traduire s’accompagnait d’opérations de déplacement, de translation des conceptualisations démartiniennes, tout à fait explicites, participant d’un plus vaste programme d’analyse critique des tendances dominantes dans les recherches portant sur la Méditerranée européenne depuis 1945.

Le séminaire que Daniel Fabre consacre, en 1985-1986, aux « Anthropologies méditerranéennes », oppose aux tendances anglo-saxonnes des traditions nationales, en Espagne et en Italie où les textes de Gramsci sur la culture et la redécouverte du Sud à travers des témoignages littéraires ont joué un rôle décisif pour dissocier la « démologie » de ses compromissions avec le régime fasciste. Reprenant dans ce cadre l’évolution de l’œuvre de De Martino, il se saisit de ce qui, dans son langage conceptuel, est le symptôme même d’une différence de généalogie intellectuelle pour en proposer une équivalence au sein de l’anthropologie structurale française. En italien, l’expression « symbolisme mythico-rituel » relève du vocabulaire de l’histoire des religions et porte avec elle l’empreinte d’un encombrant héritage, celui de Mircea Eliade, dont De Martino ne cesse, par ailleurs, de se différencier. En France, depuis les années 1910, au contraire, le souci de lier la mythologie – cet effort qu’un groupe fait « pour arriver à se représenter à lui-même, ce qu’il est, ce qu’il fait » écrit Mauss – à l’organisation sociale conduit à penser le symbolisme en termes de « système de classification mythologique et rituelle », une reformulation essentielle qui, précisément, contient en germe toute l’analyse structurale (Mauss 1968 : 76) [12]. Aussi, l’analyse du « symbolisme mythico-rituel » de la tarentule est-elle relue comme une mise en œuvre du « symbolique », au sens que Lévi-Strauss commentant Marcel Mauss donne à l’adjectif substantivé. Du même pas, l’ethnologue italien est crédité d’une conception de l’ « efficacité symbolique » équivalente ou concurrente de celle lévi-straussienne. S’agissant, alors, des rituels sardes de l’àrgia, les fonctions respectives du traducteur et de l’auteur se trouvent inversées : c’est cette analyse structurale élaborée dans le séminaire toulousain, précédemment cité, que Clara Gallini se réapproprie à travers nos échanges et mes propositions de révision-traduction. Elle me permettra, à mon tour, une autre lecture des cures rituelles de la coutume chrétienne à partir des zones d’ombre de l’analyse du tarentisme (Charuty 1997). Rétrospectivement, eu égard aux changements d’accentuation qui marquent l’ethnographie contemporaine, je soulignerais plutôt, s’agissant de l’apport de De Martino à l’analyse des cures, son extrême attention à la dimension pragmatique du faire rituel : un terme qui n’avait pas encore envahi les discours de la méthode en sciences sociales.

Ainsi, l’ethnologie démartinienne qui avait été lue, dans les années 1960, en clé existentialiste est désormais lue en clé structuraliste, pour rejoindre les modes d’analyse des manières de signifier auxquels Yvonne Verdier, mais aussi Jean Jamin, venaient d’ouvrir la voie [13]. Cette relecture s’accompagne d’une exigence de description que nous ne trouvions plus guère dans l’anthropologie italienne de ces années 1980 où l’association d’un double vocabulaire existentialiste et gramscien – la « présence », ses crises, l’hégémonique, le subalterne – perdait, trop souvent, sa capacité à défamiliariser les formes les plus ordinaires ou les plus cérémonialisées de la vie sociale (Dei et Fanelli 2015). Le « retour à De Martino » participe, alors, de nouvelles manières de construire nos objets à partir d’une multiplicité d’espaces d’enquête et d’une exigence herméneutique à distance de la surinterprétation comme de l’excès de théorisation, pour penser le religieux avec d’autres instruments que ceux d’inspiration durkheimienne qui marque l’anthropologie méditerranéiste anglo-saxonne.

Dix ans plus tard, l’attention portée à l’ethnographie marque toujours le dossier consacré à De Martino que publie la revue Gradhiva avec la traduction de Note di viaggio, «  Notes de voyage  », un journal de terrain fictif où l’auteur se pose les mêmes questions que Michel Leiris sur l’engagement subjectif des acteurs dans toutes les formes théâtralisées de la vie cérémonielle, en particulier dans les rites de deuil et de lamentation funèbre. L’association de trois anthropologues – Daniel Fabre, Carlo Severi et moi-même – pour traduire un texte pourtant bref fait se rejoindre des spécialisations régionales distinctes qui ouvrent de nouvelles interrogations. Aux liens entre travail politique et pratique ethnographique s’ajoute une première tentative pour penser les continuités et les ruptures dans l’analyse inachevée des imaginaires de la fin du monde, et spécifier ce que les sociétés occidentales doivent au christianisme (Charuty et Severi 1999).

Dès lors, avec l’exigence de retour réflexif sur notre histoire disciplinaire, se multiplient, entre Paris et Rome, les initiatives qui font de De Martino un auteur bon à penser. Quelques grandes revues et collections françaises d’anthropologie – L’Homme, Gradhiva, les Cahiers de L’Homme – présentent la renaissance de l’anthropologie italienne dans la bataille culturelle des années 1950, le penseur du christianisme à partir d’une théorie originale du religieux ainsi que l’atelier du savant, à travers une entreprise, pionnière pour le domaine européen, de constitution d’archives scientifiques. Suivra en 2009, à partir d’une approche biographique, un essai d’ethnographie des pratiques savantes, pour une histoire moins normative de l’anthropologie en Europe (Charuty 2009). Pour renforcer ce nouvel intérêt, je rêvais alors de publier dans la collection « Quarto » de Gallimard, une large sélection de textes à traduire ou retraduire, qui rétablirait toutes les facettes de cette voie italienne parcourue par De Martino…

Or, dans le même temps, une autre opération de « traduction », soutenue par un historien des religions spécialiste des courants ésotériques européens, entendait inscrire la genèse de toute l’œuvre du savant italien dans les seuls débats philosophiques et médicaux des XVIIIe et XIXe siècles, autour de la question du somnambulisme et du magnétisme. Promouvoir cette lecture ô combien réductrice avait une fonction précise : exclure l’ethnologie de l’Europe du champ des sciences religieuses au sein d’une vénérable institution, l’École pratique des hautes études, qui ne l’avait admise que très récemment. Elle eut pour principal effet de sortir De Martino du catalogue des éditions Gallimard qui, il est vrai, ne l’avaient pas réédité, au profit d’une réédition mutilée de toute la part visuelle des enquêtes et sans la révision de la traduction qui s’imposait [14].

Ce parti pris est paradoxal pour deux raisons au moins. Il ignore l’immense formation ethnologique que De Martino s’est donnée en autodidacte, dans les années 1940, et dont témoignent les nombreux cahiers de notes de lecture soigneusement conservés dans ses archives. Il ignore aussi le fait que l’anthropologue contemporaine qui en est l’héritière la plus directe, Clara Gallini, a produit une remarquable étude sur les transformations urbaines de la magie en « merveilleux », à travers l’irruption du magnétisme et du somnambulisme sur de multiples scènes culturelles dans toute la péninsule. Et malgré nos efforts, le projet de traduire La sonnambula meravigliosa que Gallini publie en 1983, et qui a trouvé un grand écho auprès des ethnologues et des historiens, ne trouvera en France aucun éditeur. Lui est préférée La Danse de l’argia qui remet au centre de l’attention le débat ouvert par Gilbert Rouget autour de l’analyse du tarentisme, au détriment des nouveaux objets que De Martino assignait, au début des années 1960, à l’anthropologie des sociétés modernes et aux conceptualisations sur les dynamiques culturelles, qu’il ne cessait de retravailler.

L’auteur comme traducteur

La décision de traduire La Fin du monde (2016) prolonge l’enquête biographique que j’ai conduite sur la période antérieure à l’ethnologie méridionaliste, dans la perspective d’une ethnographie des pratiques savantes. Mettre à la disposition d’un public francophone l’atelier de travail de De Martino avait pour objectif de remédier à une réception sélective qui, en France comme ailleurs, tend à assimiler son œuvre à une archéologie de sociétés disparues. Pensé dans les années 1960 en dialogue critique avec l’analyse des prophétismes proposée par Vittorio Lanternari, l’ouvrage de De Martino, La Fin du monde, a rencontré l’actualité culturelle et scientifique du thème apocalyptique et le retour d’une question ancienne, l’articulation entre anthropologie et philosophie, où se trouvent convoqués les mêmes philosophes, phénoménologues et psychiatres que méditait De Martino. Elle relève d’un même souci de faire de l’anthropologie un savoir qui ne soit pas lié à un type de société et qui maintienne la notion de culture, saisie dans sa double dimension d’historicité et de système.

L’édition française, qui s’appuie sur une longue fréquentation de l’œuvre, a nécessité trois années de travail partagé avec Daniel Fabre, Marcello Massenzio et un groupe de cinq traducteurs et traductrices – les uns chercheurs, les autres professionnels – constitué en fonction de leur compétence dans l’un des domaines convoqués par cette recherche – médecine, littérature, histoire, anthropologie, philosophie. Cependant, la formule mise en place pour établir et traduire le texte a nécessité de constants ajustements, déplacements ou dédoublements entre les fonctions d’auteur, d’éditeur et de traducteur. La notion de « fonction », que j’emprunte à Michel Foucault interrogeant ce qu’est un auteur, me paraît pertinente pour décrire des manières de faire qui se sont progressivement imposées, en prenant à rebours les distinctions les plus communément admises (Foucault 1994). À l’origine, une simple réduction du volume de fragments était prévue mais la nécessité de recomposer la structure d’ensemble de l’édition posthume, publiée par Clara Gallini en 1977, s’est, progressivement, imposée. Dans l’établissement du texte – choix des fragments, réintégration de dossiers inédits ou publiés plus tardivement, restructuration des chapitres à partir des dossiers d’archive – s’entrecroisent « trois » De Martino, en ce sens que chacun des éditeurs scientifiques était plus familier de l’un ou l’autre moment de son œuvre, selon ses intérêts propres et sa pratique – ou son absence de pratique – ethnographique. S’agissant de la traduction en français, j’ai moi-même établi la version définitive à partir des travaux de ceux et celles que nous avions initialement sollicités comme traducteurs. Comme pour de grandes œuvres philosophiques, l’édition française est, donc, une traduction de traductions : en revenant à une compréhension de l’intérieur du raisonnement démartinien, à partir de mon expérience d’anthropologue, il s’agissait de passer d’une version fidèle dont était vérifiée l’exactitude, à la lisibilité d’une langue adressée à la communauté savante contemporaine [15].

Rétrospectivement, cette diffraction et ce dédoublement des diverses fonctions n’ont pas constitué l’équivalent de la normalisation d’un travail d’équipe, procédure fréquente pour les œuvres qui s’appuient sur l’invention d’une langue conceptuelle, ni de cet exercice de correction que l’on qualifie de « révision ». Elles ont conduit, au contraire, à rétablir, voire à renforcer l’inévitable lien d’identification imaginaire entre l’auteur construit par l’interprétation de l’œuvre et ses traducteurs-éditeurs. Mais loin d’être un obstacle à réduire au nom d’une exigence de scientificité, ces glissements de place se sont avérés, comme dans toute expérience de terrain ethnographique, porteurs d’un gain de compréhension. Pour ma part, ils ont révélé des manières propres de penser en écrivant qui avaient, jusqu’ici, échappées à la plupart des commentateurs.

De fait, nous avions un « texte » composé de diverses strates d’écriture et de divers états de langue ayant chacun une histoire propre : des prises de notes sur des textes médicaux, littéraires, philosophiques italiens, allemands, français que De Martino cite en les traduisant lui-même, avant d’élaborer une analyse personnelle à travers une réécriture en trois ou quatre variantes. Ce qui nous a confrontés, de la manière la plus aiguë, aux trois difficultés que doit résoudre toute traduction : les champs sémantiques ne se superposent pas, les syntaxes ne sont pas équivalentes, certaines expressions sont le résultat d’héritages culturels oubliés et, disait Paul Ricœur, il flotte entre les mots et les phrases des connotations intellectuelles et affectives « à demi-muettes » (Ricoeur 2004 : 13). Reprenant la leçon du Vocabulaire européen des philosophies (Cassin 2004), je pouvais sans aucun doute considérer, qu’en dehors de vocabulaires techniques spécifiques, les mots ou les expressions qui posaient problème dans le passage de l’italien au français étaient, justement, les indices de réseaux de signification hétérogènes dans les deux langues. De plus, De Martino crée sa propre langue à partir d’une pluralité d’idiomes relevant d’une diversité de langues professionnelles. La principale décision a porté, ici, sur la manière de transposer des vocabulaires techniques de la pensée philosophique et médicale allemande en fonction de leur réception française, sans pour autant effacer la singularité de leur acclimatation italienne et des infléchissements qu’à son tour De Martino leur fait subir pour les insérer dans d’autres réseaux sémantiques. Traduire conduit, ici aussi, à reconstituer les va-et-vient entre les langues romanes et germaniques, entre les philosophies et les anthropologies que chacune permet de penser, pour différencier les conceptualisations adoptées et transformées par De Martino. Voici quelques exemples de la manière dont on peut instruire la compréhension de cette anthropologie à partir des difficultés de sa traduction et de translation conceptuelle.

Soit le vocabulaire de la « présence » lié à la réception de Heidegger : esserci, doverci essere, non esserci più. Heidegger a fini par imposer l’intraduisibilité de dasein, un terme déjà chargé d’histoire lorsqu’il le transforme en quasi-néologisme. L’auteur de l’article du Vocabulaire européen des philosophies qualifie, curieusement, de « contresens » les traductions françaises– « réalité humaine » – et italienne – « esserci » – ce qui me paraît contraire à l’esprit-même de ce Vocabulaire (David 2004 : 285-286). Que fait De Martino ? Il lit Être et temps en allemand, en s’aidant de la traduction italienne de Pietro Chiodi, qui a accompagné la naissance d’un existentialisme italien, dit « existentialisme positif ». Nous avons adopté la traduction « être-là » car, à la suite de Pietro Chiodi qui n’en faisait pas un intraduisible, De Martino reprend l’italien « esserci », « être-là » qu’il fait varier en « non-esserci-più », « ne plus être-là » pour décliner toutes les formes de dissolution de l’être au monde.

Deux lexiques sont présents pour désigner les formes socialisées de l’agir : l’un centré sur les termes « opera », « operare », « operabilità », l’autre sur celui de « utile », « utilizzabile », « utilizzazione ». La formule – progetto communitario dell’utilizzazione ou dell’utilizzabile – est tributaire de la première réception italienne de Heidegger mais aussi de la réception sartrienne de Heidegger, en particulier l’assimilation du monde à un « complexe d’ustensiles ». La distance prise avec le philosophe allemand, aussi bien qu’avec la définition marxienne de l’économique, s’effectue d’abord dans la langue, par la préférence donnée au lexique de l’operabilità, plutôt qu’à celui de l’utilizzabilità. Ce lexique doit donc être traduit différemment selon qu’il apparaît au voisinage d’un commentaire de Croce, de Heidegger, de Sartre ou de Merleau-Ponty, pour repenser le statut de l’économique. En ce sens, les variations lexicales sont bien un exercice de pensée dont on ne prend vraiment la mesure qu’en reconstruisant les réseaux sémantiques dans lesquels elles s’inscrivent.

Soit, enfin, les inventions conceptuelles d’ « apocalypse psychopathologique » et de spaesamento. À la demande de De Martino, le psychiatre Giovanni Jervis lui a remis un état des travaux de psychopathologie sur « les délires de fin du monde ». Dans ce rapport, le psychiatre reconstruit l’émergence, dans la psychopathologie allemande, de la catégorie d’ « expérience vécue de fin du monde » – expression fixée à travers le sigle W.U.E., Weltunterganserlebnis – qu’il rapporte au psychiatre Alfred Wetzel. De Martino examine, à son tour, cette généalogie et substitue à la conceptualisation médicale une autre catégorie analytique, forgée sur l’association de deux termes qui opèrent comme un court-circuit entre domaines opposés : le terme « apocalypse » qui désigne un genre de la littérature religieuse et le qualificatif « psychopathologique » qui renvoie à la langue médicale. Cette association de deux lexiques habituellement pensés comme antagonistes contient, en germe, toute la théorie démartinienne du religieux.

Dans son rapport, Jervis cite longuement la Psychopathologie générale de Karl Jaspers en la traduisant de l’allemand en italien car, s’il existe une traduction française (fondée sur la troisième édition de 1923) révisée par Jean Paul Sartre et Paul Nizan, la version italienne ne sera disponible qu’en 1964, alors que les textes relevant de la philosophie existentialiste sont traduits, dans les années 1940, par l’école milanaise de Banfi et par le traducteur de Heidegger, Pietro Chiodi. De Martino ne se contente pas de ces premières traductions fragmentaires de Jervis. En bon germaniste, il retourne au texte allemand pour proposer une autre traduction qui porte sur ce qu’il a identifié comme un intraduisible : l’adjectif unheimlich. Depuis 1919, dans son acception freudienne, le terme substantivé est traduit en italien par « il perturbante ». Pour distinguer la langue de Jaspers de celle de Freud, Jervis a utilisé un adjectif de l’idiome commun : spiacevole, désagréable. De Martino, quant à lui, s’emploie, à plusieurs reprises, à déplier l’équivocité du terme. Une première fois, ce sont les termes : non familiare, spaesato (non familier, dépaysé) qui s’imposent. Ailleurs, il traduira par alterità, stranezza (altérité, étrangeté). Et finalement, il introduit le substantif spaesamento, un terme du langage ordinaire qui devient, ici, une notion conceptuelle à part entière pour penser une forme particulière de souffrance individuelle et collective : la perte du rapport à soi et au monde. Autant de déplacements du sens qui donnent à ce terme – spaesamento – la consistance d’un intraduisible pour le français. Traduire, ici, a donc consisté à « ne pas surtraduire » pour laisser apparaître au fil des fragments la genèse des inventions conceptuelles de l’auteur, dans sa manière propre de penser entre les langues et entre différents lexiques philosophiques. Préserver le feuilletage des divers états de langue, transposer leurs mises en forme successives est, ainsi, devenu un puissant révélateur du processus de création intellectuelle de l’auteur : un auteur-traducteur qui fait de cet exercice le lieu le plus fécond, et le plus intime, de ses inventions conceptuelles.

L’important appareil critique, absent de l’édition italienne, participe également de cette translation conceptuelle, en s’efforçant de donner au lecteur les éléments nécessaires pour s’orienter dans l’immense matière culturelle que mobilise De Martino pour construire, pas à pas, cette manière singulière d’interroger la singularité de l’Occident.

Ruptures et continuités

Mort et pleurs rituels. De la lamentation funèbre antique à la plainte de Marie paraît dans une coédition de l’École française de Rome et des éditions de l’EHESS (De Martino 2022) qui donne à ce livre la même identité visuelle qu’au livre précédent, La Fin du monde. Placé sous la direction de l’un des éditeurs scientifiques de La Fin du monde, ce travail éditorial revendique ainsi une continuité avec le travail antérieur. Mais la similitude est trompeuse car ce livre est la version française de l’édition Einaudi, publiée en 2021, dont la nouveauté, par rapport à la précédente édition Bollati Boringhieri parue en 2008, réside dans la substitution de la précieuse introduction de Clara Gallini par une introduction de Marcello Massenzio accompagnée d’une nouvelle iconographie.

Précisons tout d’abord que, contrairement à ce qu’indique l’édition française, l’appareil de notes est bien de De Martino, mis à part quelques rares précisions de la traductrice, comme c’est habituellement l’usage. La préparation de l’ouvrage n’a bénéficié d’aucun accompagnement par un séminaire international pluridisciplinaire – méthode qui a fait ses preuves en Italie même puisque l’édition française de La Fin du monde a été reprise, en version italienne, par les éditions Einaudi en 2019, inaugurant ainsi la consécration de De Martino comme un classique de la « Piccola Biblioteca Einaudi ». À défaut d’uniformiser les choix de traduction des innovations conceptuelles de De Martino, cela aurait, au moins, permis de ne pas effacer le rôle essentiel de ce livre pour la refondation de l’ethnologie européaniste : sa lecture et sa traduction partielle (De Martino 1994 : 243-275) inauguraient une anthropologie de la mort, en domaine européen, dans le programme de recherche mis en place, au milieu des années 1980, au Centre d’anthropologie de Toulouse sur les manières chrétiennes de « faire les morts » et de se prémunir de leur « retour ».

Mais, surtout, cette réflexion collective aurait permis de questionner les nouvelles modalités de comparatisme que De Martino introduisait en 1958 et qu’il reprendrait dans La Terre du remords. Comment, par exemple, le lecteur d’aujourd’hui peut-il comprendre la juxtaposition de deux enquêtes ethnographiques, l’une effectuée par l’auteur en Lucanie dans la première moitié des années 1950, l’autre réalisée en Roumanie par Constantin Brăiloiu, que De Martino a rencontré à l’Institut d’ethnologie de Bucarest en octobre 1955 ? Comment ce même lecteur peut-il comprendre l’insertion dans ce questionnement d’un long chapitre consacré aux diverses « passions végétales » des anciennes civilisations agricoles qui retient exclusivement les données des mondes antiques, au détriment de toutes celles de l’Europe paysanne de langue germanique ? N’eût-il pas été très utile, pour cela, de rappeler, avec Frederico Delgado Rosa (2018), comment « c’est à Mannhardt, spécialiste du culte des arbres et des céréales dans l’Europe préchrétienne, que les études religieuses doivent d’être descendues, au XIXe siècle, du ciel sur la terre  »  ? Au lieu de quoi, la lecture qui nous est proposée se focalise, exclusivement, sur les éventuelles affinités du dossier iconographique constitué par l’anthropologue italien pour donner à voir la typologie des gestes des pleureuses méditerranéennes avec la pensée visuelle de Warburg [16].

Dans le même temps, j’ai assuré, à la demande de Charles Ficat pour les éditions Bartillat, une nouvelle édition et traduction du Monde magique, paru en 1948, au lendemain de la seconde guerre mondiale. L’histoire des éditions en langue française de ce livre mérite, elle aussi, quelques réflexions. La première traduction, totalement indépendante de celles parues chez Gallimard, parut, en 1971, dans la collection « Marabout Université » d’un éditeur belge, André Gérard, qui inventait en 1949, soit quatre ans avant le « Livre de poche » chez Hachette, une nouvelle formule éditoriale définie par cinq principes : les meilleurs auteurs, un texte intégral, un format de poche, une présentation nouvelle, un prix modique. Il s’agissait de désacraliser l’objet livre pour le mettre à la portée de tous. La collection « Marabout Université » répondait, quant à elle, à un souci de démocratisation du savoir universitaire. C’est la première collection à grand tirage d’ouvrages scientifiques illustrés où l’on trouve aussi bien de grands historiens comme Pierre Miquel, des essayistes comme Marcel Brion ou des auteurs plus inclassables comme René Nelli qui donnait un cours d’ethnographie méridionale à Toulouse. J’ignore qui proposa alors la traduction du Monde magique, il faudrait explorer les archives des éditions Marabout, si elles existent. Mais on peut noter la publication, l’année précédente, d’une histoire de l’astrologie par Serge Hutin, ancien élève d’Alexandre Koyré à l’École pratique des hautes études, devenu un érudit prolifique sur tous les sujets qui furent, ensuite, rassemblés sous le nom d’ « ésotérisme » par Antoine Faivre pour créer sa direction d’études : « Histoire de l’ésotérisme occidental ».

La nouvelle édition du Monde magique entend libérer ce texte de la lecture en clé « métapsychique » que lui avait imposé Sylvia Mancini, à la fin des années 1990, en m’appuyant sur l’enquête biographique qui m’avait permis de rétablir l’importance des expériences vécues par le jeune De Martino, comme autant d’équivalents de ce moment de transformation de la personne de l’ethnographe que nous appelons l’ « expérience de terrain ». Elle s’efforce d’introduire le public français à cette étonnante entreprise de fonder philosophiquement l’ethnologie en conciliant trois auteurs – Benedetto Croce, Cassirer, Heidegger – dont la réception française est, évidemment, très différente de la réception italienne. Elle invite à reconnaître l’importance des exercices de description ethnographique au second degré auxquels se livre, ici, De Martino pour se déprendre du modèle d’explication naturaliste qu’il a, d’abord, mis en œuvre avant d’en produire une critique radicale. S’agissant de l’établissement du texte, s’est posée la question des nombreux « compléments » que De Martino a, successivement, ajoutés au fil des rééditions pour en réorienter la lecture. Cette nouvelle édition informe, bien sûr, le lecteur français de toutes les révisions et de tous les remaniements éditoriaux voulus par De Martino. Mais elle revient au texte que les lecteurs italiens ont découvert en 1948, pour restituer le premier contexte d’intelligibilité de ce « livre de l’année zéro », comme l’a qualifié Carlo Ginzburg, livre qui lui avait permis, alors jeune historien, de se mettre à l’écoute des benandanti du Frioul.

Nous l’avons donc vu, faire transiter l’anthropologie démartinienne hors de la péninsule pour l’acclimater en France a mobilisé plusieurs paradigmes culturels de la traduction : celui de la liberté pour réanimer une pensée, celui de la fidélité pour questionner ses propres procédures de compréhension et d’interprétation, celui de la concurrence entre diverses conceptions du transfert culturel. Car, s’il est vrai que l’ethnologie est une opération de traduction d’un idiome culturel dans le langage de la raison anthropologique, celle-ci ne s’est historiquement construite qu’en s’installant à la frontière de divers savoirs constitués, pour en éclairer la part d’ombre. S’il s’agissait, initialement, de réhabiliter un auteur en remédiant à une réception trop sélective, de rétablir tous les champs disciplinaires que traversait le savant italien, de prendre la mesure des exigences que se fixait cette « ethnologie réformée » pour croire à nouveau au monde, cette œuvre, certes inachevée, a rencontré nos propres inquiétudes culturelles et scientifiques. Comment remédier à l’actuelle fragmentation des sciences sociales sans renoncer au pouvoir de déprise d’un regard éloigné ? Comment lier, à nouveau, le souci d’une transmission culturelle à celui de dénaturaliser les fictions interprétatives à travers lesquelles prend forme notre expérience ? Transporter le laboratoire démartinien dans une autre langue et un autre moment historique vaudrait à reconduire le geste qui avait incité Michel Leiris à accueillir le Sud et ses magies dans « L’Espèce humaine » : préserver la pluralité des manières de penser en anthropologie.

Bibliographie

Traductions de l’italien par ordre chronologique et par auteur

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De Martino, Ernesto, 2022, Mort et pleurs rituels. De la lamentation funèbre antique à la plainte de Mari. Texte établi, traduit et annoté sous la direction de Marcello Massenzio, avec Alfonsina Bellio et Nicolas Jérôme, Paris, Éditions de l’EHESS, Rome, École française de Rome, « EHESS-Translations » (Morte e pianto rituale nel mondo antico. Dal lamento pagano al pianto di Maria, Turin, Einaudi, 1958, Morte e pianto rituale. Dal lamento funebre antico al pianto di Maria, Turin, Boringhieri, 1975).

De Martino, Ernesto, 2022, Le Monde magique. Prolégomènes à l’étude d’une formation historique. Édition préfacée, établie et traduite par Giordana Charuty, Paris, Bartillat.

Rééditions sans retraduction

De Martino, Ernesto, 1999, Le Monde magique. Traduction de Marc Baudoux, postface de Silvia Mancini, Paris, Institut Sanofi-Synthélabo, « Les Empêcheurs de penser en rond ».

De Martino, Ernesto, 1999, Italie du Sud et magie. Traduction de Claude Poncet, Paris, Institut Sanofi-Synthélabo, « Les Empêcheurs de penser en rond ».

De Martino, Ernesto, 1999, La Terre du remords. Traduction de Claude Poncet, Paris, Institut Sanofi-Synthélabo, « Les Empêcheurs de penser en rond ».

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Amades, Joan, 1994, Petite cosmogonie catalane. Des étoiles aux plantes. Traduction et présentation de Marlène Albert-Llorca, Carcassonne, GARAE/Hésiode, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, « Classiques de la littérature orale ».

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[1Sur sa reconnaissance et ses mises en débat, voir Coffin 2006.

[2C’est en particulier le cas d’Albert Bournet (1854-1895), médecin et criminologue lyonnais, formé auprès de Lacassagne.

[3« Demologia » renvoie, en italien, à l’étude des traditions populaires et du folklore. Pour l’histoire de ces diverses disciplines, voir Alliegro 2011.

[4Studi e materiali di storia delle religioni créée en 1925 ; Numen créée en 1954.

[5Vincent Debaene (2017) lui consacre une étude très documentée mais qui s’arrête étrangement en 1960, ce qui le conduit à négliger l’intégration notable des sociétés européennes (le Sud de la France, le Sud de l’Italie) dans le champ de l’ethnologie, et non plus du folklore.

[6De Martino rappelle la fameuse expression Indias de por acà employée par les jésuites au XVIIe siècle lorsqu’ils découvrent le tarentisme.

[7Fabre 1997 et 1999. L’expression « panthéon de la modernité intellectuelle » apparaît dans un récent entretien sur son propre itinéraire : Catalini 2012, p. 177.

[8On désigne sous ce terme les quartiers les plus pauvres de Tricarico, en Basilicate, où l’ethnologue a réalisé ses premières enquêtes au tournant des années 1950.

[9Le récit étiologique disponible, dans le Salento (Pouilles, Italie), pour permettre aux femmes de symboliser diverses sortes de mal-être était la piqûre d’une araignée tenue pour venimeuse, la tarentule. La cure rituelle liée à cette étiologie soumet la tarantata, la « tarentulée », à un scénario complexe d’identification, puis d’expulsion de l’animal agresseur et de son venin, au cours d’exorcismes domestiques associés à une visite à Saint-Paul de Galatina, le jour de sa fête.

[10C’est l’éditeur Michel Valensi qui a suggéré cette traduction et en a réalisé un premier état que j’ai révisé.

[11Ces traductions, réalisées par des chercheurs en fonction de leurs propres recherches, font l’objet d’une coédition entre la revue Hésiode, localisée au GARAE, un pôle régional de documentation ethnographique soutenu par le Ministère de la Culture et les Presses universitaires du Mirail, dans la collection « Classiques de la littérature orale ». Cf. Albert-Llorca 1988, 1994.

[12Sur l’invention du symbolique, cf. Tarot 1999.

[13Sur ce moment de constitution d’une anthropologie du symbolique, cf. Charuty 2017.

[14Il s’agit des rééditions aux « Empêcheurs de penser en rond » en 1999 et de l’offensive d’Antoine Faivre lors de la reconduction de la chaire d’Ethnologie de l’Europe à l’EPHE, en 2000.

[15Laurène Ardito, Martine Boiteux, Pascale Climent-Delteil, Claudine Gauthier, Rémi Routeau se sont chargés du premier état des traductions qui leur étaient confiées.

[16Lors de la présentation de l’édition italienne, organisée en visioconférence par l’Istituto di Studi filosofici de Naples, en octobre 2021, Carlo Ginzburg a vigoureusement critiqué cette assimilation.