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Encyclopédie internationale
des histoires de l’anthropologie

Champfleury, historien et collectionneur de faïences patriotiques. La quête pionnière d’un domaine de recherche de l’art populaire

Michela Lo Feudo

Université de Naples Federico II

2022
Pour citer cet article

Lo Feudo, Michela, 2022. « Champfleury, historien et collectionneur de faïences patriotiques. La quête pionnière d’un domaine de recherche de l’art populaire », in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l'anthropologie, Paris.

URL Bérose : article2690.html

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Publié dans le cadre du thème de recherche « L’invention de l’art populaire (1840-1857) », dirigé par Michela Lo Feudo (Università degli Studi di Napoli Federico II).

La pratique de la collection a accompagné Champfleury pendant la plus grande partie de sa carrière littéraire. S’il a rassemblé des objets différents, on peut constater que ses intérêts principaux tournent autour de l’imagerie, au sens large que cette notion avait acquis au XIXe siècle et que Philippe Hamon a théorisée [1] : dessins et aquarelles mais surtout estampes reproduites avec les techniques de l’eau-forte et de la lithographie, caricatures découpées de la petite presse parisienne, planches relevant de l’imagerie populaire et japonaise, vignettes d’âge romantique illustrant certains romans du début du siècle. La bibliothèque qu’il a réunie contenait environ 820 volumes [2]. Au sein de cette activité se situe toutefois un corpus qui se distingue par rapport aux autres par sa cohérence et qui relève de la collection de faïences, surtout d’époque révolutionnaire, que Champfleury a commencé à réunir entre la fin de la deuxième République et le Second Empire. Il s’agit d’une démarche intéressante sous plusieurs aspects : en premier lieu, parce qu’à la différence des autres objets collectés, Champfleury s’en occupe de manière intense et prolongée. En plus, il essaie de donner à ses recherches un caractère cohérent malgré les difficultés liées à la nature expérimentale de la quête : non seulement il réunit ses artefacts, mais il essaye de les organiser, de les classer, de les interpréter. Aux côtés de la pratique, a donc lieu une réflexion sur celle-ci.

L’historique de cette activité peut être divisé en deux moments dont le premier va des débuts des années 1850 à 1868. La date de 1868 est stratégique parce que Champfleury conçoit et publie le premier catalogue de sa collection en prévision d’une vente à la Ville de Paris qui n’a pas abouti au terme de quelques négociations [3]. La brochure suit l’Histoire des faïences patriotiques que l’auteur fait paraître l’année précédente et le récit Le Violon de faïence, publié en 1862, abordant le thème de la collection. Ces événements durent accroître la réputation de l’auteur en tant que connaisseur de faïences dans la mesure où, en 1872, il fut nommé conservateur du Musée des céramiques de Sèvres. Ce poste lui permit de se consacrer davantage aux recherches d’archives qui donnèrent lieu à la publication d’une Bibliographie céramique en 1881 [4]. Son sous-titre, « nomenclature analytique de toutes les publications faites en Europe et en Asie sur les arts et l’industrie céramique depuis le XVIe siècle jusqu’à nos jours » montre bien les ambitions documentaires de l’auteur qui put enfin obtenir la légitimation souhaitée.

Les faïences et l’art populaire

Il n’est pas facile de situer le moment précis où Champfleury commence à collectionner des faïences révolutionnaires. L’auteur en donne lui-même des références confuses [5]. Malgré cela, on peut formellement attester l’intérêt de Champfleury pour ces objets dans le cadre des plus vastes réflexions de l’auteur sur l’art populaire. On en retrouve les premiers témoignages dans certains feuilletons publiés dans la presse au début des années 1850. En effet, il publie dans le quotidien le National une série de cinq articles où l’auteur réunit sous le titre fédérateur d’ « arts populaires » – il oscillera du singulier au pluriel et vice-versa au fil de la série – un éventail hétéroclite de formes qu’il fait converger sous cette étiquette [6] : l’estampe satirique, l’image d’Épinal et la faïence qu’il commence à diviser en deux catégories – la faïence « muette » (sans légendes) et la faïence « parlante » (pourvue de support textuel) [7].

Selon Champfleury, l’intérêt à l’égard de ces formes serait moins le fruit d’une curiosité d’érudit que la réaction à une expérience esthétique émouvante et inattendue. Cet art naïf, dont l’histoire n’existait pas, aurait eu la capacité d’évoquer, chez l’auteur, des moments de son vécu personnel. Il affirme au sujet des bois d’Épinal :

Si je me suis arrêté devant ces dessins grossiers, c’est qu’ils m’ont rappelé bien des souvenirs. Ils rappellent l’enfance ; nous avons regardé dans la campagne ces images qui entrent plus profondément dans la tête que la lumière dans une chambre noire. J’ai un grand respect pour les impressions d’enfance ; elles sont sincères. À sept ans je ne connais pas encore le convenu, je ne suis pas civilisé, je sens vivement ; et ces impressions sont ineffaçables. (Le National, 16 octobre 1851)

Une expérience du même genre est liée à la vue d’une faïence :

À cette époque, je courais souvent dans la campagne pour aller dîner chez un oncle curé, un de ces braves curés grands et robustes, remplis de bonté et de colères, qui sont le fond du caractère picard. On mangeait la soupe dans de la faïence peinte, au fond de laquelle chantent de joyeux coqs. Chaque plat était servi dans des assiettes différentes, comme pour amuser les yeux quand la bouche se reposait.
J’attribue à toutes ces impressions de jeunesse l’amour qui m’a repris, vingt ans après, de la faïence-à-coqs. (Ibid.)

La notion de sincérité – qu’on retrouvera dans les articles de Champfleury sur le réalisme dès 1852 mais dont on y peut lire en filigrane une anticipation – est le lien qui unirait, aux yeux de l’auteur, les créateurs anonymes de ce type d’objets, la manière dont ceux-ci sont fabriqués et le sentiment ressuscité chez leurs destinataires. Elle est synonyme de liberté à l’égard des contraintes établies par les hiérarchies artistiques reconnues, comme on peut le lire au sujet, encore une fois, des images d’Épinal : « toutes sont précieuses, instructives, surtout celles à bon marché, car elles sont sincères, dessinées le plus souvent par un naïf crayon qui n’a pas perdu son temps dans les académies de peinture et qui traduit sa foi d’une manière grossière, mais pleine de sentiment. » (Le National, 17 octobre 1851) La simplicité que l’écrivain remarque dans l’imagerie populaire et qu’il saisit aussi dans la faïence à coqs [8], trahit une véritable tension vers des paradigmes esthétiques alternatifs : « Que la rudesse et l’âpreté sont cependant belles en art, et que la coquetterie et la gracieuseté sont creuses ! » affirme-t-il dans la deuxième livraison. Dans ce contexte, la faïence – et en particulier celle « muette » – a tout l’air d’amplifier ces qualités dans la mesure où elle combine dimension matérielle d’objets quotidiens et fonction esthétique. En témoigne la remarque suivante, où Champfleury met en parallèle imagerie d’Épinal et faïence populaire à partir d’un motif traité par les deux genres : l’Arbre d’amour où s’abritent les hommes ayant interrompu toute relation avec les femmes.

L’Arbre d’amour, peint au fond du saladier, sans un mot d’explication, est tout aussi significatif que les vers sans façon de l’imagerie d’Épinal. Sans doute on ne sait pas les noms des margotons qui scient l’arbre, mais le sujet n’en est pas moins saisissant.
Quand, à la ferme, à la fin du repas, chacun a pris une bonne assiettée de mâche et de betteraves, et que le dernier servi égoutte dans son plat les feuilles restant et cette douce confiture faite d’huile de noix et de sang de betteraves, le chef de famille fait ses commentaires sur le dessin du saladier. C’est une simple morale à l’usage des filles de canton qui courent un peu trop après les garçons de ferme. Il y en a pour toute la soirée à rire, à plaisanter et à donner de sages conseils à la jeunesse. Le saladier est à relaver avec les autres vaisselles, qu’il n’est pas oublié. On en cause encore sous la grande cheminée, autour des sarmens [sic] de bois qui flambent et pétillent.
Pourquoi le saladier occupe-t-il les paysans ? parce qu’il est modeste et qu’on l’aime pour sa modestie. S’il voulait imposer ses opinions, s’il récitait lui-même son histoire, s’il portait au-dessous du dessin un couplet plaisant, voici ce qui lui arriverait dans cette famille : le jour où il serait entré à la ferme, tout le monde se serait pressé pour lire la ballade explicative ; on l’aurait tellement regardé le premier jour, qu’il aurait été oublié le second. (Le National, 24 octobre 1851)

La valeur esthétique de l’objet populaire, laisse entendre Champfleury, passe par le biais d’un renversement de la relation traditionnelle forme/contenu : la « simplicité d’exécution » voire la « modestie » cacheraient, en réalité, la polysémie du message, polysémie dont la densité est favorisée par une image autonome par rapport au texte : « Ici la faïence est supérieure à l’image [9]. Elle n’explique rien ; elle expose son sujet par le dessin et la couleur ; elle n’a pas recours à des arts étrangers, elle ne se sert pas de la poésie ; […] Chaque art a toutes ces ressources en lui et ne doit jamais s’introduire chez l’art d’à côté. Il est fainéant ou voleur. » (24 octobre 1851) L’image « muette » – voici le renversement esthétique – aurait donc « plus de choses à dire » que l’image accompagnée d’une légende ou d’un proverbe [10].

En réalité, Champfleury n’est pas indifférent à l’égard des céramiques « parlantes ». En particulier, dans les colonnes de la série du National, on peut lire a posteriori les débuts de son intérêt pour la production révolutionnaire, intérêt qu’il développera dans l’Histoire des faïences patriotiques. Encore une fois, c’est l’expérience – avec les émotions que celle-ci est capable de susciter – à alimenter, chez l’auteur, l’idée d’un projet intellectuel futur. En évoquant un séjour au Puy-en-Velay, il précise en effet :

à un gouté [sic] dans une de ces maisons-de-vigne [il avait été invité dans un de ces bâtiments typiques de la région, n.d.r.] on a servi le dessert dans des assiettes peintes qui m’ont tellement occupé que je ne mangeais plus. Une crosse d’évêque et une épée entourent une flèche. Au-dessous est écrit : Vive la Nation ! Que de choses dans une assiette ! le clergé, le tiers-état, la noblesse. C’est l’assiette de 89, la question de Sieyès, l’abolition de la royauté. Vive le roi, est remplacé par : vive la nation. Toute la Révolution se déroulait devant moi et je pensais à l’éducation que peut donner une assiette par son cri incessamment répété de : Vive la nation ! (Le National, 25 octobre 1851)

Dans ce cas, l’auteur essaie de restituer, à travers une énumération, l’enchaînement d’images mentales qu’il associe au sujet historique évoqué par la combinaison d’éléments visuels et textuels. Au contraire des commentaires faits au sujet de l’Arbre d’amour, le slogan politique acquiert, d’après l’auteur, une fonction pédagogique qui frappe par son caractère bref et immédiat. Encore une fois, mais sous une perspective différente, l’art populaire est apprécié pour sa capacité à secouer le destinataire en dévoilant un imaginaire personnel lié à un passé à la fois révolu et ravivé par la création artistique (« toute la Révolution se déroulait devant moi ») [11].

L’Histoire des faïences patriotiques

L’Histoire des faïences patriotiques [12] est le fruit du travail réalisé par Champfleury entre la publication des feuilletons du National et la catalogue réunissant les objets de sa collection personnelle. Certaines questions ébauchées dans les articles rédigés pour la presse la décennie précédente sont reprises et développées ; des nouvelles sont soulevées. Tout d’abord, on peut constater que le projet initial d’un ouvrage portant uniquement sur les faïences « à coqs [13] » a évolué dans un essai plus ample où d’autres sujets sont abordés, dans la perspective de faire dialoguer approches thématique et chronologique. Dans la continuité des émotions racontées en 1851 à la vue de la céramique ornée de la devise Vive la nation !, l’auteur cherche les moyens de retracer une véritable histoire de la Révolution française à travers la faïence populaire. En effet, Champfleury n’hésite pas à revendiquer la valeur historiographique de ces objets qu’il essaie d’élever au rang de documents : « Il y a deux arts distincts sous la Révolution : l’un quotidien, affecté à conserver le souvenir des événements du jour ; l’autre, symbolique. Tous deux se donnent la main [14]. » Champfleury voit dans la production révolutionnaire un corpus inédit et digne d’attention, qui passe par le « bas » et l’ « ordinaire » : « la faïence parlante », souligne-t-il, « […] fournit des détails de mœurs, des témoignages d’aspirations patriotiques, des cris que les historiens seront étonnés de lire sous l’émail, qu’on n’avait pas été habitué à regarder jusqu’à alors comme une source de documents [15] ».

Ainsi Champfleury cumule, organise, date, conserve ses objets. La démarche historique est menée par la combinaison de critères sociaux, thématiques, quantitatifs puis géographique. Fruit d’une méthode asystématique, la cartographie des fabriques de faïences patriotiques qu’il esquisse est censée retracer la spontanéité des manufactures locales et demeure limitée à un chapitre d’appendice, tout en occupant une place marginale au sein de l’ouvrage [16]. En témoignent les mots qui suivent :

Depuis une vingtaine d’années, bien avant que la fièvre céramique se fût emparée d’un si grand nombre de personnes, je recueillais tout ce qui concordait avec un événement politique, tout ce qui peignait la nature facétieuse, bachique, amoureuse & nationale des paysans ; peu à peu, grâce à de nombreuses trouvailles, il me fut permis d’affirmer l’état des esprits de certaines provinces par l’ensemble des faïences patriotiques qui y avaient été fabriquées. L’abondance de ces céramiques sur quelques territoires prouvait que là avait existé une flamme politique puissante [17].

En effet, l’écrivain focalise ses efforts plus poussés à commenter, à interpréter, à légitimer l’art des faïences révolutionnaires. Son « analyse de la naïveté » pose néanmoins problème puisque un tel objet d’étude sollicite la mobilisation de paramètres heuristiques inattendus : « [il] doit être senti, il ne se prouve pas [18] ». Il s’agit d’un art qui demande au savant un effort d’empathie plutôt que d’érudition, où « la maladresse du dessin s’efface devant la conviction du sentiment populaire [19] ». Dans la continuité des recherches de Jules Renouvier sur l’estampe révolutionnaire publiées posthumes en 1863 [20], Champfleury suggère une sorte de rééducation du regard – et plus en général de la perception – pour envisager la production révolutionnaire en fonction de ses spécificités. Et grâce aux oscillations entre le vulgaire et l’énigmatique, elle est destinée à « changer les idées modernes sur le Beau [21] ». « À partir de 1789 », poursuit l’auteur, « l’art ne vit plus de sa propre essence ; il fait corps avec le mouvement politique, entre dans le domaine des institutions et en ressort avec une idée de civisme, d’enseignement direct. C’est comme un alphabet en images pour des yeux d’enfants [22]. »

Le catalogue de sa collection particulière

Malgré des ressources limitées, en 1868 Champfleury arrive à rassembler 529 pièces dont 341 d’époque révolutionnaire. Dès 1851 sa collection serait formée de « plats à barbe, [… d’] assiettes à coqs, [… de] Bacchus de campagne, [… de] pots à boire [23] ». Comme le rappelle Paul Eudel [24], l’auteur n’hésite pas à se déplacer de Paris pour ses recherches. Il se rend à Versailles, à Orléans et à Blois sans pourtant obtenir les résultats souhaités. Petit à petit, Champfleury prend contact avec des marchands de curiosités et des érudits : à Beauvais, il fait la connaissance d’un certain Auguste Alexandre Mareschal qui fut l’auteur, de sa part, d’une Imagerie de la faïence Française publiée en 1869 [25] ; à Nevers, il est en relation avec un antiquaire nommé Bara avec lequel il établit une correspondance entre 1858 et 1866. Dans la lettre du 6 décembre 1863 que Bara envoie à Champfleury, on apprend que le marchand lui faisait des envois réguliers « depuis 10-12 ans », donc depuis les débuts [26]. Mais quels types d’objets réunit-il ? Dans l’introduction au catalogue de 1868 établi par l’auteur lui-même, on peut lire que la collection se compose de « faïences historiques, ayant trait aux usages, mœurs, coutumes du peuple et aux événements politiques de 1750 à 1830 » [27]. Le corpus relatif à la Révolution est organisé selon un critère double, à la fois chronologique et formel : les pièces datées sont regroupées par année, de 1789 à 1801. Trois pièces datent de 1803. Celles produites la même année sont divisées en faïences avec inscriptions et faïences sans inscription (donc l’ancienne division entre céramiques « parlantes » et céramiques « muettes » est maintenue). Les objets répertoriés sont surtout des saladiers, des assiettes, des plats, des plats à barbe ; sous l’étiquette de « faïences diverses » on retrouve : des pots à boire (n. 141) ; un plat d’accouchée (n. 142) ; un petit baril (n. 143) ; un gobelet (n. 144) ; une « inscription sur le socle d’un pied de Christ avec les ornements de la Passion » (n. 148), tous daté 1791. Parmi les pièces non datées, on remarque une « grande écritoire [polychrome] à tiroirs mobile, ornée d’une galerie supérieure portée par vingt-six colonnes ; quatre tambours en trophée sur la tablette ; deux bobèches près du tambour » provenant des fabriques d’Auxerre ; une « figurine allégorique tenant à la main un tableau sur lequel » se trouve l’inscription La Paix, provenant de Lorraine (n. 235). On signale également une tasse et soucoupe ornées d’emblèmes républicains en porcelaine de Sèvres. La grande majorité des objets sont issus de la fabrique de Nevers, mais figurent aussi des pièces provenant du Midi aussi bien que du Nord de la France – surtout de Lyon et de Lille. La collection était installée dans le petit appartement parisien de Champfleury, situé au 20, rue de Bruxelles. Paul Eudel souligne que l’espace était tellement exigu que le collectionneur avait fixé ses assiettes au plafond [28].

La vente échouée à la Ville de Paris en 1868

Ce fut sans doute à cause d’un certain nombre de contraintes matérielles que Champfleury décida de vendre, fin 1867, sa collection. En effet, le catalogue mentionné est le fruit d’un travail d’organisation réalisé par le collectionneur en prévision d’une proposition de vente à la ville de Paris et au préfet Haussmann. L’écrivain lui-même révèle les étapes de sa démarche dans une lettre à l’ami Édouard Lockroy datée probablement du début de l’année1868 :

Les négociations avec la ville de Paris remontent à octobre dernier. Après les vacances, une commission a visité mon petit musée et a décidé qu’il y avait lieu de prendre ma demande en considération, alors je gardai un appartement dans lequel je n’habite pas afin que les nombreuses céramiques qui l’emplissent étant classées chronologiquement, une seconde commission pût les examiner avant de les faire transporter à l’hôtel Carnavalet. L’administration municipale me demanda un catalogue. L’affaire était alors sérieusement engagée, j’employais naïvement six semaines à la rédaction du catalogue analytique.
Pas, démarches, rendez-vous, rédaction de catalogue me coûtèrent trois mois entiers. Je demandais 20.000 fr. La ville m’en offrait 14.000. Et moi je répondis que 14.000 n’était pas un chiffre rond. Je désirais 15.000 fr [29].

La contre-proposition ne fut pas acceptée et Champfleury déplaça sa collection – qui continua à augmenter au fil des années- dans un nouvel appartement situé dans la rue Neuve-Pigalle. Ce ne fut qu’en 1872 qu’elle obtint un accueil institutionnel : elle fut installée à Sèvres, devenue la résidence du nouveau conservateur, au milieu de la cour du Musée des céramiques.




[1Ph. HAMON, Imageries : littérature et image au XIXe siècle, éd. revue et augmentée, Paris, J. Corti, 2007 [2001].

[2Catalogue des eaux-fortes, lithographies, caricatures, vignettes romantiques, dessins et aquarelles formant la collection Champfleury avec une préface de Paul Eudel, Paris, L. Sapin, 1891.

[3Cabinet de M. Champfleury. Faïences historiques : Royauté, Révolution, Empire, Restauration, Gouvernement constitutionnel, Paris, Ch. Mannheim, 1868.

[4Paris, A. Quantin, 1881.

[5Il affirme dans l’incipit de l’Histoire des faïences patriotiques, publiée en 1867 : «  Il y a vingt ans, un ami me fit cadeau d’une assiette peinte représentant un coq perché sur un canon avec la légende : Je veille pour la nation. Cela, au premier aspect, me sembla bizarre & je ne m’en inquiétai pas davantage  ; mais le hasard ayant voulu que d’autres céramiques datées de la période révolutionnaire me tombassent plus tard sous la main, je fus frappé des nombreuses variantes qu’offraient ces emblèmes. J’arrivai ainsi à grouper une certaine quantité de pièces […]  » J. Champfleury, Histoire des faïences patriotiques sous la Révolution, Paris, E. Dentu, 1867, p. I.

[6Cinq feuilletons sont publiés les 19 septembre, 16, 17, 24 et 25 octobre 1851.

[7Dans ces feuilletons, on retrouve une sous-division supplémentaire établie sur la base d’un critère thématique : Champfleury regroupe ultérieurement les faïences en «  patriotiques  », en «  bachiques  » et en «  moralistes  ».

[8«  L’image d’Épinal et la faïence à coqs sont sœurs : on y retrouve la même simplicité d’exécution et une égale candeur de tons  » (24 octobre).

[9À la différence de la faïence, l’image d’Épinal analysée par Champfleury comporte une légende.

[10«  Le grand charme de ces anciennes gravures populaires était justement de laisser assez de vague dans la représentation pour offrir aux esprits de quoi travailler et penser.  » (Le National, 17 octobre 1851)

[11Champfleury réagit en déclarant l’intention de développer ses études en la matière : «  C’est le seul type de faïence patriotique que j’aie jamais vu  ; à mesure que j’irai dans mes recherches, sans doute arriverai-je à des résultats plus complets  ; mais étant le premier qui traite de cet art, tout est à découvrir et un simple fait comme celui-ci qui demande deux cents lieues de voyage, montre la difficulté de créer des études neuves et positives.  » (Le National, 25 octobre 1851).

[12Les deux premières éditions s’enchaînent dans la même année alors que la troisième date de 1875.

[13«  On m’a souvent demandé l’explication de toutes ces assiettes qui font de ma mansarde une boutique à poteries. Je ne la donnerai pas encore aujourd’hui, la réservant pour le traité de la Faïence-à-coqs  » (Le National, 19 octobre 1851).

[14Histoire des faïences patriotiques (dorénavant HFP), op. cit., p. IX.

[15HFP, p. 1.

[16Le deuxième chapitre de la section «  appendices  » traite en effet les productions de Paris et des provinces, chacune occupant un sous-chapitre. On retrouve : Nevers, Beauvais, Auxerre, Artois, Rouen, Vendée, Alsace-Lorraine, les Faïences du Midi (Moustiers, Lyon, Marseille, Montpellier). Une section à part entière est consacrée à Sèvres, bien que «  [l]es fabriques de faïences des provinces agissaient spontanément, Sèvres par ordre  », Ibid., p. 388.

[17Ibid., p. 321.

[18Ibid., p. V pour les deux citations.

[19Ibid., p. IX.

[20J. Renouvier, Histoire de l’art pendant la Révolution : considéré principalement dans les estampes, Paris, Vve Renouard, 1863.

[21HFP, p. 33.

[22Ibid.

[23«  Les Arts populaires. La tragédie des Gras et des Maigres, par Pieter Brueghel  », Le National, 19 septembre 1851.

[24P. Eudel, Champfleury inédit, p. 37.

[25A. A. Mareschal, Imagerie de la faïence française. Assiettes à emblèmes patriotiques comprenant la période révolutionnaire. 241 types... de 1750 à 1830, Beauvais, l’auteur, 1869.

[26Bibliothèque des Arts décoratifs de Paris, Dossier L78.

[27Introduction, p. VII. La partie précédant 1789 se compose de : faïences patriotiques et satiriques  ; faïences patronymiques et satiriques  ; céramiques relatives à l’invention des aérostats  ; faïences franc-maçonniques  ; faïences relatives à des costumes civils et militaires  ; faïences relatives à l’architecture  ; faïences de la royauté.

[28Champfleury inédit, p. 43.

[29Champfleury inédit, p. 45.