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Encyclopédie internationale
des histoires de l’anthropologie

Karl Edvard Laman, missionnaire ethnologue suédois au Congo (1891-1919). Entre culture savante et humanisme chrétien : l’utopie missionnaire face au léviathan colonial

Bernard Coyault

IMAf (Paris), Institut Al Mowafaqa (Rabat)

2021
Pour citer cet article

Coyault, Bernard, 2021. « Karl Edvard Laman, missionnaire ethnologue suédois au Congo (1891-1919). Entre culture savante et humanisme chrétien : l’utopie missionnaire face au léviathan colonial », in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l'anthropologie, Paris.

URL Bérose : article2268.html

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Publié dans le cadre du thème de recherche « Anthropologie missionnaire », dirigé par André Mary (CNRS).

L’apport des missionnaires protestants suédois à l’ethnologie africaine de la première moitié du XXe siècle est peu connu, en particulier dans le contexte francophone. Une première publication dans les Carnets de Bérose (n° 12) sur le missionnaire ethnologue Efraim Andersson (1896-1989), précurseur dans l’étude des prophétismes kongo (Coyault 2019), laissait entrevoir l’existence d’une autre figure hors normes, celle de son prédécesseur et inspirateur, Karl Edvard Laman (1867-1944) appartenant à la première génération des missionnaires de la Svenska Missionsförbundet (SMF) dans l’État indépendant du Congo. Laman qui séjourne au Congo durant un quart de siècle, de 1891 à 1919, n’est pas seulement pionnier dans ce champ missionnaire suédois qu’il contribue par ses voyages exploratoires à déployer géographiquement jusqu’au Congo français, mais il va aussi s’affirmer comme une grande figure savante, linguiste (il traduit la bible en kikongo en 1905 et publie un monumental dictionnaire kikongo-français en 1936) et fin connaisseur de la culture kongo qu’il contribue à documenter y compris dans ses expressions matérielles (collecte d’artefacts, photographies, enregistrements sonores) au moment où ses fondements semblent se disloquer sous les chocs multiples de l’entreprise coloniale. La parution à titre posthume de sa grande monographie en 4 volumes (The Kongo I-IV, de 1953 à 1968), n’est qu’un écho très appauvri du riche matériau original récolté par Laman et ses collaborateurs (10 000 pages manuscrites). L’œuvre savante se double chez lui d’une vision humaniste : l’utopie missionnaire qui côtoie le régime oppressif du Léviathan colonial (elle compose le plus souvent avec lui, s’y oppose parfois), elle-même non dénuée de condescendance religieuse et civilisationnelle, prône l’émancipation des populations par une éducation populaire laquelle est fondée sur l’acte de lecture primordial, celle du texte biblique. La valorisation des valeurs culturelles kongo comme vecteur de cette émancipation visée par les missionnaires, passe pour Laman par leur restitution savante. Ce regard empathique sur les croyances et sentiments indigènes, caractérisé par une forme d’épochè religieuse (elle n’est pas partagée par tous les missionnaires) se révèle aussi dans l’œil du photographe. La documentation photographique exceptionnelle laissée par le missionnaire et son entourage témoigne tout à la fois du respect porté à la culture de l’autre mais aussi de cette conversation quotidienne faite d’assonances et de dissonances qui s’installe entre les deux cultures, avec pour point de convergence, la participation, fût-elle biaisée par des rapports de domination, à un même monde anthropologique protestant évangélique.

Fig. 1/1b
Cartes des champs missionnaires de la Svenska missionsförbundets – 1908 et 1957.
Archives Svenska Missionskyrkan / B. Sundkler, Svensk Missions Atlas, Svenska institutet för missionsforskning.

Des missionnaires pionniers

Les premiers missionnaires suédois, et parmi eux Nils Westlind (1854-1895), à la fois missionnaire et linguiste, débarquent en 1881 dans la région du Bas-Congo, près de l’embouchure du fleuve Congo dans ce qui était alors l’État indépendant du Congo – futur Congo belge, aujourd’hui République démocratique du Congo. Ils étaient envoyés par la Svenska Missionsförbundet (SMF), mouvement revivaliste d’évangélisation créé en 1878 en dissidence de l’Église luthérienne d’État. Les missionnaires suédois servent d’abord au sein de la mission anglaise Livingstone Inland Mission (LIM) [1] déjà installée sur place, puis s’autonomisent à partir de 1890, date de leur première conférence missionnaire. Depuis les implantations principales de Kibunzi et Mukimbungu, ils commencent à former des évangélistes congolais et développent leur propre réseau de stations d’évangélisation, remontant peu à peu vers l’intérieur des terres (région du Manianga) suivant l’axe du fleuve et celui du chemin de fer Matadi-Léopoldville alors en construction (de 1887 à 1898) [2]. Les missionnaires, hommes et femmes, âgés de moins de 30 ans, vivent dans des conditions sanitaires difficiles, comme le sont également leurs relations avec l’autorité coloniale [3]. Dès leur arrivée sur le champ missionnaire en 1881, ces Suédois sont confrontés à la brutalité des fonctionnaires et à la violence coloniale qu’ils dénoncent fréquemment, comme en 1893 où la station de Mukimbungu est le théâtre d’une rébellion indigène (Axelson 1970 : 252 ss.). En 1900 est créée la mission de Kingoyi, dans la région des Cataractes, située à la frontière entre les deux colonies belge et française, et qui sera ultérieurement le théâtre des rivalités entre missionnaires et mouvements prophétiques (Coyault 2015 : 56-69).

Fig. 2 et 3
Mission de Mukimbungu – intérieur de l’Église (1897) et baptême collectif (1907 – photo Laman).
Archives Svenska Missionskyrkan.

L’arrivée en mai 1891 du missionnaire Karl-Edvard Laman, future figure intellectuelle de la SMF, va donner une forte impulsion au travail ethnographique que les Suédois entreprennent pour comprendre les langues et cultures des populations qu’ils évangélisent. Né en 1867 dans une Suède rurale, Laman suit des études primaires et secondaires ainsi qu’une école d’agriculture. Après deux ans d’études théologiques au séminaire de la mission SMF à Kristinehamn, de 1888 à 1890, il est consacré pasteur en juin 1890. Il arrive au Congo à l’âge de 24 ans, et y séjournera 28 ans, jusqu’en 1919. Il se marie dès 1891 avec la jeune missionnaire Selma Karolina Carlson, et les deux enfants nés de leur union mourront en bas âge [4]. Lors de ses courts séjours en Europe, Laman perfectionne aussi ses connaissances en linguistique et phonétique à Hambourg auprès du professeur Carl Meinhof, grand spécialiste des langues africaines [5]. Parallèlement à l’activité missionnaire centrée sur le triptyque éducation, santé et évangélisation, et tout en assumant aussi la responsabilité de directeur de la mission [6], Laman développe une intense activité de linguiste et – plus encore dans les dernières années de son séjour – d’ethnographe [7].

Contrairement à d’autres missions évangéliques qui jugeaient la formation intellectuelle inutile sinon nuisible au travail missionnaire, la direction de la SMF accordait de l’importance à la formation de ses futurs missionnaires dans les domaines de la théologie, des langues, de la géographie ou de l’histoire des religions (Helgesson Kjellin 2010 : 88). Cette posture semble avoir encouragé certains à mener en parallèle une activité ethnographique, quand bien même la plupart étaient concentrés sur l’évangélisation. Laman constate avec lucidité :

« Un missionnaire ayant l’esprit de chercheur dans un domaine donné doit utiliser son don au service de la mission, même si normalement il ne pourra pas compter sur beaucoup d’encouragement pour un tel travail supplémentaire » (Laman 2000 : 145).

Traduire la bible, un travail anthropologique

En Suède, ce courant revivaliste cherchait aussi à promouvoir l’éducation populaire par toutes sortes d’initiatives (programmes sociaux, œuvres d’éducation, création d’écoles) et une démarche similaire sera appliquée au Congo (ibid. : 64).

Ainsi, l’originalité de cette mission suédoise tiendra aussi à son intense activité de publications en langue kikongo, ouvrages scolaires, grammaires, dictionnaires, brochures religieuses, de même qu’un journal, Minsamu Miayenge (litt. Messages de paix), qui paraît mensuellement à partir de 1892 [8] durant des décennies. Laman rédigera plusieurs de ces manuels scolaires en kikongo (mathématiques, sciences naturelles, géographie, etc.) destinés aux écoles de la mission, l’enseignement s’y faisant directement en kikongo (avec le français en parallèle pour les stations situées au Congo français). Le périodique Minsamu Miayenge imprimé à Kibunzi, l’une des stations suédoises, constitue une initiative remarquable pour l’époque, établissant un dialogue positif des missionnaires avec la culture qu’ils rencontrent :

« The news section contains the best chronology of Lower Congo events from 1892 till 1920 that I know of ; traced with considerable objectivity are such incidents as the early revolts against the Free State, the progress of roads and railroads from Matadi inland, the spread of epidemics, and the like (Janzen 1972 : 341). »

Janzen relève aussi le nombre important d’articles écrits par des Congolais eux-mêmes (catéchistes, instituteurs) sur l’impulsion de Laman, quand à la même époque d’autres Congolais étaient asservis au travail forcé par l’administration de l’État indépendant.

Mais la pierre de touche, le fondement tout autant que la visée de toute cette entreprise d’éducation populaire par l’apprentissage de la lecture et des sciences, était l’accès à la Bible.

Pour les missionnaires suédois, issus du mouvement de Réveil imprégné de référents bibliques, les populations qu’ils évangélisaient devaient pouvoir accéder elles-mêmes au message salvateur de la Bible. Chaque missionnaire devait au minimum apprendre la langue locale, en maîtriser, par l’étude, les subtilités lexicales et grammaticales au point de pouvoir lire et enseigner la Bible en langue vernaculaire et permettre aux Congolais d’atteindre ce statut de « lecteur » de la parole divine, accessible selon l’idéologie missionnaire à tous les êtres humains et leur conférant une égale dignité, quelle que soit leur « tribu » [9] :

« The Swedish missionaries originated from revival circles in Sweden, they were so-called “läsare”, “readers” for whom the Bible occupied a central position and the missionaries also wanted to make the Congolese into ’läsare’. For the “läsare”, it was not only the Bible, but all forms of Christian literature which were important methods of evangelization. (…) The “läsare” claimed that everyone was equal before God in this respect, and that everyone could understand God’s word. With this Swedish background, it was natural for the missionaries in the Congo to devote themselves to linguistic and literary work. » (Axelson, 1970 : 278-279).

Fig. 4
Réception des caisses de bibles (traduction de Laman) à Matadi en 1905.
Archives Svenska Missionskyrkan.

S’appuyant sur les travaux linguistiques et les traductions de son prédécesseur Nils Westlind (Palmaer 1944 ; Petzel 2003 : 42 ; Söderberg & Widman 1978 : 58-59), Laman fait paraître une traduction complète de la Bible en kikongo en 1905 (Mbelolo 1972 : 122 ; Petzell 2003 : 42-47). Dix mille exemplaires en seront imprimés par les soins de la British and Foreign Bible Society et rapidement diffusés. Nils Westlind avait achevé sa traduction du Nouveau Testament en kikongo en 1891. En 1902, les trois missions, ABFMS, MBS et SMF, présentes sur l’aire kongo, constituaient un comité comprenant trois missionnaires traducteurs et six autochtones bakongo « apprentis linguistes » afin d’étudier la possibilité de faire une seule version de la Bible en kikongo, intelligible de l’Angola jusqu’au Congo-Brazzaville (Mbelolo 1972 :130). Finalement deux traductions circuleront, celle de William H. Bentley (1855-1905) de la Baptist Missionary Society, en kikongo méridional (NT 1893, Bible 1926) et celle de Laman (1905) (Coyault 2015 : 37, 45 ; Bontinck 1978). La traduction de la Bible achevée en Suède durant un séjour prolongé (1900-1902) avait nécessité des années de travail pour lequel Laman s’était adjoint les services de jeunes Congolais qu’il avait formés [10].

Fig. 5/5b et 6
Laman et ses collaborateurs dont Tito Makundu (5) et Davidi Malangidila (5b) - traduction de la Bible et cahiers ethnographiques.
Archives Svenska Missionskyrkan.

« Le travail le plus important, le plus lourd de responsabilités, et le plus vaste du point de vue linguistique, c’est la traduction de la Bible. [...] Une traduction de la Bible exige la connaissance la plus profonde de la langue de la population en question, de sa façon de penser et de ses conceptions. Elle doit être, comme l’a dit Luther, le livre du peuple et elle doit être traduite de manière à ce que la mère de la maison, l’enfant dans la rue et l’homme moyen au marché puissent la lire et la comprendre (Laman 2000 : 143). »

Cet activisme linguistique des missions protestantes aura permis aux Bakongo de prendre conscience de leur unité culturelle et de la renforcer. De toute évidence, cet élément d’émancipation culturelle constituera un élément-clé dans l’émergence des prophétismes (années 1920 et 1930) comme lieu de reprise d’initiative sur le plan religieux, culturel et politique. Les fonctionnaires coloniaux, appuyés par les missionnaires catholiques concurrents, vilipenderont alors cette Bible des Suédois en kikongo, à l’instar de ce rapport de l’administrateur maire de Brazzaville, en 1933 (Coyault 2015 : 69) :

« La mission suédoise de la Musana [...], la Mission suédoise de la Madzia, ont pris une place prépondérante : or l’enseignement des Pasteurs basé sur la Bible propage cette idée de l’égalité à tous les points de vue des Blancs et des Noirs, idée qui chez les populations arriérées, incapables d’assimiler de tels principes, a des répercussions malheureuses [...] On peut croire que les Missions suédoises enseignent à leurs fidèles l’amour de la France et le dévouement à notre patrie – ce serait trop leur demander –, ils poussent plutôt à la formation d’un nationalisme régional [sous-entendu transfrontalier, entre colonies belge et française, à l’instar de la Mission suédoise] dont ils sont les premiers à profiter. »

Un dictionnaire collaboratif : constituer une nation Kongo par la langue

Parallèlement à la traduction de la Bible, premier volet de son grand œuvre, Laman travaille sur le deuxième volet : le projet d’un dictionnaire kikongo-français intégrant les variantes de douze dialectes de l’aire kongo. Fruit d’un travail de collecte effectué avec ses collaborateurs sur près de trois décennies, l’ouvrage est publié en 1936 (50 000 entrées, 1 183 pages). Laman évoque dans la préface les enjeux linguistiques et ethnographiques du projet. S’émerveillant – en linguiste – de la richesse et de la complexité de la langue kikongo, et fort de ses travaux déjà publiés (grammaire de 336 pages en 1912, phonétique et accents musicaux en 1922), Laman se lamente de l’ignorance et des préjugés des fonctionnaires coloniaux, pour qui :

« [...] la langue kikongo n’est pas une vraie langue. Elle comprend, disent-ils, seulement une série de phrases stéréotypées, et un babillage d’enfants. Le fait que l’imagination des gens soit si riche et leur vie intérieure si complexe, voilà un phénomène inconnu par la plupart d’entre eux. On a tellement sous-estimé ce peuple ! » (Laman 2000 : 149-150)

Malgré la constitution d’un grand lexique des mots déjà notés par les missionnaires ou utilisés pour les besoins de sa traduction de la Bible parue en 1905, Laman explique la nécessité d’un enracinement culturel plus profond qui irait au-delà d’une approche utilitariste de la langue comme simple support de traduction d’un message religieux :

« [...] ceux-ci [les mots] ne se rattachaient que dans une mesure assez restreinte à la vie sociale, religieuse et politique des indigènes. Je formais alors le projet de recueillir, suivant un plan préétabli et selon un questionnaire déterminé, le matériel d’une monographie ethnographique. Grâce à des scribes instruits et pleins de zèle, appartenant à diverses régions du pays, je pus réunir un matériel de plus de 10 000 pages manuscrites. [...] Ces importantes collections de documents ethnographiques, mammifères, oiseaux, poissons, insectes, etc., ont été l’objet d’une étude attentive en vue d’une détermination des vocables ou expressions correspondants de toute nature » (Laman 1936 : v).

Il précise aussi le motif fondamental, à la fois scientifique et philanthropique, qui sous-tend son travail, à savoir la « création d’une langue nationale ». Il s’agit pour lui,

« [...] de rendre, par l’indication des différents dialectes, le vocabulaire utilisable, non seulement pour les Européens, mais pour les indigènes et les écoles des divers domaines linguistiques, de façon à préparer la formation d’une langue écrite uniforme, en vue d’œuvres littéraires ultérieures. Par ses riches possibilités d’évolution, la langue kongo est toute désignée pour devenir la langue cultivée de l’Afrique orientale » (ibid.).

Conjuguer méthodologie missionnaire et culture savante

Dans un petit traité de missiologie, Là où les ténèbres se dissipent – Mission, culture et recherches parmi les peuples africains (Där mörkret skingras, Mission, kultur och forskning bland Afrikas folk) publié en 1924 après son retour en Suède, Laman défendait la contribution des missions chrétiennes à tous les domaines des sciences (ethnographie, géographie, santé, etc.). La dernière phrase du traité énonce un crédo conciliant les tâches du savant et du missionnaire :

« Le travail de recherches exécuté par un missionnaire fait donc partie de l’œuvre missionnaire […] Le travail missionnaire n’a pas seulement une véritable tâche intérieure – celle de porteur du message évangélique de Jésus Christ. Il a aussi une tâche extérieure, en tant que porteur de culture. D’où son rôle de facteur important dans la vie religieuse, intellectuelle et sociale de l’homme » (Laman 2000 : 150)

L’édition française en 2000 par la SMF reproduit aussi un autre traité de Laman, Rayons de vérité. De l’animisme et de la méthodologie missionnaire parmi les peuples primitifs [Sanningsstrålar, animism och missionsmetodik bland primitiva folk] (1921) issu de deux conférences (1- l’animisme / 2- la méthodologie missionnaire) données en 1921 lors d’un séminaire de recyclage des missionnaires de la SMF, deux années seulement après son retour définitif du Congo. Laman y expose des conceptions anthropologiques et théologiques plutôt audacieuses, eu égard à l’esprit conservateur des milieux missionnaires de son temps. Le cadre restreint de la présente contribution ne permet pas de développer cet aspect essentiel du personnage de Laman, l’homme de foi, théologien et théoricien de la mission :

« Pour comprendre et connaître ce peuple, le missionnaire doit adopter la position du disciple [vis-à-vis du peuple dont il apprend] […] Il est facile pour nous de sourire en les écoutant chanter d’une façon peu harmonieuse nos cantiques européens, qui pour eux sont très difficiles, mais à qui le tour de sourire quand l’homme blanc essaie de chanter un de leurs chants […] Le missionnaire doit commencer par apprendre à connaître, aussi minutieusement que possible, les éléments nobles et religieux de l’animisme […] Parallèlement à cette acceptation noble de tout ce qui est vrai et bon dans la religion animiste, il faut un témoignage clair, universel et net du missionnaire à propos du caractère absolu de la foi chrétienne. Une critique superficielle pourrait dire que ces deux prises de position sont irréconciliables, car si le christianisme seul est juste et vrai, toutes les autres religions telles que celle-ci doivent être rejetées et condamnées. Tel n’est pourtant pas le cas » (ibid. : 43-44).

Laman plaide ensuite longuement pour l’autonomisation (néanmoins contrôlée) de « la paroisse indigène », de sorte que la mission évangélisatrice soit assurée par les autochtones et non par les missionnaires. Il note, non sans ironie :

« Beaucoup de missionnaires ne découvrent jamais les entraves créées par leur propre ignorance à propos de la nature des indigènes et du monde dans lequel ils vivent » (ibid : 71).

Dans sa conférence de 1924 qui fait aussi le point sur son activité scientifique, Laman rappelle comment son souci de cerner la langue des Kongo l’a aussi conduit vers les sciences naturelles, la connaissance des espèces animales et végétales et leur désignation en langue locale : Laman poursuivait un travail de collecte des spécimens pour le Musée national de Suède, et plusieurs des nouvelles espèces découvertes portent un taxon formé à partir de son nom latinisé, comme ce papillon doré Chrysopsyche Lamani (Laman 2000 : 147) [11]. Mais pour Laman, ces connaissances scientifiques sont toujours reliées aux composantes culturelles et religieuses de la société kongo. Les éléments vivants étudiés

« […] font partie de l’ethnologie, car dès qu’ils ont un nom local, ils font partie soit du monde matériel soit du monde religieux [...] De plus il y a une multitude de mammifères, d’oiseaux, d’insectes, religieux ou saints. Dans le monde végétal, on utilise souvent les feuilles des plantes, leur écorce ou leurs racines lors du traitement des malades et pour les rites. Les champignons aussi, et même les pierres et la terre sont employés. [...] ce qui revêt un intérêt immense quand il s’agit de se faire une idée de certaines coutumes et cérémonies ou certains rites » (ibid. : 139).

Alors âgé de 57 ans et fort de sa double aura missionnaire (28 années sur le terrain) et savante, Laman livre ses réflexions sur le rapport entre mission et culture :

« La société missionnaire n’a pas seulement pour but de travailler pour le bien-être et un meilleur niveau de vie des gens, mais aussi pour une illumination intellectuelle et un développement général dans le pays où elle œuvre » (Laman 2000 : 137).

Le sacrifice consenti pour l’accomplissement de sa mission d’évangélisation se double chez Laman d’une forme d’ascèse scientifique :

« La collecte des matériaux en vue d’études linguistiques et ethnologiques, le travail de collections en sciences naturelles, le suivi des expériences et la prise des notes journalières qui en est la conséquence, exigent du missionnaire une programmation judicieuse de son temps. Ceci permet de réunir des matériaux suffisants en même temps qu’on s’occupe des tâches quotidiennes du travail du missionnaire » (ibid.. : 139).

La linguistique est pour lui la contribution scientifique majeure. Partout où une mission est fondée souligne-t-il, elle se doit d’étudier la langue, comme porte d’entrée dans la vie et les croyances des gens :

« La langue est le premier moyen par lequel on peut entrer dans la pensée et dans l’âme d’un peuple. Par contre, il faudra une connaissance approfondie de leurs us et coutumes, de leur vie sociale et politique pour pouvoir maîtriser la langue » (ibid.).

Cette complémentarité entre études linguistiques et ethnologiques est au fondement de son activité de collecte ethnographique (récits, contes, rituels, objets matériels et cultuels) qu’il enrichit encore, au gré de ses expéditions, de documents photographiques et sonores.

Archives photographiques et phonographiques : relectures post-coloniales

À l’instar de plusieurs de ses collègues missionnaires, Laman réalise au fil du temps une œuvre photographique remarquable qui témoigne de l’empathie construite sur la longue durée avec différents groupes ethniques (toujours dans l’aire kongo), ceux qu’il côtoie au jour le jour dans son activité missionnaire, ou d’autres qu’il visite lors de ses explorations. Ce fonds photographique propre aux missionnaires suédois [12] raconte aussi, par bribes juste perceptibles dans l’une ou l’autre photographie (postures, vêtements, habitat, organisation de l’espace et des rapports sociaux), les subtiles interactions culturelles quotidiennes qui caractérisaient la cohabitation de la première génération des missionnaires avec les populations « évangélisées », dont ils partageaient l’infortune (la mortalité missionnaire est très élevée à la fin du XIXe siècle) tout en étant les protagonistes consentants des rapports de domination économique et culturelle installés par la situation coloniale

Fig. 7
« Pique-nique » des couples missionnaires Karl E. & Selma Laman, Johan & Maria E. Hammar.
Archives Svenska Missionskyrkan.

Ce patrimoine photographique est d’un grand intérêt historique non seulement de par sa valeur ethnographique mais aussi comme restitution de la conversation culturelle qui s’était élaborée alors. L’intérêt de ces collections tient aussi aux relectures contemporaines artistiques et post-coloniales dont elles font l’objet ces dernières années. Ainsi, le projet intitulé Les Archives suédoises (An Intercultural Collaboration Around a Colonial Pile of Glass-plate Negatives) [13] lancé à partir de 2016 par Anna Ekman & Cecilia Järdemar et s’appuyant sur une collection de 300 plaques de verres (y compris des clichés de Laman) a donné lieu à diverses créations artistiques (expositions et installations temporaires ou permanentes) tant en Suède (Jönköpings Länsmuseum 2017, et d’autres lieux), qu’en République démocratique du Congo, notamment à Kingoyi, ancienne station missionnaire de la SMF, comme autant de possibilités offertes aux Congolais d’aujourd’hui de formuler leur propre lecture de l’interaction missionnaire avec leurs aïeux :

« Through a practice of inter-cultural artistic interventions, the material remains of the missionary project are investigated and reformulated ; questioning Sweden’s colonial history, and simultaneously giving Congolese communities access to parts of their history lost in the process of colonization (…). We have attempted to transform the unequal exchange of the past by a radical co-presence in the present, and in the process explored how artists can intervene in processes of trauma, memory and historiography. Letting artistic research interact with decolonial processes, we have made space for communities to respond to the archival materials and formulate other writings of history that incorporate multiple viewpoints. » (Järdemar 2020 : 111, 119).

On peut aussi évoquer l’installation de plein-air « The Laman’s Encounter » présentée à Kinshasa en 2011 [14] où l’artiste Gilles Aubry fait dialoguer des étudiants congolais d’un institut de missiologie autour d’une photo géante de Laman utilisant le phonographe auprès de la population de Kingoyi en 1909. L’expérience sera réitérée en Suisse en juillet 2015 [15].

Cette photographie iconique de la rencontre est par ailleurs mise en contexte et commentée par Boström (2011) où il décrit les contextes et interactions multiples liées à l’utilisation du phonographe par Laman dans son travail ethnographique. L’utilisation des enregistrements sonores constitue un autre apport de l’ethnographie de Laman (chants traditionnels, récits traditionnels, essais linguistiques, etc.). Le phonographe à cylindres de cire lui avait été fourni par le laboratoire de phonologie d’Hambourg. Commentant la fameuse photographie prise le 2 février 1909, à Kingoyi où l’on voit Laman diffusant ou enregistrant des extraits sonores à des enfants de la mission (Boström 2011 : 50 ss), Boström montre à partir de la pratique de Laman comment l’introduction de ce nouveau médium transforme la relation ethnographique. L’utilisation du phonographe rapproche physiquement et suscite les interactions entre les protagonistes (le collecteur, l’enregistré, le public). Boström montre aussi qu’entre les deux médias – phonographie ou photographie –, le premier (phono) requiert une participation consensuelle, le second (photo) pas forcément. Le diaire de la mission de Kingoyi du 2 septembre1909 rapporte l’expérience de Laman. Les garçons de la mission (très concentrés sur l’événement et oubliant le photographe qui saisit l’instant), sont étonnés non pas d’écouter un message religieux chrétien, mais plutôt de reconnaitre les voix de leurs parents des deux côtés de la frontière, interprétant des chants traditionnels (Boström 2011).

Fig. 8
Laman et le phonographe. Station de Kingoyi (2 février 1909).
Archives Svenska Missionskyrkan.

Expéditions ethnographiques et collectes matérielles

Laman mène plusieurs expéditions ethnographiques avec son épouse Salma, sillonnant les territoires kongo. L’objectif est aussi – et simultanément – d’identifier les nouveaux lieux d’implantation de la mission suédoise, notamment au Congo français où, à la suite de l’une de ces expéditions, la première station missionnaire est établie en 1909 à Madzia [16], suscitant une forte hostilité des missionnaires catholiques (cf. Kinata 2008). Laman allie ainsi travail ethnographique et linguistique d’un côté et activité missionnaire de l’autre.

Du 22 juillet au 17 août 1915, Laman, accompagné du missionnaire Josef Ekstam et de 17 porteurs, séjourne dans les districts de Mouyondzi et de Sibiti pour y étudier la parenté des dialectes de la région (limite nord de l’aire kongo) avec le kikongo (Söderberg 1985 : 141-148). Leur exploration les conduit en zone babeembe, au village appelé Kolo qu’ils proposeront ensuite à la Conférence missionnaire pour la construction d’une nouvelle station missionnaire, établie en 1916 à environ 80 km au nord de Kingoyi [17]. Ces expéditions sont essentielles pour la connaissance du terrain kongo :
 

« Si on a déjà une idée de la langue, les voyages offrent une occasion formidable pour les études et la collecte des matériaux. Écouter les disputes des porteurs, leurs observations, leurs interprétations, leurs suppositions et observer les situations qui surviennent [...]. Les procès dans les villages, les conversations autour du feu, sont des occasions formidables. Ce qu’on n’a pas très bien saisi ou compris, on le note et puis on posera des questions là-dessus (Laman 2000 : 139) ».

Fig. 9
Expédition au Congo français avec le missionnaire Josef Ekstam - districts de Mouyondzi et Sibiti (août 1915).
Archives Svenska Missionskyrkan.

Le missionnaire y affine sa méthode ethnographique et se forge une solide culture d’épochè prônant l’abstention de tout jugement sur la culture indigène, en particulier sur ses aspects religieux.

« Le missionnaire ne doit jamais minimiser, sous-estimer ou critiquer les pensées exprimées ou les jugements faits, que cela concerne la religion ou autre chose. Toute étude pareille doit se faire [...] avec un intérêt bienveillant [...] L’indigène est très sensible à la sympathie et à la confiance. Si on n’a pas établi ce contact de confiance, il arrive assez souvent que l’indigène mente et réponde comme il croit que le veut le Blanc » (ibid.).

Ces expéditions sont aussi l’occasion de « premiers contacts » avec certains groupes peu acculturés et porteurs de traditions culturelles et religieuses préservées. Le missionnaire-ethnographe qui maîtrise parfaitement les langues locales, a accès – du fait d’un malentendu culturel non dénué d’ambiguïtés (il est pris pour un ancêtre défunt) – à des informations habituellement restreintes aux seuls initiés et à divers « objets sacrés » (figures d’ancêtres, objets rituels) :

« [...] Durant tous mes voyages et dans tous mes travaux, j’ai toujours respecté en tout lieu les sentiments et les pensées des indigènes. Je n’ai ni acheté, ni vu, ni touché quoi que ce soit sans leur consentement total. J’ai pu ainsi gagner la confiance au point qu’ils m’ont tout raconté, et ils ont même sorti des reliques et des objets sacrés pour que je puisse les voir, les étudier et même les photographier [...] La confiance envers nous, et l’idée que j’étais l’un de leurs chefs défunts, ressuscité, et venu pour leur rendre visite, tout cela a fait qu’ils m’ont ouvert leur cœur, et au moment où on me racontait les détails à propos du clan, on chassait les autres qui ne devaient pas écouter ces secrets » (ibid.  : 141-142).

En guise de note critique pour nuancer ce portrait d’un ethnologue trop vertueux, on peut évoquer l’attitude de Laman vis-à-vis des restes humains – en l’occurrence des crânes d’ancêtres acquis en pays kuta lors de sa dernière tournée ethnographique en 1918. Helgesson Kjellin (2010 : 91 ss.), tentant de restituer le contexte et les modalités d’acquisition, met en évidence un double problème éthique posé par l’attitude de Laman. D’une part, elle questionne le sens de sa démarche : dans quel but Laman, dans une posture quasi profanatoire (c’est nous qui précisons) collecte-t-il ces restes humains – figures « actives » d’ancêtres protecteurs pour la population concernée – alors même qu’il n’y portera guère d’attention dans son écriture ethnographique ? D’autre part, elle souligne les conditions douteuses de ces acquisitions, soit par la désinvolture sacrilège manifestée par Laman à ces occasions [18] ou pire encore par le biais d’une prévarication nocturne (à l’enjeu pécunier ?) auprès d’un chef local, lequel s’il refusait lui-même de céder le crâne de son grand-père offrait secrètement au missionnaire les crânes d’ancêtres d’autrui, accompagnés chacun de leur réceptacle rituel. Ces crânes récoltés en divers lieux seront des années plus tard montrés publiquement en Suède lors d’expositions missionnaires. Ces dérapages éthiques sont pour Helgesson Kjellin l’expression d’une idéologie coloniale de domination finalement peu soucieuse d’altérité, en contradiction avec l’idéal humaniste affiché.

Dans son entreprise ethnographique, Laman ne se cantonne pas au domaine de la vie religieuse, mais il collecte tous les artefacts de la culture matérielle : « Chaque petit objet m’a aussi permis de pénétrer plus profondément cette partie de l’ethnologie que cet objet éclaire. » Il met en évidence les représentations symboliques attachées à ces objets – ainsi, la « multitude de pièges, de filets, d’attrapes pour la chasse et la pêche » dont il décrit « l’aspect religieux avec ses tabous et ses traditions » (Laman 2000 : 142). De même, il montre comment chacune des espèces animales et végétales identifiées dans ses travaux de sciences naturelles sont aussi reliées au monde symbolique (esprits des défunts) (ibid. : 145). Quant aux objets religieux eux-mêmes, Laman s’efforce de relever toutes les informations qui s’y rapportent : « ils ont chacun, d’après sa nature, une histoire propre, sa composition et son usage » ; son ambition est de documenter « l’ensemble des détails très utiles qu’il faut connaître pour avoir une connaissance profonde de la religion et des croyances de la population » (ibid., 142).

Les collectes d’objets effectuées par Laman étaient commanditées par le directeur du musée de Stockholm (Söderberg 1985 : 158-159). Les collections déposées au musée sont impressionnantes : outre les dépôts de 1906 et 1907, c’est la collection rapportée à la fin de son séjour en 1919 et rassemblée durant une décennie avec plusieurs objets du Congo français, qui constitue l’essentiel des 1 857 objets répertoriés par ethnies et aujourd’hui conservés au musée de Stockholm (Statens Museer för Världskultur) (Silow 2005). Ces collectes n’avaient pas seulement une motivation scientifique, elles étaient aussi destinées à alimenter des expositions missionnaires organisées en Suède qui permettaient de sensibiliser les donateurs des Églises. Ces expositions se tenaient au niveau des paroisses locales ou parfois même à l’échelon national, comme pour les expositions de Stockholm en 1907, 1919 et 1920 (Silow 2005  : 10).

« The poor home congregations in Sweden were seen as the indispensable wagon train supporting with money sacrifices the missionary heroes in battle with Satan and his Congolese captives. Missionary exhibitions and planned mission museums were filled with evil-looking so-called Pagan Gods (later called fetishes or idols, whether anthropomorphic or not). They are supplemented with horrible stories of frequent pagan witch-killing and poison ordeals » (ibid. : 9).

Une partie des objets religieux récoltés par les missionnaires faisait aussi l’objet d’autodafés/ordalies sur le terrain missionnaire. Ils étaient brûlés en public pour montrer l’inanité de l’ancienne religion et attester la supériorité de la nouvelle (Reinius 2008 : 302-305 ; Helgesson Kjellin 2010 : 94)

Fig. 10
« Fétiches » détruits par le feu (lieu et date inconnus).
Archives Svenska Missionskyrkan.

La grande monographie Kongo, un chef-d’œuvre dérouté

Comme il le rappelle dans la préface de son dictionnaire (supra) Laman avait eu très tôt l’ambition d’écrire une monographie sur les Kongo qui devait s’appuyer sur une vaste collecte de données ethnographiques. Ce travail qui constitue le troisième volet de son grand œuvre, ne pouvait se faire seul et le questionnaire qu’il affine lors de son séjour de 1913-1914 en Europe va être diffusé dans toutes les stations missionnaires suédoises, mais aussi américaines et anglaises de la région concernée (Laman 2000 : 140). Il est destiné en particulier aux catéchistes et enseignants congolais formés par les missionnaires et qui avaient un accès direct auprès des populations.

Comme premier témoignage de la qualité de l’ethnographie missionnaire suédoise au Congo, il convient de mentionner l’ouvrage paru en 1907 (édité par E. Nordenskiöld, célèbre anthropologue suédois), Etnografiska bidrag af Svenska missionärer i Afrika [Contributions ethnographiques de missionnaires suédois en Afrique]. On y retrouve les contributions des premiers missionnaires de la SMF, mais principalement celles de Laman, mettant en valeur – dans une présentation bilingue (kikongo-suédois) en deux colonnes – les données recueillies par les collaborateurs congolais (avec l’indication systématique de leurs noms) (Nordenskiöld 1907).

Ces assistants étaient rémunérés pour cette tâche de collecte d’informations dans leur zone respective. Le questionnaire distribué, rédigé en kikongo, comprenait 35 sections distinctes, relatives par exemple aux traditions anciennes, aux aspects quotidiens de la culture (nourriture, boisson, techniques du corps, modes de construction, commerce), aux grandes étapes de la vie (naissance, mariage, mort), aux arts (sculpture, instruments, etc.), aux lois, aux proverbes, aux rêves, à la vie religieuse (croyances et fonctions religieuses), à la médecine, à la sorcellerie, etc. (Janzen 1972 : 320). Entre 1910 et 1918, Laman récolte 429 cahiers (soit environ 10 000 pages manuscrites) écrits par 68 contributeurs. De retour en Suède, il rédige dans les années 1930 un premier document de synthèse en kikongo (avec traduction en suédois) d’environ 3 000 pages dactylographiées [19] dans lequel il compile les données des cahiers d’enquêtes, prenant soin d’identifier chaque auteur [20]. Les extraits seront regroupés sous des têtes de chapitre thématiques, ce qui constitue une première distorsion de la pensée des auteurs, aggravée par la suppression de nombreuses anecdotes (MacGaffey 1986 : 276 ; 1991 : vii-viii, 1-3).

Cette grande monographie kongo imaginée par Laman ne verra pas le jour de son vivant. La publication posthume du travail du missionnaire et de ses collaborateurs en quatre volumes (The Kongo I-IV, 1953-1968) [21] apparaît très appauvrie en comparaison du riche matériau original. Les données y sont souvent abrégées et fusionnées tandis que les sources des informations (auteurs, lieux, dates) ne sont plus indiquées. En pratique, le point de vue congolais qui constituait l’originalité de ce matériau ethnographique est réduit et finalement dénié (les noms n’apparaissent plus). De plus les ouvrages témoignent aussi d’approximations liées aux traductions multiples (du kikongo au suédois puis du suédois à l’anglais) et plus globalement à un excès d’uniformisation des données dont les aspects apparemment contradictoires s’expliquaient en fait par des variantes régionales sur l’aire kongo (Janzen 1972 : 323) [22]. Pourtant, le travail de reconstitution effectué par Wyatt MacGaffey (1991), mettant en parallèle des objets collectés par Laman (aujourd’hui dans les musées suédois) avec les notes correspondantes à ces objets écrites par les ethnographes congolais (texte en kikongo retraduit en anglais), témoigne de la richesse et de la précision du travail ethnographique opéré sous la direction de Laman.

On soulignera que Laman ambitionnait, une fois cette grande monographie publiée (en anglais), d’en assurer également une traduction en kikongo, non seulement pour l’usage des missionnaires – « le missionnaire qui ira au Congo [...] y recevra une grande connaissance de la langue, de la vie, de la pensée et des traditions de la population » –, mais surtout « pour le peuple du Congo lui-même [...] [pour] servir de source riche, au moment où les traditions sont en train de disparaître très vite et à mesure que les vieux meurent » (Laman 2000 :143).

Un observateur dans son temps : de la préservation de la culture aux soubresauts du monde

Ce grand œuvre de Laman en trois volets, comprenant la traduction de la Bible, le dictionnaire (auquel s’ajoutent les travaux linguistiques) et la monumentale ethnographie kongo (même inachevée et déroutée de sa visée initiale), reflète l’activité d’un missionnaire savant engagé dans la culture et l’environnement naturel des groupes kongo au milieu desquels il a servi. Cette immersion intégrale, non dénuée de préjugés raciaux et culturels comme une étude plus approfondie le montrerait [23], s’est opérée au travers d’une discipline d’étude et d’échanges constants (une conversation, au-delà du registre de la conversion) conjuguant les dimensions intellectuelle et existentielle. Laman lui-même relevait l’ampleur et l’exigence de la tâche, jamais achevée, confondant ultimement, jusqu’à en faire des synonymes, la vocation de missionnaire et de chercheur, la conversion et la conversation :

« Le missionnaire doit [...] penser et parler comme un indigène [...] Un travail de toute une vie parmi eux s’impose pour bien connaître les peuples primitifs et non civilisés. On trouvera qu’après de nombreuses années, on n’aura pas pu pénétrer dans les profondeurs ni de leur langue, ni de leur religion, ni de leur âme. Au début on ne comprend pas que le travail puisse prendre une telle ampleur [...] mais le travail amène le chercheur de plus en plus loin, de plus en plus en profondeur, pour chaque terme de travail qu’il fera parmi leur peuple » (Laman 2000 : 138).

L’activité ethnographique multiforme de Laman au début du XXe siècle documente de façon décisive une culture kongo, encore fortement structurée autour de ses représentations symboliques et formes d’autorité traditionnelles et relevant donc du « présent ethnographique ». Mais dans cette zone géographique des Cataractes, jouxtant la frontière du Congo français, située au nord de l’axe ferroviaire Matadi-Kinshasa, où sont implantées beaucoup des stations missionnaires de la SMF, cette société kongo traditionnelle, exposée depuis quelques décennies à l’irruption de la civilisation européenne, incarnée par la construction du chemin de fer, signe tangible du traumatisme colonial, est en train de se disloquer. C’est une ethnologie du changement que les missionnaires de la deuxième génération comme Efraïm Andersson (Coyault 2019) vont mettre en place.

Si Laman s’inscrit bien dans cette ethnologie classique, il n’est pas moins lui-même observateur et analyste (quelques années après son retour en Suède) de ces changements – bouleversements sociaux et culturels liés à la colonisation puis aux effets du premier conflit mondial. Il se fait aussi moraliste et visionnaire. Ses propos audacieux sur « le problème racial et les mouvements de liberté » (conférence Mission et Culture de 1924) évoquent sans détour l’irréversible émancipation des Noirs, conséquence de l’exploitation économique orchestrée par la politique coloniale (Laman 2000 : 88) :

« La question des races indigènes en Afrique ne serait probablement pas si brûlante et d’une si grande urgence, si les Blancs ne commençaient pas à comprendre que de grands mouvements puissants, visant l’indépendance, commencent à naître un peu partout en Afrique. Il serait impensable qu’un jour de vengeance envers les Blancs n’arrive pas dans un continent si tâché de sang et si opprimé que l’Afrique [...] » (ibid. : 90).

Ses considérations sur le panafricanisme et les mouvements prophétiques (notamment le mouvement harriste – ibid.  : 117-118) témoignent de sa vision éclairée des effets induits des bouleversements géopolitiques mondiaux sur les sociétés du continent africain : crise de confiance vis-à-vis du modèle occidental, conscientisation progressive des populations noires, mouvements d’émancipation, émergence d’élites nationales : « Une conscience de la valeur de leur race, de leur nationalité et le sentiment de la nécessaire égalité des droits s’est éveillée », de par l’influence, note-t-il, de la « propagande panafricaniste des États-Unis » qui touche le Congo, tout autant que des « traités bolcheviks et communistes » ramenés par les soldats des troupes coloniales (ibid. : 88-89).

« Ces sentiments anti-blancs sont exprimés par autant en paroles, mais ils bouillonnent comme de la lave fondue dans la poitrine de ces populations, qui se taisent jusqu’ici » (ibid.).

Pour Laman, la gravité de la situation tient justement au fait que « ces sentiments n’ont pas encore été exprimés ». Visionnaire de l’irréversibilité des nationalismes émergents, au Congo comme ailleurs, il met en évidence l’existence de réseaux panafricains mondialisés :

« Les Noirs aux États-Unis [...] ont visité l’Abyssinie pour créer une union plus étroite entre les races de couleur dans le monde entier. L’un d’entre eux est entré en contact avec des nationalistes turcs, égyptiens et indiens. Le mouvement éthiopien est vaste. Des brochures sont répandues partout jusqu’au Cap par des mineurs rentrés [de la grande Guerre] et aussi par d’autres. Les panafricanistes ne sont pas du tout isolés mais plutôt unis avec d’autres organisations affiliées en Asie (Inde) et en Amérique » (ibid.).

Avec cette belle formule « l’Asie fait des rêves éveillés. L’Afrique s’agite nerveusement dans son sommeil », Laman conclut le propos sur une vision fort utopiste :

« Il s’agit pour toutes les nations d’arriver à une solution du problème, en établissant une fraternité vraiment africaine. L’Afrique a besoin de l’Europe et vice-versa » (ibid.).

Laman ne dénonce pas réellement ni ne déconstruit (dans une analyse de type marxiste par exemple) les structures d’oppression économique et politique à l’œuvre sur le continent et à l’échelle mondiale. Ses considérations géopolitiques et leur conclusion sur une fraternité des nations – données en 1924, dans le cadre, rappelons-le, de conférences ecclésiales -, sont certes très progressistes, mais non révolutionnaires. Elles apparaissent comme une sorte d’extension de l’utopie évangélique (et du zèle attenant) avec son horizon de fraternité entre Blancs et Noirs, qui habitait les jeunes missionnaires suédois n’ayant pas encore atteint la trentaine d’années, fraîchement débarqués au Congo à partir de 1881 (Laman a 24 ans à son arrivée en 1891).

Protestation humaniste

Mais cette candeur missionnaire s’était vite heurtée au Léviathan colonial. Laman a connu sur le champ missionnaire la brutalité des forces coloniales au service des intérêts économiques mondiaux qui asservissaient les Noirs et les broyaient. Ces postures intellectuelles de Laman en 1924, tout à la fois pessimistes et progressistes (mais pas toujours affranchies d’une mentalité coloniale teintée d’un sentiment de supériorité morale et civilisationnelle) ne sont pas seulement le fruit du recul réflexif et de la décantation intellectuelle d’un missionnaire érudit revenu en Europe et équipé de nouvelles grilles d’analyse, politique, économique, sociologique. Elles sont aussi le fait d’un homme engagé depuis le Congo, dont l’humanisme s’est forgé au double creuset de l’idéal religieux et de l’expérience du mal (social, économique, politique).

Laman, disons-le en conclusion, fut un acteur clé du réseau des missions protestantes au Congo – lesquelles n’eurent de cesse de protester contre les atrocités du régime colonial léopoldien, peu dénoncées, en comparaison, du côté des missions catholiques. Lors de la 3e Conférence missionnaire commune – Conférence générale des missionnaires protestants du Congo –, en 1906 (la 1re s’étant tenue en 1902), que Laman présidait, une déclaration commune fut adoptée, signée à l’unanimité par chacun des 52 missionnaires présents :

« Nous sommes convaincus que les atrocités qui ont été abondamment prouvées, et qui continuent à être commises, aussi bien que l’oppression générale due à une soi-disant taxation, sont les conséquences normales du système appliqué où nous ne voyons aucun signe de changement radical.[...] Nous voulons exprimer encore une fois notre protestation solennelle contre le terrible état des choses tel qu’il existe toujours dans l’État Congolais, et, au nom de la justice, de la liberté et de l’humanité, nous nous adressons à tous ceux qui respectent ces valeurs pour qu’ils nous aident à les garantir pour les populations congolaises, en appliquant toute mesure légale possible. Confiant en Dieu Tout-puissant, nous lançons notre protestation qui est aussi un appel. » (Cité par Gösta Stenström 2009 : 75-76)

Karl-Edvard Laman, président de la Conférence cette année-là, en était bien sûr signataire. Durant ces conférences missionnaires, Laman est force de proposition pour fédérer les énergies et promouvoir la formation des Congolais. En 1902, il propose la création d’une École œcuménique de formation d’instituteurs pour promouvoir des études plus poussées, ou encore en 1904, la création d’Écoles de formation biblique (Bible Training Schools). Ses idées seront suivies et aboutiront à la création en 1908 du Kongo Evangelical Traning Institute (KETI) à Kimpese. Mais entre-temps, sa mission, la SMF, s’étant retirée du projet pour raison doctrinale, créera la même année à Kingoyi, l’École de formation d’instituteurs et d’évangélistes [24].

Laman s’éteint le 29 juin 1944 à l’âge de 77 ans, 25 ans après son retour en Suède. Il y avait poursuivi ses travaux scientifiques, reçu un doctorat honoris causa de l’université d’Uppsala, et occupé, jusqu’en 1937, diverses responsabilités dans les organisations missionnaires internationales.

Un cantique en héritage

Dans les Églises congolaises (Congo-Brazzaville ou RDC-Congo-Kinshasa) héritières des missions suédoises, peu de souvenirs subsistent de cette première période missionnaire, hormis des commémorations reconnaissantes et peu suivies.

L’héritage le plus vivace de Karl Laman au Congo-Brazzaville demeure l’usage fort répandu de sa traduction de la Bible en kikongo (1905), mais également, et de façon inattendue, l’usage des quelques cantiques en kikongo qu’il avait lui-même composés (paroles et musique).

Le chant dont nous donnons ici la traduction française est tiré du recueil Nkunga mia Kintwadi (NMK), utilisé jusqu’à aujourd’hui au sein de l’Église évangélique du Congo (EEC). Il est la trace vivante de l’activité littéraire (écriture en kikongo) et religieuse de Laman, une sorte de « capsule temporelle » qui aurait traversé le temps pour restituer les premières interactions des missionnaires. Le chant répondait au besoin de la situation missionnaire d’alors, évoquant l’annonce de la foi nouvelle assortie du rejet des « croyances païennes ». Un programme missionnaire que les Congolais feront ensuite leur, en reprenant ce chant à leur tour. Plus d’un siècle après sa composition, nous avons eu la surprise de constater, sur notre propre terrain ethnographique congolais, que ce cantique était toujours populaire et fréquemment interprété lors des services religieux de l’EEC à Brazzaville ou en zone rurale.

1. Bakundi nsamu tuizidi
Ku vata dieno mpe,
I nsamu wena kedika,
Lu toma dimba wo !

Refrain : kadi bonso bwabu
Nzambi uzolanga bantu babo,
Vo wonso wena kiadi ye yambi
U lenda yo tanunwa.

2. Mu nkiama luna zola mbi
Ye vumina bafwa,
Minkisi ye biteki mpe
Bilembane yayo.

1. Les amis, la nouvelle pour laquelle
Nous sommes venus dans votre village,
C’est la nouvelle qui est vérité
Écoutez-la bien !

Refrain : En effet,
Dieu aime tellement les hommes,
Qu’il décharge toute personne
De sa peine et de sa méchanceté.

2. Pourquoi aimez-vous le mal
Et vénérez-vous les morts ?
Les minkisi [25] et les statuettes
Qui n’ont rien pu faire [26].

Dans ce cantique, il ne s’agit pas de la voix d’un chrétien qui parle à Dieu, ni celle de Dieu qui parle aux humains, comme à l’accoutumée, mais plutôt celle du missionnaire qui interpelle des Congolais en voie de conversion (le chant fonctionne en miroir, puisqu’il est chanté durant l’interaction missionnaire qu’il décrit). Le chant brosse un paysage : celui du village où le missionnaire se déplaçait, la façon dont il se présentait (et dont on l’accueillait), le contenu de son message, et ses représentations – rudimentaires, pour le moins – de l’univers symbolique des autochtones (la vénération des morts, les minkisi et les statuettes). Il s’agit donc d’une sorte d’autobiographie de l’expérience missionnaire de Laman, ethnographiquement incorrecte, et laissée, dans un kikongo très pur, à la postérité comme un ultime héritage.

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[1D’autres missions protestantes sont présentes dans cette même zone : la Missionnary Baptist Society (MBS) et l’American. Baptist Foreign Mission Society (ABFMS).

[2Sur les débuts de la Svenska Missionsförbundet au Congo belge, voir notamment Axelson (1970), Lundqvist (2018), Vellut (2008).

[3Lundqvist (2018) analyse la situation de la mission suédoise pendant la période de l’État indépendant du Congo (1885-1908) édifié par le roi Léopold II, décrit comme un régime de terreur sans limites où l’oppression brutale des soldats et des marchands/exploitants associées aux ravages exercés par des maladies mortelles (paludisme, variole) aurait décimé la moitié de la population autochtone. L’étude, menée à partir des lettres et journaux intimes, construit une sorte de biographie collective des 124 missionnaires suédois, jeunes hommes et jeunes femmes âgés de 25 à 30 ans, envoyés au Congo dans cette période, étudiant leur milieu social, les antécédents scolaires, le contexte de répression, les préjugés raciaux, l’idéalisme missionnaire, etc. 

[4Sur la biographie et la personnalité de Selma Laman – épouse, chroniqueuse de la vie missionnaire et collaboratrice scientifique de son mari Karl Laman, cf. Lundqvist 2018a et 2018b.

[5Leurs échanges débutent en 1894, mais la collaboration s’intensifie lors du séjour de 1913, où Laman, orienté par Meinhof et ses collaborateurs W. Heinetz et G. Panconelli-Calzia du laboratoire phonétique de Hambourg, entame des recherches linguistiques innovantes sur la phonologie et l’accent musical de la langue kongo. Elles aboutiront à diverses publications, notamment celle en 1922 de son ouvrage The Musical Accent or Intonation in the Kongo Language. L’aventure scientifique est brièvement décrite par Laman dans sa préface (Laman 1922).

[6Lorsque la Mission suédoise s’installera – sous son impulsion – du côté français, à partir de 1909, Laman qui maîtrise bien la langue française (de même que l’anglais et l’allemand, entre autres) devient l’interlocuteur officiel de la mission auprès de l’administrateur de la colonie (Laman 2000 : 104).

[7Sur la figure de K. E. Laman voir en particulier la biographie en suédois de Söderberg (1985). Concernant son activité ethnographique (terrain et écriture) : Janzen (1972), Macgaffey (1986), Helgesson Kjellin (2010) et plus spécifiquement sur son œuvre de linguiste : Petzell (2003 : 42-47).

[8Laman 2000 : 116 ; Mbelolo (1972) ; MacGaffey (1986) ; Ekambo (2018).

[9La vision eschatologique et universaliste de l’auteur du livre de l’Apocalypse marquait les esprits des missionnaires, tout comme ceux de leurs adeptes, au Congo comme ailleurs : « Après cela je regardai, et voici, il y avait une grande foule, que personne ne pouvait compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple, et de toute langue. Ils se tenaient devant le trône et devant l’agneau, revêtus de robes blanches, et des palmes dans leurs mains. Et ils criaient d’une voix forte, en disant : Le salut est à notre Dieu qui est assis sur le trône, et à l’agneau [c’est-à-dire Jésus]. » La séance de baptême collectif par immersion photographiée à la station de Mukimbungu en 1907 (cf. photo n° 3) avec les néophytes (Noirs) revêtus de robes blanches et les missionnaires (Blancs) eux aussi habillés de blanc, peut être lue comme une mise en scène de cet idéal eschatologique et égalitaire. On pense aussi à l’homogénéisation symbolique des pèlerins de la Mecque pour le Hajj, tous revêtus de tissus blancs, le but étant de signifier leur égalité devant Dieu.

[10Tito Makundu et Mose Lunungu, mais surtout Davidi Malangidila qui l’accompagna en Suède et tapait les manuscrits bibliques à la machine. Ce dernier, après 20 années de service, abandonnera finalement le travail missionnaire et la mission (MacGaffey 1986 : 270 ; cf. aussi Söderberg, 1985 : 198 ss.)

[11Pour mesurer l’importance de l’activité de collecte scientifique de Laman (insectes, oiseaux, mammifères, poissons, végétaux, etc.) on peut citer les publications du zoologiste suédois Einar Lönnberg : « Notes on birds collected in the Congo Free State by the Swedish missionary, K. E. Laman » (Arkiv. Zool., vol. 3 n° 21, 1907, p. 1-18) et « Notes on some mammals collected in the Congo Free State by the Swedish missionary, K. E. Laman » (Arkiv. Zool., vol. 4 n° 17, 1908). Elles sont complétées des informations fournies par Laman (nom local, circonstances, etc.) Sur les poissons portant son nom, comme l’Amphilius lamani ou le Barbus lamani, cf. aussi A. J. E. Lönnberg & H. Rendahl, « On some freshwater fishes from lower Congo ». Annals and Magazine of Natural History, 9 (6), 1920, p. 167-176.

[12Ce fonds photographique de la SMF (Svenska Missionsförbundet – Equmeniakyrkan), a été déposé au Statens museer för världskultur – Världskulturmuseet. Quelques photos sont consultables à partir du moteur de recherche du musée (collections.smvk.se/carlotta-vkm/web ou de www.kringla.nu – site du Conseil national du patrimoine suédois/Kringla Riksantikvarieämbetet).

[16Suivront ensuite Musana - 1910, Brazzaville -1911, Kolo - 1916, Indo -1918, etc. Mais l’impact de la mission suédoise sur le Congo français avait débuté bien avant, puisque la station missionnaire de Kingoyi, établie en 1900 à la frontière entre les deux colonies, attirait nombre de Congolais venus du côté français (Laman 2000 : 96). Sur la mise en fonction progressive des stations missionnaires au Congo français cf. ibid.  : 96-104).

[17À la suite de ce repérage, la station missionnaire de Kolo sera fondée en 1916 par les missionnaires H. Lindgren et E.A. Fridlund (Arvid Stenström 2006 : 84).

[18Ainsi cette anecdote d’une profanation racontée par Laman lui-même en 1916 alors qu’il passe devant la tombe d’un chef, à ciel ouvert : « One day we passed by a cranium, that was lying on the road. I took it up and put it in a bag on the wagon. The carriers were shocked when they saw this, and if they could, they would have chosen to have it thrown far away. In the evening there was a sense of unease in the camp, and nobody wanted to carry anything like that. At dark I wrapped it and put it in a suitcase, so the carriers would not know where it was. I forgot to find out if they had nightmares that night, as they anticipated with fear » (Laman, Missionsförbundet, 1916 - cité et traduit par Helgesson Kjellin 2010 : 85).

[19Ce document en deux langues, également appelé Etnografiska Anteckningar (« observations ethnographiques ») comprend vingt volumes, déposés alors aux archives de la SMF (Janzen 1972 : 321).

[20Pour la liste nominative cf. MacGaffey – avec une notice biographique pour les 20 contributeurs principaux (1991 : vii-viii, 1-3). Parmi ceux-ci émerge la figure de Simon Kavuna dont certains textes parus dans Minsamu Miayenge, le journal de la SMF, s’avèrent d’une grande qualité ethnographique (Kavuna & MacGaffey 1995). « Laman read and annotated all of the 429 Notebooks (cahiers) they filled, and evidently interrogated the authors to clear up points of linguistic and ethnographic obscurity. The result is an astonishingly rich archive, probably unique in Africa, dealing with every aspect of Kongo culture at the turn of the century » (MacGaffey 1991 : 2).

[21Le travail d’édition des 4 volumes est effectué par Sture Lagercrantz d’Uppsala, sur une période de 15 ans (1953, 1957, 1962, 1968). Lagercrantz explique partiellement sa démarche dans chacune des préfaces, en particulier celle du premier volume (1953). Dans les volumes suivants il revient sur le problème des répétitions et contradictions présentes dans le manuscrit laissé par Laman : « The same rules have been followed as in volume I. Laman’s chapter sequences have been followed, while repetitions and contradictions have been eliminated as far as possible » (Laman 1957, vii), ou encore « Laman’s technique of recording his information has made occasional repetitions unavoidable. In order to reduce their number to a minimum, the material of the present volume [III] has undergone considerable rearrangement » (I962, vii). La disparition des noms des lieux et des auteurs congolais participe de ces réarrangements, sans que la responsabilité n’en soit réellement assumée, d’autant que Lagercrantz s’était associé d’autres contributeurs (notamment Efraim Andersson). Cf. Janzen 1972 : 317-319.

[22Janzen démontre de façon détaillée ce processus d’affadissement et de dégradation du projet original, en s’appuyant sur l’étude des cahiers de notes rédigés par les collaborateurs congolais du projet (Janzen 1972).

[23Citons ici l’extrait de la conférence de 1924 et l’hésitation de Laman sur le statut d’« enfant » ou de « frère cadet » à accorder aux Congolais : « La nature des relations du missionnaire avec les peuples primitifs mérite une attention particulière : doit-il les considérer comme des égaux ou comme des êtres inférieurs ? Il importe de comprendre que ces gens sont, de par la nature, des enfants, mais qu’ils sont également nos frères spirituels, nos cadets ou nos enfants que nous devons enseigner et éduquer et dont nous devons former le caractère et la personnalité. C’est pourquoi nous garderons toujours l’esprit de fraternité et de cette autorité qui nous incombe en tant que frères aînés ou pères […] La grande difficulté c’est de garder et l’intimité et l’autorité dans les relations » (Laman 2000 : 43). Cette régression lamanienne s’analyse aussi par le fait qu’après 5 années passées en Suède loin de la proximité existentielle avec les Congolais, le missionnaire a réintégré les catégories de pensée dominantes concernant le statut des colonisés et l’argumentaire fallacieux de la responsabilité civilisationnelle des colonisateurs. Concernant l’adhésion de Laman à la perspective évolutionniste des races, cf. Helgesson Kjellin 2010 : 87-89, 96-97.

[24Ce n’est que plus tard, en 1938, que la SMF s’associera au travail de l’Institut de Kimpese, lequel deviendra finalement, en 1994, l’Université protestante de Kimpese (UPK) avec la devise « Foi-Science-Excellence » – comme une sorte d’aboutissement, un siècle plus tard, de la vision de Laman (Gösta Stenström 2009 : 81, 140 ss.).

[25Les minkisi (sing. nkisi) désignent les statuettes anthropomorphes (parfois zoomorphes) appartenant à l’univers magico-religieux des populations kongo, porteuses d’une puissance invisible et personnalisée qui pouvait être activée et contrôlée au moyen de pratiques rituelles. Chaque nkisi disposait d’un réceptacle sur l’abdomen ou le crâne (avec une incrustation de miroir) lequel contenait des substances diverses, matières organiques ou minérales, constituant la charge magique (bilongo) de l’objet, préparée par le nganga (prêtre, guérisseur). Laman a collecté un grand nombre de ces minkisi qui se trouvent aujourd’hui dans les musées suédois. Ses informateurs congolais avaient documenté dans le détail les noms, conditions et modalités d’utilisation de chacun d’eux (cf. MacGaffey 1991). L’« autopsie » (l’ouverture) en 2008, au musée des cultures du monde (varldskulturmuseet) de Göteborg, de l’un de ces réceptacles de nkisi collecté par Laman en 1906 à Mukimbungu (ref. 1906.46.0010 sur http://collections.smvk.se/carlotta-em) dévoila un contenu inattendu : à côté des ingrédients usuels utilisés pour ces charges magiques (coquillages, peau de serpent, argile blanche, gravillons, feuilles, duvet, graines, etc.) se trouvaient un crochet de fenêtre (symbole de la modernité européenne et de l’ouverture sur un monde invisible ?) et des fragments de papier imprimé en suédois, extraits de pages d’une bible ou d’un recueil de cantiques missionnaires. Ce qui était attendu comme le témoin d’une culture religieuse indemne de tout contact étranger, s’avérait en fait une création hybride, symbole à son tour de la conversation/confrontation entre deux cultures religieuses : « testimony of creative spirituality the box witnessed of alternative modernity and subaltern ways of collecting and encountering the foreign. The hybrid object was a testimony of the deeply entangled material agencies of the colonial process » (Grinell & Gustafsson Reinius 2013).

[26Pour le contexte large de ce chant, cf. Coyault, 2015 : 362 ss. Référence : chant de K. E. Laman, recueil NMK 1957, n° 313 / traduction française : R.-A. Mampembe-Coyault.