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Encyclopédie internationale
des histoires de l’anthropologie

Une anthropologie au service de l’évangélisation : histoire(s) du Summer Institute of Linguistics

Élise Capredon

Mondes Américains (UMR 8168, CNRS, EHESS)

Thomas Grillot

CNRS (UMR8244 Institut d’Histoire du Temps Présent, IHTP)

2022
Pour citer cet article

Capredon, Élise & Thomas Grillot, 2022. « Une anthropologie au service de l’évangélisation : histoire(s) du Summer Institute of Linguistics », in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l'anthropologie, Paris.

URL Bérose : article2581.html

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Publié dans le cadre du thème de recherche « Circulations transnationales et usages sociaux des savoirs anthropologiques aux Amériques », dirigé par Thomas Grillot (CNRS, Paris) et Sara Le Menestrel (CNRS, Paris).

Introduction

Comme son nom ne l’indique pas, le Summer Institute of Linguistics (SIL) – ou Institut Linguistique d’Été – est une organisation missionnaire évangélique. Fondée aux États-Unis en 1934, elle voit le jour dans un contexte d’élargissement de l’action des missions protestantes à l’Amérique latine. Lors de la Conférence missionnaire mondiale de 1910, les Églises protestantes européennes avaient estimé que le continent latino-américain, évangélisé par l’Église catholique, était déjà une terre chrétienne, si bien qu’il ne constituait pas un champ d’action prioritaire. Les représentants des organisations évangéliques états-uniennes ne partageaient cependant pas ce point de vue. Jugeant au contraire qu’en Amérique latine, « des millions de personnes ne possédaient pas la parole de Dieu et ne connaissaient pas vraiment ce qu’était l’Évangile [1] », ils convoquèrent une nouvelle conférence pour rassembler les sociétés missionnaires engagées sur le continent. Cette rencontre, qui se déroula au Panama en 1916, inaugura une série de congrès visant à structurer les campagnes d’évangélisation en Amérique latine, à mettre fin à la concurrence entre dénominations et à « latiniser » le protestantisme (Bastian 1994 : 139-152). Elle marque le début d’une stratégie globale des institutions religieuses nord-américaines à l’égard de l’Amérique latine, dans une perspective de confrontation avec l’Église catholique (García-Ruiz 2004 : 83). Durant la première moitié du XXe siècle, les initiatives missionnaires ciblant l’aire latino-américaine se sont ainsi multipliées. Certains de leurs instigateurs, soucieux de porter la « parole de Dieu » aux populations « non atteintes » [2], ont décidé de se consacrer à l’évangélisation des populations amérindiennes. C’est le cas des représentants du Summer Institute of Linguistics, qui se sont spécialisés dans la traduction de la Bible dans les langues indigènes.

Cet intérêt des membres du SIL pour les populations autochtones et le travail de traduction les a conduits à faire appel, dans le cadre de leur activité prosélyte, à l’anthropologie et à la linguistique. Nous nous intéressons ici aux enjeux de cette appropriation de savoirs anthropologiques et linguistiques par des missionnaires évangéliques. Après une brève présentation de l’histoire du SIL, nous examinerons les principales modalités d’action de l’organisation, ses rapports avec le monde catholique, ainsi que ses relations tumultueuses avec les anthropologues.

Fondation et trajectoire du SIL : quelques repères historiques

Les origines du SIL se confondent avec l’itinéraire de son fondateur, William Cameron Townsend (1896-1982). Issu d’une famille d’exploitants agricoles de Californie, Townsend fréquente, à partir de 1914, l’Occidental College de Los Angeles, institution presbytérienne fondée en 1887 (Svelmoe 2008 : 5 sq.). Il la quitte en 1917, pour devenir colporteur de bibles en langue espagnole au Guatemala. Ce travail le convainc de la nécessité de faire traduire en langues indigènes les Saintes Écritures, pour mieux faire avancer le projet missionnaire fondamentaliste, qui piétine dans la région. C’est chose faite pour la langue cakchiquel, en 1931. Le projet attire l’attention de dirigeants locaux, mais aussi de deux importantes personnalités fondamentalistes : Charles E. Fuller, évangéliste qui utilise la radio au service de la cause et fondera en 1947 le Fuller Theological Seminary de Pasadena ; et Lyman Stewart, fondateur de l’Union Oil Company, de l’Occidental College, d’instituts d’études bibliques et de la série des Fundamentals, un ensemble d’essais qui énoncent la doctrine du mouvement. Le vaste programme de traduction du texte biblique en langues indigènes promu par Townsend s’inscrit bien dans le millénarisme fondamentaliste : la traduction de la Bible et l’évangélisation des populations réputées n’avoir jamais reçu la Bonne Nouvelle chrétienne doivent hâter le retour du Christ sur terre.

Dès l’origine, ce projet missionnaire s’accompagne d’une stratégie d’entrisme. Elle conduit Townsend à échafauder de savants montages institutionnels pour faire accepter ses missionnaires-traducteurs dans des pays d’Amérique latine peu sensibles à l’attrait de la prédication évangéliste. En juin 1934, un premier camp de formation est inauguré dans une ferme de l’Arkansas, sous le patronage d’une organisation presbytérienne, Victorious Life, et de son émanation, la Pioneer Mission Agency (PMA). Le Summer Institute of Linguistics (SIL) est quant à lui une organisation non religieuse déclarée au Mexique, puis en Californie. Elle doit démontrer aux autorités mexicaines les buts avant tout scientifiques de Townsend et de ses recrues, et permettre aux élèves linguistes d’être rattachés institutionnellement à l’université de l’Oklahoma, objectif atteint en 1942. Satisfaire les promoteurs fondamentalistes du projet suppose néanmoins de ne pas trop dissimuler l’objectif missionnaire : une deuxième organisation, ouvertement religieuse, la Wycliffe Bible Translators, est créée dès 1941. Le SIL et Wycliffe s’émancipent ensuite de la PMA. Les deux ne forment en réalité qu’une seule organisation, les listes de leurs membres et de leurs dirigeants étant identiques (Stoll 1982).

Les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale voient l’expansion du SIL dans toute l’Amérique latine, puis en Asie et en Afrique. La stratégie d’effacement du missionariat derrière des objectifs scientifiques est essentielle dans ce succès. Elle ne va d’ailleurs faire l’objet de critiques virulentes qu’à partir des années 1970, même si c’est dès l’origine qu’elle est attaquée, en interne, dans le milieu fondamentaliste lui-même. L’heure de gloire du SIL, entre les années 1930 et 1970, correspond au moment de l’indigenismo sous ses diverses formes en Amérique latine (Giraudo & Sánchez 2011). L’organisation accompagne ce qui s’apparente à une stratégie de refondation des communautés nationales latino-américaines, en se plaçant à la charnière des rapports entre États et communautés indigènes, isolées par la langue et/ou la géographie. Les droits exorbitants accordés par ces États à l’organisation suscitent les protestations de l’Église catholique mais aussi, et plus tardivement, de sévères mises en cause de la part de la communauté des anthropologues, comme nous le verrons plus loin. Les tentatives du SIL de contrer ces critiques en théorisant la valeur missionnaire d’une attitude de sympathie envers les cultures des populations à convertir ou la promotion d’un leadership indigène ne convainquent guère (Pike 1960). Le SIL est peu évoqué, et toujours négativement, dans les dénonciations du rôle de l’anthropologie et des missionnaires dans la poursuite de la colonisation des Amérindiens, qui débouchent en 1971 sur la déclaration de la Barbade (Hart 1973, Aldridge 2009). Le déclin de l’indigenismo, mais aussi les accointances du SIL avec les diplomates états-uniens et la CIA en Amérique latine et au Vietnam, créent une situation explosive pour l’organisation. Ils précipitent des campagnes stigmatisant la « duplicité » des linguistes-missionnaires du SIL, qui mènent à l’expulsion de l’organisation du Brésil, du Mexique et du Panama, ainsi qu’à la restriction de ses activités en Équateur et au Pérou à l’orée des années 1980. Loin de disparaître, le SIL se restructure, valorisant notamment la formation supérieure de ses nouveaux membres dans son International Linguistic Center, affilié à l’université du Texas à Dallas. Par le nombre de ses missionnaires et l’extension de son réseau, il occupe aujourd’hui encore une place centrale dans le missionnariat chrétien, toutes dénominations confondues.

Logistique, diplomatie, linguistique : modalités d’action du SIL

Si le succès du SIL vient en partie d’un marketing efficace, de capacités techniques et financières, il repose avant tout sur des méthodes qui permettent de convaincre, au moins pendant un temps, les États et les scientifiques du bien-fondé de ses activités. L’organisation évangélique séduit les États par ses promesses d’aide à l’intégration de populations désignées comme « indiennes » ou « indigènes » aux nations latino-américaines. Ses dirigeants se donnent les moyens de cette ambition en utilisant un système de communication par radio et en créant une flotte d’avions qui rompent physiquement l’isolement de ces groupes, avant que la construction de routes ne vienne les relier au reste du territoire national. Les missionnaires du SIL s’insinuent ainsi dans des territoires qui sont ensuite traités comme des fiefs de l’organisation.

Dans le même temps, Townsend fait preuve d’une grande habileté diplomatique pour sceller des alliances avec des personnalités politiques et scientifiques. Ce talent personnel est vite transformé en protocole enseigné aux aspirants missionnaires. Townsend s’impose en effet un code de conduite jugé conforme à la « courtoisie latine » : il gratifie ses interlocuteurs d’une forte étreinte – un « abrazo mexicano » – pour les saluer, leur rend visite en cas de maladie, deuil ou mariage dans leur famille ou encore débute ses entretiens en abordant des sujets personnels, avant de formuler négligemment sa requête au moment de partir – des « techniques » qui font l’objet d’une transmission au sein du SIL (Barros 1993 : 175). Le respect de cette étiquette aide les membres de l’organisation à s’attirer les faveurs de puissants dirigeants politiques, tel le président mexicain Lázaro Cárdenas, dont Townsend fut l’ami. Cette attitude relève plus généralement d’une attention behavioriste qui se retrouve dans la formation linguistique et relationnelle développée dans les camps de formation du SIL : observation et imitation des comportements et des façons de parler des populations sont au fondement d’une anthropologie appliquée au service de l’évangélisation, qui précède de loin la théorisation d’un respect de la culture de l’autre.

Les alliances passées dans les années 1930 au Mexique avec certains des leaders continentaux de l’indigenismo sont décisives – et contraignantes. Townsend y développe une collaboration avec le spécialiste des questions d’éducation Moisés Sáenz, qui lui ouvre les portes de l’appareil d’État mexicain, alliance qui fournit un modèle pour la pénétration ultérieure de toute l’Amérique latine. L’Instituto Mexicano de Investigaciones Lingüísticas (IMIL) exerce une forte pression pour que les travaux du SIL donnent lieu à des publications scientifiques. Les leaders de l’organisation accordent une place de plus en plus importante à la linguistique dans la formation dispensée au Camp Wycliffe, initialement centrée sur l’entraînement à la « vie pionnière [3] ». Il semble bien également que la dissimulation des activités missionnaires du SIL soit le fait des bureaucrates mexicains eux-mêmes, soucieux de contourner la résistance de l’Église catholique (Svelmoe 2009 : 633-634, Barros 1993 : 160-161).

Les compétences linguistiques, réelles ou supposées, deviennent ainsi un élément clé de la légitimité de ces intrus états-uniens et fondamentalistes dans les pays latino-américains. Avant de créer des églises, ils inaugurent des écoles, alphabétisent en langues indigènes, puis instaurent des programmes bilingues promouvant les langues nationales. La linguistique du SIL est pratique : elle consiste en une analyse des langues destinées à en faciliter l’apprentissage et, à terme, la traduction des textes bibliques. Elle n’en bénéficie pas moins de l’engouement qui s’attache, dans les premières décennies de son existence, aux sciences du langage. La linguistique représente alors pour les sciences sociales, en particulier pour l’anthropologie, un modèle d’objectivité [4] (Barros 1993 : 479). Ceux qui s’en réclament sont ainsi accueillis favorablement par les anthropologues, et plus généralement les intellectuels, parmi lesquels les enseignants et pédagogues. Maria Cândida Drumond Mendes Barros, autrice d’une thèse sur l’approche linguistique du SIL, estime d’ailleurs que la perte de légitimité de l’organisation est moins liée aux « accusations bien fondées d’espionnage ou de recherches géologiques, [qu’à], peut-être, la crise du paradigme linguistique, l’émergence de critiques de ce modèle » (ibid.).

En même temps que se développent les sciences du langage, se diffuse l’idée que les langues indigènes sont vouées à disparaître et qu’il est urgent de les documenter. Aux États-Unis, en 1927, le Committee on Research in Native American Languages a, sur la recommandation de Franz Boas et Leonard Bloomfield, mais contre celle d’Edward Sapir, exclu les missionnaires de cette collecte de sauvetage des langues indigènes (Murray 1991 : 3). Tant en Amérique du Nord qu’en Amérique du Sud, les universitaires qui se préoccupent du sort des langues indigènes mobilisent la figure du « dernier locuteur » pour alerter sur leur extinction imminente. En s’appropriant ce type de discours et en menant des recherches sur des langues minoritaires, les missionnaires du SIL gagnent peu à peu la confiance de nombreux scientifiques, tel Darcy Ribeiro, figure de proue de l’anthropologie brésilienne dans les années 1960 (Barros 1993 : 263-264).

Le travail de catalogage et d’enseignement des langues proposé par les linguistes du SIL reste incontournable aujourd’hui encore [5]. Malgré l’édition, par l’organisation, de longues bibliographies destinées à mieux le mettre en valeur (par ex., Wares 1992), il n’a pas fait l’objet d’une véritable histoire intellectuelle. La hiérarchie qui distingue les quelques théoriciens du SIL et les centaines de linguistes de terrain – petites mains qui collectent le matériel linguistique et produisent des manuels – est certaine, et de notoriété publique au sein même de l’organisation (Olson 2009 : 649). Kenneth Pike (1912-2000), président du SIL de 1942 à 1978, mais aussi de la Linguistic Society of America (1961), de la Linguistic Association of Canada and the United States (1977-1978), du département de linguistique de l’université du Michigan (1975-1977), inventeur du couple « emic/etic » (devenu canonique) [6], et auteur d’un monumental Language in Relation to a Unified Theory of the Structure of Human Behavior (1954-1955), est exceptionnel par son succès et sa stature internationale. Il est en revanche représentatif du caractère étroitement descriptif de la linguistique du SIL. Avec sa focalisation sur la phonologie et la morphologie, plutôt que sur la sémantique, celle-ci se cantonne à un travail de niche qui finit par l’isoler des courants les plus prestigieux de la linguistique universitaire. Malgré un nombre croissant de membres pourvus de doctorats [7] et une bibliographie qui compte 9876 notices en 1984, l’universitarisation de la linguistique du SIL se heurte également à une opposition interne qui tend à marginaliser les travaux les plus novateurs. Le travail d’Eugene Nida et William Wonderly sur la théorie de la traduction est le fait de deux membres qui finissent par quitter le SIL en 1953 et 1955, Nida rejoignant l’American Biblical Society (Nida 1947, Aldridge 2012 : 113-121).

Le SIL et les catholiques : compétition et coopération

Présentée surtout sous l’angle de l’innovation stratégique d’un homme, Townsend, à l’intérieur du mouvement fondamentaliste, l’histoire du SIL peut se lire autrement, au sein du missionariat chrétien en général. De ce point de vue, le positionnement scientifique du SIL et son appropriation pratique, puis théorique, de la linguistique, mais aussi de l’anthropologie culturelle, apparaissent comme partie prenante d’un rattrapage du milieu fondamentaliste, anti-intellectuel, par rapport à des élites catholiques plus portées sur la formation généraliste voire sur l’anthropologie. Ce mouvement est loin d’être linéaire, comme en témoignent les difficultés de Nida et Wonderly, mais il est persistant. Dès 1921, la Catholic University of America (CUA) crée la revue Anthropological Quarterly puis, en 1926, la Catholic Anthropological Conference (Rivet 1927) et, en 1934, un département d’anthropologie confié au prêtre John Montgomery Cooper, spécialiste – à distance – des Fuégiens et – sur le terrain – de diverses populations amérindiennes des États-Unis et du Canada (Britannica 2021). Par comparaison, il faut attendre les années 1940 pour que le Wheaton College, une institution chrétienne qui s’engage alors dans l’évangélisme, se dote d’un enseignement en anthropologie. Billy Graham, célèbre prêcheur évangélique, en sort en 1943 et prend soin de noter dans son autobiographie qu’il a pu y satisfaire un intérêt précoce pour la discipline anthropologique, conçue comme propédeutique à la communication interculturelle sur le terrain missionnaire (Graham 1997 : 64-65). C’est à Wheaton qu’est fondé en 1953 Practical Anthropology, qui devient en 1973 Missiology, journaux dans lesquels Eugene Nida prêche la prise en compte de la différence culturelle (Nida 1954) [8].

Bien que clairement minoritaire dans le mouvement fondamentaliste, cet effort de théorisation de la prise en compte de la culture dans le travail de traduction et de conversion dépasse le SIL. Il donne lieu à la promotion d’une stratégie fondamentaliste de substitution des rituels chrétiens aux rituels indigènes, basée sur une anthropologie culturelle fonctionnaliste, puis à celle d’une « ethnothéologie » faisant la place aux interprétations indigènes du texte biblique (Stoll 1990 : 84-88). Le travail conceptuel développé par Nida ou d’autres théoriciens fondamentalistes, comme Charles H. Kraft, fait écho à – et cite – celui de Louis J. Luzbetak, professeur d’anthropologie culturelle à la CUA, puis à Georgetown University, institution fondée par les Jésuites (Luzbetak 1961, 1963). La convergence avec les catholiques contribue parfois à transformer la compétition avec eux en une véritable collaboration. D’une part, il semble que certains missionnaires catholiques viennent suivre le cursus de formation linguistique du SIL (Worthen 2014 : 127). D’autre part, et dès 1969, avec le concile Vatican II, la World Catholic Federation for the Biblical Apostolate s’allie à la United Bible Societies – protestante – pour produire des bibles, cette rencontre autour du texte saint renforçant la convergence autour des problèmes de traduction culturelle. En 1973, les deux parties se retrouvent de nouveau pour fonder l’American Society of Missiology. L’idée d’une science des missions appuyée sur une connaissance, même rudimentaire, des « acquis » de l’anthropologie culturelle se diffuse alors largement, dans une dynamique de collaboration et de compétition qui dépasse la simple réponse tactique aux critiques qui viennent alors frapper le missionariat chrétien.

Le SIL et les anthropologues : collaborations et conflits

La trajectoire du SIL peut également se lire comme un épisode des relations mouvementées entre missionnaires et anthropologues. Les deux catégories d’acteurs, qui partagent une même condition d’hôte dans des sociétés étrangères tout en poursuivant des objectifs opposés – « prêcher » ou « enseigner » pour les uns, « écouter » ou « apprendre » pour les autres (Pels 1989 : 77, Van der Geest 1990 : 588-589) – entretiennent des rapports ambivalents depuis la naissance de la discipline anthropologique. Les premiers anthropologues ont en effet construit la scientificité de leur approche par opposition à celle d’autres arpenteurs de contrées lointaines, en particulier celle des missionnaires, mais ils ont simultanément utilisé les récits des prédicateurs chrétiens, riches en données ethnologiques, pour nourrir leurs analyses. Ils ont critiqué l’ethnocentrisme des religieux et leur ont reproché de détruire les coutumes des populations qu’ils cherchaient à convertir, tout en leur reconnaissant des talents ethnographiques et linguistiques et en profitant, bien souvent, de leur soutien matériel sur le terrain. De nombreux ethnographes ont en outre porté la double casquette de missionnaire et d’anthropologue ou se sont « convertis » à l’anthropologie après avoir œuvré pour le compte de missions chrétiennes (Laugrand & Servais 2012). L’institutionnalisation de l’anthropologie elle-même est inséparable de l’histoire des missions (Pels 1989, Mary 2019) [9]. Projets missionnaires et anthropologiques se sont ainsi « co-construits » durant une grande partie du XXe siècle.

L’histoire du SIL est à cet égard exemplaire, car la confrontation de ses membres avec des anthropologues a amené l’organisation à revoir sa politique, ses méthodes et ses ambitions à plusieurs reprises. Cette confrontation a pris la forme de collaborations, mais aussi de vives querelles qui ont obligé l’Institut à réduire, voire à abandonner ses activités dans certains pays. Les collaborations entre membres du SIL et universitaires ont, le plus souvent, reposé sur une division du travail dans laquelle les missionnaires étaient cantonnés au rôle de pourvoyeurs de matériaux ethnographiques, tandis que les anthropologues se réservaient celui de théoriciens – une répartition hiérarchisée des tâches répandue au cours de la première moitié du XXe siècle, tant en Amérique latine que sur d’autres continents (Mary 2019). Au Brésil, dans les années 1960, des membres du SIL ont par exemple été invités à documenter les langues autochtones pour alimenter les investigations d’anthropologues et de linguistes professionnels. En 1959, l’Institut signe un accord avec le Museu Nacional de Rio de Janeiro, la principale institution ethnologique du pays, pour développer un programme d’étude des langues indigènes. Selon Barros, ce programme est approuvé par les universitaires, notamment par Darcy Ribeiro, parce que les représentants du SIL qui le présentent sont assimilés à des disciples de Franz Boas et parce qu’ils proposent des enquêtes de terrain prolongées et autofinancées (Barros 1993 : 246, 309). Darcy Ribeiro envisage dans un premier temps de déléguer aux missionnaires les recherches sur les peuples indigènes numériquement importants, au motif que cela leur permettra de rentabiliser leur travail de traduction de la Bible, et d’attribuer aux anthropologues celles sur les petits groupes (ibid. : 315-316). Cette distribution du travail en fonction de la taille des sociétés cède finalement la place à une séparation entre théorie et pratique. Tandis que les missionnaires prennent en charge la collecte de données en réalisant le travail de terrain, les anthropologues – qui exercent alors pour la plupart au Museu Nacional – font de la recherche « en cabinet » (ibid.  : 317). Les premiers collectent par exemple des termes de parenté qui sont ensuite utilisés par les seconds pour élaborer des réflexions théoriques. Il en va de même dans le domaine de l’enseignement : au Museu Nacional, c’est un universitaire, Joaquim Mattoso Câmara, qui enseigne les principes et l’histoire de la linguistique, tandis qu’une missionnaire du SIL, Sarah Gudschinsky, se charge des cours sur les techniques d’enquête (ibid.  : 317-318).

Comme au Mexique, ces alliances avec les universitaires brésiliens sont contraignantes. L’accès au terrain des membres de l’Institut dépend du bon vouloir des anthropologues – en particulier de celui de Darcy Ribeiro. Pour répondre à leurs attentes, les missionnaires publient des travaux qui ne servent pas directement leur projet religieux, tel qu’un manuel de portugais destiné à un programme de lutte contre l’analphabétisme, de nouvelles classifications des langues indigènes brésiliennes ou des études de langues autochtones qui sont sur le point de disparaître (ibid.  : 316-320).

Certains représentants du SIL parviennent ainsi à intégrer le monde académique, tout en y occupant une place subalterne. En dépit de leurs efforts pour affirmer leur crédibilité scientifique, rares sont ceux qui accèdent à des postes importants [10]. Ceux qui acquièrent une reconnaissance universitaire sont des dissidents, tels le linguiste Daniel L. Everett, qui a déclaré avoir perdu la foi au contact de ses hôtes, les Pirahã du Brésil, ou l’anthropologue Kenneth M. Kesinger, qui est devenu un spécialiste reconnu des Cashinahua du Pérou après avoir quitté le SIL (Erikson 2011).

À partir des années 1970, ces collaborations asymétriques cèdent la place à des dissensions, qui virent au conflit ouvert dans plusieurs pays. Les hostilités sont déclenchées par des anthropologues qui, reprenant des arguments de la déclaration de la Barbade, dénoncent l’impact destructeur de l’action du SIL sur les cultures indigènes [11]. Au Pérou, en 1972, l’anthropologue français André-Marcel d’Ans et plusieurs de ses collègues péruviens signent une pétition dans laquelle ils demandent aux autorités de contrôler les activités de l’organisation et d’y mettre fin au plus vite (d’Ans 1981). En 1981, les chercheurs danois Søren Hvalkof et Peter Aaby rassemblent les contributions de plusieurs auteurs – parmi lesquels figure André-Marcel d’Ans – dans un ouvrage collectif qui propose un bilan critique de l’action du SIL [12]. Publié par deux organismes de défense des droits indigènes, l’International Work Group for Indigenous Affairs (IWGIA) et Survival International, le livre est l’un des premiers travaux sur le SIL qui n’émane pas de lui. Il est composé d’analyses et de témoignages – le plus souvent à charge – d’anthropologues qui ont côtoyé des membres de l’Institut sur leurs terrains ou ont eu affaire à eux durant leurs enquêtes. Ces universitaires rappellent que l’organisation, « la plus grande société missionnaire protestante du monde » (Hvalkof & Aaby 1981 : 14), a été accusée d’espionnage, de contrebande et de collusion avec des firmes étrangères, soulignent la duplicité de ses dirigeants et l’opacité de son fonctionnement et lui reprochent de détourner les peuples autochtones de la lutte politique en les entraînant dans une quête de salut religieux. Leurs principales objections concernent néanmoins les dégâts de l’évangélisation sur l’organisation sociale et les coutumes des populations ciblées. La formation d’un clivage entre « croyants » et « non-croyants », la prohibition du chamanisme, l’entrave au développement des mouvements politiques indigènes ou l’assimilation des groupes autochtones aux sociétés nationales sont autant d’effets qui motivent leur accusations « d’impérialisme culturel » et « d’ethnocide ». Dans sa contribution centrée sur le Pérou, André-Marcel d’Ans remet également en cause l’expertise linguistique du SIL, qu’il présente comme un leurre. Chiffres à l’appui, il montre que la production bibliographique de l’Institut sur le Pérou est anecdotique, quand elle ne relève pas d’une « pseudo-science » (d’Ans 1981).

L’année suivante, l’anthropologue états-unien David Stoll, qui figure lui aussi parmi les contributeurs de l’ouvrage de Hvalkof & Aaby, publie une monographie sur l’Institut, dans laquelle il s’attache à dévoiler les rouages de son fonctionnement (Stoll 1982). Si l’enquête, fondée sur l’analyse de sources écrites et d’entretiens, est fouillée, le ton mordant et la prose saccadée évoquent une écriture journalistique plus qu’anthropologique et le volume suscite de vives polémiques. Stoll met à nouveau l’accent sur le double jeu des dirigeants du SIL, qui se présentent tantôt comme linguistes, tantôt comme missionnaires, et explore les ramifications internationales de l’Institut.

Le SIL répond à ces attaques par l’esquive en s’abstenant de prendre part aux débats, en maintenant un « écran de fumée » sur ses activités (Hvalkof & Aaby 1981 : 14) et en essayant d’étoffer sa production bibliographique. Au Pérou, ses représentants adoptent ainsi « un programme d’édition plus systématique pour faire valoir leurs apports scientifiques » dans les années 1970, une période au cours de laquelle ils sont menacés d’expulsion (Morin 1998 : 199-200). Cette stratégie se révèle cependant inefficace : à la fin des années 1970, le SIL devient persona non grata dans la plupart des pays d’Amérique latine. Lorsqu’il n’est pas expulsé, ses contrats avec les gouvernements ne sont pas renouvelés ou l’accès aux terres indigènes lui est refusé. Cet échec, qui se traduit sur le terrain par le démantèlement de ses bases missionnaires et le retrait ou la réduction de ses effectifs, n’empêche pas l’organisation de conserver des liens avec certains acteurs locaux. Au Pérou, elle continue par exemple à collaborer avec d’autres agences missionnaires protestantes, telles que la South America Mission (SAM) ou la Misión Suiza en el Perú (MSP), ainsi qu’avec les pasteurs indigènes qu’elle a contribué à former et qui se sont regroupés en association [13]. Elle semble en outre effectuer des démarches pour se réimplanter dans le pays car, en 2015, la principale organisation politique indigène de l’Amazonie péruvienne, l’Asociación Interétnica de Desarrollo de la Amazonía Peruana (AIDESEP), a publié un communiqué dans lequel elle s’opposait formellement au retour de l’organisation, perçue comme responsable d’une « colonisation linguistico-éducative-confessionnelle [14] », ce qui suggère que le SIL poursuit des négociations pour revenir en Amazonie.

Conclusion

Déterminés par des enjeux à la fois religieux et politiques, les rapports du SIL à l’anthropologie et à la linguistique oscillent ainsi entre instrumentalisation et véritable engagement scientifique, entre attirance et aversion, entre coopération et conflit. L’appropriation, par les membres de l’organisation, de connaissances ethnologiques et linguistiques, est fréquemment opportuniste : qu’elles soient mobilisées pour faciliter le travail d’évangélisation, pour impressionner les autorités, concurrencer l’Église catholique, séduire les universitaires ou tenter de désamorcer les critiques, ces connaissances sont régulièrement mises au service d’un projet d’expansion religieuse plutôt qu’utilisées à des fins scientifiques. Les missionnaires du SIL ne sauraient cependant être réduits à un rôle de savants à faux nez. Depuis les années 1930, ils testent des méthodes de préparation au terrain – un aspect de l’enquête rarement enseigné à l’université – collectent des sommes considérables de données ethnographiques, publient articles et ouvrages et s’immiscent, parfois, dans des débats théoriques, autrement dit, ils participent à la production et à la circulation de savoirs en sciences humaines. Les controverses que suscitent leurs méthodes et leurs objectifs contribuent en outre à la définition des frontières des disciplines anthropologiques et linguistiques. Elles obligent en effet les universitaires à reconsidérer et préciser sans cesse le sens et la légitimité de leurs projets scientifiques.

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[1Christian Work in Latin America (1917, tome I : 7) cité par Bastian (1994 : 142).

[2« Unreached » en anglais, le terme désignant les populations qui n’ont jamais été évangélisées.

[3La formation à la « vie pionnière » consistait en l’accomplissement de diverses tâches domestiques en milieu rural, dans une ferme de l’Arkansas : préparation des repas à partir de produits de la ferme, réparation des bâtiments de l’exploitation, fabrication de meubles rustiques, etc. Il s’agissait de reproduire le manque de confort auquel les missionnaires seraient confrontés lorsqu’ils se rendraient sur le terrain (Barros 1993 : 161). Townsend a créé ensuite, dans les années 1950, un camp d’entraînement au Mexique, dans la forêt lacandone, où les candidats au missionariat apprenaient à endurer de longues marches dans la jungle, à construire une maison ou à se nourrir de racines et d’insectes (Stoll 1982 : 227, Barros 1993 : 234).

[4À titre d’exemple, voir le chapitre II de l’ouvrage Anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss, dans lequel la linguistique est présentée comme la science sociale « qui a accompli les plus grands progrès ; la seule, sans doute, qui puisse revendiquer le nom de science et qui soit parvenue, à la fois, à formuler une méthode positive et à connaître la nature des faits soumis à son analyse » (Lévi-Strauss 1974 [1958] : 43).

[5Sur la dépendance des linguistes universitaires vis-à-vis du SIL pour la formation des spécialistes et la standardisation de l’identification des langues dans son listing Ethnologue, voir Dobrin & Good (2009).

[6Pike utilise initialement l’opposition pour distinguer la démarche consistant à s’intéresser aux aspects culturellement définis du langage de celle qui étudie les processus acoustiques, lesquels seraient dissociables de la subjectivité de leur émetteur. Il l’étend ensuite aux faits sociaux en associant l’emic au recueil de significations culturelles autochtones, c’est-à-dire au point de vue des acteurs, et l’etic à une observation externe, « quasi éthologique » du comportement humain (Olivier de Sardan 1998).

[7Aldridge (2012 : 104-106) compte 8 docteurs en linguistique en 1959 : Richard Pittman (1953), Robert Longacre (1955), Sarah Gudschinsky (1958) à l’université de Pennsylvanie ; Benjamin Elson (1956) et Howard McKaughan (1956) à Cornell ; Viola Waterhouse (1958) et Thelma Pickett (1959) à l’université du Michigan ; et John T. Bendor-Samuel (1958) à l’université de Londres. Il mentionne aussi le chiffre de 118 docteurs en 1984. Pour Olson, en 2009, ils seraient 300 (Olson 2009 : 649).

[8Voir aussi Smith (1945).

[9Comme le signale Pels, les pionniers de l’anthropologie avaient besoin des missionnaires non seulement pour les épauler dans la collecte de données ethnographiques, l’acclimatation aux terrains exotiques ou le déchiffrage des langues vernaculaires, mais aussi en tant que « clients » des premiers cursus universitaires qu’ils tentaient de mettre en place (Pels 1989 : 83).

[10Outre Pike, qui a assumé des fonctions académiques prestigieuses aux États-Unis, Donald Burns, un « jeune diplomate de Townsend », a occupé la première chaire de linguistique à l’université péruvienne de Huamanga dans les années 1960 (Stoll 1982 : 151).

[11En 1971, onze universitaires, majoritairement latino-américains, avaient dénoncé l’oppression persistante des populations amérindiennes et pointé la responsabilité de différents acteurs – y compris des anthropologues eux-mêmes – dans une déclaration signée à la Barbade. Ce document ne mettait pas spécifiquement en cause le SIL, mais il appelait à la fin des missions religieuses et ouvrait la voie à une critique radicale de leur action en introduisant la notion d’ « ethnocide ».

[12Hvalkof Søren & Peter Aaby (dir.), 1981. Is God an American ? An Anthropological Perspective on the Missionary Work of the Summer Institute of Linguistics, Londres, Survival International/Copenhague, International Work Group for Indigenous Affairs.

[13En 1989, des pasteurs amérindiens de l’aire amazonienne ont créé la Fraternité d’Associations d’Églises Évangéliques Indigènes de l’Amazonie Péruvienne (FAIENAP), une organisation qui vise à fédérer les Églises indigènes à l’échelle interethnique. Le SIL lui a fourni plusieurs habitations de bois, qui ont été démontées sur son ancienne base de Yarinacocha (banlieue de Pucallpa) puis remontées sur un nouveau terrain à la périphérie de Pucallpa, afin de servir de siège à l’association.

[14Source : https://www.aidesep.org.pe/index.php/node/12376 (site officiel d’AIDESEP, consulté le 15 septembre 2021).