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Encyclopédie internationale
des histoires de l’anthropologie

Ethnographe sans chaire, dramaturge du « folklore portugais » : vie et œuvre de l’homme de culture Francisco Lage

Maria Barthez

CRIA (Centro em Rede de Antropologia) NOVA FCSH

2022
Pour citer cet article

Barthez, Maria, 2022. « Ethnographe sans chaire, dramaturge du “ folklore portugais ” : vie et œuvre de l’homme de culture Francisco Lage », in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l'anthropologie, Paris.

URL Bérose : article2535.html

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Publié dans le cadre du thème de recherche « Histoire de l’anthropologie et archives ethnographiques portugaises (19e-21e siècles) », dirigé par Sónia Vespeira de Almeida (CRIA/NOVA FCSH, Lisbonne) et Rita Ávila Cachado (CIES-IUL, Lisbonne).

Francisco Martins Lage (1888-1957) faisait partie d’une génération d’intellectuels qualifiée d’ « ethnographes sans chaire [1] ». Durant les premières décennies du XXe siècle, ils ont étudié le peuple portugais et construit une culture populaire, dans le prolongement de la « sensibilité ethnographique [2] » de l’anthropologie et de l’ethnographie portugaises. Cette dernière a émergé sous la Première République, entre 1910 et 1930. Elle était centrée sur l’art populaire (dans son « essence décorative » et son exaltation esthétique) comme élément de construction de l’identité de la nation portugaise. Cet ensemble d’idées s’inscrit ouvertement dans une vision idéologique du monde rural en tant qu’instance culturelle des traditions populaires du peuple portugais, et marquera le discours/programme du Secretariado da Propaganda Nacional (SPN, Secrétariat pour la propagande nationale [3]), une organisation de l’Estado Novo (1926-1974), régime dictatorial dirigé par António de Oliveira Salazar (1889-1970).

Ce système politique, autoritaire et conservateur [4], a émergé après la Première République (1910-1926). Le mécontentement croissant de la population à cette période, dû à la forte instabilité politique et aux problèmes économiques et sociaux, a conduit, le 28 mai 1926, à un coup d’État fomenté par un groupe de militaires de la ville de Braga (de tendance conservatrice), mettant fin au régime en place. La révolution, qui a instauré une administration transitoire sous la forme d’une dictature militaire, a culminé avec la promulgation de la Constitution de 1933, restée en vigueur au Portugal jusqu’en 1974. Ainsi est née la Deuxième République de l’Estado Novo, avec l’établissement d’une dictature souveraine, fondée sur une logique de pensée doctrinaire et une culture politique de tendance nationaliste, conservatrice, antidémocratique et corporatiste organisée autour d’un service de censure et d’une police politique qui garantissaient le contrôle du pays sur le plan politique et social. Sur le plan idéologique, l’Estado Novo se souciait également de façonner la société de l’époque à tous les niveaux (social, économique, juridique et culturel) avec la création, mentionnée plus haut, du SPN en 1933.

Organe suprême de propagande et de promotion culturelle du régime (via les arts et la culture populaires), le SPN fut dirigé pendant les 16 premières années par António Ferro (1895-1956), figure du Premier Modernisme, écrivain et journaliste qui, plus tard, soutiendra, comme leitmotiv de son action, la « Política do Espírito » [5] (Politique de l’Esprit). Cet organisme, valorisant la culture populaire et l’ethnographie, promouvait une vision idyllique du monde rural, en particulier à travers l’art, compris par les ethnographes du régime comme une instance de représentation des traditions du peuple portugais. C’est dans ce cadre politique et idéologique, établi par la dictature et le SPN, que s’inscrit Francisco Lage et sa vision de l’ethnographie, du monde rural, lorsqu’en 1935, il rejoint les rangs de l’organisme de propagande d’État (SPN/SNI). Il est cependant intéressant de constater une différence assumée entre António Ferro et Francisco Lage dans l’analyse et l’appropriation de l’art populaire par le SPN/SNI. Ils s’opposaient aussi bien sur le plan esthétique que, dans des circonstances distinctes, sur les critères d’authenticité. Cette question accompagnera certaines réalisations dans le domaine ethnographique, contrôlées par le Secretariado.

On ne peut cependant ignorer le fait que Francisco Lage ait été un individu profondément animé par la culture, ce constat se reflétant dans une bibliographie foisonnante et pluridisciplinaire dont l’évaluation doit la placer place dans le contexte de son époque. Sa façon de penser se répercute sur son œuvre, consolidée par une posture nationaliste croissante, mise au service des manifestations et initiatives dans lesquelles il s’est impliqué.

Bien que cela n’ait pas toujours été reconnu, Francisco Lage a valorisé, à travers ses initiatives et œuvres, les « ressources populaires » comme éléments essentiels de l’idiosyncrasie proclamée par le régime qui faisait l’apologie de la nation. Ses actions, guidées par ces « agents de séduction » que sont la ruralité et l’identité d’un peuple, sont indissociables de l’utilisation d’éléments de la culture traditionnelle soumis à une certaine stylisation, susceptible de permettre leur transposition de l’art populaire vers l’art moderne.

Il faut noter l’ « hostilité » parfois suscitée par le travail de Lage. Cela renforce la nécessité de faire connaître sa vraie dimension, à travers un répertoire de contributions fondamentales pour l’histoire de l’anthropologie – l’ethnographie portugaise est en effet en construction permanente –, et pour la mémoire d’ethnographes qui ont travaillé avec et pour le régime, parfois voués à l’anonymat.

Un dramaturge de la culture populaire

Homme de culture érudite et populaire, de pensée éclectique et de savoirs multiformes, Francisco Lage a démontré, tout au long de sa vie professionnelle, son dynamisme et sa puissance d’action, aussi bien en tant qu’acteur et dramaturge qu’en tant qu’ethnographe, en collaborant à des initiatives dans le cadre du folklore portugais, mais également en tant que coordinateur et organisateur du Museu de Arte Popular (Musée d’Art Populaire, MAP) de Lisbonne.

Lage est né le 19 décembre 1888 à Braga, dans la région du Minho au nord du Portugal, où il a passé son enfance et son adolescence. Ces années seront décisives dans son éducation : il montre alors une véritable appétence pour les lettres lorsqu’il achève sa formation au Liceu Nacional de Braga, (Lycée National de Braga) en 1911, dans ce qu’on appelle alors le Curso complementar dos Liceus (cours complémentaire des écoles secondaires). Fils d’une domestique et d’un « capitaliste » (comme on les nommait à l’époque), son milieu social lui donne accès à une éducation solide, qui lui permet de satisfaire son envie de lectures diverses et de développer une sensibilité humaniste et une curiosité savante, qui ont certainement été déterminantes pour la formation de son goût pour l’art dramatique et l’ethnographie.

En analysant le catalogue de la vaste bibliothèque de Lage au moment de sa mort (1957), on imagine aisément un homme dont le savoir se (re)construit littéralement, le transformant lui-même. Cet ensemble bibliographique [6], rassemblé pendant plus de trente ans, permet d’évaluer les lectures qui lui ont servi d’inspiration et de source d’information et, en même temps, de comprendre, compte tenu de sa faible production littéraire personnelle, comment ces œuvres s’inscrivaient dans les activités que Lage a exercées à titre professionnel. Différentes approches interprétatives de cette collection (auteurs, concepts, domaines de connaissance) révèlent l’intérêt de Lage pour une grande diversité de thèmes, allant de l’histoire à la littérature, en passant par l’anthropologie, l’ethnographie, la philosophie, l’architecture, la mode, l’alimentation et la gastronomie, et qui, par essence, mettaient l’accent sur l’identité portugaise. Témoignant de la manière dont Lage s’est inspiré des idées des auteurs avec lesquels il a été le plus en contact, ces lectures sont déterminantes pour comprendre son œuvre et son action.

L’univers de Francisco Lage, de sa jeunesse jusqu’à la fin des années 1920, est également marqué par sa passion pour le théâtre. Ainsi, en 1911, il part à Lisbonne étudier le théâtre au Conservatório Nacional (Conservatoire national), alors nommé Escola da Arte de Representar (École d’art de la représentation). Son année d’apprentissage se révèle très fructueuse pour sa carrière d’acteur et de dramaturge [7], commencée peu de temps après et qui a duré jusqu’en 1926.

En 1922, alors qu’il occupe déjà une place prépondérante dans le panorama théâtral portugais, il rejoint la nouvelle compagnie Rey Colaço-Robles Monteiro [8], pour laquelle il écrira plusieurs pièces dans lesquelles il jouera. À l’issue de certaines représentations, en tant qu’artiste en résidence (membre effectif de la société artistique de la compagnie), Lage jouera les premiers rôles, incarnant des personnages historiques (notamment Iokanaan, dans la pièce Salomé) [9], et sera la cible de vives critiques dans la presse théâtrale de l’époque.

Entre 1920 et 1926, désirant s’affirmer comme dramaturge, Francisco Lage, en collaboration avec João Correia de Oliveira (1881-1960) [10], a écrit, entre autres pièces de théâtre, A Verdade, un drame psychologique qui aborde la question de l’adultère, et Os Lobos, qui porte sur les traditions en recréant les usages, les croyances et les gestes d’une région rurale, dans la lignée du théâtre régionaliste alors dominant. Cette dernière pièce réunit tous les éléments (scénographie, contenu et symbolique) propices à l’exaltation du monde rural, dans une veine ethnographique qu’il a développée à travers la rédaction d’articles pour le célèbre magazine Terra Portuguesa (Terre Portugaise) [11].

Malgré son succès sur la scène théâtrale lisboète, le dramaturge revient à Braga à la fin des années 1920. Son parcours dans sa ville natale est marqué par deux phases, relativement brèves, durant lesquelles il officie en tant que « chronographe » publiant dans la presse de Braga et de Porto, puis comme industriel et politique (1927-1931). Ces deux périodes, relativement troublées et intenses dans la vie de Lage, reflètent, pour la première en tant qu’écrivain, sa pensée, son esprit critique et humoristique, qui vont « révolutionner » la une des périodiques du nord du pays [12], dans des chroniques et des essais qui présentent une variété thématique remarquable. Lors de la seconde période, en assumant le poste de directeur de la société commerciale et industrielle connue sous le nom d’Indústrias Regionais, Tecelagem de Sedas e Veludos (Industries régionales, tissage de soie et velours), Francisco Lage investira non seulement dans l’étude et la préservation des anciens modèles et techniques, mais aussi dans l’innovation, la qualité et la rentabilité d’une industrie du tissage en pleine reconstruction.

Au service de la mairie de Braga, Lage traverse quelques épisodes politiques en sa qualité de conseiller municipal, en s’appuyant sur de multiples initiatives locales, qu’il s’agisse de la défense de l’environnement et du patrimoine, de l’organisation d’un grand défilé à caractère ethnographique (A Parada Agrícola do Minho, intégré dans les festivités de la ville de Braga en juin 1929), ou encore de l’embellissement et de la modernisation de cette dernière (1928-1929). La démission de ses fonctions a constitué un tournant dans sa carrière, avec son déménagement dans la capitale et son processus d’intégration ultérieur dans la société lisboète et dans les services du SPN, dans les années 1930, dans le cadre duquel il est important de souligner son engagement inconditionnel pour l’ethnographie.

Dans la capitale, après avoir quitté la mairie de Braga, Lage entame sa carrière professionnelle au sein du SPN nouvellement créé avec lequel il collaborera pendant 23 années. Dès le début, en 1935, il occupera le poste d’archiviste avant de devenir, à partir de 1936-1937, membre du « júri dos Prémios Literários » (jury des Prix littéraires), une initiative culturelle du Secretariado, récompensant des auteurs et des œuvres d’intérêt pour le régime. Toujours en 1935, Francisco Lage intègre la Commission nationale d’ethnographie créée par le SPN. Cette organisation avait pour but de fournir les connaissances ethnographiques nécessaires à la réalisation d’une grande exposition de « Folklore et d’ethnographie » qui se tiendrait à Lisbonne. Formée par des ethnographes de différentes régions et des chercheurs universitaires, l’association a également proposé d’organiser des expositions, de créer des concours régionaux et de constituer des sous-commissions qui abordent des thèmes liés à la musique populaire, à l’architecture et à la gastronomie. Cependant, son action fut éphémère, et sans grands résultats pratiques.

Dans le domaine de la culture populaire, des années 1930 à 1952, l’implication de Lage dans la production théâtrale est toujours liée au Teatro do Povo (Théâtre Populaire) créé par le SPN en 1936. Jusqu’à sa disparition en 1952, ce fut un théâtre itinérant, qui fonctionnait comme un instrument de propagande idéologique ; un théâtre pédagogique et ludique, qui présentait des acteurs et des pièces pour une population spécifique – les populations rurales –, dans les endroits les plus reculés du pays [13].

Dans ce contexte, Francisco Lage est chargé de la structuration et des performances du Teatro do Povo, une mission qui s’étend à la dramaturgie dans le répertoire écrit des pièces de théâtre et des représentations théâtrales, dont certaines ont été lauréates du Concours de pièces de théâtre, soutenu par le SPN, parmi lesquelles on peut citer : Ressureição (Résurrection), 1938 ; Pão que o diabo amassou (Pain que le diable pétrit), 1939 (sous le pseudonyme de Franciscus, en collaboration avec Ribeirinho (1911-1984)) ; Maio Moço (sous le pseudonyme de Ságitario), 1942. Toujours dans les années 1950 – et jusqu’à sa mort – il n’a jamais cessé d’écrire des scripts, comme par exemple : Chapelinho de penas (Petit chapeau à plumes) en 1952, Arremedilho de Guimarães et Rei Lear, traduit en partenariat avec António Lopes Ribeiro (1908-1995) en 1953, qui présentait des arguments insérés dans le drame historique, régionaliste et psychologique, et Noite dos Reis (La nuit des rois) en 1957, portés à la scène par le Teatro Nacional Popular (Théâtre National Populaire) – désignation qui remplacera, en 1944, celle de Teatro do Povo, bien qu’il conserve partiellement les mêmes objectifs –, et ceci désormais sous la responsabilité du SPN rebaptisé Secretariado Nacional de Informação Cultura Popular e Turismo (Secrétariat national de l’information, de la culture populaire et du tourisme (SNI).

L’émergence de la « pulsion ethnographique » et son rôle dans l’intériorisation d’un art populaire « véritablement national »

Francisco Lage « inaugure » par l’écriture, à la fin des années 1910, l’une des premières rencontres avec l’ethnographie – c’est-à-dire la description ou la collecte de « traditions populaires » – avec la publication, dans le plus prestigieux magazine d’ethnographie portugais de l’époque, Terra Portuguesa : Revista Ilustrada de Arqueologia Artisticae Etnografia (Terre Portugaise : Magazine illustré d’archéologie artistique et d’ethnographie, 1916-1927), de l’article « Cobertas Estampadas » (Couvertures imprimées), qui détaille le processus de fabrication des couvertures, des motifs décoratifs imprimés, des matériaux et outils utilisés ainsi que les étapes de leur confection artisanale. L’approche ethnographique de Francisco Lage, privilégiant l’art populaire, guidera une grande partie de son activité d’ethnographe. En effet, l’intérêt de Lage pour l’ethnographie, et les connaissances qu’il a développées sur l’homme portugais et la culture matérielle/l’art populaire, l’amènent à rejoindre, en 1936, les services de la 3e division du SPN (section d’ethnographie et culture populaire), tâche qu’il embrasse avec énergie et dévouement pendant 22 ans (1935-1957).

Dans les années 1930, le SPN mène une politique folklorique systématique autour de la diffusion de l’art populaire portugais comme processus de construction de l’identité nationale et d’affirmation de la nation, sur la base d’un ensemble d’initiatives folkloriques organisées à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.

L’interprétation de la pratique, la théorisation de Francisco Lage à cette période, réalisée à travers une analyse herméneutique et qualitative de son activité au sein du SPN/SNI, nous permet de comprendre sa relation et son opposition à certains objectifs de la politique folkloriste, incarnés dans l’authenticité et l’esthétisation des traditions et de la culture populaires par le SPN/SNI. Dans cette optique, son activité et ses performances dans diverses initiatives folkloriques promues par le SPN/SNI, soit en tant que responsable de la sélection et de l’acquisition d’œuvres d’art populaire, soit en tant que conseiller, organisateur et directeur de projets ethnographiques, auront pu être parfois contrariées par des conceptions opposées aux siennes. Nous pouvons ainsi observer des « tensions » à travers les différentes initiatives dans le domaine ethnographique, en particulier dans le projet esquissé par Lage pour un Museu do Povo Português (Musée du peuple portugais) qui, bien qu’il ait été planifié par un ethnographe, a été mis en échec par le désir de Ferro de le consacrer à l’art populaire décoratif. De même, l’appel de Lage à un groupe d’ethnographes tels que Sebastião Pessanha (1892-1960) et Guilherme Felgueiras (1890-1990) pour collaborer à la future institution a été rejeté par Ferro, qui les a remplacés par des peintres-décorateurs.

On ne saurait pour autant écarter quelques exemples d’accommodement, telles que les expositions nationales et internationales d’art populaire, où les objets exposés ont été sélectionnés en fonction de leur valeur décorative et esthétique. À cet égard, la compréhension claire de Lage de la conception d’une exposition d’art populaire, différente d’un projet de musée qui incluait un vaste champ de connaissances ethnographiques et muséologiques, l’a parfois conduit à opter pour la sélection et l’exposition d’objets dont l’effet esthétique en tant qu’ « images » séduisantes, destinées à un public cible sensible à une culture nationaliste visuelle et iconographique, était conforme à la politique folklorique menée par son directeur.

Le temps des réalisations folkloriques

Tout au long des années 1930 et 1940, le SPN a organisé plusieurs expositions d’art populaire à l’étranger, dans le cadre d’un programme visant à « présenter le Portugal au monde ». La première a lieu à Genève (1935), avec la sélection et le recueil de la collection d’art populaire sous la direction de Lage. L’agencement moderniste de la salle, ainsi que l’exposition des objets selon des critères purement esthétiques, sous la responsabilité d’une équipe de peintres-décorateurs, amorce un modèle qui guidera les expositions futures. En 1937, l’exposition internationale de Paris a reflété cette politique par excellence. Lage s’occupait une fois de plus de multiples fonctions, comme l’organisation de la salle d’artisanat (voir Fig. 1) et d’autres tâches découlant de la planification des fêtes « arraial minhoto » dans le Pavillon du Portugal, vestige d’une certaine « culture populaire ». Dans l’organisation et les finalités qui ont défini la sélection de la collection, Lage n’hésite pas à rassembler des pièces qui se distinguent par l’idée d’authenticité et d’autres par le pittoresque (par exemple, l’orfèvrerie populaire), « dogme » fixé dans l’une des directives du SPN, dans une dichotomie constante entre authenticité et esthétisation de l’art populaire.

Fig. 1
Exposition d’art populaire, studio SPN, 1936.
Fonds AFC PT/FAQ/AFC/66/001166.

À l’Exposition internationale de Paris, le Portugal reçoit le grand prix de la salle de l’artisanat portugais et Lage s’est vu décerner un diplôme d’honneur pour son travail de création des mannequins régionaux exposés. La liste des expositions internationales se poursuit avec l’Exposition universelle de New York de 1939, et son extension à San Francisco. La présence portugaise dans la capitale américaine répond à l’un des paris d’António Ferro. La promotion touristique du pays est un élément incontournable intégré à l’art populaire. Les quelques artefacts de la culture matérielle qui y sont exposés, résultant en partie du choix d’un peintre-décorateur, impliquent Lage dans une moindre mesure.

Des événements similaires ont lieu en Espagne, à Madrid en 1943, puis à Séville et Valence l’année suivante. L’art populaire est ainsi présent dans ces trois expositions, avec une organisation des salles arrangée par des peintres-décorateurs, dans un cadre esthétique précis concernant les objets de culture matérielle, sélectionnés par Francisco Lage.

Le succès remporté par l’art populaire dans les grandes expositions internationales des années 1930 le légitime aux yeux de la population urbaine. En 1936, une exposition d’art populaire portugais (voir Fig. 2) est organisée dans les modestes locaux du SPN à Lisbonne, réunissant la collection de 1935, qui s’est considérablement enrichie. L’ethnologue Luís Chaves (1896-1977), assisté de Manuel Cardoso Martha [14] (1882-1958), et Francisco Lage participent à sa réalisation, sa planification et l’élaboration de son catalogue.

Fig. 2
Exposition d’art populaire, Pavillon portugais, Exposition internationale de Paris, 1937.
FT 003100679. Collection atelier Mário Novais /FCG-Bibliothèque d’art et archives.

L’année suivante, en 1938, a eu lieu le concours du « Village le plus portugais du Portugal » (voir Fig. 3), une projection à l’échelle nationale des expositions d’art populaire. Le concours avait pour but de révéler les vertus du peuple portugais, ses richesses ethnographiques et ses coutumes nationales et régionales, dans les lieux et villages les plus reculés du pays, de véhiculer et légitimer les valeurs de la renaissance folklorique et ethnographique nationale, encadrées par l’organe de propagande de l’État. Lage y coopère très largement. Son action concerne tant l’organisation et le règlement du concours que la gestion de toute la logistique inhérente à l’initiative. Il était chargé de sélectionner les villages candidats au prix, sur la base des propositions faites par les conseils provinciaux, ainsi que de coordonner les visites du jury national dans les villages en compétition et de collecter les éléments de leur culture matérielle respective. Ce concours renforce la recherche constante d’authenticité des traditions de la part de Lage, une attitude qui s’est manifestée par l’élimination des villages qui ne respectaient pas les caractéristiques ethnographiques exigées par le règlement, contrairement à la mise en scène délibérée de nombreuses manifestations, prétendument ethnographiques, de villageois chantant, dansant ou occupés à des tâches agricoles devant le jury.

Fig. 3
Concours du village le plus portugais du Portugal, 1938, « Adufos et flûte, Malpica ».
Archives photographiques de la mairie de Matosinhos.

La plus grande célébration et l’initiative la plus importante du SPN et du régime dans le domaine de l’ethnographie du monde rural a été, sans aucun doute, la participation à l’Exposition du monde portugais [15] en 1940, à travers la création du Centre régional divisé en deux sections : « Vie populaire » et « Villages portugais ». L’enjeu était de célébrer la patrie entre Portugais, et de mettre en place le Centre régional, qui a matérialisé, dans la section Vie populaire, un programme de « monumentalisation » de la culture populaire, tandis que dans la section Villages portugais, qui disposait de son propre pavillon, a été représenté un itinéraire géographique et physique à travers le pays (continental et insulaire), dans une reconstitution de la vie et des personnes de différentes régions du Portugal. Dans ce pavillon des Villages portugais (voir Fig. 4), des groupes de maisons régionales ont été créés, dans lesquels les villageois ont « mis en scène » diverses scènes de la vie rurale, en lien notamment avec leur travail artisanal, afin de les présenter au visiteur.

Fig. 4
Section des villages portugais du « Centro Regional », Exposition « O Mundo Português », 1940.
Arquivo Nacional Torre do Tombo, Arquivo Fotográfico do SNI, PT-TT-SNI-DO-06-01M-57276.

Dans les pavillons de la section sur la vie populaire (voir Fig. 5), différents éléments de la culture matérielle ont été montrés : des artefacts utilisés dans diverses activités (halieutique, pastorale et agricole), à l’intérieur et sur la côte du pays ; des objets de la religiosité et des superstitions populaires ; des représentations de moyens de transport et d’architecture traditionnelle ; des ustensiles et des produits artisanaux issus du tissage et de la poterie. Dans ces pavillons, le public a également eu l’occasion d’observer le travail des artisans et son résultat. Chargé du projet de pôle régional, Lage a élaboré un premier plan d’organisation des Services d’ethnographie et de folklore du continent et des îles, programme abandonné par le SPN pour des raisons budgétaires. Les modules définitifs des sections sur les villages portugais et sur la vie populaire ont été confiés aux ethnographes Luís Chaves et Cardoso Martha pour ce qui avait trait à la conception et à l’organisation, et à Lage en ce qui concernait la sélection des objets à exposer. Toujours dans le cadre de cette double commémoration, le SPN publie le prestigieux ouvrage Vida e Arte do Povo Português (Vie et art du peuple portugais, 1940), présentant des essais folkloriques sur des thèmes tels que l’art populaire, le costume et les transports, dirigé par Francisco Lage, auquel ont collaboré des ethnographes tels que Vergílio Correia (1888-1944), António Rocha Madahil (1893-1969), Sebastião Pessanha (1892) et l’artiste décorateur Paulo Ferreira (1911-1999), dans l’illustration graphique minutieuse de thèmes ethnographiques.

Fig. 5
Pavillon des transports, du tissage et de la poterie, salle de tissage, section de la vie populaire du « Centro Regional », Exposition « O Mundo Português », 1940.
Arquivo Nacional da Torre do Tombo, Arquivo fotográfico do SNI, « Documento cedido pelo ANTT », PT-TT-SNI-DO-06-01M-01953.

Toujours dans le cadre de cette année de commémorations conçue par António Ferro autour de la « leçon de bon goût national », le SPN a créé le groupe de danse folklorique classique portugaise Verde Gaio, inspiré des Ballets russes, qui rassemble écrivains, scénographes, musiciens, danseurs et costumiers, dont la première représentation a eu lieu lors de l’exposition du Monde portugais de 1940, et qui s’est ensuite produit à l’étranger et au Portugal. Il était prévu, surtout dans la première phase, que les ballets aient des livrets typiquement portugais. Sur la base de légendes et traditions populaires, Lage écrit le livret de l’un des ballets, O Homem de Cravo na Boca (1941), avec une musique d’Armando José Fernandes (1906-1983) et des costumes de Paulo Ferreira. Son implication dans le développement des activités ethnographiques du Secrétariat s’est développée, encore au début des années 1940, à travers l’organisation de petites expositions évocatrices de pièces ethnographiques de Monsanto : « Colchas de noivado de Castelo Branco » (édredons de fiançailles de Castelo Branco), « Trajes regionais de Viana do Castelo » (costumes régionaux de Viana do Castelo, voir Fig. 6). La sélection et la scénographie des pièces montrées dans les expositions illustrent une forte détermination à combiner l’effet décoratif et esthétique de certaines pièces avec l’authenticité d’autres.

Fig. 6
Exposition du costume régional de Viana do Castelo (tissage, broderie et dentelle aux fuseaux), siège du SPN,1945.
Fonds AFC, PT/FAQ/AFC/06/002/0260/01061.

Parallèlement à des initiatives planifiées mais réalisées, comme la deuxième édition du livre Vida e Arte do Povo Português (Vie et art du peuple portugais), des expositions consacrées à des thèmes tels que la poterie ou les maisons traditionnelles de Beira Baixa, ou encore la deuxième édition du concours du village le plus portugais du Portugal, l’action de Lage se poursuit en 1947 avec l’organisation de concours de danses folkloriques (voir Fig.7). Il convient de noter, dans ce contexte, la vision « lagéene » particulière sur les modifications nécessaires et les mécanismes d’épuration mis en œuvre sur tel ou tel type de costume, telle ou telle danse ou tel ou tel chant, et ce en faveur de la défense d’un folklore « authentique ». Dans sa défense de la musique populaire portugaise et des traditions régionales, Lage a fait la promotion d’enquêtes nationales sur les fanfares philharmoniques à caractère ethnographique dont l’importance dans la structure sociale de la communauté est soulignée.

Fig. 7
Concours des groupes de danse folklorique de Beira Baixa, Castelo Branco, 1947.
PI19, Bibliothèque municipale de Castelo Branco.

Un nouvel élan : la création du Museu do Povo Português (Musée du peuple portugais)

Entre les expositions et les spectacles d’art populaire à l’étranger et au Portugal même, le désir du SPN et de son directeur, António Ferro, de créer un musée qui rassemblerait l’ensemble du patrimoine ethnographique a fini par se concrétiser. Francisco Lage est chargé d’ « imaginer » un programme pour le futur Museu do Povo Português (Musée du Peuple Portugais), qui sera installé dans les pavillons de la section Vie Populaire de l’Exposition du monde portugais. Ce projet ambitieux (1942) pour le nouveau Musée de Lisbonne à Belém a renforcé la volonté de Lage de rendre hommage au peuple portugais, à l’ethnographie et au folklore national, en présentant, dans les différents thèmes présents dans les salles d’exposition permanente, des contenus pour chaque province, basés sur la géographie (environnement) ; l’anthropologie physique (l’habitant), les aspects socioculturels (la vie quotidienne) et l’ethnographie (l’alimentation, l’habillement, le travail). L’ethnographe devait concevoir un lieu dédié à l’étude du peuple portugais. Cette future institution devait dresser le portrait d’une société traditionnelle et méconnue, et aborder le discours, les techniques artisanales, les coutumes et les croyances, entre autres dimensions de la culture populaire essentiellement associées à la ruralité. Lage a conçu le musée comme une sorte de mémorial, empêchant la disparition inévitable d’un patrimoine culturel matériel déjà à l’agonie. En raison de problèmes budgétaires, de différends programmatiques, le projet de Lage ne sera pas réalisé, l’art populaire n’étant que l’une des composantes et non l’élément dominant de l’exposition. Cette position était contraire à celle d’António Ferro et à la pratique courante dans les précédentes expositions du SPN.

Le Musée d’art populaire : la fermeture du tombeau

Le projet de musée porté par Lage connut des modifications successives tant dans sa vocation, sa collection que son programme, du fait de propositions ultérieures qu’il formula lui-même et de sa collaboration avec des ethnographes de renom comme Sebastião Pessanha et A. Mendes Correia (1888-1960). Mais l’ambition de Lage pour ce musée, qui impliquait un rapprochement entre géographie, anthropologie physique et culturelle et ethnographie, a été surtout entravée par le fait que le projet restait sous la responsabilité du directeur du SPN, António Ferro, et restait axé sur l’art populaire. Ce choix réaffirmait l’option que ce dernier défendait : la prédominance esthétique et décorative au détriment de l’ethnographie. Il se manifesta clairement dans le projet muséographique et scénographique confié au décorateur Tomás de Melo – Tom (1906-1990) – qui impliqua l’intervention d’une équipe de peintres-décorateurs chargée de la décoration murale des salles réservées chacune à une province. Lage, quant à lui, s’est vu confier la mise en place du musée, l’acquisition des objets à exposer, objets répondant en partie aux exigences de son premier projet. Bien que beaucoup représentent des artefacts de la culture matérielle de l’art populaire, sélectionnés pour leurs singularités esthétiques, ils sont présentés comme des œuvres d’art. Lage ne néglige pas, dans d’autres cas, la sélection d’objets qui justifient leurs caractéristiques d’authenticité.

Inauguré en 1948, le désormais dénommé Musée d’art populaire (voir Fig. 8) ne sera pas le musée d’ethnographie souhaité et imaginé par Lage, mais plutôt un musée d’arts populaires visuels et décoratifs, fondé sur le choix pédagogique, politique et propagandiste du régime. Néanmoins, au cours des années suivantes, Lage tentera de valoriser le musée en réalisant des travaux d’agrandissement, avec de nouvelles installations pour des expositions temporaires, en investissant également dans des services de restauration, et en développant une politique de nouvelles acquisitions, proposant même la création – avec l’ethnographe Sebastião Pessanha – d’un Centre d’études associé au musée, le Centro de Estudos de Etnografia (Centre d’études ethnographiques), exprimant le souci de doter le musée et les actions du Secrétariat d’un caractère plus scientifique et culturel. Toutefois, cette démarche n’a pas abouti, que ce soit en raison de changements dans la politique du SNI (ce dernier accordant une plus grande attention au tourisme), ou pour des raisons budgétaires.

Fig. 8
Salle des Beiras, Musée d’art populaire, 1953.
Archives du Museu de Arte Popular (MAP).

À partir de 1949, après le départ d’António Ferro, Lage continuera à transmettre son savoir au sein du SNI jusqu’à sa mort, en 1957, dans un domaine qui lui était particulièrement familier et dont il avait une connaissance et une expérience privilégiées : la culture populaire. Plus de soixante ans après son décès, Francisco Lage reste une figure méconnue, tant dans l’histoire de l’anthropologie des années 1930 et 1940 au Portugal, que dans l’historiographie de l’Estado Novo et de ses actions de propagande nationaliste, malgré sa collaboration décisive à des expositions internationales et nationales, au concours du village le plus portugais du Portugal, malgré ses diverses activités incluant la publication de livres ethnographiques, son œuvre de dramaturge pour le Théâtre du Peuple et les Ballets Verde Gaio, le rôle qu’il a joué dans la création du Musée d’art populaire et sa contribution gastronomique à la composition des menus proposés dans les auberges régionales.

Francisco Lage est pourtant une figure intéressante pour l’histoire de l’anthropologie portugaise. Bien qu’occupant une place périphérique, son action et son activité institutionnelle en faveur de l’ethnographie nationale ont été déterminantes. Au terme de la réflexion sur son (ses) œuvre(s), et malgré la distance critique qu’imposent ses liens avec le régime de l’Estado Novo – et ses instances de propagande nationaliste –, il est important de souligner la place qu’il mérite en tant que bibliophile, intellectuel, ethnographe et animateur de la culture populaire portugaise. Totalement engagé, de manière systémique, à sa « pratique de la théorisation », Francisco Lage aurait probablement mis son savoir au service de n’importe quel régime, selon la conception de l’humanisme qui lui était propre.

Mots-clés : Estado Novo, Portugal, nationalisme, théâtre, musée, art populaire, folklore, ethnographie.

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[1L’expression « ethnographe sans chaire » fait référence à son absence de l’université. Au Portugal, l’anthropologie et les études ethnologiques ne seraient pas enseignées dans cette institution avant de nombreuses années. En réalité, il existait une communauté d’ethnographes sans chaire sous la Première République, qui collaboraient avec l’Estado Novo dans sa politique et son action folklorique, dont Luís Chaves (1889-1975) est l’exemple le plus pertinent.

[2Leal João, 2002. “Metamorfoses da arte popular : Joaquim de Vasconcelos, Vergílio Correia e Ernesto Sousa”. Etnográfica, VI (2), p. 272.

[3Dans ce contexte, le SPN a annoncé, simultanément, la ’construction’ de cet idéal ethnographique, fondé sur un Art populaire au service de l’agencement d’un pouvoir politique, en lui donnant une étiquette d’« art de propagande », mis – et c’est évident – au service du renouveau national. De plus, c’est également dans le domaine culturel que l’Art Populaire, ’adopté’ par le SPN, est apparu comme le garant d’une identité culturelle spécifique.

[4Pinto António Costa, 1992. O salazarismo o fascismo europeu. Problemas de interpretação nas ciências sociais, Lisbonne, Editorial Estampa, p. 14.

[5Le concept de Polítique de l’Esprit défendu par Paul Valéry (1875-1945), a été « utilisé » par António Ferro, bien que dans un sens sensiblement différent, comme ligne d’action politique pour justifier les investissements nécessaires à la formation des Portugais dans son programme culturel et son scénario propagandiste portant sur les différents secteurs culturels et artistiques.

[6Cet ensemble de lectures s’inscrit, entre autres, dans le domaine de l’histoire, de la littérature, de l’ethnographie et de l’anthropologie, avec des ouvrages tels que : Herculano Alexandre, História de Portugal desde o começo da monarchia até ao fim do reinado de Affonso III (1875 env.) ; Leite de Vasconcelos José, Etnografia portuguesa. Vol. I, Imprensa Nacional Casa da Moeda (1980) ; Galter Juan Subias, El arte popular en España (1948) ; Leite de Vasconcelos José, De Campolide a Melrose : Relação de uma viagem de estudo. Filologia, etnografia, arqueologia (1915) ; Pires de Lima Augusto César, Estudos etnográficos filológicos e históricos (1945) ; Basto Cláudio, O traje à vianesa, Vila Nova de Gaia, Estudos Nacionais (1930) ; Christiansen Friedrich, Das spanische volk, sein warhres Gesicht, Leipzig, Bibliographisches Institut (1937, avec une dédicace de l’auteur à Francisco Lage) ; Chaves Pedro, Rifoneiro português., collection “Folclore e Pedagogia”, Porto, Domingos Ferreira Lda (1945) ; Dias Jaime Lopes, Cantigas populares da Beira Baixa lidas e ouvidas por um médico, Lisbonne, Imp. Lucas Cª (1944) ; Cascudo Luís da Câmara, O Folk-Lore nos Autos Camoneanos(1950). Lage possédait également, dans sa bibliothèque, des ouvrages figurant sur la liste des livres interdits par le régime.

[7Pendant son séjour au Conservatoire, outre ses débuts en tant qu’éditeur d’une publication officielle de l’école, la revue de théâtre Theatrália - revista de Arte (1913), Francisco Lage monte pour la première fois sur scène au Teatro Nacional, dans la distribution de la pièce Alcoólico de Bento Mântua (1878-1932), et est le seul étudiant/acteur amateur à recevoir une critique élogieuse dans la presse théâtrale.

[8La compagnie Rey Colaço-Robles Monteiro, formée par les acteurs Amélia Rey Colaço (1898-1990) et Felisberto Robles Monteiro (1888-1958), a fait ses débuts au Teatro Nacional de S. Carlos en 1921, et a déménagé au Teatro Politeama au début du mois de mai 1922, où elle est restée jusqu’en 1926. Ainsi commence une longue vie qui s’achèvera en 1974, avec un passage par diverses maisons dédiées à l’art dramatique, comme le Teatro Nacional Almeida Garrett, o Avenida et le Cineteatro Capitólio. Sa reconnaissance et son prestige dans le théâtre portugais du XXe siècle étaient dus non seulement aux qualités artistiques de ses propriétaires, et à une décoration théâtrale soignée (pour laquelle ils n’hésitaient pas à faire appel à des artistes célèbres), mais aussi au répertoire choisi, dans lequel prédominaient les pièces de nouveaux auteurs portugais (A Companhia Rey Colaço Robles Monteiro (1921-1974). Correspondência/sélection et notes Vítor Pavão dos Santos. Lisbonne : Secrétariat d’État à la culture ; Institut portugais du patrimoine culturel - Musée national du théâtre, 1989, p. 4-5).

[9La pièce d´un acte intitulée Salomé, et écrite par Oscar Wilde (1854-1900), a été présentée au Politeama le 19 avril 1926. La mise en scène, signée Leitão de Barros et Raul Lino, comptait Francisco Lage dans le rôle de Iokanaan (le prophète), une performance qui lui a valu les plus grands éloges (De Teatro, Année IV, 8e série, n° 43, 2e partie, n° 1 - Actualidades - Resenha de teatro, p. 7).

[10João Correia de Oliveira (1881-1960) était un écrivain, un dramaturge et un poète. Il a collaboré à la revue Águia (1910-1926, Porto) (littérature, art, science et philosophie) et a été directeur littéraire de la revue moderniste Contemporânea (1922-1926, Lisbonne).

[11En 1917, Francisco Lage collabore à Terra portuguesa, une revue illustrée d’archéologie artistique et d’ethnographie, dirigée par Sebastião Pessanha, et éditée avec Correia Vergílio. Cette revue a été publiée entre 1916 et 1927.

[12Pendant un an (1928-1929), Francisco Lage a écrit, pour le journal Correio do Minho, la chronique quotidienne intitulée Bons Dias, sur des sujets divers, tels que l’adultère, le mensonge et la danse. Il a également écrit, pour le Jornal de Notícias, des chroniques sur la vie du citoyen ordinaire et du public lecteur confronté jour après jour à des questions du quotidien.

[13Santos Graça, 2002. Le spectacle dénaturé : Le théâtre portugais sous le règne de Salazar (1933-1968), Paris, CNRS Éditions.

[14Manuel Cardoso Marta était professeur, écrivain, faisant partie de la Comissão Nacional de Etnografia en 1935, et a collaboré directement en tant qu’employé à Exposição do Mundo Português - Seção de Etnografia. Il a participé, avec un article, au livre Vida e Arte do Povo Português.

[15Exposição do Mundo Português, une exposition d’histoire, un document vivant, a été considérée comme l’une des grandes initiatives politiques et culturelles de l’Estado Novo, en raison des moyens déployés et de la signification idéologique sous-jacente. Elle a eu lieu en 1940, dans le cadre d’une double commémoration : celle des 800 ans de fondation du Portugal (1140) et celle des 300 ans de la restauration de l’indépendance nationale par rapport à l’Espagne (1640). Cette double commémoration nationale, également connue sous le nom de centenários, s’est déroulée dans une vaste zone entièrement reconvertie pour accueillir de nombreux pavillons thématiques et espaces de loisirs à Lisbonne (Belém), au bord du Tage. L’exposition, divisée en sections sur l’histoire, l’ethnographie et le monde colonial, entendait également – à travers cette dernière section – montrer la grandeur de l’empire colonial, justifiant ainsi ses aspirations impérialistes. Cet événement grandiose a compté sur la collaboration des principaux artistes et architectes modernistes, qui ont ainsi imposé une empreinte moderniste aux différentes œuvres architecturales et artistiques construites sur le site. Au cœur d’une période troublée de l’histoire mondiale, alors que l’Europe connaissait les horreurs de la guerre, le Portugal, pays neutre, a ainsi souhaité montrer au monde, en réalisant l’un des objectifs de propagande du gouvernement, sa réussite particulière : maintenir un pays dans un climat apparent de paix, de progrès et de prospérité.