Le thème de recherche Histoire de l’anthropologie et archives ethnographiques portugaises (XIXe-XXIe siècles), dans le cadre de Bérose – Encyclopédie internationale des histoires de l’anthropologie –, suit la trajectoire de l’anthropologie portugaise entre les XIXe et XXIe siècles, en cherchant à identifier les protagonistes, les thèmes de recherche et les apports théoriques et méthodologiques d’une tradition savante dont les enjeux, au cours de cette période, concernaient soit la construction de la « nation », soit la construction de « l’empire », ou les deux à la fois (Stocking 1982 ; Leal 2000, 2006, 2008 ; Viegas & Pina-Cabral 2014). (...)
Il faut préciser que la production ethnographique et proto-anthropologique du XVe au XVIIIe siècle n’est pas prise en compte dans le cadre du thème et de l’équipe de recherche. La chronologie considérée ici remonte au XIXe siècle, puis le thème de recherche porte son attention sur le XXe, sans oublier l’anthropologie portugaise contemporaine. Cet intervalle de temps peut à lui seul donner lieu à des débats importants. En fait, le colonialisme portugais – notamment l’impérialisme tardif – coïncide avec une partie fondamentale de la production anthropologique, notamment des XIXe et XXe siècles ; toutes les figures et institutions ayant contribué aux savoirs ethnographiques dans les anciennes colonies portugaises étaient confrontées aux ambiguïtés des situations coloniales. Des ambiguïtés qui, par ailleurs, perdurent d’une façon ou d’une autre et concernent aussi bien le contexte portugais que celui de ses anciennes colonies : l’Angola, le Cap-Vert, la Guinée-Bissau, le Mozambique et São Tomé-et- Príncipe ne sont devenus indépendants qu’en 1975, après la célèbre révolution des Œillets de 1974 (qui a mis fin à 48 ans de dictature au Portugal) ; Le Timor oriental obtient lui aussi son indépendance en 1975 mais, envahi par l’Indonésie, il n’accède à l’indépendance totale qu’en 2002. Les enclaves portugaises de Goa, Daman et Diu avaient, quant à elles, rejoint l’Union Indienne en 1961.
Ce défi est important parce qu’il permet à ce thème de recherche, comme d’autres dans le cadre de Bérose qui se réfèrent à des contextes anciennement colonisateurs, non seulement de rassembler des articles encyclopédiques mais aussi de problématiser et enrichir l’analyse critique en présentant différents courants et débats anthropologiques. Ainsi, ce thème de recherche cherche également à donner de la visibilité à des figures, des institutions et des publications, dont les parcours sont encore peu étudiés et qui ont contribué au développement des savoirs sur les contextes portugais ou colonisés par le Portugal à l’époque de l’occupation effective, permise par la Conférence de Berlin de 1884-1885. Il s’agit d’agréger en les problématisant aussi bien les connaissances ethnographiques que les idées anthropologiques, dans leurs différents domaines ‒ de la classification à la muséologie, du sauvetage à la comparaison, sans négliger les influences internationales, parfois les anachronismes d’une nation à la fois impériale et périphérique.
L’historiographie de l’anthropologie portugaise est unanime dans l’identification des figures centrales de cette tradition – en particulier en ce qui concerne les études sur le « peuple portugais », à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle : les noms de Teófilo Braga, Adolfo Coelho, Consiglieri Pedroso, Leite de Vasconcelos et Rocha Peixoto s’imposent comme des références incontournables (Pina-Cabral 1991 ; Bastos & Sobral 2018 : 2 ; Leal 2000 : 29).
Cependant, l’anthropologue qui a fait couler le plus d’encre est sans aucun doute Jorge Dias, à l’épicentre du renouveau et de la modernisation de la discipline à partir de la seconde moitié du XXe siècle. C’est autour de lui que s’est développée une équipe remarquable d’anthropologues qui ont contribué de façon exceptionnelle à la connaissance des traditions rurales portugaises. Figure centrale du Centre d’étude de l’ethnologie péninsulaire, Jorge Dias verra son nom lié à la création, en 1965, du Musée d’ethnologie de l’outre-mer (Leal 2000 ; Pereira 1989) et à ses réorientations ultérieures ouvertes à la « représentation de toutes les cultures » (Pereira 198 : 580). Quoique de différentes manières, João de Pina-Cabral (1991), João Leal (2006), José Manuel Sobral (2007), Jorge de Freitas Branco (2014), Cristiana Bastos et José Manuel Sobral (2018) partagent l’idée que Jorge Dias est une figure fondamentale du développement de l’anthropologie portugaise, même si elle est sujette à controverse (West 2006 ; Sobral 2007).
Il faut aussi tenir compte du rôle joué par ceux que João Leal (2006) appelle les « étrangers » au Portugal, c’est-à-dire à la fois des anthropologues effectivement étrangers qui ont travaillé au Portugal à la fin des années 1970 et des anthropologues portugais rentrés au pays après la révolution du « 25 avril » 1974 après avoir fait des études universitaires ailleurs et qui ont contribué à la reformulation de la maîtrise d’anthropologie de l’Instituto Superior de Ciências Sociais e Políticas Ultramarinas (Institut supérieur des sciences sociales et politiques d’outre-mer) (Branco 2014 : 368). L’activité des uns et des autres a été décisive pour intégrer l’anthropologie portugaise dans les débats internationaux de la discipline.
Regarder les développements de l’anthropologie portugaise à travers l’histoire de son institutionnalisation est aussi un bon moyen d’approfondir, comme l’exige ce thème de recherche, la connaissance des contextes de production des savoirs ethnographiques et anthropologiques. Ainsi, notre intention est-elle d’aborder les pratiques des anthropologues (Sanjek 1990), en contribuant aux débats sur l’importance de la sauvegarde des matériaux ethnographiques et des archives des anthropologues (Almeida & Cachado 2016, 2019).
Des articles récents sur la tradition anthropologique portugaise, publiés dans les années 2010, cherchent aussi à rendre compte des diverses branches de la discipline qui se sont développées plus récemment. Non seulement Cristiana Bastos et José Manuel Sobral énumèrent les anthropologues de leur génération et leurs contributions respectives, mais ils abordent également la génération suivante (Bastos & Sobral 2018). Notre ambition est aussi de porter un regard historique sur l’anthropologie contemporaine, sur la production et les principaux domaines de recherche actuels. Si jusqu’au « 25 avril » 1974 l’anthropologie portugaise s’est principalement consacrée à la connaissance du pays rural, le fait est que cette tendance a perduré après la Révolution et ce jusqu’au début des années 1990. Ce n’est qu’ensuite que l’anthropologie portugaise s’est étendue aux contextes urbains (Cordeiro 2003).
En nous concentrant également sur l’anthropologie portugaise contemporaine, notre ambition est de contribuer à la connaissance des différentes façons de faire de l’anthropologie aujourd’hui, qui sont de plus en plus dispersées dans différentes universités, départements et centres de recherche.
En résumé, le thème de recherche Histoire de l’anthropologie et archives ethnographiques portugaises (XIXe-XXIe siècles) cherche à :
– promouvoir une meilleure connaissance, tant dans les contextes lusophones qu’internationaux, de l’histoire de l’anthropologie portugaise ;
– renforcer la sauvegarde des archives ethnographiques portugaises ;
– contribuer à une cartographie plus large des contextes ethnographiques choisis et travaillés par les anthropologues portugais, ainsi que des méthodologies appliquées, des cadres théoriques et des contextes universitaires de production de connaissances ;
– stimuler la publication d’articles biographiques sur des anthropologues et des ethnographes portugais ou travaillant dans les contextes portugais, ainsi que d’articles relatifs à des institutions telles que des musées, des revues scientifiques, des centres de recherche, etc.Sónia Vespeira de Almeida
Rita Ávila CachadoRéférences citées
Almeida, Sónia Vespeira & Rita Cachado, 2019. "Archiving Anthropology in Portugal", Anthropology Today, 35 (1), p. 22-25.
Almeida, Sónia Vespeira & Rita Cachado (dir.), 2016. Os Arquivos dos Antropólogos, Lisbonne, Palavrão.
Bastos, Cristiana & José Manuel Sobral, 2018. "Portugal, Anthropology”, in H. Callan (dir.), The International, Encyclopedia of Anthropology, Online :
10.1002/9781118924396.wbiea1974
Branco, Jorge Freitas, 2014. “Sentidos da antropologia em Portugal na década de 1970", Etnográfica [Online], vol. 18 (2), consulté le 9 juillet 2014, URL : http:// etnografica.revues.org/3732 ; DOI : 10,4000/etnografica.3732
Cordeiro, Graça Índias, 2003. "A antropologia urbana entre a tradição e a prática" in Graça Índias Cordeiro, Luís V. Baptista & António F. da Costa (dir.), Etnografias Urbanas, Oeiras, Celta, p. 3-32.
Leal, João, 2000. Etnografias Portuguesas (1870-1970) : Cultura Popular e Identidade Nacional, Lisbonne, Publicações Dom Quixote.
Leal, João, 2003. "Estrangeiros em Portugal : a Antropologia das comunidades rurais portuguesas nos anos 1960", Ler História, 44, p. 155-176.
Leal, João, 2006. Antropologia em Portugal : Mestres, Percursos, Transições, Lisbonne, Livros Horizonte.
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Pereira, Rui, 1989. “Trinta anos de museologia etnográfica em Portugal. Breve contributo para a história das suas origens”, in F.O. Baptista, J.P. Brito & B. Pereira (dir.) Estudos de Homenagem a Ernesto Veiga de Oliveira, Lisbonne, Instituto Nacional de Investigação Científica, p. 569-580
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Sanjek, Roger (dir.), 1990, Fieldnotes. The Makings of Anthropology, Ithaca, London, Cornell University Press.
Sobral, José Manuel, 2007. "O Outro aqui tão próximo : Jorge Dias e a redescoberta de Portugal pela antropologia portuguesa (anos 70-80 do século XX)", Revista de História das Ideias, 28, p. 479-526.
Stocking, Jr., George W., 1982. "Afterword : A View from the Center", Ethnos, 47, p. 172-186.
Viegas, Susana de Matos & João de Pina-Cabral, 2014. “Na encruzilhada portuguesa : a antropologia contemporânea e a sua história”, Etnográfica [Online], vol. 18 (2), consulté le 30 septembre 2016. URL : http://etnografica.revues.org/3694
West, Harry G., 2006. “Invertendo a bossa do camelo. Jorge Dias, a sua mulher, o seu intérprete e eu.”, A. Sanches & Manuela Ribeiro (dir.), Portugal não é uma País Pequeno. Lisbonne, Livros Cotovia, p. 141-190.