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Encyclopédie internationale
des histoires de l’anthropologie

Van Gennep, historien des religions et ethnographe

Giordana Charuty

EPHE, Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain (IIAC)

2022
Pour citer cet article

Charuty, Giordana, 2022. « Van Gennep, historien des religions et ethnographe », in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l'anthropologie, Paris.

URL Bérose : article2570.html

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Publié dans le cadre du thème de recherche « Histoire de l’anthropologie française et de l’ethnologie de la France (1900-1980) », dirigé par Christine Laurière (CNRS, Héritages).

De tous les fondateurs de l’ethnographie française, Van Gennep est le seul à s’être donné une formation à la recherche, en s’inscrivant à vingt-trois ans à l’École pratique des hautes études [1]. Formation dont Nicole Belmont a, la première, souligné l’importance et la diversité [2]. Mais nous éprouvons quelques difficultés à nous représenter, aujourd’hui, l’identité assumée au tournant du siècle précédent par cette institution, et surtout par cette section des sciences religieuses, la seule à avoir enregistré dans ses Annuaires la présence de Van Gennep. Est-ce bien l’un de ces tout premiers lieux où l’on pouvait, dans une très grande liberté, imaginer l’autre que l’on pourrait être, l’autre que l’on était aussi – j’emprunte ces formules à Philippe Borgeaud [3] – à travers des savoirs rares révélant la diversité des constructions symboliques en lesquelles on reconnaissait alors autant de « religions » ?

Il faut, d’abord, rappeler très rapidement la conjoncture historique qui a imposé, en 1886, l’utilité de cette Ve section. En France, dans le dernier tiers du XIXe siècle, les disciplines académiques appelées à composer « les sciences religieuses » se construisent contre la tradition intellectuelle de l’apologétique chrétienne. Les créations institutionnelles des années 1880 relèvent à la fois des politiques de recherche scientifique de la République laïque, de l’état des études orientalistes, de la mobilisation intellectuelle de milieux confessionnels, en particulier la théologie protestante libérale, et d’initiatives de mécénat. Une première formalité disciplinaire émerge au sommet des institutions de recherche, avec la chaire d’histoire des religions, créée au Collège de France en 1880 pour le protestant libéral Albert Réville – spécialiste des origines chrétiennes – et au sein d’une institution culturelle – le musée Guimet (1885) – qui publie la Revue d’histoire des religions, dirigée par un autre « protestant d’État », Maurice Vernes. Il en signe le manifeste : histoire et non pas « science », précise-t-il, car cette expression, déclinée au singulier, lui paraît « emphatique et malheureuse [4] ». Ce choix est, en fait, symptomatique du poids de la science historique allemande qui a successivement imposé l’Histoire de l’Église et des dogmes, la recherche historique appliquée à la Bible, le kantisme comme philosophie sous-jacente. Et l’on notera d’emblée que l’auteur évite soigneusement tous les débats sur la définition même du terme « religion », pour fixer un objectif à première vue pragmatique – rassembler dans un périodique ce qui est dispersé dans des disciplines distinctes : philologie, histoire de l’art, histoire de la littérature, philosophie. Cela pourrait être, virtuellement, un opérateur comparatiste. Et de glisser, au passage, un autre terme : donner à « l’hiérographie » l’instrument nécessaire pour faire dialoguer des savants enfermés dans leur spécialisation linguistique et géographique. Est-ce une préfiguration du « sacré » comme objet propre de la discipline ?

Pour l’heure, le premier enjeu est d’imposer aux antiquités juives et chrétiennes ces règles de la critique historique que vient de définir Gabriel Monod – autre protestant – dans La revue historique, pour libérer ces domaines d’études de la critique rationaliste et des dérives de la mythologie comparée tout autant que de la théologie. Les champs couverts témoignent de la volonté de décentrement par rapport à l’Occident chrétien : les religions anciennes et modernes de l’Orient, les polythéismes antiques et les mythologies populaires de l’Europe centrale et nordique. Seule une petite note précise que « les peuples sauvages et primitifs seront également l’objet de revues d’ensemble paraissant périodiquement [5] ». 

La création, en 1886, d’une section de « sciences religieuses » au sein de l’École pratique des hautes études, où l’on retrouve Albert Réville comme président et Maurice Vernes comme directeur adjoint, équivaut à la création du laboratoire de recherche permettant de remplir ce programme. « Les religions » se trouvent constituées en champ disciplinaire autonome, dans un moment positiviste qui privilégie l’établissement de corpus de textes à partir du déchiffrement des langues, les monographies archéologiques, l’approche historico-critique qui est déjà en vigueur chez les historiens et les philologues de la IVe section. Cette Ve section comprend douze enseignants répartis sur dix domaines, six pour le christianisme et six pour le « reste », constate ironiquement Jean-Pierre Vernant un siècle plus tard. Un reste qui se limite alors à la Grèce et à Rome, aux peuples sémitiques et à l’Égypte, à l’Inde et à l’Extrême-Orient : autant dire, les civilisations de l’écriture et des monuments. Si le christianisme n’est plus qu’une religion parmi d’autres, la priorité accordée à l’histoire, à l’archéologie et à la philologie définit, implicitement, le religieux comme fixé à des monuments, des institutions sacerdotales, des pratiques de consécration, des usages divinatoires, des genres d’expression écrite et orale [6]. Quant au comparatisme propre à une histoire des religions, il est délégué à l’enseignement au Collège de France.

Ce laboratoire est complété, en 1890, par une conférence consacrée aux « Religions des peuples non civilisés », selon l’appellation imposée par Albert Réville dans le second tome de son Histoire des religions (1883). Nous avons oublié combien l’association opérée par cet intitulé pouvait paraître incongrue car, aujourd’hui, qualifier de « religion » les architectures symboliques de toutes les sociétés, qu’elles reconnaissent ou non des dieux, fait immédiatement surgir le soupçon d’un ethnocentrisme inconscient de lui-même. Pourtant, se trouvent ainsi introduites les conditions de cette « coupure épistémologique » qui s’affirmera dix ans plus tard avec l’École sociologique [7]. Avec les conférences consacrées au judaïsme (1896) et aux « religions primitives de l’Europe » (1901), presque tous les domaines d’étude actuels sont en place : les religions du Livre, les vieilles civilisations polythéistes, les religions archaïques. C’est là, souligne Claude Tardits, un rassemblement unique au début du XXe siècle, marqué par la réunion à Paris du 1er congrès international d’histoire des religions, en 1900, l’année de l’Exposition universelle qui patronne un congrès d’anthropologie et un congrès des sciences ethnographiques.

Léon Marillier, un passeur

Cette conférence des « Religions des peuples non civilisés » qu’a choisie Van Gennep pour accéder au titre d’élève diplômé est assurée par un jeune maître de conférence, Léon Marillier, qui a davantage retenu l’attention des historiens de la psychologie que de l’anthropologie. Van Gennep figure parmi « les auditeurs qui ont pris une part active aux travaux », pour l’année 1896-1897, alors que Marcel Mauss et Maurice Delafosse sont déjà élèves titulaires, un grade qu’il rejoindra l’année suivante [8]. Il a donc assisté à des séminaires sur les rites de mariage et la structure familiale, les traditions relatives au déluge, les sacrifices humains et l’anthropophagie rituelle, à partir de matériaux ethnographiques principalement océaniens. De retour de Pologne, l’annuaire le compte, de nouveau, au nombre des élèves de cette conférence pour l’année 1900-1901, un enseignement brutalement interrompu par la mort tragique de Marillier en octobre 1901. En 1903, il revient à Mauss de noter que Van Gennep a déposé son mémoire publié, l’année suivante, dans la Bibliothèque de l’École (volume n° 17), sous le titre : Tabou et totémisme à Madagascar. Étude descriptive et théorique [9].

Qui est donc Léon Marillier (1862-1901) ? Pour le biographe de Marcel Mauss, ce n’est qu’un prédécesseur méritant qui a introduit la psychologie religieuse, puis les « non-civilisés » aux côtés des grandes religions historiques, mais soutenait la création d’une conférence sur les religions assyro-babyloniennes plutôt que sur les religions primitives de l’Europe. L’option finalement retenue permettra l’élection d’Henri Hubert [10]. Pour l’analyste du vaste débat sur le totémisme, c’est un admirateur inconditionnel de l’anthropologie tylorienne qui a suggéré de remanier le plan du Rameau d’Or pour sa traduction française (1903) et qui a traduit et préfacé Myth, Ritual and Religion, l’œuvre d’Andrew Lang la plus significative de l’exigence de reconnaissance d’une irréductible part sauvage dans le monde civilisé [11]. Pour l’historien de la psychologie, c’est le co-fondateur, avec Charles Richet et Théodule Ribot, de la Société de psychologie physiologique (1885) qui entendait poursuivre en France les travaux de la Society for psychical research (1882) de Londres et le traducteur de la vaste enquête sur « Les hallucinations télépathiques » conduite sous la direction de Frederic Myers, dont il ne partageait pas toutes les certitudes [12]. Pour l’historien de l’art, c’est le trop prudent préfacier d’Ernst Grosse, l’auteur d’une des toutes premières tentatives d’anthropologie des arts, qu’il invitait à lire à la lueur des travaux de peu postérieurs de Haddon [13]. Enfin, comme le rappelle la récente réédition de l’œuvre d’Anatole Le Braz, c’est également le préfacier de la première édition de La Légende de la mort en Basse-Bretagne [14], qui deviendra La Légende de la mort chez les Bretons armoricains (1902) avec une nouvelle introduction et des notes de Georges Dottin, le spécialiste des langues et littératures celtiques. C’est dire la nécessité de reconsidérer cette figure éclatée entre des domaines dont nous avons oublié combien ils pouvaient communiquer. Faire coïncider l’introduction de l’anthropologie religieuse à la Ve section avec l’entrée des durkheimiens est une construction rétrospective qui, en s’autorisant de son prestigieux successeur, tend à effacer dix ans d’un méthodique effort pour imposer le débat anthropologique au sein d’une juxtaposition de spécialités érudites.

Marcel Mauss a rendu hommage à la rigueur documentaire du savant trop tôt disparu. Mais, outre une distanciation nouvelle vis-à-vis de l’intitulé de sa conférence, au lendemain de son élection il a publié dans L’Année sociologique une critique ravageuse du long article « Religion » qui venait de paraître dans la Grande Encyclopédie [15]. Faire de Marillier l’involontaire représentant d’une théorie « sentimentaliste » sur laquelle aucune science, pas même la psychologie, n’a de prise, autant dire l’antithèse de cette dimension sociale du religieux qu’il s’agit de reconnaître, dans ses expressions individuelles aussi bien que collectives, l’a durablement réduit à un rôle de repoussoir. Et si l’historiographie des sciences a, plus récemment, reconnu la diversité de ses champs d’intérêt, c’est encore pour le définir comme un psychologue du religieux.

Il est vrai que Léon Marillier s’est, comme beaucoup d’autres philosophes, intéressé à la clinique des maladies mentales et que son premier cours à la Ve section portait sur Les phénomènes religieux et leur base psychologique (1888-1889), comme celui qu’il avait donné, l’année précédente, à la Faculté de théologie protestante (La psychologie dans ses rapports avec la religion, en 1887-1888). Mais l’attention qu’il porte depuis plusieurs années à ces états psychiques qu’il qualifie, faute de mieux, d’« hallucinations véridiques », est inséparable de celle qu’il porte aux ethnographies des sociétés archaïques et au folklore des sociétés européennes. Introduire à la Ve section l’école anthropologique anglaise – celle de Frazer, de Tylor, de Lang – c’est réaffirmer un souci comparatif qui fait siennes les critiques adressées, par les historiens, à la mythologie comparée mais qui est, également, attentif à débusquer les partis pris spiritualistes trop souvent sous-jacents à certaines entreprises d’histoire des religions. Les articles et les nombreux comptes rendus publiés dans la Revue d’histoire des religions – qu’il co-dirige avec Jean Réville depuis 1896 – durant les deux années où Van Gennep a suivi sa conférence, nous permettent de voir à l’œuvre ce passeur entre plusieurs mondes, soucieux de l’interdépendance conceptuelle des sciences de l’homme, auprès de qui le fondateur de l’ethnographie française s’est formé.

Le long essai, publié dans quatre fascicules de la Revue d’histoire des religions, se présente comme un compte rendu technique d’un ouvrage, à première vue secondaire, d’un disciple de Robertson Smith, F.B. Jevons : Introduction to the History of Religion (1896). Outre la critique de sa théorie totémique, dont Frederico Rosa a souligné la radicalité, on retiendra celle plus générale du parti pris confessionnel d’un livre à vocation de manuel : « Le christianisme n’est absent qu’en apparence du livre de M. Jevons ; l’idée chrétienne est toujours à l’arrière-plan de chacune de ses phrases, de chacune de ses pensées, et c’est à en montrer l’excellence religieuse et la supériorité morale que tend tout ce grand effort de synthèse historique et philosophique [16]. » L’enjeu de ce jugement est le rejet d’une « définition arbitrairement limitative de la religion » qui met l’ethnographie au service d’une nouvelle apologétique : tout ramener au totémisme, pour réaffirmer la supériorité du christianisme. De ce parti pris confessionnel relève, notamment, le refus de traiter les diverses formes de culte des morts, attestées par l’ethnographie, comme autant de réponses singulières à un invariant anthropologique : la « crainte des morts ». Il s’agit là d’une question qui lui tient particulièrement à cœur, car elle fait le lien entre ses trois principaux domaines d’intérêt : les ethnographies des formes sauvages de mise en sens du monde, les formes modernes d’attestation d’une immortalité détachée du christianisme [17], les usages funéraires et les traditions narratives propres au christianisme coutumier (documentés, en particulier, par les enquêtes en Basse-Bretagne de son beau-frère Anatole Le Braz). En somme, les trois facettes complémentaires d’une anthropologie de la mort.

Au Congrès parisien de l’histoire des religions, Marillier plaide pour une double collaboration entre les méthodes historique et comparative, entre le folklore et la science des religions : « Le folklore nous fournit le missing link qui nous permet de rattacher à leurs lointaines origines les grands systèmes religieux qu’ont lentement élaborés en des âges qu’atteint à peine notre regard, la pensée et la conscience des peuples de langue aryenne ou sémitique, les institutions sacerdotales qu’ils ont engendrées, les symboles et les mythes où ils ont trouvé leur expression, les conceptions et les sentiments qui leur ont servi de matériaux [18]. » C’est la formulation même de Tylor qui voyait dans la paysannerie européenne le lien entre les modernes et les primitifs et dans le folklore européen l’ensemble de données permettant de réunir dans une chaîne continue les différentes formes civilisationnelles. Mais il n’est pas sûr que cela fût le sens qu’Albert Réville donnait aux « non-civilisés ».

Cette conviction, Léon Marillier l’a mise en pratique dans les nombreux comptes rendus qu’il a consacrés aux études de folklore dans la Revue d’histoire des religions, notamment celles de Bérenger-Féraud, d’Orain, de Sébillot, d’Henri Gaidoz son collègue de la IVe section ainsi qu’à la revue Mélusine. Elle anime, aussi, la longue préface à l’enquête d’Anatole Le Braz, qui témoigne de son excellente connaissance des collectes antérieures et d’une attention très fine à la spécificité des récits qui mettent en forme les relations des morts et des vivants. Ils composent, remarque-t-il, une mise en légende, récente et en perpétuel renouvellement, de faits éprouvés comme réels, dans des lieux et avec des acteurs que l’on connaît bien. La distinction dogmatique du « naturel » et du « surnaturel » n’est pas pertinente ici car « les vivants et les morts sont au même titre des habitants du monde et ils vivent en perpétuelle relation les uns avec les autres » [19]. Il est sensible aux qualités littéraires de ces récits qui pourraient figurer aux côtés des plus mélancoliques lieder allemands et ne sont porteurs d’aucune morale. Enfin, ce « culte animiste » qui appartient, selon lui, à une religiosité bien antérieure au christianisme n’a pas survécu malgré lui, mais grâce à lui : c’est à la fois « un chapitre de la vie religieuse des Bretons actuels » et une contribution à l’étude comparée des mythes et des rites [20]. On reconnaît là l’expression la plus fidèle de cette notion, si maltraitée, de survivance : l’idée que le présent est fait de passés multiples, ce qui devrait obliger les historiens à complexifier leurs modèles de temporalité.

De la même façon, Marillier consacre un très long compte rendu aux 7 volumes de La Bibliothèque diabolique, parus entre 1883 et 1895, par les soins de Bourneville, l’aliéniste de La Salpêtrière [21]. Pour chaque volume, il détaille soigneusement la localisation et l’histoire du texte réédité ou imprimé à partir d’archives manuscrites, commente les choix d’édition et d’illustration car ces traités de démonologie, ces manuels pour inquisiteurs, ces actes de procès, ces traités médicaux – en particulier, celui de Jean Wier – n’intéressent pas seulement les spécialistes de psychopathologie. Ils constituent, pour l’historien des religions, « l’un des plus amples et meilleurs répertoires des faits réels et légendaires relatifs à la sorcellerie, aux charmes et à l’action des démons dans le monde, qui aient jamais été publiés [22] ». Tous ces textes documentent aussi bien les usages judiciaires et monastiques du XVIIe européen que les « formes animistes et magiques » communes à diverses religions. Possédées et exorcistes lui paraissent des couples indissociables et l’épreuve de la possession éclaire l’expérience mystique, celle qui peut s’emparer des « foules croyantes » : à l’évidence, Marillier lit aussi ces « vieux livres » avec, en tête, l’actualité religieuse du moment, à savoir les affrontements sur la psychologie des foules et les miraculées de Lourdes que viennent de relancer Gustave Le Bon, Émile Zola et, dans le camp catholique, Boissarie, le médecin du sanctuaire. En 1891, pour la revue anglaise des études psychiques, n’a-t-il pas, lui-même, étudié un cas d’apparition de la Vierge en Dordogne à une fillette de onze ans, qu’il interprète en termes de « croyance expectante [23] » ?

Enfin, il faut ajouter une dimension de ce travail de chroniqueur dont Van Gennep se souviendra certainement : c’est l’attention portée, lorsqu’il rend compte des ouvrages publiés dans la collection des Littératures populaires de toutes les nations, chez Maisonneuve, à la qualité éditoriale, à l’élégance de l’impression, à la qualité de l’illustration. {}

Mais, au tournant du siècle, la critique historienne a mis à mal le comparatisme extensif à la Frazer. Cette modalité de mise en parallèle des usages proches et lointains ne va plus de soi pour Marillier lui-même qui, cependant, n’a pas le loisir d’en repenser les règles, victime à son tour de ces « âmes en peine » avec lesquelles les pêcheurs l’ont confondu au cours du tragique naufrage qui décime la famille Le Braz [24].

Comment faire l’ethnographie du christianisme ?

La question de la résistance opposée par le christianisme à l’enquête historique telle que la posaient les créateurs de la revue et du laboratoire de la Ve section, s’inscrivait, pour l’essentiel, dans ce mouvement de déconfessionnalisation engagé depuis le XVIIe siècle, avec notamment Richard Simon et la critique historique et philologique de la Bible. Mais, autour de la « méthode comparative », c’est un autre débat que Marillier a eu le mérite d’ouvrir au sein de ce retranchement de disciplines historiques, auquel Mauss va donner l’ampleur que l’on sait et que Van Gennep, à son tour, ne cesse de relancer. Bien avant sa spécialisation comme ethnographe du domaine français, dans les articles qu’il publie dans diverses revues entre 1908 et 1920, et qu’il reprend en volume dans ses Religions, mœurs et légendes, Van Gennep formule une question – « comment réintégrer le christianisme dans l’histoire des religions ? » – qui en masque une autre : « l’histoire des religions est-elle une histoire comme les autres ? » Deux interrogations qui ne cessent de renvoyer l’une à l’autre.

En introduction à ses Mythes et légendes d’Australie (1906), Van Gennep a proposé de qualifier de « dynamisme » les conceptions physiques et religieuses de reproduction des êtres humains attestées par les faits australiens qui n’autorisent pas, selon lui, la reconnaissance en chaque individu d’un principe spirituel détachable et assimilable à l’« âme ». Cette discussion technique a une portée plus générale – proposer une reformulation de la forme originaire de religion – qui ne commande pas seulement les positions prises dans le débat sur la question totémique. L’important article publié en 1908, dans la Revue d’histoire des religions, se saisit du problème du totémisme pour affirmer au moins deux choses : le vocabulaire technique de l’ethnographie doit s’imposer aux historiens, l’exercice comparatif qui en sous-tend la fixation qualifie les ethnographes comme les véritables historiens des religions [25]. Les adversaires désignés dans ce texte sont ceux-là même que Mauss retrouve, l’année suivante, comme concurrents pour le Collège de France : Amelineau, Foucart, Toutain. Des collègues philologues et historiens de la section des Sciences religieuses qui, depuis dix ans, s’opposent à toute perspective anthropologique en multipliant les critiques à l’encontre ce qu’ils appellent « la nouvelle méthode comparative [26] ». Lorsque Van Gennep présentera, à son tour, sa candidature au Collège de France, ce sera pour une chaire d’« ethnographie et d’histoire des religions ». Tous les articles composant la première partie du volume publié en 1908 sont consacrés à cette double question qui hésite entre plusieurs formulations : quel genre de science est la science des religions ? Quelle extériorité faut-il se donner avec les faits chrétiens pour les réintégrer dans l’atelier de la « science » ou de « l’histoire » des religions ?

En théorie, cette discipline pose le postulat de la comparabilité de tous les systèmes religieux mais, dans la pratique, elle peut fort bien être mise au service d’une exaltation de la non-comparabilité du christianisme. Dans le premier cas, il n’y a guère de différences entre histoire comparée des religions et ethnologie : faire l’archéologie de la première, c’est aussi bien faire l’archéologie de la seconde. Ainsi peut-on tenir comme fondateurs de l’ethnologie les principaux représentants de cette floraison d’études comparées des religions issues, au XVIIe siècle, de l’assimilation intellectuelle des bouleversements cognitifs produits par la découverte des Américains au siècle précédent, la présence massive de l’islam et l’essor d’un orientalisme avant la lettre. Outre Lafiteau, sont rangés parmi ces fondateurs Richard Simon pour sa traduction en 1674 des Riti degli ebrei du rabbin Léon de Modène, complétée par une Comparaison des cérémonies des juifs et de la discipline de l’Église, et, un siècle plus tard, le président de Brosses pour son Culte des dieux fétiches paru en 1760. Ajoutons que pour confirmer cette naissance, justement située au XVIIe siècle, on pourrait invoquer bien d’autres enquêtes – celles de Samuel Purchas, d’Edward Brerewood, de John Selden, d’Alexander Ross – qui définissent la religion comme un ensemble de rites, d’usages, de coutumes, plutôt que de croyances [27]. Et, dans les articles destinés à un plus vaste public de non-spécialistes, Van Gennep se félicite. L’étude consacrée au symbolisme chrétien du poisson déclare d’emblée : « Peu à peu, malgré des résistances d’ailleurs de moins en moins nombreuses et avouées, le christianisme devient un objet d’étude scientifique... même les théologiens catholiques et protestants se voient obligés d’y céder [...] [28] » Sont particulièrement significatifs les efforts pour distinguer les différents christianismes locaux. « C’en est fait, assure-t-il, de l’isolement où l’on voulait tenir, dans la science des religions, la religion chrétienne [29]. »

Pourtant, d’un article à l’autre, l’optimisme peut être contredit très vite. Réfléchissant sur les parts respectives d’initiative individuelle et d’entreprise collective dans la formation du culte de la Vierge, Van Gennep déplore : « De tous les systèmes religieux, c’est le christianisme qui est le moins utilisé par les historiens des religions pour la systématisation théorique et la synthèse. Ceci semblera d’abord paradoxal : car la littérature sur la formation et l’évolution des idées chrétiennes et sur l’élaboration progressive du rituel (catholique, grec-orthodoxe ou protestant) est proprement immense [30]. » Il est vrai que ces travaux sont, toujours, plus ou moins marqués par des choix confessionnels. Ainsi, il n’existe qu’un seul essai utilisable sur la prière chrétienne, celui de Von der Goltz, il n’y a aucune synthèse ni sur le sacrifice, ni sur le baptême ou la communion. Aussi, peut-on presque « excuser » Chantepie de la Saussaye d’avoir dans son « bon manuel d’histoire des religions, parlé de toutes les religions sauf du christianisme [31] ». Et de conclure par cette importante remarque : la nécessité d’un apprentissage – la méthode des sciences religieuses – et d’un détour – les religions non chrétiennes – pour analyser les faits chrétiens.

Une autre attention critique, qu’il va partager avec Marcel Mauss, s’impose par ailleurs au fondateur de la Revue des études ethnographiques et sociologiques. Bien avant que le Vatican ne mesure tout l’intérêt, pour moderniser son activité missionnaire, des programmes d’enquête sur les sociétés de chasseurs-cueilleurs mis en place par l’école historico-culturelle de Vienne, Van Gennep scrute minutieusement les publications du P. Wilhelm Schmidt. Il souligne le ton très agressif d’un ouvrage, L’origine de l’Idée de Dieu (1910), qui s’en prend à toutes les écoles anthropologiques et le caractère très réfléchi des fins apologétiques assignées à l’ethnographie. Quinze ans avant que cela ne devienne une réalité qui marquera durablement, en Italie, les rapports entre historiens des religions et anthropologues, il débusque les ambitions de politique culturelle que le fondateur d’Anthropos confie à des revues que ne fréquentent guère les ethnographes, telle cette Revue des sciences philosophiques et théologiques où W. Schmidt expose son projet de modernisation muséographique d’anciennes institutions vaticanes [32].

Cependant, Van Gennep ne limite pas son effort à faire reconnaître un lexique général, un vocabulaire technique comme outil d’une méthode comparative qui permette d’identifier à quelles questions générales les pratiques observées sont des réponses particulières. Tout au long de ces années où il ne s’est pas encore spécialisé sur le domaine français, il multiplie des esquisses d’analyse ou des propositions méthodologiques qui visent, tout particulièrement, les pratiques chrétiennes. Avec un leitmotiv qui reviendra comme une obsession, chez l’auteur du Manuel, à savoir la nécessité d’un renversement de la perspective évolutionniste : substituer à la théorie des survivances, non pas rejetée, mais le plus souvent mal interprétée, une analyse des processus de christianisation comme modalité de mise en contact et de création culturelle.

De ce point de vue, un modèle s’impose – par ses qualités scientifiques et littéraires, aime à préciser Van Gennep – celui fourni par l’épigraphiste et philologue Franz Cumont, dont les retentissantes conférences au Collège de France, en 1905, ont suscité la stupeur. En s’attachant à établir la profusion des Religions orientales dans le paganisme romain, c’étaient les grands traits distinctifs du monothéisme chrétien – notamment son eschatologie – qui apparaissaient, désormais, provenir de tous ces cultes d’Asie Mineure, d’Égypte, de Syrie, de Perse, qui avaient orientalisé l’Empire romain aux IIIe et IVe siècles. « Supposons, explique Cumont, que l’Europe moderne ait vu les fidèles déserter les églises chrétiennes pour adorer Allah ou Brahma, suivre les préceptes de Confucius ou de Bouddha, adopter les maximes du shinto  ; représentons-nous une grande confusion de toutes les races du monde, où des mollahs arabes, des lettrés chinois, des bonzes japonais, des lamas tibétains, des pandits hindous prêcheraient, à la fois le fatalisme et la prédestination, le culte des ancêtres et le dévouement au souverain divinisé, le pessimisme et la délivrance par l’anéantissement, où tous ces prêtres élèveraient dans nos cités des temples d’une architecture exotique et y célébreraient leurs rites disparates ; ce rêve, que l’avenir réalisera peut-être, nous offrirait une image assez exacte de l’incohérence religieuse où se débattait l’ancien monde avant Constantin [33]. » Incohérence, mais sûrement pas régression, puisque ce foisonnement a assuré le passage du polythéisme ancien au monothéisme chrétien qu’il faut cesser d’inscrire exclusivement, comme le font les théologiens, dans une continuité avec la tradition juive. Mais, pour ce faire, il faut prêter une égale attention aux dévotions des ouvriers agricoles et des domestiques, aux devins itinérants, aux esclaves de Syrie qui sont autant de « missionnaires », bref il faut descendre « dans la rue » [34].

De ces nouvelles propositions sur la fameuse question des « origines du christianisme », Van Gennep retient avec enthousiasme le déplacement vers cette foisonnante Méditerranée orientale, et surtout l’attention portée aux exigences religieuses, aux usages cultuels des populations les plus humbles, à la créativité de tous ces prêtres et devins itinérants. Elle va nourrir sa propre réflexion sur d’autres périodes, plus proches de nous, de christianisation. Celle-ci se poursuit dans les comptes rendus de l’actualité éditoriale donnés à La Revue des Idées, au Mercure de France, à la Revue des Études ethnographiques et sociologiques ou dans des quotidiens comme La Dépêche de Toulouse, en partie repris dans le premier volume de ses Religions, mœurs et légendes. Ainsi, rendant compte du second volume du Folklore de France de Sébillot, La mer et les eaux douces (1905), Van Gennep soulève des problèmes de méthode : il ne faut pas donner trop de poids aux textes (mandements d’évêques et encycliques papales) et au haut clergé au détriment du clergé local et de ces desservants ruraux qui ont transformé « dès le commencement » tant le paganisme que le christianisme ; il ne faut pas analyser tout rite et toute croyance hétérodoxes en termes de « survivance », « comme si dès la conversion au christianisme tout pouvoir d’inventer de nouveaux rites ou d’élaborer de nouvelles croyances s’était évanoui pour toujours » [35]. Le volume que Sébillot consacre au Paganisme contemporain chez les peuples celto-latins appelle les mêmes remarques. Pourquoi qualifier de « païennes » les pratiques magico-religieuses contemporaines ? Le savant ne peut faire sien un jugement qui renvoie au travail d’« épuration » de la Réforme, il doit « prendre le christianisme pour ce qu’il est », et de suggérer brièvement une méthode de travail que l’anthropologie des sociétés chrétiennes retrouvera à sa façon : « […] chaque petit fait excite à chercher les points de départ, la date, le milieu originel de toute la série des faits analogues. Par la comparaison des faits français avec leurs parallèles celtiques, italiens, espagnols, etc., on se trouve aussi mieux à même de discerner les divers mécanismes de l’activité magico-religieuse dans nos pays [36] ».

Et pour imaginer et rendre crédible un autre scénario, Van Gennep propose un « parallèle » saisissant : les « modifications en tous sens » que l’on peut observer, au loin, dans les situations de contact des populations sauvages soumises à l’activité missionnaire. Ainsi, la christianisation des Malgaches qui sont prêts à accueillir les nouveaux rites comme autant de médications aux effets magiques revêt-elle des formes proprement extraordinaires : l’hostie et le vin bénit deviennent des emplâtres, chanter la messe vaut comme incantation en cas d’orage. Ainsi, encore, des danses masquées devant un crucifix miraculeux qui envahissent les églises de plusieurs bourgades du Mexique. Van Gennep se livre alors à une sorte de théorisation de ces processus d’assimilation que l’on appellera beaucoup plus tard « le travail syncrétique » : incorporer des pratiques anciennes, créer des rites et des pratiques nouvelles avec des éléments importés selon des « voies logiques conditionnées par la mentalité locale ». Observées dans le présent, les formes d’acculturation introduites par le clergé indigène des sociétés récemment christianisées peuvent, dès lors, suggérer d’autres hypothèses interprétatives concernant la vieille Europe : c’est à la capacité d’invention du bas-clergé, et non à des survivances païennes, qu’il faut attribuer les si nombreuses variations locales du christianisme européen, religion pourtant très « fixée [37] ». Le démontrent encore l’enquête d’Andree sur les ex-votos bavarois et tyroliens ou le grand ouvrage du bollandiste Delehaye, Les légendes des saints, qui récuse la continuité entre culte des héros et culte des saints. Mais les formes les plus actuelles de la vie religieuse, au plus haut sommet de la hiérarchie ecclésiastique – l’élection de Pie X en juillet 1903 –- sont aussi l’occasion de mesurer la pertinence de l’analyse ethnologique fondée sur l’enquête comparative. « Lors de l’élection du pape actuel, les journaux enregistrèrent avec une sympathie tendre ou, parfois, une légère ironie, les pleurs du futur Pie X et son refus ’parce qu’indigne’ », commence par remarquer Van Gennep, avant de s’exercer à reconnaître comme usage socialement codifié une conduite que les commentateurs n’ont attribué qu’à un trait de psychologie individuelle. Deviendrait-on pape sans connaître « les moyens de parvenir », ironise à son tour l’ethnographe ? Les pleurs de Pie X à peine élu qu’ont pu voir tous les journalistes, son premier mouvement de rejet de la charge, doivent être identifiés comme un « rite de refus » dont on peut trouver des parallèles chez les premiers évêques chrétiens, dans les royautés africaines et chez les imams ibadhites d’Afrique du Nord : un rite de socialisation de la responsabilité, élargie à tous les électeurs. Rite qui, sous une forme atténuée, motive également les formules protocolaires en usage chez tous les élus politiques lorsqu’ils s’excusent d’accepter un honneur dont ils se déclarent « indignes », alors même qu’ils ont tout fait pour l’obtenir [38].

La coutume chrétienne au temps du Manuel

Que deviennent ces questions et ces préoccupations d’anthropologie religieuse dans le Manuel  ? Elles sont entièrement présentes à l’esprit de Van Gennep lorsqu’en 1943, il s’interroge sur les frontières disciplinaires :

« Les rapports du folklore et de la science des religions, tant historique que comparative, sont intimes et continus. Il n’y a pas une seule de nos sections, fût-ce la section spécialement technologique, qui ne manifeste à un moment ou à un autre de la vie individuelle et collective l’action de la croyance, ou l’adjonction à des actes techniques d’autres actes qui se fondent sur une croyance particulière. La religion étant elle aussi une partie de la sociologie, l’existence de ces rapports est parfaitement normale. Tout comme le folklore, la science des religions a d’ailleurs besoin aussi de la psychologie. Vouloir séparer les unes des autres ces trois disciplines serait une erreur, mais on ne saurait pas non plus les situer dans un état de subordination mutuelle. La différence ne porte ni sur les méthodes, ni sur les rapports des faits, mais seulement sur le matériel soumis à l’étude, matériel qui, pour le folklore, est indiqué par les sections du présent Manuel, et auquel les théoriciens de la science des religions peuvent emprunter des documents comparatifs [39]. »

Ce « matériel » auquel les théoriciens pourront puiser est, de fait, le résultat d’un questionnement très original qui, tout en dialoguant avec des auteurs alors anachroniques – tels Mannhardt ou Frazer – préfigure, sur de nombreux points, les conditions d’objectivation qui s’imposeront, quelques dizaines d’années plus tard, pour faire du christianisme un véritable système symbolique [40]. Tandis que des intellectuels catholiques inquiets, depuis le début des années 1930, de la « déchristianisation » de la France, inventent une nouvelle science appliquée pour désigner au clergé ses nouvelles terres de mission, à partir d’indices qui relèvent d’une définition strictement confessionnelle du religieux [41], la description systématique entreprise par Van Gennep, qui s’appuie elle aussi sur les ressources de la cartographie, utilise de tout autres catégories opératoires. Une première dichotomie entre pratiques chrétiennes et activités magico-religieuses paraît faire jouer à la notion de magie le rôle de catégorie universelle saisissant partout des phénomènes comparables. Mais viennent s’ajouter une série de différenciations entre usages liturgiques, pratiques christianisées, cérémonies liturgiques folklorisées, coutumes parachrétiennes pour réduire l’opposition première, au profit d’une contiguïté et d’une « convergence » qui autorisent la reconnaissance, sous des formes inattendues, de la centralité du récit chrétien. Ce parti pris exige, tout d’abord, de libérer la description ethnographique d’une opposition récurrente –- chrétien/païen – qui relève d’un jugement normatif interne au christianisme. De même, en bon historien des religions qui a déjà bataillé contre le « sans-gêne des historiens » employant à tort et à travers des conceptualisations dont les ethnographes n’usent qu’avec précaution, Van Gennep récuse l’extension abusive d’un vocabulaire technique, forgé à partir de catégories ou de modèles propres au christianisme : tous les jeux d’adresse où il faut décapiter une oie ou un coq ne sont pas des « sacrifices », tous les animaux processionnels ne sont pas « sacrés ». Mais à l’inverse, comme l’attestent le nombre et la minutie des dossiers consacrés à des usages à première vue infimes – par exemple, la distribution calendaire des feux et des bûchers cérémoniels, la cartographie des végétaux ornés, pour les enfants, de friandises que l’on fait bénir le dimanche des Rameaux, les multiples noms et formes des crécelles réservées aux enfants de chœur durant la Semaine sainte – décrire un système religieux conduit, nécessairement, à déplacer les limites qu’il se fixe à lui-même pour être reconnu comme religion.

C’est ici que fait retour toute l’érudition de l’histoire ecclésiastique contre laquelle Van Gennep a bataillé lorsqu’elle était coupée du questionnement ethnographique, mais qui prend désormais tout son sens. On ne saurait décrire les rites biographiques sans commencer par préciser leur « scénario liturgique », sous ses différentes formes avant leur fixation au concile de Trente, et l’exégèse qui en fixe le sens légitime. Ainsi toute étude des rites de baptême se reportera à la monumentale Histoire dogmatique, liturgique et archéologique du sacrement du baptême (1882-1886) de Jules Corblet, le fondateur de la Revue de l’art chrétien. L’ethnographie des coutumes matrimoniales ne saurait ignorer les Origines du culte chrétien (1889) de Louis Duchesne tout comme l’identification de la part « folklorique » des cérémonies du calendrier chrétien tirera profit du plus récent Manuel de liturgie et cérémonial selon le Rit romain de Le Vavasseur, Haegy et Stercky (1940). De manière générale, les rituels diocésains doivent faire partie de la bibliothèque d’un ethnographe, non pour considérer les formules liturgiques pour elles-mêmes, mais pour prendre la mesure des écarts et des inventions rituelles que l’Église n’avait pas prévues. Pour autant, le sens liturgique est bien pris en compte pour donner sens à tous ces « ajouts » qui composent ce que l’on appellera plus tard le christianisme vécu : comment faire des barbouillages de boue et de pâte du mercredi des Cendres une interprétation « littérale » ou « parodique » de l’entrée en carême, si l’on ignore la formule liturgique ?

Dès lors, et contrairement aux comptes rendus haineux qu’en donne Varagnac [42], le christianisme de Van Gennep se présente comme entièrement historicisé. En témoigne, particulièrement, la reconstitution de la formation du cycle pascal qui, outre la connaissance des récits évangéliques, appelle, nous dit-il, la confrontation des Rituels, des Catéchismes, des rapports des Synodes, des recueils de Visites pastorales avant la Révolution [43]. Ayant fait le constat que ce cycle a acquis en France l’unité liturgique de la Semaine sainte pour déployer toutes les dimensions du drame christique, Van Gennep s’interroge : quelles réactions « folkloriques » ont pu déterminer les récits des Évangiles entendus, puis lus ? Que disent les synoptiques des Rameaux, du jeudi saint, de l’office des Ténèbres, des vendredi et samedi saints, du dimanche de Pâques ? Peut-on dater précisément l’introduction des rameaux et des quêtes d’œufs si souvent interprétés en termes de survivance ou, au contraire, de dégénérescence ? Et de renvoyer dos à dos ces deux philosophies de l’histoire avec, pour guide, les études érudites qui, tel le Kirliche Benediktionen im Mittelalter (1908) de Franz, demeurent une référence essentielle pour les médiévistes. Cette concentration d’éléments disparates autour des récits évangéliques n’est pas le résultat d’une politique de l’Église qui, en tant que corps sacerdotal et liturgique, aurait agi méthodiquement pour intégrer des éléments païens dans son cycle cérémoniel. Relisons la conclusion à laquelle aboutit l’ethnographe au terme d’une enquête élargie à tout le domaine français :

« En définitive, après cette analyse comparative des éléments cérémoniels de la fête des rameaux, rien ne permet d’admettre, comme je l’ai cru d’abord en me basant sur certains faits isolés, qu’elle présente un caractère agraire dominant et soit une cérémonie magique du renouveau de la Végétation. L’emploi de plantes vertes persistantes ou venant à floraison à ce moment, ne suffit décidément pas à justifier la théorie de Mannhardt que les palmes des rameaux sont un équivalent, ou un remplacement, de l’Arbre de Mai. En l’édifiant, il a négligé d’examiner si ’l’élément important et déterminant a été la fête ecclésiastique ou le moment de l’année’. Or, pour les Rameaux, c’est, je crois, le nœud même du problème, parce que c’est bien à partir des textes évangéliques et du scénario qu’ils décrivent que se sont constituées les coutumes étudiées. Quant à l’emploi agraire des rameaux, j’ai montré déjà que leur valeur tient uniquement à ce qu’ils sont bénits [44]... »

Le cycle de Pâques ne christianise donc aucune fête printanière antérieure. Il s’est constitué par « convergence » de phénomènes indépendants et hétérogènes qui, ce faisant, acquièrent pleinement leur caractère chrétien. Mais, on le voit, cette conviction d’un foyer de sens fourni par le corpus de récits qui construisent la biographie christique ne s’est pas immédiatement imposée à l’ethnographe, fût-il historien des religions. Pour qu’elle soit reconnue il a fallu défaire quelques-uns des principes de la vénérable théorie ritualiste que Mannhardt avait cru pouvoir déduire, en donnant la priorité à l’enquête de terrain sur la philologie. Ajoutons que le qualificatif « folklorique » n’est pas, ici, synonyme de populaire : il désigne tous les usages non codifiés par l’Église, quels que soient les milieux sociaux qui les ont vus naître. Ajoutons aussi que le Manuel est particulièrement attentif à enregistrer le glissement, dans le temps, de ces usages d’un monde social à un autre, en soulignant l’esthétique propre à chacun.

Aussi bien le religieux de Van Gennep ne se réduit-il pas à cette projection du social qui, dans l’analyse durkheimienne, fait perdre la spécificité de l’élaboration chrétienne. Contrairement à une opposition récurrente, les perspectives historique et sociologique adoptées par Robert Hertz pour expliciter les motivations du légendaire et du culte de saint Besse ne sont guère différentes de la pluralité des niveaux d’analyse fixés par Van Gennep à titre programmatique, pour décrire la réanimation périodique de cette « propriété collective » que constitue, selon lui, un saint patron. En effet, il appelle à distinguer six composantes « d’origine et d’amplitude variable » : le culte liturgique du saint patron selon le Rit diocésain, le culte populaire entre les mains des dévots, le rôle de la Jeunesse identifié ici à l’« élément municipal », la dimension économique, la dimension esthétique qui inclut les décorations, les processions, les danses, enfin la dimension de sociabilité familiale et de solidarité « restreinte » [45].

En revanche, rétablir la continuité entre les liturgies ecclésiastiques, le légendaire chrétien et l’imagination culturelle des populations – y compris le bas-clergé et tous ces petits dignitaires d’église que sont les chanoines, chantres et enfants de chœur – prend à revers la mise en mémoire muséographique d’une « religion populaire » – celle que donne à admirer le musée des Arts et Traditions populaires – pour ouvrir la voie à d’autres procédures analytiques. Il s’agit, désormais, d’identifier et de comparer tous ces usages vivants et historicisés qui élargissent à d’autres objets, d’autres matières, d’autres acteurs, la qualification chrétienne du territoire et des coutumes qui lient ensemble le temps de la vie et le temps de l’année. Car le christianisme de Van Gennep ne se contente pas de répéter les gestes et les paroles à accomplir selon l’ordre canonique et à interpréter selon l’exégèse théologique. Sous d’infinies variations locales, dans et hors l’espace de l’église, il prend la dimension de liturgies publiques et domestiques et revêt diverses formes sensibles que l’on n’avait guère songé à rassembler de manière systématique. Soit, encore, l’ethnographie du cycle pascal. Le régime sonore de la Semaine sainte est reconstitué avec une extrême minutie, en tenant compte de la diversité des acteurs – enfants, enfants de chœur, adultes, curé – et des instruments à faire du bruit, dans l’église et dans la rue, durant le silence des cloches. Est soulignée sa dimension théâtrale, jouée et chantée, qui a fait passer d’anciennes compositions cléricales de La Passion de Jésus Christ en dialogues chantés par les jeunes quêteurs. Sous la rubrique « mets cérémoniels », c’est sa dimension culinaire qui fait l’objet d’une égale attention, laquelle aurait dû se prolonger dans un volume entier du Manuel. Un objet neuf à en juger par les difficultés rencontrées pour apercevoir les relations qu’entretiennent les cérémonies calendaires du point de vue « gastronomique » et pour identifier les aliments qui acquièrent « une sorte particulière de sainteté » : « [...] il faut extraire ces détails culinaires des contextes où ils se trouvent noyés plutôt comme des curiosités que comme des éléments essentiels de chacun des ensembles cérémoniels [46] ». Aussi bien le très riche dossier qu’il rassemble sur les œufs de Pâques est-il révélateur d’un souci explicatif qui, tout en intégrant les dimensions historique et sociographique de la coutume, ne s’y réduit pas. On ne saurait déduire de la Benedictio ovorum insérée, au XIIe siècle, dans le rituel de l’Église l’existence, au sein de la société civile, de la coutume d’offrir des œufs dont les premières attestations en Alsace remontent seulement au début du XVIe siècle. Quant à l’enquête au présent, elle fait apparaître une grande disparité des usages. « À Nice, par exemple, dans ma jeunesse – se souvient l’ethnographe – nos parents nous achetaient des œufs chez les confiseurs : mais les vrais Niçois ne manquaient pas de dire que c’était là manière d’étrangers [47]. » Anciens usages de cour, fabrication industrielle des confiseurs, œufs naturels ou colorés, cachés, quêtés, bénits pour être donnés aux enfants doivent-ils être « mis en relation magique avec la fécondation et la reproduction » ? Au vu de l’identité des acteurs qui les offrent et les reçoivent, ce symbolisme qui, pour tant de commentateurs, semble aller de soi ne satisfait nullement Van Gennep « car on ne voit pas des parents donner à leurs petits enfants des œufs pour les rendre féconds ou leur suggérer l’idée de la germination du Monde à partir de l’œuf ! » Aussi n’hésite-t-il pas à admettre que le « document folklorique » limite les termes de l’enquête, mais ne la « règle » pas [48]. Et l’on ne peut que lui savoir gré de cette prudence interprétative [49].

*****

Mécréant, Van Gennep a été en son temps l’ethnographe du religieux le moins tributaire de jugements de valeur soit confessionnels, soit anticléricaux ; autant dire le plus attentif à cette dimension « chrétienne » des sociétés locales que nous reconnaîtrons, plus tard, en adoptant d’autres modalités interprétatives. À ses yeux, ce christianisme que le Manuel appréhende comme une machine à fabriquer et à relancer une multiplicité de temporalités [50], est, avant tout, une invention médiévale dont l’analyse devrait être faite dans les termes d’une acculturation créatrice et où la question de la croyance, malgré tout ce qui a pu en être dit, est d’abord saisie dans les termes d’un « faire ». Comme dans le cas des écritures indigènes pour lequel il avait clairement perçu l’importance de la présence missionnaire, Van Gennep est fasciné par toutes les situations historiques d’émergence de nouveaux usages qui, sous le regard de l’ethnographe, valent comme autant de cas d’expérimentation. L’un des paradoxes c’est qu’à dénoncer de manière récurrente l’identification abusive de ressemblances transhistoriques à un héritage païen, il a, sans doute, contribué malgré lui à reconduire comme représentation culturelle lettrée cette forme d’identification d’une altérité interne dont il n’a cessé de combattre la prétention d’explication scientifique. Dit autrement, à trop rappeler une fausse théorie, ne risque-t-on pas de concourir à sa transmission et à sa pérennité ? Reste qu’en faisant de la ressemblance entre faits culturels provenant de cultures différentes un point de départ, et non un point d’arrivée, le Manuel de folklore français contemporain, tout comme les monographies régionales, ont pu constituer un instrument indispensable pour repenser une anthropologie des sociétés chrétiennes et non une « science » des religions qui, alors, n’était plus d’actualité.

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[1Cet article a d’abord été publié, sous le même titre, dans Daniel Fabre & Christine Laurière (dir.), Arnold Van Gennep. Du folklore à l’ethnographie, Paris, Éditions du CTHS, 2018, pp. 21-41 (ouvrage épuisé).

[2À la section des sciences historiques et philologiques : linguistique générale, égyptologie, arabe ancien  ; à la section des sciences religieuses : islam et religion des peuples non civilisés (N. Belmont, 1974, p. 6-7).

[3L’auteur réserve, de fait, ces formules à une histoire comparée des religions appelée à n’accorder aucun privilège aux monothéismes ni aux «  grandes  » religions (Ph. Borgeaud, 2004, p. 20).

[4«  Il y a d’ailleurs dans ce mot science, comme l’affirmation de quelque chose de fait, d’achevé, de définitif qui risquerait d’induire le public en erreur  », Maurice Vernes, «  Introduction  », RHR, 1880, t. 1, p. 16.

[5M. Vernes, 1880, p. 15.

[6J.-P. Vernant, 1987, p. 80.

[7J.-P. Vernant, 1987, p. 81.

[8Aucune condition d’âge, de grade ni de nationalité ne limite l’accès aux enseignements  ; une première année de «  stage  » est commune aux candidats-élèves et aux auditeurs libres  ; l’admission en deuxième année comme élève-titulaire fait l’objet d’un arrêté ministériel  ; au terme de la troisième année, on obtient le titre d’élève diplômé après la rédaction d’un mémoire évalué par une commission de deux membres qui autorise la publication dans la «  Bibliothèque de l’École des Hautes Etudes  ».

[9La scolarité de Van Gennep est documentée dans École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Rapport sommaire sur les conférences de l’exercice 1896-1897, Paris, Imprimerie nationale, 1896, p. 37  ; ibid., exercice 1897-1898, Paris, Imprimerie nationale, 1897 : 31  ; exercice 1900-1901, Paris, Imprimerie nationale, 1900, p. 35  ; exercice 1902-1903, Paris, Imprimerie nationale, 1902, p. 100  ; exercice 1903-1904, Paris, Imprimerie nationale, 1903, p. 60.

[10M. Fournier, 1994, p. 97-99, 185.

[11F. Rosa, 2004, p. 24-29.

[12Edmund Gurney, Frederic Meyrs, Frank Podmore, Les hallucinations télépathiques, traduit et abrégé des Phantasms of the living, par L. Marillier, Paris, Alcan, 1891. L’essai biographique de P. Le Maléfan (2005) fournit les données les plus complètes sur les divers champs d’intérêt de Marillier, à partir du point de vue d’une histoire de la nouvelle psychologie qui s’institutionnalise à la fin du XIXe siècle  ; manquent, cependant, dans la bibliographie, les nombreux comptes rendus publiés dans la RHR.

[13«  Introduction  » à Ernst Grosse, Les débuts de l’art (traduit de l’allemand par Adolf Dirr), Paris, Alcan, 1902. À vrai dire, la critique formulée par Philippe Dagen témoigne, elle-même, d’un curieux contresens sur l’œuvre de Haddon (Ph. Dagen, 2010, p. 67).

[14«  Introduction  » à Anatole Le Braz, La Légende de la mort en Basse-Bretagne, croyances, traditions et usages des Bretons armoricains, Paris, H. Champion, 1893 republiée dans Anatole Le Braz, Magies de la Bretagne, Paris, Laffont, 1994, p. 1111-1138.

[15La formule est souvent citée : «  En effet, il n’existe pas de peuples non civilisés. Il n’existe que des peuples de civilisations différentes  », Marcel Mauss, «  Extrait de la ’Leçon d’ouverture’  » in M. Mauss, {}1968, t. 2, p. 229-30. Pour la critique de Marillier, on comparera «  Le totémisme dans l’évolution religieuse selon Marillier  » [1899], ibidem, t. 1, p. 173-175 et «  La théorie de la religion selon Marillier  » [1902], ibidem, t. 1, p. 124-129.

[16L. Marillier, 1898, p. 334.

[17Les enquêtes sur la «  télépathie  » auxquelles il participe en faisant lui-même des enquêtes en France, en Belgique, en Suisse. Pour les spiritualistes, il s’agit d’administrer la preuve conforme au paradigme indiciaire qui se met alors en place dans les sciences de l’homme, de l’existence, en chaque être humain, d’un principe immatériel à travers des formes de communication sensorielles avant, pendant et après la mort, qui échappe aux contraintes empiriques du savoir ordinaire. Mais ces enquêtes sont en même temps le lieu d’identification de processus psychiques – le subconscient de Myers – qui échappent aux savoirs psychologiques dominants.

[18L. Marillier, 1901.

[19L. Marillier, 1994 [1893], p. 1113.

[20Ibid., p. 1119.

[21L. Marillier, 1897 .

[22Marillier, 1897, p. 398.

[23L. Marillier, 1891.

[24Le 20 août 1901, onze membres de la famille Le Braz, dont l’épouse de Léon Marillier, meurent noyés près des côtes de Pleubian. On dit que les appels au secours, durant la nuit, furent pris pour les cris des «  noyés hurleurs du gouffre de Plougrescant  ». Seul survivant découvert à l’aube, Léon Marillier mourra le 13 octobre.

[25A. Van Gennep, 1908a, p. 34-76.

[26Pour un exposé des thèmes communs à ces critiques, voir F. Laplanche, 1999, p. 627-629.

[27Dans son analyse des conditions de naissance au XVIIe siècle de l’histoire comparée des religions, Guy G. Stroumsa commente l’identification par Van Gennep de Richard Simon comme l’«  un des pères de la méthode ethnologique  » (G. Stroumsa, 1997).

[28A. Van Gennep, 1908b, p. 79.

[29Ibid.

[30A. Van Gennep, 1908b, p. 122.

[31Ibid., p. 124.

[32«  Mais ce que le P. Schmidt ajoute de ’nouveau’, c’est ceci : l’ethnographie sans musées est inconcevable, et dans le monde entier les musées ethnographiques se sont développés magnifiquement. Or, il serait facile de réorganiser à Rome le vieux musée de la Propagande : ’la création d’un grand musée où l’on trouverait des bases solides pour une étude exacte et réfléchie, ne serait-elle pas le meilleur parmi les moyens naturels, pour ruiner complètement les théories évolutionnistes et idéologiques de l’histoire comparée des religions, si vivement condamnées par les dernières encycliques du Saint-Père’ (p. 29). C’est donc une œuvre pie pour les catholiques que de ’collaborer tout d’abord au développement positif de l’ethnologie, science aujourd’hui doublement importante, et de plus, ce sera pour eux le meilleur moyen d’éluder les efforts de cet évolutionnisme idéologique qui a déjà causé tant de dommages’. On ne saurait être ni plus précis ni plus franc...  » (A. Van Gennep, 1912, p. 156).

[33F. Cumont, 1907, p. 182.

[34Pour la troisième réédition de ses Religions orientales (1929), Cumont deviendra, à son tour, un lecteur de Van Gennep qui lui inspire la comparaison entre rituels du dyonisisme et rites des confréries marocaines. Pour une révision critique de la notion de «  religion orientale  », voir J.-M. Pailler, 1999, p. 635-646.

[35A. Van Gennep, 1908b, p. 92.

[36A. Van Gennep, 2001, p. 60.

[37Ces propositions sont formulées dans le chapitre : «  Survivance et invention dans le christianisme populaire  », dans A. Van Gennep, 1908b, t. 1, p. 86-98.

[38A. Van Gennep, «  Le rite du refus  », 1908b, t. 1, p. 137-154. On en trouvera une formulation actuelle dans le beau film de Nanni Moretti, Habemus papam (2011).

[39A. Van Gennep, 1943, p. 15.

[40Pour un premier bilan des travaux issus de cette nouvelle perspective et pour la médiation qu’a pu constituer l’ethnologie démartinienne dans ce «  retour à Van Gennep  », je me permets de renvoyer à G. Charuty, 2001 et 2010.

[41L’initiative de cette sociologie religieuse à des fins missionnaires revient à l’historien du droit canon Gabriel Le Bras et au chanoine François Boulard. À partir, notamment, du dénombrement des messalisants, des pascalisants, du recrutement sacerdotal et des rites civils, la cartographie s’emploie à distinguer au sein de l’espace français les «  pays chrétiens  », les «  pays indifférents à traditions chrétiennes  » et les «  pays de mission  ». Pour une mise en perspective historique, voir P. Boutry, 2010.

[42Voir, par exemple, son compte rendu du Folklore de l’Auvergne et du Velay pour la Revue d’histoire de l’Église de France (A. Varagnac, 1946).

[43A. Van Gennep, 1979, p. 1149.

[44Ibid., p. 1205

[45A. Van Gennep, 1942, p. 175.

[46A. Van Gennep, 1943, p. 867.

[47Ibid., p. 1329.

[48Ibid., p. 1323.

[49Pour une interprétation en termes d’eucharistie coutumière, fondée sur l’équivalence du pain et des œeufs bénits qui, teints en rouge, «  saignent  » comme l’hostie profanée, voir Cl. Fabre-Vassas, 1994, p. 231-236.

[50Sur l’importance de la notion de cycle, voir D. Fabre, 1993.