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Encyclopédie internationale
des histoires de l’anthropologie

Arnold Van Gennep, ethnographe officiel des colonies ? Ethnographie et réformisme colonial en France avant 1914

Emmanuelle Sibeud

Paris 8, IDHES

2022
Pour citer cet article

Sibeud, Emmanuelle, 2022. « Arnold Van Gennep, ethnographe officiel des colonies ? Ethnographie et réformisme colonial en France avant 1914 », in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l'anthropologie, Paris.

URL Bérose : article2687.html

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Publié dans le cadre du thème de recherche « Histoire de l’anthropologie française et de l’ethnologie de la France (1900-1980) », dirigé par Christine Laurière (CNRS, Héritages).

En 1907, Arnold Van Gennep annonça la création d’un service ethnographique des colonies dont il devait prendre la direction [1]. Censeur inflexible de la production ethnographique contemporaine, il n’est pas sûr qu’il eût longtemps conservé cette position, s’il l’avait obtenue. Mais lui accorder a priori, sur le plan colonial également, la capacité à jouer les francs-tireurs soulève un délicat problème d’interprétation. À moins de recourir à la vieille illusion du précurseur clairvoyant, comment expliquer en effet que Van Gennep ait été immunisé contre l’idéologie colonialiste de son temps ? On voudrait montrer ici qu’il est en fait beaucoup plus intéressant de replacer systématiquement ses positions dans les débats contemporains. Elles sont, de toute évidence, ambivalentes, mais de quoi au juste était faite cette ambivalence ? Si Van Gennep ne se risqua pas en terrain colonial avant 1911, sa thèse avait porté sur Madagascar et il publia en 1906 une anthologie de mythes australiens, investissant ainsi deux hauts lieux de l’impérialisme français et de l’impérialisme anglais. Il compléta cette première approche, exclusivement livresque, en discutant les modalités des enquêtes ethnographiques coloniales dans de nombreux articles et surtout, dans sa chronique au Mercure de France. Ces interventions réitérées dessinaient une conversation significative par son contenu, mais aussi par les interlocuteurs qu’elle faisait apparaître. Van Gennep fut donc un témoin disert des ajustements entre ethnographie et colonisation, en train de se cristalliser en France dans les premières décennies du XXe siècle. Et on propose de le suivre à la trace [2], dans le contexte à la fois riche et tendu de débats réformistes où résonnaient des critiques vigoureuses et informées des pratiques coloniales et des plaidoyers pro domo qui aspiraient entre autres à réquisitionner la science nouvelle, ou du moins réinventée, qu’était l’ethnographie. Que retint-il de ces débats où se jouait l’institutionnalisation de sa discipline d’élection et son éventuelle professionnalisation ?

Le projet de bureau ethnographique des colonies, entre réformisme et réaction coloniale

En février 1908, Van Gennep signala aux lecteurs de la chronique « Ethnographie – Folklore » qu’il publiait tous les deux mois depuis février 1905 dans l’importante revue littéraire qu’était le Mercure de France, qu’il était question de créer, au ministère des Colonies, un service ethnographique qui serait « analogue à ceux qui fonctionnent déjà dans plusieurs pays étrangers » et qui constituerait « un progrès intéressant dont la répercussion sur notre politique coloniale ne saurait être que bienfaisante, sans parler de sa portée scientifique considérable [3] ». Cette initiative inquiéta Marcel Mauss, qui n’y avait manifestement pas été associé. Dans deux lettres datées de novembre 1907, Van Gennep lui expliqua que « plusieurs amis des colonies, dont Delafosse, [l]’ont poussé chaudement à essayer, et même y sont allés de leurs démarches [4] », que le service serait une section nouvelle de l’Office colonial, enfin qu’il espérait être en mesure de recruter deux attachés qu’il promettait de choisir parmi les élèves de Mauss à l’École pratique des hautes études. Beaucoup de bruit pour rien en réalité : le projet resta lettre morte. En 1913 cependant, Mauss reprit l’idée et soumit un projet de « bureau d’ethnologie » au ministre de l’Instruction publique qui est l’une des premières esquisses de l’Institut d’ethnologie, finalement fondé en 1925 [5]. Il faut cependant mettre de côté cette filiation pour analyser ce qui faisait l’actualité, en 1907-1908, du projet de création d’un service ethnographique des colonies.

Il s’agissait de créer une nouvelle section à l’intérieur de l’Office colonial en augmentant son budget annuel de vingt mille francs, pour créer au moins un poste pérenne et financer des missions. Le budget de l’Office colonial fut bel et bien augmenté de cette somme en 1908 [6], mais elle fut affectée à ses activités de promotion commerciale des colonies et aucune section ethnographique ne fut créée. La conjoncture était en réalité assez complexe. Le budget des colonies diminuait régulièrement depuis l’adoption en 1900 de la loi d’autonomie financière des colonies. Elle inaugurait la mise en coupe réglée des populations colonisées : la métropole refusait par principe de subventionner ses colonies et les sujets coloniaux devaient désormais payer des impôts à hauteur des investissements décidés par leurs colonisateurs. Le budget de 1908 n’échappa pas à la règle et son rapporteur, le député de la Seine Auguste Gervais, avait été choisi en raison de sa capacité éprouvée à trancher dans les dépenses jugées superflues. Au même moment pourtant, des centaines de milliers de francs étaient consacrés par l’État, par des sociétés savantes et par des groupes de pression à diverses missions scientifiques dans les colonies. Ainsi, la mission du Maroc avait été créée en 1904, des sommes conséquentes étaient attribuées à la délimitation de frontières entre les empires et les sociétés concessionnaires du Congo, dont les procédés sanglants de collecte du caoutchouc faisaient scandale depuis 1905 [7], finançaient ostensiblement la lutte contre la maladie du sommeil devenue épidémique dans le bassin du Congo [8]. Toutes ces missions s’efforçaient de donner un contenu à la mise en valeur des colonies et de montrer que celle-ci aurait eu des effets bénéfiques pour les populations colonisées. L’ethnographie pouvait aisément trouver sa place dans cette configuration : c’était une science peu onéreuse et d’ores et déjà pratiquée par une fraction minime du personnel colonial [9].

Les débats à la Chambre et au Sénat qui accompagnaient chaque année la discussion puis le vote du budget du ministère des colonies, montraient que les députés notamment avaient une connaissance assez précise des pratiques coloniales, mais que la majorité d’entre eux se désintéressaient de la question. De façon récurrente, les députés de gauche, singulièrement les députés socialistes plus nombreux à partir des élections de 1906, se lançaient dans de longues interpellations sur les scandales dans telle ou telle colonie [10], mais la discussion tournait court, la majorité votant le retour à l’ordre du jour sans retenir leurs motions. Une quantité non négligeable d’informations sur les pratiques coloniales effectives circulait donc dans la société française, via la presse, auxquels faisaient écho les débats parlementaires [11]. Si le scandale du Congo avait été efficacement désamorcé en 1905, au point que l’historien Henri Brunschwig suggéra qu’il s’agissait d’un scandale organisé par l’administration coloniale pour éviter des révélations et des enquêtes plus gênantes [12], le soupçon avait été jeté sur la mission civilisatrice et la décennie précédant la première guerre mondiale se caractérisa par une polarisation conflictuelle des positions pour ou contre la colonisation. Ainsi, l’année 1907 enregistra un débat sans suite, mais néanmoins mouvementé à la Chambre au sujet des scandales de la Guinée française et la création de la Ligue coloniale française qui se proposait de faire l’éducation colonialiste de l’opinion publique [13]. De même, le « parti colonial », constitué au début des années 1890, se scindait entre des courants conservateurs plaidant pour une politique d’association aux accents ouvertement racistes, qui se traduisait par des pratiques de refoulement et d’exclusion, et des courants « indigénophiles » autour de la Revue indigène, qui posaient la question de l’intégration politique à proposer aux élites colonisées. La « politique indigène » était donc devenue un enjeu de premier plan. De 1907 à 1919, l’Algérie fut le théâtre privilégié des débats qui se cristallisèrent sur la question de la conscription progressivement imposée aux sujets coloniaux en Algérie à partir de 1912. La petite élite des « Jeunes Algériens » et les indigénophiles demandaient assez logiquement une contrepartie politique : l’accès à la citoyenneté sans la renonciation au statut personnel musulman, condition humiliante et handicapante sur le plan social et économique. En outre, les pouvoirs spéciaux de répression accordés à titre extraordinaire à l’administration coloniale par mandats successifs de sept ans depuis 1881 – le fameux « code de l’indigénat » – devaient être renouvelés en 1913, ce qui aiguisait également les débats [14].

Van Gennep dès 1907, Mauss en 1913, essayèrent d’en tirer parti pour promouvoir la cause de l’ethnographie. Sans succès cependant avant les années 1920. Il est probable que Mauss temporisa, ses étudiants n’étant pas prêts [15]. L’enjeu était plus immédiat pour Van Gennep qui occupa jusqu’en 1908 un emploi alimentaire de traducteur au ministère de l’agriculture et qui, après cette date, s’était lancé dans l’aventure coûteuse de la publication de la Revue des études ethnographiques et sociologiques. Mais les débats réformistes sur la définition de la meilleure politique indigène s’inscrivaient également dans une dimension internationale, particulièrement complexe et volatile. En 1909, le député Lucien Hubert, qui était un ami proche de Maurice Delafosse [16] et très probablement l’un des patrons politiques du projet de service ethnographique en 1907, proposa la tenue d’une « conférence internationale pour la sauvegarde des races indigènes » en Afrique et en Asie, qui réaffirmerait le rôle de la France comme puissance coloniale « libérale » et « humanitaire », veillant à la sauvegarde et au progrès des « races indigènes » [17]. Il prévoyait de créer, à l’issue de la conférence, un office ethnographique international, sur le modèle du « Bureau des républiques américaines » fondé en 1899 par les congrès panaméricains. Le projet fit long feu pour deux raisons. D’une part, le sociologue belge Cyr Van Overbergh protesta contre cette initiative : la place était déjà prise par le Bureau international d’ethnographie institué à l’issue du congrès d’expansion mondiale de Mons en 1905. Ce bureau revendiquait la diffusion à dix mille exemplaires d’un questionnaire rédigé par Joseph Halkin pour la Société belge de sociologie et la publication de cinq monographies portant toutes sur des populations du Congo belge. Sa création avait été une des réponses du roi Léopold II au scandale international dénonçant les atrocités commises dans l’État indépendant du Congo dont il était, à titre personnel, le souverain absolu [18]. En 1909, la Belgique s’était résignée à annexer cet État, qui devint la colonie du Congo belge, et elle s’engagea dans une politique de réformes, délicate dans des territoires désorganisés où les populations avaient fui et pris les armes [19]. Cette entreprise était surveillée de près par le réseau des consuls britanniques au Congo et, en Grande-Bretagne, par la Congo Reform Association. La Belgique tenait donc à son Bureau international d’ethnographie, incarnation de son engagement réformateur avant de devenir l’un des instruments de légitimation de sa politique ségrégative sous couvert de « respect » des ethnies congolaises. Le système concessionnaire mis en place par Léopold II dans l’État indépendant du Congo avait été copié au Congo français à partir de 1899 et malgré le scandale de 1905, aucune réforme structurelle n’était possible sans verser de très lourdes indemnités aux sociétés concessionnaires [20]. Le projet d’Hubert fut donc relativement bien accueilli dans un premier temps. La mort de Léopold II fin 1909 changea cependant la donne. Dès février 1910, l’influent ambassadeur français à Londres, Paul Cambon, obtint sans peine son annulation en affirmant que la « surexcitation » de l’opinion publique anglaise était retombée après la mort de Léopold II, et qu’il ne fallait surtout pas rouvrir la boite de Pandore de la « protection des indigènes » [21]. L’institutionnalisation de l’ethnographie était donc également un enjeu diplomatique.

Van Gennep n’avait pas accès à ces discussions et il avait assurément une vision fort différente de la dimension internationale de l’institutionnalisation de l’ethnographie. De même, il n’était vraisemblablement pas en mesure de se démarquer du patronage d’Hubert. Celui-ci appartenait aux courants conservateurs du Parti colonial, engagés dans une lutte ouverte avec les « indigénophiles » et autres « humanitaires », ces deux termes étant connotés de façon très péjorative. Hubert servait en fait de conscience morale aux partisans de la politique d’association qui défendaient aussi, très souvent, l’idée qu’il existait des races « supérieures » appelées à dominer et des « races » inférieures. En 1909, il se chargea de définir les « devoirs de l’Europe en Afrique », dans des articles et une brochure publiés dans la presse coloniale et via une série de conférences financées par l’Union coloniale à la Sorbonne. Dans quelle mesure Van Gennep s’accommodait-il de ces positions conservatrices, sinon réactionnaires ?

De Madagascar à Tlemcen : être ethnographe à l’âge des empires

La contradiction était flagrante avec l’un des motifs récurrents de sa chronique au Mercure de France qu’il aborda dès la première livraison en février 1905 : la récusation de la fausse distinction entre ethnographie et folklore. Elle reposait selon lui sur une morgue raciale sans aucun fondement scientifique : « […] quand il s’agit de Blancs, le Blanc pour affirmer sa supériorité, nomme l’ethnographie : Folk-Lore [22] ». Il n’était pas le seul à dénoncer les divagations racistes de la socio-anthropologie notamment [23]. Il estimait qu’on ne pouvait se contenter, comme l’avait fait Jean Finot, de présenter le « préjugé des races » comme une pure invention des ethnographes, il s’agissait aussi d’un puissant et complexe sentiment populaire [24]. Mais s’il était prompt à vitupérer par exemple le tableau des différentes races humaines infligé aux écoliers dans toute la France, avant son séjour en Algérie en 1911 et 1912, il donnait l’impression de ne pas faire le lien entre ces représentations racistes et leurs traductions pratiques dans les colonies. Depuis la guerre des Boers entre 1899 et 1902 et à la faveur des divers scandales coloniaux, la question avait pourtant été posée de façon explicite par ceux qui dénonçaient la « ligne de couleur » partageant le monde, pour reprendre la formule proposée dès 1900 par l’universitaire et panafricaniste afro-américain William B. Du Bois [25], et par ceux qui s’effrayaient des menaces pesant à leurs yeux sur les prérogatives de la race blanche [26].

On ferait cependant un faux procès à Van Gennep en l’accusant d’indifférence : l’intérêt des dix années qui s’écoulèrent entre la publication de sa thèse sur Madagascar en 1904 et la parution de son curieux récit de voyage en Algérie en 1914, tient au contraire à sa capacité à se forger une opinion à partir de ses lectures et de ses échanges avec divers interlocuteurs coloniaux. Diplômé de l’École des langues orientales, ayant une solide expérience de la collecte et de l’enquête de terrain, Van Gennep vit au départ dans l’ethnographie coloniale un terrain à la fois légitime et peu parcouru, où il pouvait faire valoir ses talents de polyglotte, ses compétences théoriques et ses liens avec les réseaux anthropologiques anglais [27]. Il présenta Madagascar en 1904 comme une « terre bénie » pour bâtir l’une des synthèses partielles dont l’ethnographie avait besoin pour répondre à des interrogations transversales, en l’espèce : le mécanisme du tabou, l’existence de traces de totémisme et le bon usage des comparaisons en ethnographie [28]. Elle avait été étudiée par de nombreux missionnaires britanniques, présents depuis les années 1790, et par des savants français éminents, entre autres l’ex-consul et arabisant Gabriel Ferrand qui attribuait une origine arabe à certaines de ses populations. Van Gennep croisa ces sources et discuta les hypothèses de Ferrand. Mais, tout en affirmant que « l’étude approfondie des sociétés demi-civilisées est de première nécessité pour qui veut faire œuvre de colonisation durable », il se contenta d’indiquer les « points de détail des recherches nouvelles sur place [qui sont] désirables en vue d’une intelligence plus complète du fonctionnement des sociétés malgaches [29] ». La démonstration contrefactuelle qu’il suggérait dans son introduction, prouver « la parenté des Sakalava de Madagascar et des Lapons – les uns et les autres ont des sorciers, vénèrent leur chef, élèvent des troupeaux (les uns de bœufs, les autres de rennes, mais cela tient aux circonstances extérieures), entaillent l’oreille de leurs bêtes, croient à l’influence du destin, etc. [30] » –, et la critique féroce du comparatisme extensif de l’anthropologie évolutionniste qu’elle impliquait, lui semblaient manifestement plus importantes. Cet évitement du terrain était d’autant plus surprenant que Madagascar était aussi le laboratoire où Joseph Galliéni, gouverneur général de 1895 à 1905, définissait une « politique des races » à l’usage de tout l’empire français, à grands renforts d’enquêtes linguistiques et anthropologiques.

Van Gennep le confirma néanmoins dans son ouvrage suivant, en 1906, sur les mythes australiens. Là aussi le choix du terrain était négatif. Il constatait dans la préface qu’« il n’existe pas en français d’ouvrage qui véritablement permette de juger ce que valent, aux points de vue mental et culturel, les indigènes de l’Australie [31] ». Mais s’il s’agissait toujours d’ethnographie par procuration, sa démarche critique allait au-delà du croisement des sources. Il choisit en effet de « ne parler que des tribus connues à fond parce que leur étude permet, grâce à la connaissance qu’on a du détail de leur vie sociale, de formuler et parfois de résoudre des problèmes de portée générale [32] ». Et il passa au crible les compétences linguistiques, la méthode et le positionnement des auteurs des dix monographies qui constituaient son corpus. Il ne s’agissait pas seulement de trier, de façon au fond assez classique, entre des travaux de valeur inégale. Van Gennep entendait mettre ainsi en exergue ce qu’il avait présenté dans sa première chronique au Mercure de France comme la base d’une véritable révolution interprétative : l’initiation aux rites d’une société secrète aborigène que les anthropologues, Walter Baldwin Spencer et Francis James Gillen [33], avaient pu obtenir au cours d’un long terrain en 1901-1902 et qui leur avait ensuite permis d’analyser le fonctionnement économique complexe de cette société [34]. Ils étaient ainsi passés de la collecte d’informations ponctuelles et figées à des observations portant sur le fonctionnement et sur le changement des sociétés aborigènes. Ce qui recoupait les recherches de Van Gennep qui suggéra en 1912 qu’il fallait étudier en priorité les faits sociaux « naissants » et qui proposa la même année une brillante analyse de la « formation des légendes [35] ». 

Alors qu’il avait abordé l’ethnographie coloniale comme une sorte de détour académique lui permettant de prendre pied dans le domaine bien balisé, et certainement plus encombré, de l’histoire des religions, Van Gennep en perçut assez vite la double dimension novatrice. Il s’y jouait des révolutions interprétatives, comme en Australie, et la mort d’Ernest-Théodore Hamy, incontournable mentor des érudits coloniaux jusqu’en 1908, laissait le champ libre pour inventer de nouveaux modes de régulation des pratiques d’enquête. Amorcée dans sa chronique au Mercure de France, cette régulation devint l’enjeu majeur de la fondation de l’Institut ethnographique international de Paris en 1910, dont les membres coloniaux, Delafosse en tête, étaient les chevilles ouvrières [36]. Présentant l’institut en janvier 1911, Van Gennep rappelait que « l’ethnographie est nécessairement synthétique » ou alors, elle se réduisait « à n’être qu’un catalogue d’objets, de croyances, d’institutions » [37]. Cette exigence l’entraînait dans une critique souvent acerbe des pratiques d’enquête des ethnographes coloniaux qui versaient à l’occasion dans de folles interprétations, ou qui oubliaient des données élémentaires : par exemple de préciser si les maisons qu’ils décrivaient avec un grand luxe de détails avaient une base ronde ou carrée. Mais tout en proclamant le caractère stratégique de l’essor des enquêtes coloniales pour l’institutionnalisation de l’ethnographie, il contestait leur sacralisation. Il s’amusa ainsi en 1910 à présenter son terrain estival, à Bonneville en Haute-Savoie comme s’il était « situé au centre de l’Afrique », indiquant qu’il avait eu l’appui des « indigènes », en l’occurrence le médecin, le juge de paix, le secrétaire de la sous-préfecture, enfin son hôtelier [38]. Sous la pochade perçait un engagement épistémologique qu’il mit à l’épreuve en Algérie en 1911 et 1912 : la nécessité pour tout ethnographe d’« aller au peuple », en s’affranchissant des catégories locales et en les critiquant [39].

Il y avait là une conviction méthodologique et ontologique. En 1909, il mobilisa ses contacts coloniaux pour procéder à une « contre-enquête » sur « le sens de l’orientation chez l’homme » qui fournit la matière de deux articles dans la Revue des idées (en octobre 1909 et octobre 1910) dont il était le secrétaire et l’un des auteurs les plus prolixes, et qui fut reprise dans le troisième volume des essais d’ethnographie et de linguistique qu’il publia sous le titre Religions, mœurs et légendes en 1911 [40]. Il sollicita un officier chargé de relevés topographiques au Sahara qui avait publié un article dans la Revue des idées, un officier à Madagascar que lui avait signalé Paul Rivet, un médecin colonial en poste au Congo, un chimiste chargé de missions de prospection au Congo et en Tunisie, deux missionnaires suisses, le pasteur Henry Junod et le révérend Chatelain, et l’incontournable ami Delafosse. Ce qui lui permit de réfuter les affirmations du médecin allemand Eduard Peschuel-Lösche sur le sens inné de l’orientation des Loango et chez les sauvages en général et de prendre en défaut également Lucien Lévy-Bruhl qui avait aveuglément suivi Peschuel-Lösche dans son étude sur les Fonctions mentales dans les sociétés inférieures. Van Gennep recourut à la psychologie expérimentale pour démontrer l’inanité de la catégorisation qui isolait a priori les sauvages, ou les sociétés dites inférieures et primitives. Il rejoignait sur ce plan un courant dominant, ainsi Mauss avait-il récusé l’idée qu’il existerait des peuples « non civilisés » lors de sa leçon inaugurale à l’École pratique des hautes études en 1902. Mais Van Gennep fondait sa démonstration dans la pratique, ainsi l’article présentant les résultats de sa contre-enquête commençait-il par une auto-analyse des sensations tactiles (le soleil sur le visage, la consistance du sol) permettant de s’orienter spontanément lors d’une course en montagne. Il faisait en outre écho à la démonstration de l’anthropologue britannique William Rivers qui avait étudié de façon expérimentale les degrés d’acuité sensorielle lors de l’expédition au détroit de Torres en 1898 et prouvé que celle-ci dépendait de l’environnement, non de la race ou de la forme de civilisation [41]. Et il invitait en conclusion les fonctionnaires, les explorateurs et les colons à multiplier les expériences sur le sens de l’observation pour recouper ses premiers résultats. À partir de 1910, l’Institut ethnographique devint le théâtre institutionnel de ces allers et retours entre la pratique et la théorie, mais aussi entre les réseaux coloniaux et les réseaux scientifiques métropolitains. L’enquête algérienne dans laquelle s’engagea Van Gennep en 1911 s’inscrivait aussi dans cette logique de circulation impériale. Elle se heurta cependant assez vite à des limites idéologiques autant que matérielles.

Des demi-civilisés aux demi-savants ?

Si Van Gennep utilisait systématiquement l’expression « demi-civilisés », en rejetant ostensiblement les notions plus classiques de populations « sauvages », « archaïques » ou « primitives » mais sans vraiment délimiter les contours de cette nouvelle catégorie critique, il mesurait la force des clivages à l’œuvre dans les sociétés coloniales. Il accumula les notations sur les incompatibilités entre le fonctionnement ségrégatif de la situation coloniale [42] et les conditions nécessaires pour mener une enquête ethnographique. Revenant en 1908 sur les vertus heuristiques de l’initiation des ethnographes aux rites locaux pour le travail de terrain, il observait qu’il était peu probable que « des missionnaires ou des colons s’intéressent assez à l’ethnographie pour se résoudre à un tel “abaissement” [43] ». Il n’hésitait pas à stigmatiser les colons ou les missionnaires, mais il ne commentait guère la collusion entre les pratiques de la domination coloniale et les pratiques ethnographiques. Il put ainsi vanter en 1905 les initiatives du gouverneur général de l’Afrique occidentale française, Ernest Roume, qui avait ordonné la rédaction de « codes coutumiers indigènes », approuvé « un plan d’enquête ethnographique détaillée de nos possessions africaines » et qui envisageait de fonder un musée à Dakar [44], sans analyser les pratiques politiques sur lesquelles elles venaient se greffer [45]. Il avait trop besoin du soutien des érudits coloniaux [46] pour les affronter sur cette question que les débats réformistes avaient par ailleurs transformée en enjeu politique. Et il comptait bien démontrer par la pratique en Algérie qu’il était possible à un ethnographe compétent de passer outre ces catégories. Le résultat ne fut pas à la hauteur de ses ambitions : il tomba dans le piège des clivages coloniaux en désignant des boucs émissaires, en l’occurrence les Juifs et les Espagnols [47]. Mais le curieux ouvrage qu’il rapporta, En Algérie, hésitant entre récit de voyage ironiquement exotique et plaidoyer grandiloquent en faveur des Jeunes Algériens et de toutes les élites coloniales acculturées, confirmait qu’il était passé d’un investissement opportuniste de la colonisation comme terrain de manœuvres pour obtenir l’institutionnalisation de l’ethnographie à une lecture plus engagée [48].

En 1908, il consacra plusieurs articles et chroniques au bovarysme qui avait été défini par le philosophe Jules de Gaultier comme « le pouvoir départi à l’homme de se concevoir autre qu’il n’est » et, sur le plan collectif, comme une force de « suggestion » et d’uniformisation de ce qui est reconnu comme la coutume partagée [49]. Gaultier appelait à une étude comparée du bovarysme dans tous les groupements humains et Van Gennep s’empara du thème pour montrer que le poids de la contrainte sociale n’était pas radicalement différent entre les civilisés et les demi-civilisés. Il s’attacha particulièrement au cas des Libériens d’origine américaine, partagés entre leur culture occidentale et leur environnement ouest-africain [50]. D’emblée il notait que les préjugés des Européens interdisaient en pratique d’étudier le bovarysme collectif des non-Européens, leurs points de vue étant disqualifiés a priori. Et il concluait sur la « lumière crue » que la notion de bovarysme collectif jetait « sur le mécanisme de la colonisation, sous ses formes diverses, plus ou moins violentes, plus ou moins réussies » [51]. Il insistait en particulier sur la violence culturelle imposée par la colonisation, évoquant le cas des Océaniens que l’on tuait en les contraignant à se vêtir, suggérant que la résistance armée ou morale des colonisés face à cette violence était légitime et incitant les Libériens à refuser aussi bien le modèle culturel des Blancs que ceux des sociétés autochtones, pour s’inspirer de l’exemple d’Haïti. Mais il était tributaire de ses sources coloniales. Il s’inspira de Delafosse qui avait été consul au Libéria de 1897 à 1899 et qui avait publié en 1901 un article sur « Les Libériens et les Baoulés. Nègres civilisés et nègres dits sauvages », où il soulignait la décadence des Libériens munis d’un vernis culturel incompatible avec leur « race » et demandait que la civilisation des Baoulés, encore intacte selon lui, fût conservée en l’état [52]. Van Gennep utilisa également les travaux de Sir Harry Johnston, ex-gouverneur de l’Ouganda et pilier de l’African Society et de l’Aborigines Protection Society, qui se posait, avec plus d’influence encore que Delafosse, en spécialiste de la race noire. D’où une image aussi condescendante que négative des Libériens.

Fin 1908, Van Gennep revint sur le sujet, mais en écartant Delafosse et Johnston, pour commenter la conférence faite à Londres en janvier 1908 par Edward Blyden, « le seul Libérien, peut-être, qui ait vu les causes profondes du désarroi de son pays [53] ». Originaire des Caraïbes et éduqué aux États-Unis, Blyden était l’une des figures dominantes de l’intelligentsia ouest-africaine anglophone [54]. Il avait fait sa carrière universitaire au Libéria et en Sierra Leone et il avait été ambassadeur du Libéria à Londres et à Paris. Il prônait le retour en Afrique des descendants de la diaspora et la préservation de la « personnalité » africaine, opposant le véritable monothéisme africain que serait l’islam au christianisme diffusé par la colonisation. En 1908, il était venu présenter à Londres son nouvel ouvrage sur la défense des coutumes africaines. Il défendait donc un séparatisme culturel comparable à celui qui était, selon Delafosse ou Johnston, la base d’une bonne « politique indigène » et comme eux, il demandait que des moyens plus importants fussent accordés à l’expertise ethnographique [55]. Van Gennep n’eut vraisemblablement aucun contact direct avec Blyden et il ne recensa pas son ouvrage. Il se saisit pourtant de cette voix pour se désolidariser ouvertement du mépris colonialiste frappant les Libériens : « J’ai regret maintenant d’avoir tant insisté naguère sur le côté comique de la pseudo-civilisation libérienne : le destin de cette République est profondément tragique [56]. » Et pour renverser les perspectives en soulignant que « le sort des Libériens actuels évoque brutalement la fin des grands empires de l’antiquité » et qu’il y avait beaucoup à apprendre du « détail de ces luttes et de ces souffrances » pour étudier à nouveaux frais ces fins d’empire [57]. Son intérêt était guidé par sa conception dynamiste de l’ethnographie : les faits « mourants » pouvaient s’avérer tout aussi significatifs que les faits « naissants » [58]. Mais il faut en ajouter une autre. La chronique du Mercure de France où il introduisait le point de vue de Blyden, s’ouvrait, de façon révélatrice, sur des considérations sur les « Jeunes Maoris », c’est-à-dire l’élite nationaliste en partie acculturée qui réclamait davantage de droits politiques au moment où se mettait en place le suffrage universel en Nouvelle-Zélande qui refermait sur tous les Maoris le piège du double collège électoral [59]. Se profilait donc à la faveur de ses lectures tous azimuts et de ses échanges directs et indirects avec des interlocuteurs colonialistes et plus rarement colonisés, une réflexion originale qui s’appuyait sur son universalisme méthodologique pour se mettre en quête des voix étouffées par la colonisation et qui épinglait, de façon ponctuelle mais répétée, les dynamiques conflictuelles des sociétés coloniales.

Un chapitre de la féroce satire sur les Demi-Savants, ces prototypes d’hommes « à demi instruits » animés de la folle ambition d’« appliquer une méthode jusqu’au bout, sans aucune intervention de ce qu’on appelle le contrôle mental » [60], publiée en 1911 par Van Gennep, menait à son terme logique, mais utopique, cette démarche. Dans « MACL, ou l’épigraphie intégrale » Van Gennep mit en scène T.D.B. Abdallah Sénoufo, professeur d’épigraphie comparée à l’université des États-Unis du Tchad, en mission archéologique dans l’archipel européen : ce qui subsistait de l’Europe après qu’elle s’était affaissée sous la mer en 2211 en pivotant autour des monts Oural [61]. Il associait avec humour ses terrains savoyards et ceux de ses interlocuteurs coloniaux privilégiés : les érudits coloniaux cornaqués par Delafosse [62]. L’expédition se rendait ainsi à l’île blanche baignant dans la mer rhodanienne et s’empressait de rebaptiser une de ses collines : la « Dent du Tchad [63] ». Mais il jouait aussi sur l’improbabilité du renversement, le Tchad étant désormais le centre de la civilisation dominante qui inventoriait avec un discernement relatif [64] les vestiges de celles qui l’avaient précédée, pour mettre en garde ses lecteurs contre leurs préjugés, ce qu’il désigna ensuite dans En Algérie comme leur mentalité commune d’Européen central [65]. La démonstration était impeccable sur le plan méthodologique. Mais elle était desservie par cette formulation satirique qui soulignait d’ailleurs sa marginalité. En outre, si ses implications étaient en phase avec l’élan réformiste et le vigoureux internationalisme de la décennie précédant la Première Guerre mondiale, marquée en France par le dreyfusisme et ses engagements, Van Gennep était en réalité assez éloigné de ce type d’engagement [66]. Aussi cohérente et riche fût-elle, sa lecture critique des effets culturels de l’impérialisme restait donc très isolée.

Van Gennep ne fut donc jamais « ethnographe officiel des colonies ». S’il ne fut ni un colonialiste, ni un anticolonialiste déclaré, son initiation impériale se fit à contretemps : alors qu’il avait terminé sa thèse sur Madagascar et définitivement délaissé ce terrain éventuel, et en contournant les facilités que pouvait offrir un ralliement inconditionnel à la cause de l’utilité publique réinventée de l’ethnographie coloniale. Sa dissidence fut mineure et assez peu audible avant 1914. Pourtant, loin de s’atténuer, elle participa de l’exclusion qui frappa Van Gennep au début des années 1920, lorsque l’Institut ethnographique se reconstitua sans lui. Au moment où l’ethnographie, puis l’ethnologie coloniale devenait une science impériale, chargée d’énoncer et de préserver les différences culturelles justifiant les inégalités de statuts et de traitements qui constituaient la trame de l’empire, son universalisme méthodologique apparut comme une subversion d’autant plus gênante qu’elle pouvait étayer les revendications universalistes formulées par les élites colonisées qui avaient répondu avec enthousiasme aux quatorze points du président Wilson. Van Gennep fut ainsi l’une des victimes, collatérale mais significative, de l’ère des accommodements impériaux qui s’ouvrait pour l’ethnologie au début des années 1920 et qui ne fut remise en cause qu’après la seconde guerre mondiale, lorsque Michel Leiris et Georges Balandier relancèrent la réflexion critique et théorique sur les liens entre ethnologie et colonialisme [67].

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[1Cet article a d’abord été publié, sous le même titre, dans Daniel Fabre & Christine Laurière (dir.), Arnold Van Gennep. Du folklore à l’ethnographie, Paris, Éditions du CTHS, 2018, pp. 117-131 (ouvrage épuisé).

[2Van Gennep a brûlé une grande partie de ses papiers en 1919 (R. Lévy-Zumwalt, 1988), il faut donc s’en remettre à des traces indirectes qui sont rarement explicites ou précises.

[3A. Van Gennep, 1908f, p. 701.

[4Lettre à Mauss, 28 et 30 novembre 1907, archives Mauss, Collège de France.

[5E. Sibeud, 2004b.

[6Cette augmentation est votée en novembre 1907 par la Chambre des députés.

[7En février 1905, la presse à grand tirage révéla les atrocités commises par deux administrateurs coloniaux au Congo (Berenson, 2011). Les mécanismes de cette exploitation violente et destructrice à tous égards ont été analysés par Catherine Coquery-Vidrovitch (1972).

[8Elle disposait en 1908 d’un budget de 200 000 francs dont 110 000 francs provenant d’une souscription organisée par les sociétés concessionnaires (A. Gervais, 1907, p. 1730).

[9E. Sibeud, 2002.

[10En novembre 1907, Louis Puech, député radical-socialiste de la Seine, décrivit en détail les « scandales de la Guinée française » évoquant l’exécution sans jugement d’un chef, la destruction sans motif d’un village par les tirailleurs sénégalais, les mœurs féodales des administrateurs des colonies adeptes du droit de cuissage, les malversations fiscales et le rappel du gouverneur Frézouls coupable d’avoir réellement mis en œuvre l’abolition de l’esclavage (Anonyme 1907, p. 553-562).

[11Les députés qui s’intéressaient aux questions coloniales recevaient en outre des copies des rapports officiels, au grand embarras du ministère qui organisa les archives coloniales pour éviter ces fuites.

[12H. Brunschwig, 1988.

[13Ch.-R. Ageron, 1978.

[14Ch.-R. Ageron, 1968.

[15E. Sibeud, 2004b.

[16J.-L. Amselle, É. Sibeud, 1998.

[17MAE, Correspondance politique et commerciale – Afrique – Questions générales – volume NS 39 : Protection des indigènes, 1897 et 1908-1913.

[18A. Hochschilds, 1998.

[19D. Vangroenweghe, 1986.

[20C. Coquery-Vidrovitch, 1972.

[21MAE, Correspondance politique et commerciale – Afrique – Questions générales – volume NS 39 : Protection des indigènes, 1897 et 1908-13.

[22A. Van Gennep, 1905a, p. 209.

[23J. Hecht, 1997 ; L. Mucchielli, 1997.

[24A. Van Gennep, 1905 b, p. 273-274.

[25Lake, Reynolds, 2005.

[26Le Mercure de France proposait de nombreuses rubriques paraissant alternativement. Celle de Van Gennep était régulièrement associée avec la rubrique des « Questions coloniales » tenue par Carl Siger, pseudonyme d’un haut fonctionnaire du ministère des Colonies, Charles Régismanset. Celui-ci dénonçait en octobre 1905 « cette manie de scandales livrés à la plus grotesque et inexacte publicité » menaçant de ruine l’empire colonial français et le prestige « du » blanc auprès des races inférieures (C. Siger, 1905, p. 599).

[27A. Van Gennep traduisit dès 1898 la brève synthèse de Frazer sur le totémisme.

[28A. Van Gennep, 1904a, p. 3-11.

[29Ibid., p. 1.

[30Ibid., p. 8.

[31A. Van Gennep, 1906a, p. v.

[32Ibid., p. xi.

[33Spencer était un universitaire, Gillen un fonctionnaire australien en poste dans le bush et à ce titre chargé de la « protection » des indigènes, ce qui était essentiellement en Australie une fonction de surveillance liée à l’enfermement des Aborigènes dans des réserves (A. Porter, 1999).

[34A. Van Gennep, 1905a, p. 611.

[35A. Van Gennep, 1911f ; 1912c.

[36E. Sibeud, 2002.

[37A. Van Gennep, 1911a, p. 400.

[38A. Van Gennep, 1910a, p. 692.

[39E. Sibeud, 2004a.

[40A. Van Gennep, 1911c.

[41A. Herle, S. Rouse, 1998.

[42Il va de soi qu’il n’utilisait pas cette notion, définie en 1951 par Georges Balandier.

[43A. Van Gennep, 1908h, p. 715.

[44A. Van Gennep, 1905b, p. 696.

[45A. Conklin, 1997.

[46L’un des premiers actes de l’Institut ethnographique international fut de racheter et de renflouer la Revue des études ethnographiques et sociologiques que Van Gennep avait lancée en 1908 et où il avait englouti toutes ses économies (E. Sibeud, 2002).

[47E. Sibeud, 2004a.

[48Voir, dans cet ouvrage, l’article de François Pouillon.

[49A. Van Gennep, 1908d, p. 202-229.

[50C’est-à-dire ceux qui étaient des Afro-Américains revenus des États-Unis sous les auspices de la société de colonisation à partir de 1820 ou leurs descendants. Le Libéria devint un État indépendant en 1847. Des terres furent achetées aux populations autochtones pour installer les premiers colons, les tribus de l’intérieur furent ensuite placées sous un protectorat qu’elles toléraient d’autant plus mal au début du XXe siècle qu’elles étaient encouragées à s’agiter par les autorités anglaises et françaises des colonies voisines (Sierra Leone et Côte-d’Ivoire).

[51A. Van Gennep, 1908d, p. 227.

[52M.Van Gennep Delafosse, 1901.

[53A. Van Gennep, 1908g, p. 696.

[54Ph. S. Zachernuk, 2000.

[55Il mit en exergue de son livre des citations appelant au développement institutionnel de l’ethnologie comme science pratique et politique de la colonisation, notamment une citation de James G. Frazer demandant la création du bureau d’ethnologie impériale, en discussion depuis les années 1890 (E. W. Blyden, 1908). Un Government Anthropologist, Northcote Thomas, fut recruté au Nigéria en 1908, mais renvoyé dès 1912 (Kuklick, 1991, p. 41-58).

[56A. Van Gennep, 1908g, p. 697.

[57A. Van Gennep, 1908g, p. 696.

[58A. Van Gennep, 1911f.

[59A. Van Gennep, 1908g, p. 696.

[60A. Van Gennep, 1911e.

[61A. Van Gennep, 1911e, p. 115-116.

[62Le nom du personnage principal est une allusion à Delafosse qui publia une étude sur le peuple sénoufo (au centre de la Côte d’Ivoire) dans le premier volume de la Revue des études ethnographiques et sociologiques en 1908 (Delafosse, 1908).

[63A. Van Gennep, 1911e, p. 119.

[64Le dénouement repose sur le déchiffrement de l’inscription MACL à laquelle le professeur accorde une signification religieuse, riant beaucoup de la suggestion faite par son petit-fils (Maison Assurée Contre L’incendie) qui est évidemment la bonne, mais totalement improbable et, comme le décrète le savant, fondée sur une « impossibilité épigraphique » (A. Van Gennep, 1911e, p. 115-133)

[65A. Van Gennep, 1914a.

[66E. Sibeud, 2011.

[67M. Leiris, 1947 ; G. Balandier, 1951.