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Encyclopédie internationale
des histoires de l’anthropologie

Heinrich Barth, une vie de chercheur

Richard Kuba

Frobenius-Institut für Kulturanthropologische Forschung, Goethe-Universität Frankfurt

2019
Pour citer cet article

Kuba, Richard, 2019. « Heinrich Barth, une vie de chercheur », in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l'anthropologie, Paris.

URL Bérose : article1775.html

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Publié dans le cadre du thème de recherche « Histoire de l’anthropologie et des ethnologies allemandes et autrichiennes », dirigé par Jean-Louis Georget (Sorbonne Nouvelle, Paris), Hélène Ivanoff (Institut Frobenius, recherches en anthropologie culturelle, Francfort-sur-le-Main), Isabelle Kalinowski (CNRS,Laboratoire Pays germaniques UMR 8547, Ecole Normale Supérieure, Paris) Richard Kuba (Institut Frobenius, recherches en anthropologie culturelle, Francfort-sur-le-Main) et Céline Trautmann-Waller (Université Sorbonne nouvelle-Paris 3/IUF).

Introduction

Ceux qui se penchent sur la biographie d’Heinrich Barth sont frappés par le décalage entre l’importance de son œuvre et la méconnaissance de ce grand voyageur par le grand public [1]. Alors que les spécialistes sont quasiment unanimes pour considérer son voyage comme l’une des plus grandes explorations scientifiques du XIXe siècle et comme le point de départ d’une nouvelle époque dans la recherche sur l’Afrique, son nom est loin d’avoir une résonance aussi importante que ceux de Mungo Park, de David Livingstone ou de René Caillé. En Allemagne, les quelques tentatives pour le « récupérer » et intégrer ses voyages dans les causes de l’impérialisme du Kaiserreich, ou les lier aux ambitions néocolonialistes des nazis, restèrent étrangement stériles. Tout au plus, on s’en servit en RDA, où l’attrait pour les sujets exotiques lui ménagea une certaine renaissance dans la littérature d’aventures avec trois monographies publiées à plusieurs tirages [2].

Pour expliquer cela, on a souvent invoqué le caractère difficile d’Heinrich Barth, qui échappe aux catégorisations réductrices et ne se prête guère à une banale glorification posthume. Effectivement, le personnage apparaît étrangement complexe. Ainsi, on comprend mal comment cet homme qui, en Afrique, était doué d’empathie, d’une grande habileté pour les contacts humains et d’une capacité à se lier d’amitié dans des contextes pourtant difficiles (Kirk-Greene 1970) pouvait en même temps apparaître, aux yeux de ses contemporains, comme un être original, impatient, hautain, sourcilleux, susceptible et parfois agressif avec son entourage. Son beau-frère le décrivait comme « un nageur audacieux et endurant sur le fleuve de la vie mais un nageur peu adroit [3] ». Sur le plan professionnel, il semble être partagé entre deux aspirations opposées : les promesses de liberté et d’indépendance du voyage et le besoin presque vétilleux de documenter et de classer les nouvelles connaissances dans le calme de son cabinet d’étude. Politiquement, il apparaît comme un citoyen du monde, tolérant et polyglotte, même s’il se rapprocha vers la fin de sa vie des tendances nationalistes.

Cette image à facettes multiples ne résulte pas d’un manque de sources susceptibles d’éclairer sa vie. Il tenait assidûment ses carnets de voyage et, comme s’il était conscient que les générations futures seraient plus à même d’apprécier sa valeur, il préparait tous ses documents, lettres, et actes, laissant à la postérité une importante documentation soigneusement classée. Une partie des documents, ayant trait à sa vie professionnelle, se trouve aux Archives du Land de Hambourg, tandis que le reste de ses papiers, de nature plus privée, est allé d’abord à sa sœur et son beau-frère, Gustav von Schubert [4]. Ce dernier, devenu général de division à la retraite, les utilisa en 1897 pour publier une biographie qui servit de base à tous les écrits biographiques postérieurs [5].

Tentons donc de retracer les grandes lignes de cette vie de chercheur au milieu du XIXe siècle.

Jeunesse et université

Né le 16 février 1821 à Hambourg dans une famille ayant depuis peu accédé à la bourgeoisie, le jeune Heinrich fut éduqué selon les principes de l’éthique protestante. Son père, issu d’une famille modeste de tisserands de Thuringe, devint orphelin à l’âge de quatorze ans et fut pris en charge par son oncle maternel qui vivait à Hambourg. Il y apprit le métier de boucher et s’engagea parallèlement dans le commerce outre-mer, en profitant de l’expansion économique du port, ce qui ménageait à sa famille une certaine aisance. Heinrich se sentit toute sa vie très proche de son père qui, par sa discipline, sa droiture d’esprit et son ardeur au travail, parvint à s’élever au-dessus de son milieu. Pour ce « self-made man », la qualité de l’éducation et de la formation de son fils aîné concourait à son prestige et signalait l’accession au milieu bourgeois. Le père admirait la culture et les exploits scientifiques de Heinrich. Bien que celui-ci ait pu regretter que sa famille « ait sacrifié l’intimité et la tendresse de la vie familiale aux nécessités matérielles [6] », il était le premier à profiter des largesses de son père qui finança, outre ses études universitaires, plusieurs voyages coûteux. Ceci impliquait des efforts considérables notamment lorsqu’une bonne partie des biens familiaux disparurent dans le grand incendie de Hambourg en 1842. Le feu détruisit aussi la bibliothèque considérable qu’Heinrich avait constituée quand il était encore écolier. Dès sa jeunesse, il montra un grand intérêt pour les auteurs classiques et les récits de voyages (ceux de Mungo Park et des frères Lander entre autres) qu’il préférait aux jeux et activités de ses camarades. Ces derniers le considéraient d’ailleurs comme un pédant renfermé et dépourvu de tout sens de l’humour : « [...] tout comme son père, qui charcute la viande dans sa boutique du matin au soir, il croit devoir bouquiner jusqu’au crépuscule [7] ».

Le monde académique s’avéra un véritable paradis pour cet esprit indépendant. En effet, au Johanneum, fameux lycée de Hambourg, il souffrait de l’étroitesse du programme scolaire et du manque d’ouverture de ses professeurs. Il quitta donc le lycée à l’âge de 18 ans pour s’inscrire immédiatement à l’université de Berlin. Outre sa passion pour la lecture, il avait un talent considérable pour les langues. À côté du grec et du latin, il maîtrisait déjà l’anglais. À l’âge de 14 ans, il avait commencé à étudier l’arabe seul. Cependant c’est l’antiquité classique qui le fascina le plus et qui marqua ses premiers semestres à Berlin. Il s’immergea complètement dans la vie intellectuelle de cette université qui, à l’époque, était une des meilleures d’Europe et où il eut la chance de rencontrer des enseignants exceptionnels. Dès le début, il étudia la philologie classique auprès d’August Boeckh, le fondateur de l’épigraphie scientifique et initiateur du Corpus Inscriptionum Graecarum. Celui-ci développa bientôt une amitié paternelle pour cet étudiant talentueux et l’invita fréquemment dans sa maison. Un peu plus tard, Carl Ritter, le fondateur de la géographie universitaire, remarqua le jeune Heinrich et noua avec lui une amitié très profonde. Outre ces deux professeurs, qui ont le plus marqué Barth, il suit les cours d’histoire et d’archéologie de Ernst Curtius sur la Grèce antique, de Richard Lepsius sur l’Égypte antique, de Jakob Grimm en linguistique, de Leopold Ranke en histoire générale et de Friedrich Wilhelm Schelling et Friedrich Adolf Trendelenburg en philosophie.

Toute sa vie s’organise alors autour des études qu’il poursuit avec beaucoup d’ambition. On retrouve, dans les lettres à son père, ce déchirement caractéristique du romantisme allemand, entre la noblesse de la mission à accomplir et le désespoir face à une réalité souvent banale. Cet état d’esprit peut d’ailleurs conduire à une certaine misanthropie :

[...] tandis qu’on trouve tout le plaisir dans ses propres pensées, on apprend à se priver des hommes et même à les mépriser. [...] J’ai un cœur extrêmement sensible, j’ai cette énorme aspiration en moi, cette aspiration altruiste à la grandeur, à la vérité et à la beauté. Être utile aux hommes, les stimuler et les inciter à une vie intellectuellement belle et harmonieuse [...] Et dans cette ambition, dans cette conscience, je vois qu’il n’y a parmi ceux qui croient me connaître, que de rares personnes qui me connaissent vraiment, que la plupart me méconnaissent et que d’autres me méprisent ignoblement. [...] J’aspire à être utile aux hommes le plus possible, il est vrai que je voudrais gagner de la reconnaissance et peut-être aussi un peu de gloire [8].

La science et le goût du voyage

Dès le début de ses études, Barth refusa de se limiter aux livres et à la théorie et s’intéressa à l’expérience immédiate. Dès la fin du deuxième semestre, il entreprit, grâce au soutien financier de son père, un premier voyage culturel en Italie, pays qui témoignait des cultures de l’Antiquité et qui constituait une destination de prédilection pour les intellectuels européens depuis la Renaissance (Stagl 1995). Il visita Venise, Florence, Rome et la Sicile, et les lettres qu’il envoya à sa famille débordaient d’enthousiasme. Les paysages étaient « sublimes », les villes et bâtiments historiques « délicieux » et les rencontres lors du voyage « charmantes ».

Ce voyage le marqua profondément pour le reste de sa vie. Il y fit l’expérience d’une liberté inconnue jusque-là, une valeur qu’il estimait énormément. « Plus l’homme est libre et moins il s’attache au monde extérieur, plus il est heureux », écrit-il en 1842 à son père, qui venait de perdre la moitié de sa fortune dans le grand incendie de Hambourg. En 1856, alors qu’il travaillait dans sa petite maison de Londres au récit de son voyage africain, il écrivit à son beau-frère :

Combien j’aspire à un gîte libre au milieu du désert, dans ces espaces infinis, ou sans ambitions, sans les mille tracas qui tourmentent les gens ici, je m’étalais avec tout le délice de la liberté [...] sur ma couche [9].

Sur la route, le sentiment d’être maître de son destin et de suivre son propre rythme lui donna en outre une aisance inattendue dans les relations humaines. Ses tendances misanthropiques semblaient avoir complètement disparu. Lors d’une balade touristique à travers l’Allemagne, le jeune étudiant écrivait : « Vous ne pouvez pas vous imaginer quelle confiance je peux trouver chez des personnes qui ont souvent 20 à 30 ans de plus que moi [10]. » Hors de son pays natal, il se montrait également habile dans les relations sociales, bien que le fait de voyager seul n’inquiétait point un homme qui, hormis quelques très bons amis, resta un solitaire toute sa vie. Ainsi, il était plutôt laconique lorsqu’il commentait la séparation d’avec son compagnon Overweg aux confins du Gobir après qu’ils eurent traversé ensemble le Sahara : « Je continuerai donc tout seul mon voyage, sans véritable regret, puisque j’ai pris dès ma jeunesse l’habitude de voyager seul parmi les étrangers » (Barth 1857-1858, II : 14). On peut également évoquer la rencontre inattendue avec Eduard Vogel en décembre 1954, au milieu de la brousse entre Gumel et Kukawa. Bien qu’il n’ait pas vu d’Européen pendant plus de deux ans, Barth quitta Vogel, qui avait été envoyé de Londres pour remplacer le défunt Overweg, après deux heures de conversation pour continuer son chemin (Barth 1857-1858, V : 381). Cette scène fut probablement plus touchante pour lui qu’il ne le laissa entendre dans son récit (Koner 1866 : 20), mais on peut difficilement trouver plus grand décalage avec la fameuse rencontre Livingstone et Stanley et sa médiatisation auprès du grand public.

Sa passion pour le bassin méditerranéen, qui marqua tout son parcours scientifique, s’éveilla lors de son premier voyage en Italie : « Le projet s’est formé en moi, de parcourir ce bassin sur toute son étendue et de connaître ses rivages par ma propre expérience » (Barth 1849 : vi). Jusqu’à la fin de sa vie, il poursuivit ce projet en effectuant pas moins de sept voyages, dont un de plus de trois ans, dans les régions limitrophes de la Méditerranée. Il les considérait comme un espace uni non seulement au niveau géographique, mais aussi historiquement et culturellement. Dans cette perspective, on peut voir en lui un prédécesseur de Fernand Braudel et de son magistral ouvrage sur la Méditerranée. On pourrait même aller jusqu’à considérer son périple africain comme une grande excursion dans les arrière-pays de la Méditerranée (Barth 1857-1858, I : iv ; Marx 1988 : 13).

Son désir de faire de la recherche non seulement dans les livres mais aussi à travers ses propres expériences, le conduisit à changer l’orientation de ses études en faveur de la géographie. Longtemps, il eut des difficultés à se décider entre ses deux mentors, August Boeckh et Carl Ritter, c’est-à-dire entre la philologie et la géographie. Son doctorat, qu’il dédicaça à Boeckh, portait encore sur un thème historico-philologique puisqu’il était consacré aux relations commerciales de la Corinthe antique [11], un sujet parfaitement adéquat pour ce fils de la cité commerciale de Hambourg. Mais avec beaucoup de ténacité, Ritter chercha à attirer Barth vers la géographie (Plewe 1965 : 251). Quatre ans plus tard, dans l’introduction de l’ouvrage consacré à son voyage en Afrique du Nord, Barth ne rendait plus hommage qu’à un seul maître : Ritter (Barth 1849 : xvi).

Intellectuellement Barth était un disciple de Ritter, pour lequel l’histoire naturelle et l’histoire de la civilisation ne constituaient pas encore des disciplines séparées. Pour Ritter, la configuration de l’environnement conditionnait le développement humain (Ritter 1822-1859, I : 414, VII : 176-177). Cela se traduisait ainsi dans sa vision de l’Afrique : ce grand continent peu structuré ne présentait, par son uniformité géographique, que peu de tensions dialectiques et ne disposait donc guère de potentiel de développement interne. Fils d’un marchand hambourgeois, Barth, tout comme Ritter, considérait le libre-échange et la communication comme de puissants facteurs de progrès. Bien plus tard, il remarqua à propos de la configuration géographique de l’Afrique, isolée du reste du monde par des océans et des déserts : « Cette absence presque totale de contact avec les éléments extérieurs, qu’ils soient hostiles ou amicaux… [explique] le retard de développement de plusieurs millénaires et l’affleurement des couches les plus anciennes » (Barth 1862 : 220).

En termes heuristiques Ritter et Barth avaient la même approche, qui privilégiait l’observation et la recherche de terrain, afin de pouvoir identifier les rapports entre les différents phénomènes et leurs évolutions. Le modèle le plus fameux était le grand voyage d’Alexander von Humboldt en Amérique du Sud (1799-1804). Bien que Barth s’intéressât davantage à l’histoire et à l’ethnographie que son illustre prédécesseur, il suivait sa méthode qui consistait, par l’observation exacte et l’induction réflexive, à mener une interprétation globalisante de la nature et de l’homme.

Après son doctorat, Heinrich Barth n’envisageait rien d’autre que la carrière universitaire, malgré les mises en garde de ses amis, notamment de Boeckh, qui attirait son attention sur les difficultés d’accéder à un poste de professeur titulaire. Mais ceci ne l’empêcha pas d’entreprendre son habilitation, la thèse d’État du système universitaire allemand. Cependant, on lui conseilla de laisser passer trois ans avant de soumettre ce travail et il en profita pour entamer un nouveau voyage, cette fois beaucoup plus ambitieux : un parcours à travers le Maghreb, l’Égypte, le Proche-Orient et la Turquie, longeant la Méditerranée et en faisant des crochets dans l’arrière-pays. Il sillonna des routes sûres et bien connues ; il fit entre autres une croisière sur le Nil jusqu’à Assouan (ce qui était déjà un voyage classique à l’époque), mais s’écarta également des sentiers battus. Ainsi, il visita Kairouan, la ville sainte qui n’avait encore jamais été bien décrite par un Européen. Dans le no man’s land entre la Libye et l’Égypte, il fut victime de bandits qui lui volèrent non seulement la majeure partie de son équipement, mais aussi son journal de route. Pour rédiger le récit de ce voyage après son retour (Barth 1849), il ne put alors s’appuyer que sur quelques notes éparses, ses lettres et surtout sur son infaillible mémoire. Ni cette perte, ni le fait d’avoir reçu deux balles dans la jambe, ne l’empêchèrent de continuer son voyage. La façon dont il minimisa cet incident laisse penser qu’il ne voulait pas inquiéter sa famille (Kirk-Greene 1962 : 4), mais témoignait aussi d’un caractère très déterminé et prêt à surmonter tout obstacle.

C’est ce voyage surtout qui le prépara pour le grand périple africain. Il y perfectionna sa manière de voyager et sa capacité à faire continuellement et simultanément des observations dans plusieurs disciplines. Avant tout, il se prépara minutieusement. Début 1845, il se rendit à Londres où, par le billet de correspondants de son père, il reçut des lettres de recommandation pour les consuls britanniques en Afrique du Nord et il rencontra le chevalier von Bunsen. Cet envoyé de la Prusse à Londres était lui-même un érudit, auteur de plusieurs ouvrages sur Rome et l’Égypte antique, et il facilita plus tard la participation de Barth à l’expédition africaine. Barth profita de son séjour à Londres non seulement pour établir ce type de contacts, mais aussi pour visiter de grands musées, et pour rafraîchir ses connaissances en arabe. Un petit Coran qu’il étudia régulièrement l’accompagna durant tout son voyage. Une fois sur la route, il ne négligea pas l’apprentissage des langues. Ainsi, il fit escale pendant un mois à Gaza pour se familiariser avec le dialecte syrien de l’arabe et apprendre un peu le turc. Il employa cette méthode plus tard en Afrique tropicale, chaque fois qu’il découvrait une nouvelle aire linguistique. Il voyageait plus ou moins seul, mis à part quelques serviteurs qu’il embauchait en cours de route et qui l’accompagnaient la plupart du temps. À l’occasion, il se joignait à des caravanes. Il s’habillait, se nourrissait et vivait exactement comme les gens autour de lui. Régulièrement il contactait les autorités, en particulier les puissants consuls de l’empire britannique et il entretenait une intense correspondance avec sa famille comme avec ses collègues de Berlin [12].

Son père finança généreusement le voyage qui dura près de trois ans à hauteur de 14 000 Thaler, soit environ 2 000 £ St. (Günther 1896 : 170, Kirk-Greene 1962 : 3). Il offrit notamment à son fils l’un des premiers daguerréotypes. Le voyage eut un effet positif sur Barth, qui « rentra vif, le corps endurci et l’esprit mûri » (Schubert 1897 : 23). Ses mérites lui valurent une solide réputation, ainsi que le respect de ses pairs à l’université de Berlin. Dès son retour à la fin de l’année 1847, il se mit à la rédaction du récit de son voyage. La révolution de mars 1848 et les bouleversements politiques le laissèrent de marbre et dès le mois d’octobre 1848, il présenta un volume de près de 600 pages sous le titre « Randonnées à travers le littoral punique et cyrénaïque ou Mâg’reb, Afrika et Barká [13] » comme thèse d’État. Celle-ci fut favorablement reçue par Boeckh et Ritter (Plewe 1963). C’est ainsi que Barth devint maître de conférence à l’âge de 28 ans et se mit à donner des cours à l’université de Berlin en géographie sur les sites célèbres de l’Antiquité et sur l’Afrique du Nord ainsi qu’en histoire sur les colonies grecques.

Mais le jeune privatdozent est bien vite déçu de ce que ses conférences ne fascinent que très peu d’étudiants et, exaspéré, il décida d’arrêter bientôt ses cours. Des raisons différentes ont été avancées pour expliquer cet échec. D’un côté, les temps étaient troublés et bien des étudiants avaient mieux à faire que de suivre des cours de géographie, une science qui n’était d’ailleurs pas encore fermement établie à l’université. Le fait que Barth ne fût pas professeur titulaire, mais privatdozent, et donc exclu des commissions d’examen, ne jouait certainement pas en sa faveur (Günther 1896 : 171, Essner 1985 : 77-78). Mais il semble aussi que la pédagogie n’ait pas été son fort. Il attendait beaucoup de ses élèves et ne savait pas très bien structurer sa matière. C’est d’ailleurs la critique que l’on avançait envers son récit de voyage :

En dépit de l’énorme matériel amassé dans ce livre, sa première publication a un caractère lacunaire et hâtif, cette manière de courir sans répit de lieu en lieu, et en même temps cette méticulosité incessante empêchent le vrai plaisir de la lecture (Koner 1866 : 10).

Le contexte du grand voyage

Quoi qu’il en soit, la possibilité de se joindre à une expédition britannique en Afrique centrale tomba à point nommé. Le missionnaire James Richardson, un fervent abolitionniste qui avait déjà entamé un voyage au Sahara en 1845 et 1846 (Richardson 1848), avait obtenu l’engagement financier du gouvernement britannique pour une nouvelle expédition en Afrique et en avait parlé à son ami August Petermann, le fameux cartographe allemand qui, à l’époque, travaillait à Londres comme rédacteur géographique de l’hebdomadaire Athenaeum. Richardson, qui n’avait aucune formation scientifique, cherchait à être accompagné par un expert, qui devait surtout assumer les observations géographiques. Petermann suggéra qu’un scientifique allemand puisse se joindre à l’expédition et avertit le chevalier von Bunsen, envoyé par la Prusse. Celui-ci obtint auprès du ministre britannique des Affaires étrangères, Lord Palmerston, la permission de chercher un universitaire allemand, à condition que celui-ci contribuât à hauteur de 150 à 200 £ St. aux frais du voyage (Ritter 1851 : 84). À l’automne 1849, von Bunsen écrivit à Carl Ritter pour qu’il recommandât quelqu’un. Immédiatement, celui-ci songea à Barth, son meilleur élève et ami, et mit en avant ses connaissances en arabe et les expériences qu’il avait acquises au cours de son précédent périple en Afrique du Nord et au Proche-Orient (Prothero 1958 : 327-328, Gumprecht 1855 : 68).

La réponse positive de Barth fut probablement moins enthousiaste et impulsive qu’on n’aurait pu s’y attendre : elle semblait au contraire avoir été mûrement réfléchie et intensément négociée avec le ministère de la Culture de Prusse, afin d’assurer sa carrière académique dans l’avenir. Barth exigea, aussi pour dissiper les soucis de son père, un engagement formel du ministère lui garantissant, après son retour, un poste de professeur titulaire à l’université de Berlin. Grâce au soutien de Ritter et de von Bunsen, on lui laissa finalement entrevoir un « poste convenable dans la fonction publique [14] ».

Toutefois, les inquiétudes du père quant aux risques d’un tel voyage prévalurent au début et Barth retira son accord. À sa place, Adolf Overweg, un géologue, fut engagé et soutenu par un financement de 1 000 Thaler de la Société de géographie de Berlin. Cependant le gouvernement britannique insista sur la participation de Barth qui, finalement, parvint à convaincre son père de changer d’avis. C’est ainsi qu’en fin de compte, deux universitaires allemands participèrent à l’expédition britannique. Le voyage était d’abord conçu comme mission diplomatique afin de conclure des traités de libre commerce avec des souverains à l’intérieur de l’Afrique. Les participants allemands étaient responsables du volet scientifique du voyage. Les accords passés avec eux à Londres, réglant leur statut, leur laissaient à priori des libertés considérables. Ils n’avaient pas le statut d’employé du gouvernement britannique [15]. Mais le déroulement du voyage, au cours duquel tous ses compagnons ont trouvé la mort, Barth seul leur survivant, imposa nombre de contraintes et d’obligations envers le gouvernement et le public britannique dont Barth ne prit conscience que bien plus tard. En dehors de son rôle scientifique, il assuma vite une fonction diplomatique, qui semblait lui convenir. Dans ses contacts avec les souverains africains, il se présenta comme le représentant du gouvernement de sa Majesté et il conclut des traités commerciaux avec le Bornou, Gwandu et Sokoto [16].

On ne s’étalera pas ici sur les détails de ce long voyage, qui durera de mars 1850 à août 1855 et qui est bien décrit ailleurs. Il importe toutefois de mentionner deux aspects qui éclairent la personnalité de Barth et qui marqueront sa vie après son retour. Tout d’abord, dès son arrivée en Afrique, il débuta une intense correspondance, par le biais du consul britannique résidant à Tripoli. Outre à sa famille, il envoya des lettres aux collègues et amis de l’université de Berlin : Ritter, Humboldt, Lichtenstein, Ehrenberg, Rüppel, Lepsius, Peters, Rarthey, Gumprecht, etc. En Angleterre, il écrivit principalement à Bunsen, Petermann et Beke. Ces derniers se chargèrent de publier ses lettres pour informer le public des progrès de l’expédition. En Allemagne, ce sont surtout Ritter et Gumprecht qui s’occupèrent de la publication des lettres.

Barth n’était pas particulièrement de nature à se mettre en avant [17], mais en dépit de son amour de la liberté et de son apparente autonomie, il éprouvait un grand désir de reconnaissance. Il fut notamment très sensible au jugement des personnes qu’il aimait et qu’il respectait. Ainsi, dans une lettre à son ami Ehrenberg, envoyée de Kuka le 15 août 1851, il se plaignit avec amertume du « silence incompréhensible de personnes que j’estime et que j’ai presque couvertes de lettres […] sans qu’une seule fois on m’ait rendu hommage » (publié dans Gumprecht 1852 : 364). Ritter fut celui qui lui adressa le plus de lettres, habilement tournées pour l’assurer du soutien et de l’admiration des milieux scientifiques et politiques [18]. Durant le voyage de Barth à Tombouctou, la communication se fit difficile et plus aucune lettre de Barth n’arriva en Europe durant plus de deux ans. Quand la rumeur de sa mort se répandit en Europe, Gumprecht, spécialiste de l’Afrique auprès de la Société de géographie de Berlin, publia une première nécrologie (Gumprecht 1855), ce que Barth ne lui pardonnera jamais.

Le deuxième point concerne le financement de l’expédition. Sur la route Barth rencontra à maintes reprises de sérieux problèmes financiers. Certes, le voyage était très peu coûteux au vu de sa durée et des distances parcourues. Bien qu’il restât encore quelques questions à élucider concernant les fonds dépensés, le budget ne semblait pas avoir excédé 2 000 £ St., financé au deux tiers par le Foreign Office (le ministère des Affaires étrangères britannique), et au dernier tiers par des sources allemandes [19]. Outre la contribution du père de Barth y étaient inclues des donations du roi de Prusse, du prince héritier Albert, de la Société de géographie de Berlin, de la Société des sciences naturelles de Königsberg ainsi que des donations de divers commanditaires privés. Les Allemands intéressés cherchaient à assurer l’indépendance de leur compatriote envers le Foreign Office qui n’avait, d’après eux, que des intérêts mercantiles et non scientifiques (lettre de Ritter dans Plewe 1965 : 262). Dans ce contexte, de premières irritations apparurent du côté britannique, où l’on craignait que l’expédition ne fût accaparée par les Allemands et leur nationalisme grandissant. Il est cependant clair que le fait de voyager sous le drapeau de la nation la plus puissante de l’époque contribua fondamentalement au succès de Barth. Non seulement, il profita au Bornou et au Sokoto des contacts que ses prédécesseurs Denham et Clapperton avaient noués avec les souverains de ces pays, mais il pouvait également compter sur l’infrastructure britannique pour la communication, l’échange de lettres et l’envoi de moyens financiers. Le vice-consul britannique à Tripoli et ses excellents contacts avec les négociants du commerce transsaharien lui furent particulièrement utiles [20].

Début septembre 1855 Barth rentra d’Afrique en passant d’abord par Londres. L’accueil qui lui fut réservé en Angleterre comme en Allemagne fut triomphal. Il fut, entre autres, nommé docteur à titre honorifique par les universités d’Oxford et de Iéna. Il se vit remettre des médailles d’or des sociétés géographiques de Londres et de Paris et devint membre d’honneur de différentes sociétés scientifiques allemandes et internationales. Le roi de Prusse le décora et l’invita à déjeuner. Hambourg, sa ville natale, la ville de Weimar, le Wurtemberg et la Sardaigne le décorèrent également.

Cependant on sentit assez vite que Barth avait des difficultés à se réadapter à la vie européenne. D’après son beau-frère, il avait adopté

[...] le comportement sérieux, digne, réservé, fier et presque orgueilleux des fils du désert [...]. Plus inquiétant, il est aussi devenu extrêmement méfiant et se tient toujours sur le qui-vive envers son entourage. Il voit partout des mauvaises intentions ou des complots contre lui. En ce qui concerne la vie culturelle européenne, il doit complètement s’y réhabituer (Schubert 1897 : 82-83).

C’est un fait que certains tirèrent profit de sa gloire et de ses exploits scientifiques. Ainsi le voyage de Barth, accompagné des excellentes cartes réalisées par Petermann, faisait la une des Petermanns Mittheilungen, une revue géographique qui venait d’être fondée à Gotha et dut en partie son rapide succès à la couverture du voyage de Barth. La revue devint en effet la publication de référence pour un public qui, en Allemagne comme dans le reste de l’Europe, s’enthousiasmait de plus en plus pour les voyages d’exploration (Demhardt 2000 : 22-23).

Cependant, sa difficulté à se repérer dans le monde conservateur et bourgeois de l’Europe lui causa bien des ennuis et des malentendus. En Afrique, le personnage de Barth n’avait pas de semblable et il avait négocié directement avec des souverains. Mais, en Europe, les choses étaient différentes et le ton très direct qu’il adoptait parfois vis-à-vis de personnes haut placées n’était pas toujours approprié (Schiffers 1967 : 51 ; voir Kirk-Greene 1970 : 23-24). Arrivé à Berlin, il s’offusqua du fait que ses lettres avaient été éditées et publiées sans son autorisation dans le journal de la Société de géographie de Berlin [21] et il fut profondément blessé par la nécrologie prématurée publiée dans le même journal. Ce n’est qu’après s’être fait prier pendant de longues années qu’il consentit finalement à y collaborer de nouveau [22].

Barth avait espéré obtenir un poste de professeur de géographie à Berlin. Ritter avait tout fait pour qu’il lui succédât et Humboldt le considérait comme un « magnifique atout pour l’éclat de notre université ». Le roi lui-même pensait que Barth représenterait une « acquisition brillante » pour l’université de Berlin. Mais Barth finit par décevoir ses amis et protecteurs. Tandis que ceux-ci recherchaient des appuis pour lui obtenir un poste à Berlin, le chevalier von Bunsen, rentré de son poste diplomatique à Londres, préconisa une autre stratégie et finit par convaincre Barth. Bunsen voulait à tout prix que Barth se rendît à Londres. Il avança des arguments d’ordre financier, stratégique et personnel : en tant que professeur en poste en Prusse, Barth perdrait toute la sympathie du public britannique et aussi la rémunération considérable qu’on lui avait laissé entrevoir. En outre, il ne trouverait guère le temps, en occupant un tel poste, d’achever la publication de son récit de voyage. L’argument qui l’emporta fut probablement celui de la liberté : « Donc restez libre, la liberté est le bien le plus cher. Berlin ne vous échappera pas et le poste de professeur non plus. Toute autre chose pourra se dérober facilement » (lettre de Bunsen à Barth du 2 novembre 1855 dans Schubert 1897 : 100).

Londres

En novembre 1855, Barth arriva donc à Londres, où il loua une petite maison. Il y resta près de trois ans. Bien qu’il vécût assez retiré, travaillant quasiment du matin au soir à la rédaction de son récit de voyage, il garda le contact avec les chercheurs et explorateurs en Afrique. À Londres, il devint l’interlocuteur estimé de personnalités comme Francis Galton, Balfour Baikie, Richard Burton, David Livingstone et Desborough Cooley. Ce dernier aida Barth aux corrections du manuscrit anglais. Déjà en mai 1857, les trois premiers volumes de l’édition de Travels and discoveries in North and Central Africa : Being a journal of an expedition, undertaken under the auspices of H. B. M’s government in the years 1849-1855 furent publiés. Peu après parut l’édition allemande : il la rédigea plus ou moins parallèlement sans que leur contenu fût exactement le même (Spittler 2006). Une année plus tard, les deux derniers volumes furent publiés en anglais et en allemand.

Bien que la rédaction et la publication du récit de voyage progressassent bien, Barth regretta bientôt d’avoir suivi le conseil de Bunsen de s’installer à Londres. Il se heurta à l’essor des nationalismes européens du milieu du XIXe siècle. Le fait qu’un Allemand ait emporté les lauriers d’une expédition britannique irrita une partie de l’opinion en Grande-Bretagne où des personnalités importantes tentèrent de discréditer Barth. Ces sentiments anti-allemands, exprimés à son retour, étaient déjà présents dans la presse pendant l’expédition [23].

L’hostilité de la presse était suscitée par des membres de la Société de géographie de Londres, Royal Geographical Society (RGS), scandalisés que les lettres de Barth aient été publiées d’abord en Allemagne, avant même que la société puisse en prendre connaissance. Étant une des premières sociétés scientifiques du monde, la RGS s’attendait à certains privilèges de la part de l’expédition britannique – bien qu’elle n’ait pas participé à son financement. Le contrat que Barth avait passé avec le Foreign Office ne l’engageait cependant à envoyer des rapports qu’à ce dernier [24]. Très vite froissé, Barth déclina brusquement l’invitation honorifique de la RGS, qui voulait lui remettre sa médaille d’or et l’invitait à faire une présentation sur son voyage (Prothero 1958 : 335). Il n’accepta la médaille qu’en 1856 et ce n’est qu’à ce moment-là qu’il tiendra son discours devant la société (Barth 1858).

Un autre front s’ouvrit avec la puissante British and Foreign Anti-Slavery Society qui reprocha à Barth son immoralité : on l’accusait en effet de s’être joint à une razzia d’esclaves de l’armée du Bornou (Barth 1857-1858, I : xxvii-xxix) et d’avoir été lui-même mêlé à la traite en ramenant en Europe deux esclaves comme serviteurs. Il s’agissait de Dorogu et Abbega, deux jeunes esclaves affranchis, que Barth avait emmenés en Angleterre dans l’idée de les faire éduquer de manière chrétienne et de les envoyer ensuite comme missionnaires dans le pays haoussa. Scandalisé par ces accusations, Barth insista pour que les deux adolescents fussent rémunérés et s’empressa de les renvoyer sans délai. Il organisa leur retour, mais le jour du départ, ils disparurent du bateau qui était censés les ramener à Tripoli pour rejoindre le révérend J. F. Schön, un pionnier dans l’étude du haoussa (Kirk-Greene & Newman 1971 : 8-10) [25]. Barth crut à un enlèvement orchestré par le Foreign Office et commenta ce nouvel affront avec amertume : « Les deux m’ont été enlevés avec perfidie et violence [26]. »

Un conflit bien plus grave s’engagea un peu plus tard avec le Foreign Office et les relations avec le commanditaire de l’expédition se détériorèrent rapidement au cours de l’année 1857. À Tombouctou comme dans les autres étapes de son voyage, Barth s’était présenté comme représentant du gouvernement britannique et il avait invité son hôte, al-Bakay, chef politico-religieux de la ville, à envoyer une délégation à Londres pour nouer des contacts diplomatiques et commerciaux. En encourageant ce genre de démarches, Barth se sentait investi d’une mission civilisatrice. Ayant vu de ses propres yeux les terribles conséquences des razzias esclavagistes, il préconisait le commerce libre et légitime pour remplacer la traite. Il était moins question pour lui de promouvoir les intérêts commerciaux du Royaume-Uni (bien que sur ce point les ambitions de Barth et celles du Foreign Office fussent convergentes) que de se faire l’avocat d’un développement à travers le commerce qui conduirait à un traitement plus humain l’un envers l’autre parmi les populations africaines (Marx 1988 : 15). À l’occasion de la remise de la médaille d’or de la Royal Geographical Society en 1856, il exposa ainsi son point de vue :

Her Majesty’s Government will not allow the opportunity to pass by, to establish, in a vigorous manner, legitimate commerce with those unfortunate regions, and thus hold out to the natives a humane and lawful way in which they may be able to supply their wants for foreign produce, without bringing, by slave-hunts and slave-trade, misery and desolation over wide and fertile districts (Barth 1858 : clxix).

Cependant la politique anglaise n’était plus intéressée par le Sahara et le Sahel. Les rapports de force en Europe avaient évolué pendant que Barth voyageait en Afrique. Le Foreign Office avait un nouveau chef, Lord Clarendon, qui avait remplacé Lord Palmerston, et la concurrence mondiale entre le Royaume-Uni et la France avait fait place, provisoirement, à l’alliance des deux puissances européennes lors de la guerre de Crimée (1854-1855). Une alliance que le gouvernement britannique ne comptait pas mettre en péril en s’infiltrant ouvertement dans l’aire d’influence française. Les Français s’étaient fermement établis au Sénégal et en Algérie, et ils cherchaient à s’étendre vers l’intérieur. Nouer des contacts avec Tombouctou aurait tôt ou tard mené à des incidents diplomatiques sérieux (Boahen 1964 : 226-230). La région avait en outre cessé d’avoir un quelconque intérêt commercial aux yeux du gouvernement britannique. Les quatre caisses de marchandises que le Shehu du Bornou avait envoyées en cadeau à la reine d’Angleterre en 1853, sur l’initiative de Barth, ne furent jamais déballées (Schubert 1897 : 133, Kirk-Greene 1970 : 15, n. 3). D’autre part, le voyage de Livingstone réorienta l’intérêt du grand public vers l’Afrique du Sud, un phénomène dont Barth lui-même tint compte en cartographiant dans son livre non seulement son propre itinéraire mais aussi celui de son illustre collègue [27].

En avril 1857, Barth réussit à persuader Lord Clarendon d’envoyer des messages d’amitié aux souverains du Bornou, du Sokoto ainsi qu’à al-Bakay à Tombouctou. Cependant, quand une délégation envoyée par ce dernier se présenta soudainement en juin 1857 auprès du consul britannique de Tripoli pour se rendre à Londres, le Foreign Office se trouva bien embarrassé et, après quelques hésitations, finit par la renvoyer sous de faux prétextes. Plus idéaliste que réaliste, Barth n’avait pas saisi le changement fondamental dans la politique du Royaume-Uni : il interpréta donc cet épisode comme une traîtrise et se mit très en colère lorsqu’il reçut une lettre d’al-Bakary indigné par le traitement infligé à sa délégation. Il se sentit discrédité, ayant manqué à la parole donnée. En 1861, Barth écrivait encore avec rancœur à son beau-frère que « les Anglais dans leur hypocrisie de missionnaires ont traîné dans la boue ce que je leur avais offert les bras ouverts [28] ». Barth était devenu gênant pour le Foreign Office, où on considérait qu’il avait outrepassé ses compétences en offrant à ses amis de Tombouctou l’aide militaire de la Grande-Bretagne contre les Français [29]. On le soupçonnait même d’avoir trouvé et détourné les papiers du major Laing assassiné en 1826 à son retour de Tombouctou. De son côté, Barth refusa de divulguer au Foreign Office le contenu de lettres privées envoyées d’Afrique par Eduard Vogel et exigea de Lord Clarendon la publication des instructions officielles concernant son voyage. Il souhaitait ainsi clarifier son statut auprès de l’opinion et démontrer qu’il n’avait aucun ordre à recevoir du gouvernement. Le ministre des Affaires étrangères refusa évidemment d’accéder à sa demande (Kirk-Greene 1962 : 35-36).

Sur le plan sentimental, les années londoniennes ne furent guère plus réussies que sur le plan diplomatique. Barth s’y rendit avec l’idée de se marier et chercha une « camarade qui pourrait, si j’ai la chance de bien choisir, épanouir toute ma vie. Je brûle d’envie d’un échange de cœurs... » (lettre à Schubert vers 1856 dans Schubert 1897 : 104). Mais, à en croire son beau-frère, il n’était pas prêt à ralentir son rythme de travail pour consacrer plus de temps à la recherche d’une compagne. Il ne s’est donc jamais marié et nous ne savons rien de ses relations amoureuses. Italiaander (1967 : 283) suggère un penchant homosexuel, en constatant l’enthousiasme parfois débordant de Barth envers des hommes tandis qu’il semblait gauche et mal à l’aise dans ses écrits sur les femmes.

Le séjour à Londres devenant de plus en plus insupportable, l’identité allemande de Barth refit surface. La politique ne l’avait jamais beaucoup intéressé et la révolution de 1848 l’avait laissé de marbre. Comme bien des citoyens de sa ville natale, il était anglophile ; en Angleterre, il se faisait appeler « Henry » et le premier journal de son grand voyage portait le nom arabe « Abd el-Kerim Barth el Inglis » (Barth l’Anglais, serviteur du Miséricordieux). Mais le sentiment d’injustice et d’ingratitude affecta cette disposition d’esprit. Il se mit à comparer sa situation personnelle à celle de son pays natal sur l’échiquier politique européen et, dans des moments de frustration, il éprouvait des difficultés à mettre un frein à ses « bouillonnements patriotiques » (Schubert 1897 : 136). Ce n’est pas un hasard si l’édition allemande de son récit de voyage se termine ainsi : « [...] j’espère que cette heureuse exploration de l’intérieur de l’Afrique sera toujours reconnue comme un exploit glorieux du génie allemand » (Barth 1857-1858, V : 454). Mais ce genre de propos reste relativement rare. Dans le fond, Barth n’était pas un nationaliste étroit et ses idées politiques le rapprochaient plutôt des citoyens du monde tels que Goethe ou Humboldt.

Vers la fin de sa vie, la rancune de Barth envers l’Angleterre s’adoucit. Si les relations avec le Foreign Office furent pratiquement rompues en 1857, Barth garda toujours des puissants protecteurs au sein de l’establishment britannique. En 1862, son ami Sir Francis Galton devint secrétaire général de la Royal Géographical Society et le nouveau ministre des Affaires étrangères, Lord John Russel invita Barth à Londres pour lui remettre l’ordre de Bath, une des plus hautes décorations du Royaume-Uni, qui, toutefois, lui avait été déjà promise en 1855. S’il avait chéri, au début de son séjour de Londres, l’espoir d’entreprendre d’autres voyages au service de sa Majesté pour « aider les Anglais à ouvrir les contrées éloignées à la communication avec l’Europe [30] » et de faire de sa passion du voyage une profession, ce n’était plus guère envisageable après sa querelle avec le Foreign Office. Il lui fallut donc s’orienter différemment.

Les dernières années

Peu après avoir publié les deux derniers volumes de son récit de voyage en mai 1858, il s’embarqua pour sa ville natale de Hambourg et continua jusqu’en Turquie pour un voyage d’études. Dans cette phase de sa vie, la carrière universitaire était devenue une option parmi d’autres. Ainsi, il envisagea de prendre un poste diplomatique au Proche-Orient, mais cette option échoua notamment à cause des attentes pécuniaires de Barth (Schubert 1897:139, 143). À Berlin, Ritter essaya cependant de préparer le terrain pour lui trouver un poste à l’université. Barth ne put s’installer à Berlin début 1859 que grâce à l’engagement du roi de Prusse, Friedrich Wilhelm IV, de renouveler le salaire annuel qui lui était jusque-là versé à Londres, et ce afin d’attirer le grand explorateur dans sa capitale. Barth y reprit ses contacts et sa vaste correspondance avec le monde scientifique mais, à part l’apanage offert par le roi , renouvelable chaque année, aucune perspective concrète ne s’ouvrit à lui. Le ministère de la Culture de Prusse feignit d’oublier les engagements pris avant le grand voyage et le fit patienter d’année en année. L’enthousiasme du public pour ses exploits en Afrique avait tiédi pendant ses années passées à Londres. Au niveau politique, le roi Friedrich Wilhelm IV, admirateur de Barth, avait subi plusieurs attaques d’apoplexie. Son frère, Wilhelm I, devint régent jusqu’à sa mort en 1861 et hérita alors d’une administration paralysée par l’intérim. Cet état de fait contribua à renforcer la frustration de Barth, qui vit en outre trois de ses protecteurs disparaître ; entre 1859 et 1860 moururent Humboldt, Ritter et Bunsen. Sa déception fut à son comble lorsque l’espoir de succéder à Ritter s’évanouit (on lui préféra son concurrent Heinrich Kiepert [31]) et que l’Académie des sciences de Berlin refusa de le nommer membre régulier.

Ce n’est qu’en 1863 que Barth se vit offrir un poste de maître de conférences extraordinaire (Extraordinarius) à Berlin, au moment où l’université de Iéna lui proposait un poste de professeur et seulement après l’intervention du nouveau ministre de la Culture. Il lui avait fallu attendre huit ans après son retour d’Afrique pour atteindre son but et il ne put jouir de cette position que deux ans avant sa mort. Outre un contexte général défavorable, Barth avait des défauts qui constituaient autant d’obstacles à sa carrière universitaire : un grand manque de diplomatie, des manières brusques confinant à la rudesse et sans égard pour le statut social de ses interlocuteurs, ainsi qu’une sensibilité et une susceptibilité exacerbées [32].

Cela ne veut pas dire que Barth était isolé à Berlin. Au contraire, il s’engagea intensément pour la recherche africaine et, ayant fait l’expérience du manque de financement, il milita sans cesse pour un meilleur encadrement institutionnel des voyageurs en Afrique. En 1863, il fut nommé président de la Société de géographie de Berlin, qu’il contribua à transformer en une véritable société scientifique (Lenz 1978 : 17). En outre il créa la fondation Carl Ritter, qui collectait des fonds pour des expéditions et à laquelle il contribua lui-même pour d’importants montants. Il fut ainsi plus ou moins directement engagé dans la réalisation des expéditions de Theodor von Heuglin, Karl Moritz von Beurmann, Karl Klaus von Decken, Gerhard Rohlfs et Georg Schweinfurth. Les voyages des deux premiers étaient destinés à élucider le sort de Eduard Vogel, assassiné au Ouadaï en 1855, mais dont le sort ne put être éclairci que bien plus tard par Gustav Nachtigal. Si Barth était en Allemagne au cœur de la recherche africaniste, il fut également un interlocuteur recherché à l’étranger et correspondit avec des explorateurs comme David Livingstone, Richard Burton, William Baikie en Angleterre, Eugène Mage et Henri Duveyrier [33] en France et Paul Du Chaillu aux États-Unis.

Dans le même temps, il retourna à son ancienne passion et reprit ses voyages vers le bassin méditerranéen et découvre son gout pour l’alpinisme. Peu après avoir quitté Londres en 1858, il visita le nord de la Turquie [34]. En 1861, c’est l’Espagne, où il gravit certains sommets des Pyrénées. Ensuite, les voyages s’enchaînèrent chaque année : en 1862 en Hongrie, dans les Balkans et la Grèce avec la première ascension de l’Olympe [35], en 1863 dans les Alpes, en 1864 en Italie avec l’ascension du Gran Sasso et en 1865 en Macédoine, en Albanie et au Monténégro. Peu après le retour de ce dernier voyage, il décéda le 25 novembre 1865 à l’âge de 44 ans après une courte maladie. Selon le fameux pathologiste Rudolf Virchow, présent lors de l’autopsie, une inflammation avait causé une perforation gastrique. Son décès interrompit la rédaction de son lexique de langues centre-africaines. Les deux premières parties de cette œuvre, à laquelle il avait consacré beaucoup de temps vers la fin de sa vie, avaient été publiées en 1862 et 1863, et la troisième parut de manière posthume en 1866 [36].

Conclusion

Barth n’a pas toujours adopté la meilleure stratégie pour sa carrière professionnelle : il était trop franc pour être diplomate et il aimait trop sa liberté pour être obséquieux. Sa franchise confinait à la brusquerie et son sens rigide du devoir suscitèrent souvent l’incompréhension de ses contemporains. Finalement, l’élément marquant de cette vie de chercheur reste avant tout le grand périple africain. On se demande toutefois comment il a pu aller aussi loin en Afrique avec son manque de souplesse et de diplomatie.

Un des secrets de son succès réside sans doute dans les amitiés qu’il a su tisser avec des Africains et qui constituent un exemple rare dans les relations entre Européens et Africains au XIXe siècle : on peut ainsi mentionner son amitié intellectuelle avec al-Hajj Bashir, vizir du Bornou, sa relation à son serviteur Mohammed al-Gatroni ou simplement la sympathie pour nombre d’Africains rencontrés en route (Kirk-Greene 1962 : 24-25). Curtin (1964 : 381) voyait sans doute juste en affirmant que, de tous les voyageurs africains, Barth était celui qui avait le moins de préjugés et qui était le moins limité par sa culture. Cette disposition était accrue par sa connaissance des langues de ses interlocuteurs africains et sa capacité à communiquer avec eux sans interprète.

Son caractère s’endurcit sans doute davantage après le choc culturel du retour dans l’univers rigide et compassé de l’Europe. Quand il commença son voyage à l’âge de 28 ans, Barth était probablement plus accommodant. Par ailleurs, Barth semblait être un autre homme dès qu’il voyageait et c’est dans ce contexte qu’il noua des liens avec de nombreux Africains. Ce n’est qu’en voyageant qu’il pouvait éviter les engagements et obligations à long terme qui auraient entravé son amour de la liberté et de l’autonomie.

En Europe, Barth était « assis entre deux chaises » tant du point de vue académique entre histoire ancienne et géographie, qu’au niveau identitaire entre identités hambourgeoise, prussienne et anglaise. Ni les Anglais ni les Allemands ne pouvaient revendiquer entièrement ses exploits scientifiques pour leur nation. Il était le premier de sa famille à avoir joui d’une éducation universitaire. Solitaire et non conformiste, voire parfois marginal, il était moins bien intégré à la société que d’autres. C’est d’ailleurs bien souvent ce type de personnalités originales qui sont capables de porter un regard plus libre sur l’autre, un constat qui a été fait concernant la biographie d’ethnologues connus (Stagl 1974 : 84).

En plus de ces dispositions, il avait reçu une excellente formation, dans une des meilleures universités de son temps et s’était imprégné de l’ouverture d’esprit de Humboldt et de Ritter, ce qui l’aidait à poser les bonnes questions. À une époque où l’Afrique subsaharienne était encore perçue comme un continent sans histoire, il fut le premier à ouvrir la perspective historique. Il décrivit toujours les contrées visitées en ayant recours à l’histoire et il fut le premier à attirer l’attention de l’Europe sur les sources écrites, telles que les grandes chroniques de l’Afrique de l’Ouest. C’est surtout dans ce sens que, pour reprendre une expression d’Humboldt, « il nous a déverrouillé une partie du monde [37] ».

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[1Publié dans une version abrégée dans : Mamadou Diawara, Paulo F. de Moraes Farias et Gerd Spittler (éd.), Heinrich Barth et l’Afrique, Köln, Rüdiger Köppe Verlag, 2006, p. 39-53. Je remercie Hélène Ivanoff pour la révision de ce texte.

[2Müller, 2 tirages, 1954-1955, Keienburg, 5 tirages, 1961-1966 et Genschorek, 2 tirages, 1982-1983.

[3Schubert 1897 : 40. Traduction par Richard Kuba tout comme les autres citations allemandes de cet article. Les citations en anglais ont été conservées en l’état. En ce qui concerne le récit de voyage de Barth nous avons eu recours à l’édition allemande en cinq volumes de 1857-1858, à laquelle nous faisons référence. L’édition française en quatre volumes, traduite par Paul Ithier et publiée à Paris par A. Bohné en 1860-1861 sous le titre Voyages et découvertes dans l’Afrique septentrionale et centrale pendant les années 1849 à 1855 a fait l’objet de sévères critiques lui reprochant ses lacunes et ses nombreuses erreurs (Koner 1866 : 29  ; Schubert 1897 : 66  ; Kirk-Greene 1962 : 47). Pour une réhabilitation partielle de l’édition française voir cependant Ricard et Spittler 2006.

[4Schubert 1897. Concernant la remise des papiers de Barth voir von Oppen 2006 ainsi que Schiffers 1967b. Italiaander (1970) a publié un certain nombre de lettres privées de la correspondance de Barth.

[5Voir notamment Kirk-Greene 1962  ; Schiffers 1967a et Italiaander 1967.

[6Lettre à son père en date du 20 mai 1843 citée dans Italiaander 1970 : 52.

[7Article publié le 29 novembre 1865 par un de ses camarades de lycée dans la Berlinische Zeitung (cité par Italiaander 1967 : 286-288). Plusieurs contemporains de Barth ont constaté son manque d’humour. Kirk-Greene (1962 : 55) écrit à ce propos : «  Barth is often accused of being the stereotype Prussian without a sense of humour.  » Néanmoins Kirk-Greene apporte quelque nuance à ce constat en s’appuyant sur les écrits du voyageur : «  [...] although Barth seldom raises a laugh [...] he can frequently be amusing. One of his readiest skills in this context is the typical English use of ironical understatement, which he uses frequently and effectively. Another is his willingness to tell tales against himself  ».

[8Lettre de Barth à son père du 20 mai 1843 dans Italiaander 1970 : 51-56.

[9Schubert 1897 : 105. Cf. Barth 1857-1858, II :100 ainsi que Spittler 1996 : 245.

[10Lettre de Barth à sa famille du 11 août 1842 lors d’un voyage en Allemagne, dans Italiaander 1970 : 49.

[11Sa thèse, rédigée en latin, a été rééditée en 2002 par l’Institut Heinrich Barth à Cologne avec une traduction allemande et anglaise (Barth 2002). Barth est promu docteur le 28 juillet 1844.

[12Sur la méthode de voyage de Barth voir Kirk-Greene 1962 ainsi que Spittler 2008.

[13Barth 1849. Le départ pour le grand voyage africain fin 1849 empêcha la rédaction du deuxième volume. De courtes descriptions de la deuxième partie du voyage ont été publiées dans les Monatsberichte über die Verhandlungen der Gesellschaft für Erdkunde zu Berlin N.F. 6 (1850) et la Zeitschrift für allgemeine Erdkunde VII (1859).

[14Engelmann 1967 : 111-113, Schiffers 1967a : 8. Selon Essner (1985 : 95), Barth n’aurait pas eu de véritable intérêt pour l’Afrique, mais le voyage aurait été une stratégie pour faire carrière à l’université. Cette interprétation est fermement rejetée par Marx (1988 : 13).

[15Voir les instructions de Lord Palmerston à Richardson (Schubert 1897 : 41-42) et le contrat qui régit les relations entre les trois voyageurs (Schubert 1897 : 34-35, Kirk-Greene 1962 : 8). Cf. aussi Boahen 1964 : 132-139. Pour les dépêches que le Foreign Office envoie à Barth en Afrique voir Schubert 1897 : 69-74.

[16D’après Kirk-Greene 1962 : 38 n. 137 : «  The treaties are to be found in State Papers, vol. 63, 1872-1873, p. 851 ff, and in Treaties and Conventions, L. Herslet, 1894, vol. X (Africa), p. 702 (Treaty with Bornu), p. 704 (Treaties with Sokoto and Gwandu), and p. 707 (‘Engagement of the Chef of Timbuctoo’)  ».

[17C’est bien ce qu’il critiqua plus tard à propos de Petermann (lettre de Barth à son gendre du 10 décembre 1861 dans Schubert 1897 : 167-168. Cf. aussi Italiaander 1967 : 362).

[18Marx 1988 : 9, n. 25  ; Plewe 1965 : 247, 251 et lettre de Ritter, ibid. : 252-254, 257-259.

[19Les 10 000 Thaler, soit quelque 1 500 £ St. avancés par Barth (Barth 1857-1858, V : 453) semblent un chiffre légèrement trop bas. Mais il est certain que le montant de 5 280 £ St. (Prothero 1958 : 335, Kirk-Greene 1962 : 25-28) que Barth toucha après son retour de la part du Foreign Office comme récompense pour l’édition de son récit de voyage était bien plus important que le budget du voyage lui-même.

[20Boahen 1964 : 209-210  ; Prothero 1958 : 326-327. Cf. aussi Plewe 1965 : 254. Un exemple d’appropriation du voyage par les nationalistes pendant le Kaiserreich est donné dans Löwenberg (1875 : 96) «  l’expédition est, [...] en fonction des moyens intellectuels et matériels, qui ont été mis à sa disposition, mais encore plus par rapport à son déroulement une expédition allemande  » (souligné par Löwenberg).

[21Monatsberichte über die Verhandlungen der Gesellschaft für Erdkunde zu Berlin, Neue Folge 8 (1851), p. 81-132  ; 9 (1852), p. 189-325, 326-396 et Zeitschrift für allgemeine Erdkunde 1 (1853), p. 77-80, 194-214, 319-321  ; 2 (1854), p. 313-363  ; 4 (1855), p. 400-414.

[22Koner 1866 : 10. Il s’agit d’un article qui rend compte d’une partie du grand voyage méditerranéen de Barth : «  Reise von Assuan über Berenike nach Kosser im October und November 1846  », Zeitschrift für allgemeine Erdkunde 7 (1859), p. 1-31.

[23Voir à ce propos la lettre de Ritter à Barth du 5 janvier 1852 dans Plewe 1965:265, ainsi que Schubert 1897 : 88 et Kirk-Greene 1962 : 30, 67.

[24Schubert 1879 : 34, Kirk-Greene 1962 : 29-30. De son côté, Ritter déplore que ces rapports ne soient connus en Allemagne que sous formes d’extraits (lettre de Ritter à Barth du 23 décembre 1851 dans Plewe 1965 : 259) tandis que le journal de la RGS (vol. 21, 1851 : 130-221) en publie un entier en anglais (lettre de Ritter à Barth du 5 janvier 1852 dans Plewe 1965 : 265).

[25En 1911, Leo Frobenius rencontra l’octogénaire Buxton Abegga à Lokoja, au Nigéria, et fait faire un portrait de lui qui se trouve actuellement aux archives de l’Institut Frobenius à Francfort (EBA-B 00526).

[26Barth 1862 : xvii. Cf. aussi Schubert (1897 : 108). Pour la version de Schön, qui met en avant une libre décision des deux garçons, voir son Dictionary of the Hausa Language (1876 : iv-vi).

[27La comparaison entre les chiffres de tirage du récit de Barth et de celui de Livingstone est particulièrement frappante. Alors que les trois premiers volumes de Travels and Discoveries tirés à 2 250 exemplaires, se vendaient si difficilement que les volumes 4 et 5 ne furent imprimés qu’à 1 000 exemplaires (Bovill 1925 : 319, n. 1) le Missionary Travels de Livingstone, sorti également en 1857, se vendit au bout de quelques mois à plus de 7 000 exemplaires (Brantlinger 1985 : 176) et fut réimprimé à de nombreuses reprises.

[28Lettre à Schubert du 23 mai 1861 dans Schubert 1897 : 128.

[29Voir à ce propos Barth 1857-1858, V :124-125, ainsi que Barth & Duveyrier 1872.

[30Lettre à Herman, consul général britannique à Tripoli, du 24 décembre 1858 dans Schubert 1897 : 135. Cf. lettre à Schubert du 9 janvier 1858 dans Schubert 1897 : 134.

[31Apparemment, Lepsius joua un rôle décisif en se prononçant contre la nomination de Barth (Plewe 1965 : 254, 256). Kiepert, d’abord maître de conférences, ne succéda officiellement qu’en 1874 à Ritter, dont la chaire resta inoccupée pendant plus de 15 ans. Essner (1985 : 165) y voit une résistance des historiens envers la nouvelle discipline.

[32Koner 1866 : 26. Pour les détails des querelles autour de la nomination de Barth, voir Engelmann 1967.

[33Pour la relation particulièrement amicale entre Barth et Duveyrier voir Barth & Duveyrier 1872  ; Furon 1967 ainsi que les lettres de Duveyrier publiés dans Italiaander 1970.

[34Le récit de ce voyage fut publié 1860 dans Petermanns Mitteilungen, Ergänzungsheft 3.

[35Le récit de ce voyage fut publié 1863 dans Zeitschrift für allgemeine Erdkunde, vol. XV : 301-358, 457-538 et 1864, vol. XVI : 117-208.

[36Sammlung und Bearbeitung Central Afrikanischer Vokabularien, Gotha : Perthes, 1862-1863. La bibliographie la plus complète de Barth a été réunie par Peter Kremer et publiée dans Barth 2002.

[37Lettre à Barth du 26 février 1859 dans Schubert 1897:142. Pour l’influence toujours présente de Barth sur l’historiographie de l’Afrique de l’Ouest voir Masonen 2000 : 397-417 et Moraes Farias 2003 : xlvi-li.