Parce qu’il faut bien assigner une discipline de prédilection à un « savant », on pourrait, faute de mieux, qualifier Jules Momméja d’« archéologue ». Mais, comme tout érudit, il a été sensible à de nombreux autres domaines, au hasard de ses lectures, de ses rencontres. Sa méthode de travail en sera profondément marquée.
Bric-à-brac scientifique
En 1894, il répond à l’Enquête sur les conditions de l’habitation en France, organisée par le Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, prenant d’ailleurs comme modèle des Maisons-types de l’arrondissement de Montauban [1] son manoir du Bénech ! Sa contribution reflète parfaitement le mélange des disciplines auquel se livrent alors les érudits, faisant feu de tous bois. En effet, il ne se cantonne pas à l’architecture. Avant de décrire l’habitation, n’est-il pas judicieux de décrire l’habitant ? Et l’on ne saurait en brosser un tableau fidèle sans s’intéresser d’abord au site qui « présente deux régions bien tranchées : celle de la plaine et celle de la montagne, ou comme l’on dit en langue vulgaire, la plano ou la ribiéro, et la montagno ou le Caussé ». [2] Deux régions s’opposent, qui produisent autant de « races » car, selon un procédé classique, parfaitement représentatif de l’époque, il met en relation climat, hydrographie, orographie, etc. pour définir, physiquement et moralement, le type du « caussanel » et du « ribiérenc », fruit de tous ces paramètres.
"Les habitants de la plaine, proches parents des Gascons sont généralement bruns, grands et secs, brachicéphales à visage en ovale allongé. Les caussanels, ou gens des hauts plateaux, sont dolichocéphales, de taille plus petite, et comme tous les montagnards, ils présentent un assez grand développement du torse comparativement aux jambes ; ils sont trapus au lieu d’être grands. Les blonds y sont assez communs ; ils ont les carnations colorées et la face ronde (...).
Ces caractéristiques physiques déterminent les caractères moraux. Les gens de la rivière, plus nerveux et plus agiles, sont plus vifs, plus éveillés, plus habiles que ceux du Causse, mais moins persévérants, moins aptes physiquement et moralement à supporter la fatigue et la peine. Les premiers sont plus sensuels, plus facilement irritables ; les seconds plus sobres, plus calmes, plus entêtés aussi et plus vindicatifs. Pour un Caussanel, l’homme de la plaine est un paresseux, un être frivole et d’assez petite valeur ; et de son côté, le Ribierenc, étonné de l’extrême résistance à la fatigue qu’il constate chez son voisin, déclare que c’est une brute sans intelligence, bonne pour exécuter des travaux pénibles, mais incapable d’aucune culture." [3]
Cette définition de types ethnographiques, par ailleurs très en vogue dans la seconde moitié du XIX° siècle, témoigne de l’intérêt de Momméja pour l’anthropologie physique. Un intérêt suffisant pour se rendre, en 1878, à Paris, au Congrès Anthropologique, où il assiste à une « interminable lecture sur les Bohémiens et l’Age de Bronze ». La rencontre décisive a sans doute eu lieu trois ans plus tôt, lorsque Franz Leenhardt [4] s’installe à Montauban où, professeur à la Faculté de Théologie, il explique et défend les théories de Darwin, enseignant entre autres l’anthropologie physique. Et lorsque Momméja affirme que le Caussadais est une « frontière ethnographique », ethnographie est synonyme d’anthropologie physique. C’est d’ailleurs le sens que ce mot aura sous sa plume tout au long de sa vie [5].
L’anthropologie physique va être d’un grand secours à l’archéologue qui trouve, dans cette mise en présence de "races" si distinctes, l’origine de certaines particularités architecturales. Elle lui offre un schéma explicatif efficace.
« Ainsi, dans les deux régions, contraste complet, tant au point de vue du sol qu’au point de vue de ses habitants. Ce contraste doit se retrouver dans les demeures, et il s’y retrouve, en effet, aussi complet qu’on peut raisonnablement l’espérer dans une aire territoriale d’aussi faible étendue, et avec une population très homogène, en somme.
Les considérations topographiques, géologiques, ethnographiques et morales qui précèdent permettent de déterminer a priori un certain nombre de caractères généraux propres aux habitations rurales des régions décrites.
Dans les maisons des plateaux, le luxe et le confort sont moindres que dans les autres ; mais, en revanche, elles seront d’un travail plus artistique et plus soigné, car les pays de la pierre sont ceux qui produisent les meilleurs ouvriers." (Momméja 1894 : 263-264)
Mais le tableau serait-il complet si, après avoir décrit la région, ses habitants et leurs habitations, on ne disait quelques mots sur leur façon de vivre, leurs « moeurs » ? Momméja fait alors oeuvre de folkloriste. Ainsi, décrivant la chambre, il en profite pour expliquer quelques coutumes relatives au mariage. « Dans (la) chambre, avait pris place le mobilier de notre grand-mère, quand elle entra dans la famille. C’est une coutume constante que la jeune femme reçoive de ses parents la garniture d’une chambre, c’est-à-dire tout au moins un lit et une armoire. » (Momméja 1894 : 267) Mais ce sont surtout les gestes et les mots de l’agriculture qui retiendront son attention dans cette première description de l’architecture quercynoise, consacrant même des « notes complémentaires » en fin d’article au mode d’exploitation -où il explique les rapports entre le propriétaire, le « patchés » ou « pajés », ses fermiers, les « bordiers » et ses ouvriers saisonniers, les « estivandiers »- ainsi qu’aux techniques d’exploitation, décrivant le fonctionnement du « roudoulet » et de la « liso ».
Architecture, anthropologie physique, géographie, folklore, etc., les frontières entre disciplines s’estompent. Sous la plume de Momméja, les différents champs du savoir se mêlent et se complètent en une formidable machine explicative. C’est particulièrement évident dans un dossier important, conservé aux Archives Départementales à Montauban, consacré aux « Hommes sauvages ». Malgré son titre, il s’agit d’un essai d’héraldique. Momméja, analysant les armoiries de Caussade, explore ce mythe pour expliquer la présence étonnante de chausse. Il y est conduit par la sémantique : Caussade, Caoussado, Caoussa, chausse, chaussé(e) et voici la fée éponyme de Caussade qui surgit, cette sauvage qui perdit sa liberté pour une paire de sabots qu’elle convoitait. Force est de reconnaître que Momméja se livre à un minutieux travail de folkloriste, recueillant la légende caussadaise et ce qu’il considère comme des variantes, s’intéressant également aux hommes sauvages de la mascarade carnavalesque et au Dimengé del Salvages [6] , premier dimanche de Carême qui verrait la sortie de la jeunesse grimée. Ce travail, remarquable sous bien des aspects, n’en est pas moins émaillé de longues digressions fort hasardeuses, étonnant bric-à-brac dont on suit, parfois avec difficulté, le cheminement, qu’il résume à son "cher ami" Perbosc.
"Ma parlote sera intitulée : De la fée éponyme de Caussade et des singulières aventures d’une figure de blason. J’y raconterai l’histoire de la déesse de la source du Tourou, qui devenue femme sauvage au Moyen-Age, devint l’un des principaux emblèmes héraldiques de la maison de Durfort, comme Mélusine pour la maison des Luzignan ; puis celle des hommes sauvages dont on fit des dieux gaulois au début du siècle dernier, et que Linnée avait dûment classé au nombre des Primates entre l’homo Sapiens et l’homo nocturnus... sans compter le rôle qu’ils jouèrent dans les mascarades, les traditions, ce qui me permettra de rappeler une belle histoire de (?) Boccacio, et la page de Froissart sur le Bal des Ardents. Vous voyez que ma petite fée Caussadaise m’a conduit bien loin. Je ferai l’impossible pour n’être pas ennuyeux et peut-être, montrerai-je q.q. (sic) dessin de ma façon pour illustrer la chose et faire avaler plus facilement la tartine." [7]
S’il n’éclaire guère le sens de la démonstration à laquelle se livre Momméja, au moins ce résumé a-t-il le mérite de mettre en avant l’indigeste "cuisine disciplinaire" à laquelle l’auteur se livre parfois.
Cependant, dans cette confrontation des disciplines, un duo surgit sans cesse, qu’il convient d’analyser : l’archéologie et le folklore.
Le folklore au secours de l’archéologie et de l’histoire
Si la collecte folkloriste de Momméja est d’abord guidée par la nostalgie à l’égard d’un monde qui disparaît et le souci de prolonger la tradition familiale, elle trouve aussi parfaitement sa place dans le cabinet de l’archéologue qui ne perd pas son temps en écoutant et en consignant les « vieilles histoires », les légendes, les récits fantastiques. Ils pourraient lui être d’un secours inattendu mais efficace lors de ses campagnes de fouilles. A condition cependant de prendre certaines précautions.
Et Momméja le sait mieux que quiconque qui, se demandant « quelle pouvait bien être l’origine de ces légendes et si certains faits précis n’avaient pu leur donner naissance ou prétexte » [8], fut acteur et témoin, malgré lui, d’un de ces récits de sépultures merveilleuses. Lors des fouilles de Saint-Martin de Moissac, il découvre « un sarcophage trapézoïdal, ultra grossier, en pierre du pays, renfermant un squelette, qu’aucun objet ne (...) permit de dater. Cette découverte assez peu importante au point de vue archéologique, causa une certaine émotion dans le quartier et provoqua force commentaires. » De proche en proche, le squelette devint un chef, un noble, un riche homme, un prêtre et enfin un évêque. La sépulture étant intacte, on en déduisit que « le mort avait toujours ses os bien en place, mais même qu’il avait encore sa peau. » Quant à la châsse de pierre trouvée dans l’abside, elle devint un trône. « Et au lendemain de la visite de la Société Archéologique, on m’a raconté à moi-même que j’avais découvert assis sur un trône de pierre, le cadavre d’un évêque si bien conservé que sa peau était dure comme celle d’un tambour ! » Et s’il salue l’« ample naîveté » des commentaires dont « l’évolution ne manque pas d’une certaine logique ingénue » [9] , Momméja ne peut faire moins que de recommander la plus extrême prudence.
« Les légendes au sujet de l’origine ou de la destruction des vieux monuments sont celles qui se forment le plus vite et qui sont les plus trompeuses. Il n’y a pas de végétation mythique plus rapide et plus factice que celle qui se développe autour des ruines. (...) Depuis deux siècles, chaque génération de Gascons ou de Béarnais invente de nouvelles naissances d’Henri IV, comme on imaginait autrefois des châteaux du Prince Noir, comme nous voyons se former autour de nous les chambres de Napoléon. Toute tradition qui fait d’un monument la résidence d’un souverain célèbre est sujette à caution, si voisine qu’elle soit du temps où il a vécu. » [10]
Pourquoi noter alors avec soin les récits à propos d’un hypothétique château ou d’une introuvable chapelle, ces histoires de moines s’enfuyant au moyen d’un souterrain, tout aussi improbable que le couvent qu’ils abandonnaient et dont aucun coup de pelle n’a encore pu démontrer l’existence ? Momméja ne semble, en effet, guère respecter la sage réserve qu’il préconise, consacrant plusieurs dossiers aux légendes de templiers, aux repères d’Anglais, aux souterrains mystérieux, etc.
On pourrait résumer d’une simple phrase son attitude : il ne faut ni s’enthousiasmer à l’excès, ni mépriser les légendes historiques. « Fausses si on les prend au pied de la lettre », elles ne doivent pas être boudées pour autant car « elles révèlent parfois l’existence de monuments importants et de tous les âges. (...) Il est (...) certaines légendes féodales absurdes en elles-mêmes, mais qui, étudiées avec soin, nous révèlent des personnages historiques fort (...) intéressants dont nos érudits prédécesseurs ne se sont pas doutés. » Et Momméja de citer l’exemple du château de Miramont, dans le Bas-Quercy [11]. Ses ruines avaient été recouvertes par le champ de foire ; les historiens locaux, même les plus minutieux et les plus brillants, n’y faisaient pas allusion, n’ayant trouvé aucune mention de son existence dans les vieux papiers des « annales locales ». Mais la tradition orale, têtue, n’avait pas oublié, pas plus qu’elle n’avait oublié certain compagnon de Bayard, dont elle faisait un hôte du château de Peyre-Jean, près de Lauzerte, alors que les « savants » répétaient, à tort, que ce Pierre d’Ossun n’avait jamais séjourné en Tarn-et-Garonne. Les chansons sont tout aussi précieuses.
"Je mes (sic) un peu de coquetterie, je le confesse, à ne pas oublier les circonstances dans lesquelles nos érudits régionaux se sont servis des chants populaires pour étayer ou illustrer des faits historiques. Boudon de Saint-Amans [12], le sympathique historien de l’Agenais, esprit largement ouvert sur toutes les sciences, est peut-être un de ceux qui ont prêté le plus d’attention aux témoignages de la muse populaire.
Ayant raconté, en combinant la tradition populaire et les pamphlets du temps, comment Melle de Combefort, trop vivement courtisée par HenriIV, s’était jetée par une fenêtre, ajoute : ’Une vieille chanson, encore usitée il y a moins d’un demi-siècle, dans la plaine d’Agen, rappelait la mémoire de cet événement (...) Un peu plus loin, ayant relaté la prise de Gontaud, par son propre seigneur, Biron (le 13 juillet 1579) ajoute : ’Le souvenir de cet affreux événement se conservait encore, il y a q.q. années, dans une ancienne chanson ou plutôt une complainte." [13]
N’est-ce pas encore grâce à une bribe de couplet que l’érudit agenais découvrit « un fait doublement important pour la physique du globe et pour la géographie carlovingienne (sic) des Gaules », situant enfin avec « certitude » l’ancienne Cassinogilus à Casseil, mettant ainsi un point final à toutes les spéculations auxquelles ce site avait donné lieu [14] ? L’archéologue ne doit donc pas mépriser le Champ du folklore [15] ; il doit seulement le retourner avec prudence.
Mais, au-delà de cette attitude que l’on pourrait qualifier de "pragmatique", Momméja pose un rapport plus étroit encore entre folklore et archéologie. Dans sa "Note préliminaire" aux Causeries sur les origines de Moissac [16] , il explique comment il travaille : l’archéologue se livre bien sûr à des fouilles qui, loin de résoudre les questions, ne font qu’en poser d’autres. Il lui faut alors aller chercher ailleurs. Dans les livres d’abord -ses notes attestent de cette patiente recherche bibliographique-, dans les archives aussi et notamment auprès des réponses aux questionnaires archéologiques du XIX° siècle qu’il dépouilla patiemment, où il puise certaines "légendes pseudo-historiques". Et quand décidément, il ne parvient plus à faire parler les pierres et les livres, reste encore la tradition à interroger, qui permettra de donner à voir des pratiques vivantes autour de ces ruines silencieuses. "Archéologie barbare", "archéologie gallo-romaine" mais aussi "toponymie" et enfin "folklore, c’est-à-dire la science qui nous permet, souventes fois, de tirer un parti tout à fait pratique de l’étude attentive des légendes, des traditions et des superstitions » [17], voilà l’attirail dont doit savoir se servir, à la fin du XIX° siècle, un archéologue rompu aux méthodes de travail les plus modernes. En cela, il est pleinement un homme de son temps, partageant une sorte de théorie des survivances : dans la culture populaire, il subsiste quelque chose des temps les plus reculés de l’humanité, "vivant fossile" dont il faut se servir pour pallier le silence des pierres. Et il n’hésite pas à définir les superstitions comme "le seul lien qui nous rattache aux premiers humains" [18]. Les Causeries apparaissent bien comme une mise en application de cette définition. D’ailleurs, certains chapitres portent des titres suffisamment clairs sur ces rapports entre religion antique et superstitions du XIX° siècle finissant : "De la poussière des superstitions qui s’éleva des ruines du paganisme et flotte encore dans notre air" ou "comment en terre moissagaise se sont perpétuées jusqu’à nos jours certaines coutumes funéraires celtiques ou romaines". Et l’on plonge alors au coeur d’un jeu de miroirs où les superstitions d’aujourd’hui donnent à voir la procession d’hier.
"Quoi qu’il en soit (...) il reste bien acquis que la mémoire n’était pas encore éteinte, aux jours de notre enfance, des dieux, des forêts, des arbres et des eaux, sylvains, faunes et naïades de l’Antiquité, dont le plus représentatif, si l’on peut dire, le dieu Pan, a imposé paraît-il son nom au village de Dieupentale." [19]
De tels exemples ne sont pas rares. On pourrait également citer la fête de la Saint-Jean, à laquelle Momméja consacrera nombre de pages. Les "bergères" dansant autour du bûcher, par exemple, toujours vivantes dans sa mémoire, perpétuent "un rituel dont elles tiennent la tradition de leurs belles aïeules, les gauloises aux seins de marbre, aux bras forts de catapultes" [20] . Les mégalithiques ont fasciné les savants du XIX° siècle et Momméja ne fait pas exception. Il les recense, note les croyances et pratiques dont ils sont l’objet. Ainsi cette pierre de Matras, "qui perpétue dans la Lande d’Albret quelques vestiges des rhites (sic) les plus caractéristiques des antiques religions préhistoriques. (...) On (y) célébrait jadis les accordailles et parfois même les actes de mariage" [21].
Et, en conséquence, la religion et les « coutumes » antiques rendent parfois les superstitions de cette fin de XIX° siècle intelligibles, comme en témoigne l’expérience de Chantot, « un magistrat dont les fonctions ont discipliné et, par conséquent, aiguisé les dons innés d’observation » [22].
"Comme il venait de terminer la lecture du Manuel d’Archéologie préhistorique de Déchelette, et qu’il avait été surtout intéressé par les chapitres consacrés aux sépultures de l’âge de fer, il se demandait si rien ne subsistait de nos jours, dans les cantons reculés, des coutumes décrites par l’éminent archéologue, quand il se souvint de ce qui s’était passé, il n’y avait pas très longtemps, presque sous ses yeux, aux funérailles d’un voisin de campagne.
Les préparatifs de l’enterrement traînaient en longueur, les assistants, groupés devant la demeure, comprirent que quelque accident s’était produit pendant la mise en bière. Informations prises, c’est que celle-ci étant un peu étroite, on avait eu quelque peine à placer entre les jambes du cadavre, la bouteille de vin, qui devait y être mise selon les coutumes immémoriales du pays...
M. Chantot n’avait vu là, sur le moment, qu’une preuve nouvelle de la sottise incoercible de quelques campagnards ; mais la lecture du manuel lui avait ouvert les yeux, et il avait compris le caractère véritable de cette singulière offrande au défunt : c’était une survivance de la coutume rituelle d’enterrer avec le mort tout ce qui pouvait lui être utile dans l’autre vie. (...)
On ne croyait pas que cette coutume eut survécu au christianisme pourtant on avait dûment constaté dans toutes les sépultures médiévales des départements du Sud-Ouest et du Sud, la présence rituelle d’un vase en terre cuite, à large panse à bec bridé, dont on ne s’expliquait pas l’usage. (...)
L’observation capitale de M. Chantot nous explique leur rôle véritable dans les sépultures chrétiennes." [23]
Fort de ce rapport, Momméja assigne même à l’archéologie de nouveaux objectifs. « Certes, les places de guerre du type décrit par Jules César n’ont pas encore été signalées en bien grand nombre sur le territoire des Gaules. (...) C’est ce que nous espérons pouvoir faire ; mais notre ambition ne saurait se contenter de si peu. » Il ne lui suffit plus désormais de fouiller le sol, pour ramener à la lumière les traces matérielles des « premiers hommes ». Il n’est plus temps de rechercher patiemment la trace de tel grand homme ou de telle bataille. Les « méthodes modernes » -le terme revient fréquemment sous la plume de Momméja- ouvrent des perspectives alléchantes.
« Grâce à l’intime et judicieuse alliance des méthodes propres à la préhistoire, au folklore et à l’archéologie, les connaissances positives sur l’état social, les croyances et les arts des peuples gaulois d’avant la conquête ont pris un tel développement qu’il est difficile de résister à la tentation de les contrôler par l’étude minutieuse de tout ce que l’emploi des mêmes méthodes peut donner à connaître sur une de ces peuplades considérées isolément. » [24]
Des Sotiates ou des Nitiobriges, il espère bien voir autre chose que des remparts et des casques, pénétrer à l’intérieur des maisons pour en scruter la vie quotidienne, la religion notamment. Mais la voie n’est pas vierge ; d’autres l’ont empruntée avant lui [25]. Et Momméja ne suivra qu’imparfaitement cet alléchant programme. Son Oppidum des Nitiobriges n’est guère plus qu’un inventaire commenté du matériel archéologique gaulois, ou supposé tel, trouvé en Agenais. Mais sa conception de l’histoire, et plus encore des thèmes auxquels elle devrait s’intéresser, s’en trouvent modifiée. Alors qu’au sein des sociétés savantes, on s’évertue à retrouver les échos de la « grande histoire » au coeur de la « petite patrie », avec son cortège de « personnages historiques », de batailles, etc., Momméja songe à une autre façon d’écrire l’histoire, rêve de la « petite histoire », celle des « petites gens », du quotidien, des techniques par exemple. Ainsi, en Novembre 1889, « après avoir lu quelques pages du Journal des Goncourt, le désir bête (le) prent (sic) d’écrire une étude de moeurs paysannes, quelque chose de réel, de foncièrement, de scientifiquement vrai. » [26] C’est à des « nouvelles genre Walter Scott » [27] que va ensuite sa préférence avant qu’elles ne soient abandonnées au profit d’une éphéméride, quelque peu originale. « J’y voudrais entasser les mille petits faits pittoresques que les historiens négligent fièrement. J’y voudrais surtout la couleur locale de chaque siècle. » [28] Aucun de ces projets ne verra le jour mais tous mettent en évidence la tentation, le volonté de concilier histoire et folklore, fut-ce par le biais d’un exercice plus littéraire, seul peut-être capable de légitimer l’usage de ce nouveau champ du savoir.
Mais ce rapport entre archéologie, histoire et folklore, pour complémentaire, a longtemps été déséquilibré sous la plume de Momméja : l’archéologie et l’histoire étaient premières, le folklore n’était qu’un moyen d’avancer dans la construction de ces savoirs. C’est la Première Guerre Mondiale qui va servir de catalyseur.