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Encyclopédie internationale
des histoires de l’anthropologie

Anthropologie néerlandophone : une introduction historique

Thomas Beaufils

IRHIS (UMR 8529), Université de Lille

2019
Pour citer cet article

Beaufils, Thomas, 2019. « Anthropologie néerlandophone : une introduction historique », in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l'anthropologie, Paris.

URL Bérose : article1758.html

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Publié dans le cadre du thème de recherche « Histoire de l’anthropologie néerlandophone », dirigé par Thomas Beaufils (Université de Lille, IRHiS UMR CNRS 8529).

L’anthropologie néerlandophone est un domaine de recherche peu exploré par les chercheurs en sciences humaines et sociales. Pourtant, il s’agit d’un champ d’étude considérable et bon nombre d’archives – dont l’accès est peu aisé en raison de l’apprentissage peu courant de la langue néerlandaise –, et de terrains mériteraient d’être investis et prospectés de manière plus intensive. Si quelques figures d’anthropologues néerlandais, telles que J. P. B. de Josselin de Jong ou W. A. E. van Wouden, ont acquis une notoriété somme toute plutôt assez modeste, il faut bien se rendre à l’évidence que les délimitations géographiques complexes de ces « mondes » néerlandophones et les terminologies foisonnantes parfois nébuleuses utilisées pour désigner ces territoires ne favorisent pas la lisibilité et la compréhension d’une anthropologie dont il est bien difficile de deviner la logique et l’unité. Difficile en effet pour le profane de saisir ce que recouvrent réellement des termes tels que Pays-Bas, Pays-Bas anciens, Pays-Bas espagnols, Pays-Bas autrichiens, Hollande, Flandre, Flandres, Flandres françaises, Frise, plat pays, république des Provinces-Unies, sans oublier la Belgique dont il n’est pas forcément aisé pour tout un chacun de distinguer la part francophone de la part néerlandophone sans tomber dans un parti pris qui pourrait être vu comme un engagement partisan en faveur de tel ou tel régionalisme. Au XVIIe siècle, la Compagnie des Indes orientales (VOC) et la Compagnie des Indes occidentales (WIC) ont implanté, au détriment des Portugais et des Espagnols, des comptoirs en Afrique, en Asie et aux Amériques, avant que l’État néerlandais ne prenne le relais au XIXe siècle pour asseoir des colonies qui eurent pour nom les Indes néerlandaises, le Suriname, et les Antilles néerlandaises. En Afrique du Sud, les communautés boers [1] néerlandaises, composées d’une centaine d’individus au XVIIe siècle, proliférèrent et se disséminèrent sur de vastes territoires pour atteindre aujourd’hui une population de plus de trois millions d’Afrikaners. Ces derniers s’installèrent également en Namibie. La Belgique a elle aussi disposé de possessions coloniales. Lors de la conférence de Berlin (1885), quand les nations européennes s’entendirent sur le partage de l’Afrique, le roi des Belges Léopold II se vit attribuer à titre personnel un territoire considérable sous le nom d’État indépendant du Congo.

Dans ces différents contextes, des missionnaires, des administrateurs et des voyageurs néerlandais ou flamands se firent l’écho des habitudes de vie des populations rencontrées. De ces multiples contacts, en situation coloniale, est née une foisonnante anthropologie de langue néerlandaise. Sur un plan intérieur, Néerlandais et Flamands entreprirent également des études ethnographiques pour, d’une part, recueillir, essentiellement à partir des années 1910, des données de terrain sur le folklore et les traditions populaires en voie de disparition, supplantées par les modes de vie modernes et, d’autre part, à partir des années 1970, pour mieux comprendre et intégrer les populations immigrées originaires des anciennes colonies ainsi que de Turquie ou du Maroc. Depuis les années 1950, l’anthropologie néerlandophone ne se limite plus uniquement aux anciens terrains coloniaux et nationaux mais elle s’est très largement ouverte à des terrains extrêmement diversifiés de par le monde.

Implantation de comptoirs (XVIIe-XVIIIe siècle)

Dès la naissance de la république des Provinces-Unies [2] au XVIe siècle, la Compagnie des Indes orientales (VOC) appareilla des navires vers l’Asie, l’Afrique, et la Compagnie des Indes Occidentales (WIC) vers les Amériques, afin de se procurer des épices, des étoffes, des métaux ou des peaux de castor et de concurrencer les marchands portugais et espagnols. Les skippeurs recueillaient dans leurs journaux de bord tout ce dont ils pouvaient être les témoins. Marins et voyageurs néerlandais firent ainsi, de belle manière, le récit de leurs périples. La bourgeoisie néerlandaise était passionnée par ces comptes rendus de voyage qui paraissaient dans d’élégantes éditions. Parmi les plus célèbres, citons notamment ceux de : Pieter de Marees qui explora les côtes de l’Afrique (1602), Willem IJsbrantszoon Bontekoe qui publia son journal de bord aux Indes orientales (1646), Abraham Rogerius qui décrivit les religions de l’Inde (1651), Adriaen Cornelissen van der Donck, auteur de descriptions de la Nouvelle-Néerlande [3] aux Indes occidentales (1655), Willem Bosman qui fit la description du trafic d’esclaves sur la côte de ce qui était alors appelé la Guinée (1704), François Valentijn qui rassembla quantités d’informations scientifiques sur les Indes orientales (1724-1726). Les objets ramenés de ces contrées lointaines prirent place dans des cabinets de curiosités dont le plus célèbre fut celui du médecin Bernhard Paladanus à Enkhuizen aux Pays-Bas. Des comptoirs (Batavia, Nieuw Amsterdam, Dejima, Le Cap) furent progressivement installés tous azimuts, situés sur des emplacements stratégiques, permettant ainsi aux compagnies d’engranger des dividendes considérables. Au Japon, la VOC bénéficia d’un contexte exceptionnellement favorable. À partir de 1641 jusqu’en 1853, les employés de la Compagnie furent les seuls Européens à être autorisés à commercer avec les Japonais, à condition de rester cantonnés sur l’île de Dejima, une île artificielle en forme d’éventail.

Des comptoirs à la colonisation (XIXe-XXe siècle)

À la fin du XVIIIe siècle, des explorateurs prirent l’initiative, soutenus par l’État néerlandais et ses armées, de s’engager en profondeur dans les terres afin de poursuivre la conquête. Le royaume des Pays-Bas constitua au XIXe siècle un vaste empire colonial formé essentiellement des Indes néerlandaises, du Suriname et des Antilles néerlandaises, tandis qu’en Afrique du Sud, les populations d’origine néerlandaise (Boers, Afrikaners) se multiplièrent jusqu’à dominer politiquement le pays à partir de 1910 et instaurer les tristement célèbres lois ségrégationnistes de l’apartheid. Pour ce qui est de la Belgique, la conférence de Berlin, qui se tint du 15 novembre 1884 au 26 février 1885, attribua au roi des Belges Léopold II à titre personnel un territoire de 2,3 millions de km² qui fut désigné sous le nom d’État indépendant du Congo. Après la défaite de l’Allemagne en 1918, la Société des Nations confia à la Belgique les protectorats du Ruanda (Rwanda) et de l’Urundi (Burundi).

Des militaires, des missionnaires, des administrateurs coloniaux, des médecins, des écrivains, des artistes et des savants néerlandais et flamands firent part de leurs expériences et de leurs découvertes dans des ouvrages souvent de qualité mais qui pouvaient également s’avérer dénigrants ou subjectifs vis-à-vis des populations étudiées. Parmi les plus connus aux Pays-Bas, citons entre autres Pieter Johannes Veth qui a occupé la première chaire de « géographie et d’ethnographie des Indes néerlandaises » à l’université de Leyde de 1877 à 1885, Georg Alexander Wilken qui lui a succédé jusqu’en 1891, date de sa mort prématurée, le médecin et naturaliste Philipp Franz Balthasar von Siebold, le juriste et précurseur de l’anthropologie médicale coloniale Frederik Daniel Eduard van Ossenbruggen, le professeur de droit (en particulier indonésien) Cornelis van Vollenhoven, l’explorateur et professeur Anton Willem Nieuwenhuis, l’orientaliste et islamologue Christiaan Snouck Hurgronje, le linguiste Herman Neubronner van der Tuuk, l’anthropologue physique Johannes Kleiweg de Zwaan, l’administrateur colonial Engelbertus Eliza Willem Gerards Schröder et beaucoup d’autres. En Belgique, les ethnographes furent souvent des autodidactes liés à l’action administrative du royaume de Belgique ou des missionnaires tels que Leo Bittremieux.

Ces voyageurs ramenèrent aux Pays-Bas et en Belgique des milliers d’objets (armes, statues, manuscrits, etc.) dont l’entreposage épars constitua tout au long du XIXe siècle et du XXe siècle un problème complexe et épineux qui entraîna différents mouvements de collections ethnographiques dans de multiples lieux de stockage pas toujours adaptés. Malgré la frilosité des milieux politiques et économiques, plusieurs musées d’ethnographie virent le jour en particulier à Anvers, Amsterdam, Bruxelles, Leyde et Rotterdam [4]. Ces collections furent régulièrement présentées lors d’expositions coloniales. L’une des plus renommées est celle qui eut lieu à Paris en 1931 au cours de laquelle le pavillon néerlandais prit feu de manière mystérieuse [5]. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, les premières galeries présentant des statues et des objets originaires des colonies furent fondées, en particulier à Amsterdam dans les années 1920. M. L. J. Lemaire fut, aux Pays-Bas, l’un des tout premiers fournisseurs de statues ethnographiques [6]. L’origine coloniale de ces objets, acquis dans des conditions parfois douteuses (vols, butins de guerre) entraîne aujourd’hui des demandes répétées de restitution de la part des anciennes populations d’Asie et d’Afrique autrefois colonisées.

La naissance de l’anthropologie en Belgique et aux Pays-Bas se place essentiellement dans ce contexte colonial. Il s’agissait alors pour les États de connaître au plus près les structures sociales des colonisés. Les anthropologues ou ethnographes, formés dans le cadre d’instituts scientifiques directement liés à l’administration coloniale, rassemblaient des informations scientifiques (droit coutumier, santé, histoire, etc.) afin de mieux les dominer en obtenant une meilleure coopération de leur part et d’en tirer le plus grand profit. Des instituts scientifiques avaient pour vocation d’étudier les colonies, de propager des connaissances sur les possessions et d’encourager les projets commerciaux. L’anthropologie sud-africaine, associée aux universités de langue afrikaans, a, quant à elle, à quelques exceptions près, appuyé l’apartheid. Il n’est pas rare que ces anthropologies soient frappées d’un certain opprobre, les résultats de leurs travaux ayant eu une visée politique moralement contestable.

À partir des années 1910, un autre type d’ethnologue fit son apparition, tel J. P. B. de Josselin de Jong, qui occupa dans un premier temps la première chaire d’ethnologie générale à l’université de Leyde en 1922, puis à partir de 1935 celle d’ethnologie des Indes néerlandaises. Il fut chef de file de la fameuse école anthropologique de Leyde, qui se distancia de la politique coloniale de l’État néerlandais et qui prit même partie pour les populations colonisées jusqu’à s’engager, intellectuellement s’entend, dans la lutte pour leur indépendance. Ce brillant anthropologue néerlandais réunit autour de lui, des années 1930 aux années 1950, des chercheurs et des étudiants (e.a. W. H. Rassers, G. J. Held, F. A. E. van Wouden, J. Ph. Duyvendak, P. E. de Josselin de Jong, G. W. Locher) qui, à partir de travaux de terrain en Indonésie, définirent les principes généraux d’un structuralisme proche de celui que Claude Lévi-Strauss développera quelque dix ans plus tard [7]. L’article de De Josselin de Jong intitulé « De Maleische Archipel als ethnologisch studieveld » (L’archipel malais, un champ d’étude ethnologique [8]) est devenu un grand classique de l’histoire de l’anthropologie.

En Belgique, parmi les principales figures nées en Flandre qui ont marqué la discipline, citons notamment le professeur Edouard De Jonghe qui enseigna l’ethnologie du Congo d’abord à l’université catholique de Louvain puis à l’université de Gand à partir des années 1920. Il fut notamment le fondateur et le rédacteur en chef de la revue Congo et rédigea de nombreux ouvrages sur la colonie belge où il séjourna à plusieurs reprises.

Situations après la Seconde Guerre mondiale

L’indépendance des colonies belges et néerlandaises changea profondément la donne. Les Indes néerlandaises prirent le nom de République d’Indonésie en 1945. Alors que le néerlandais n’est pas devenu une langue courante de ce pays, il a par contre acquis le statut de langue officielle au Suriname qui s’est séparé du royaume des Pays-Bas en 1975. Les îles constitutives des Antilles néerlandaises (Aruba, Bonaire, Curaçao, Saba, Saint-Eustache, partie méridionale de Saint-Martin) ont obtenu des statuts plus ou moins autonomes et restent aujourd’hui en partie liées aux Pays-Bas. Au Congo, l’accession à l’indépendance a été effective en 1960. Ces indépendances ont entraîné d’importants mouvements de populations en particulier vers les Pays-Bas : plus de 300 000 personnes (des Néerlandais de souche, des métis/Indos et des Moluquois) originaires d’Indonésie ; plus de 300 000 Surinamiens craignant la dictature de Bouterse [9] ; plus de 150 000 Antillais cherchant de meilleures conditions de vie. L’arrivée massive de ces nouveaux arrivants modifia profondément la société néerlandaise qui fut alors qualifiée de « multiculturelle ». En manque de main-d’œuvre, les entreprises néerlandaises firent parallèlement appel à des travailleurs immigrés du Maroc et de Turquie qui représentent aujourd’hui des communautés importantes aux Pays-Bas. L’immigration congolaise a, par contre, été nettement moins importante en Belgique. De nombreux Africains se sont installés dans le célèbre quartier de Matonge à Bruxelles.

La fin des colonies et la transformation profonde de leurs sociétés a entraîné un changement radical de paradigme pour les anthropologues belges et néerlandais, désormais à l’écoute de sociétés extra-européennes à l’échelle de la planète et non plus seulement des populations de leurs anciennes colonies respectives. L’élargissement de leurs champs d’action était rendu nécessaire d’une part parce que les postes dans les colonies s’étaient raréfiés et d’autre part, pour des raisons d’adaptation à la nouvelle sensibilité post-coloniale. Les administrations belges et néerlandaises leur demandaient à présent d’étudier des populations extra-européennes libérées qui se métamorphosaient en profondeur et de mieux appréhender les problèmes sociétaux contemporains dans un monde globalisé. Après la guerre, ces chercheurs s’occupèrent essentiellement de servir l’expansion économique dans les pays « tropicaux », de fournir une assistance technique aux pays en voie de développement, d’asseoir l’excellence scientifique et de former des experts dans un contexte de décolonisation. Citons quelques noms parmi tant d’autres qui ont marqué ou marquent toujours l’anthropologie néerlandaise de l’après-guerre et aujourd’hui : Jan van Baal, Jan Breman, Freek Colombijn, Ton Dietz, Th. Fischer, Adri A. Gerbrands, Peter Geschiere, Leo de Haan, Hans Holleman, Patrick Eduard de Josselin de Jong, Emanuel de Kadt, Ivan Komproe, Pieter ter Keurs, Peter Kloos, Dirk-Jan Koch, Dirk Kruijt, Toon van Meijl, Louis Onvlee, Jarich G. Oosten, Gert Oostindië, Cornelis Ouwehand, Wil Pantsers, Peter Pels, Gerard Persoon, Mattijs van de Port, Ton Robben, Herman Roodenburg, Herman G. Schulte Nordholt, Fridus Steijlen, Thijl Sunier, Reiner Tom Zuidema. L’anthropologie néerlandaise cesse assez tardivement d’être un domaine d’étude exclusivement réservé à une intelligentsia masculine. Des femmes parviennent à obtenir des postes dans des universités, quelques-unes à partir des années 1950, puis bien plus nombreuses après les années 1980 (Elisabeth Allard, Cristina Grasseni, Suzanne Legêne, Birgit Meyer, Anke Niehof, Els Postel-Coster, Carla Risseeuw, Joke Schrijvers, Patricia Speyer, Marja Spierenburg, Irene Stengs, Donna Winslow). Parmi les personnalités belges nées en Flandre, Daniel Biebuyck fait autorité dans l’étude des populations du Congo, notamment les Lega et Nyanga, Jan Vansina a travaillé en milieu kuba et Pierre van Leynseele chez les Libinza [10].

Aujourd’hui, les écrits et les discours scientifiques font la part belle aux thèmes d’actualité suivants : l’accueil et l’intégration de populations immigrées, l’esclavage contemporain, la lutte contre la pauvreté, la santé, les changements climatiques, le développement durable, les cultures matérielles et immatérielles et la muséographie, les politiques urbaines, les religions, les « gender studies », etc. On demande également aux anthropologues de chercher des solutions pour apaiser les malaises et les préjugés qui minent les sociétés multiculturelles occidentales.

Volkenkunde vs Volkskunde

La langue néerlandaise fait la distinction entre Volkenkunde (ethnologie des civilisations extra-européennes) et Volkskunde (ethnologie des Pays-Bas et de la Flandre, traduit souvent par folklore). La première est bien plus valorisée que la seconde, les Néerlandais et les Flamands ayant bien des difficultés à s’identifier à un passé national révolu considéré comme archaïque. Aux Pays-Bas, l’étude des cultures populaires néerlandaises est essentiellement effectuée au sein du Meertens-Instituut, qui existe depuis 1926 et qui est lié depuis 1952 à l’Académie néerlandaise des sciences [KNAW]. Ses missions consistent à étudier les facteurs qui jouent un rôle déterminant dans la construction des identités néerlandaises, à effectuer des recherches dans le domaine de la socio-linguistique et de la dialectologie et à constituer une banque des noms néerlandais. Piet Meertens en fut le premier directeur. L’Institut héberge la Société internationale d’ethnologie et de folklore (SIEF) depuis 2001.

Plusieurs musées de plein air ont été créés aux Pays-Bas dès le début du XXe siècle. Parmi les deux principaux, citons le Nederlands Openluchtmuseum (Musée néerlandais de plein air) situé à Arnhem (Gueldre), fondé en 1912 par Frederic Adolph Hoefer après un séjour en Suède [11], et le Zuiderzeemuseum (Musée de la Zuiderzee) situé à Enkhuizen (Hollande septentrionale) et créé en 1950, qui remémore les cultures populaires des villages maritimes des bords de la Zuiderzee. La Stichting Kenniscentrum Immaterieel Erfgoed Nederland (Fondation « centre d’étude du patrimoine immatériel néerlandais »), créée en 1984 et qui a bénéficié d’un regain d’intérêt depuis la signature par les Pays-Bas en 2012 de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, est hébergée au sein du Musée néerlandais de plein air. En Flandre, le FARO – Vlaams Steunpunt voor cultureel erfgoed (Centre de ressources/interface flamand pour le patrimoine culturel), basé à Bruxelles, a été créé en 2008. Cette organisation est subventionnée par le gouvernement flamand et est supervisée par le ministère flamand de la Culture. Elle s’attache à mettre en valeur le patrimoine culturel flamand (musées, archives, bibliothèques, associations) afin de le maintenir et le transmettre aux générations futures. Le musée de plein air le plus connu en Flandre est le domaine du Bokrijk, près de Genk, fondé en 1953 et au sein duquel ont été installées près de 150 habitations traditionnelles. Une revue commune néerlando-flamande intitulée Volkskunde, dont l’origine remonte à 1888, fédère les recherches entre les deux pays. Dans les Flandres françaises (Hauts-de-France), peu de recherches sont effectuées sur les cultures populaires et le folklore malgré la richesse de ce patrimoine. On constate cependant un regain intérêt pour les Flamands de France.

Un champ de recherche riche et considérable peu étudié

L’histoire de l’anthropologie néerlandophone ‒ sans doute faudrait-il plutôt écrire « des anthropologies néerlandophones » tant ce champ d’étude est multiforme ‒ n’a actuellement pas le vent en poupe aux Pays-Bas et en Flandre. Les établissements universitaires lui préfèrent une anthropologie appliquée aux problèmes de société contemporains afin de mieux comprendre et de résoudre les tensions et les conflits dans un monde globalisé [12]. Dans ce contexte, rares sont aujourd’hui celles et ceux qui s’engagent dans cette voie par manque de débouchés professionnels. Ce sont essentiellement des anthropologues néerlandais en poste à l’étranger (notamment Han Vermeulen et Jos Platenkamp en Allemagne) qui effectuent des recherches dans ce domaine. En Allemagne, Michael Prager et, aux Pays-Bas, Rudolf Effert, contribuent également aux travaux sur l’histoire de l’anthropologie néerlandaise. En Belgique, les emplois d’anthropologues ont été en grande majorité communautarisés, les communautés flamandes et françaises étant chacune pour ce qui la concerne, compétentes pour l’enseignement supérieur, alors que le Koninklijk Museum voor Midden-Afrika/Musée royal de l’Afrique central est resté une entité fédérale.

L’étude des collections extra-européennes des musées d’ethnographie néerlandais et flamands bénéficie par contre d’un regain d’intérêt. Ces musées se sont aujourd’hui engagés dans une muséographie résolument moderne en proposant des types de médiation fort originaux bien ancrés dans les problématiques sociétales actuelles. De nouveaux échanges d’expérience au sein de ces institutions permettent de mieux accueillir un public de plus en plus intéressé par les arts extra-européens et de faire passer des messages forts en ce qui concerne l’apprentissage de l’altérité. D’autre part, les demandes de restitutions d’objets muséographiques acquis dans les anciens mondes colonisés se font de plus en plus pressantes. Seules des recherches anthropologiques et historiques de qualité étant susceptibles de déterminer leur provenance, il est nécessaire de former des spécialistes pour étudier et gérer ces collections. Aussi bien en Belgique qu’aux Pays-Bas, il existe une volonté très marquée de « décoloniser » à la fois les musées et le vocabulaire utilisé par les anthropologues et les conservateurs de musées d’ethnographie [13].

La numérisation massive de documents et de collections ethnographiques, actuellement en cours en Flandre et aux Pays-Bas, favorise une collaboration renforcée entre chercheurs, organismes de recherche, bibliothèques et institutions muséales du monde entier. On ne peut qu’espérer que cet effort considérable de mise à disposition de documents permettra de produire de nouvelles recherches dans le domaine de l’histoire de l’anthropologie et de donner naissance à une génération de jeunes chercheurs qui s’emparera à son tour de cette matière passionnante à étudier, sans oublier les interactions entre l’anthropologie néerlandophone et les autres traditions nationales [14].




[1« Boer » signifie « paysan » en néerlandais. Les Boers sont les premiers colons d’origine néerlandaise qui s’installèrent au XVIIe siècle dans la région du Cap pour tenir un comptoir et ravitailler les navires de la Compagnie des Indes orientales qui y faisaient escale avant de prendre le large vers l’Asie.

[2La république des Provinces-Unies fut constituée par sept provinces des Pays-Bas qui se libérèrent du joug espagnol et déclarèrent leur indépendance en 1581. Cette république prit fin lors de la proclamation de la République batave en 1795.

[3Colonie néerlandaise au XVIIe siècle, située dans la région actuelle de New York, comprise entre les fleuves Hudson, Delaware et Connecticut.

[4Consulter à ce sujet : Thomas Beaufils & Chang Ming Peng, Arts premiers dans les musées de l’Europe du Nord-Ouest, Villeneuve d’Ascq, IRHiS, 2018 : https://books.openedition.org/irhis/3200?lang=fr

[5Thomas Beaufils, « L’énigme du Pavillon hollandais », Gradhiva 26, 1999.

[6Marchand d’art réputé, Lemaire vendit plusieurs pièces à André Breton dont la fameuse statuette Nias d’Adu Zatua photographiée par Man Ray et désormais exposée dans le pavillon des Sessions au Louvre.

[7Le meilleur connaisseur de cette anthropologie est Han F. Vermeulen. Parmi ses travaux qui font autorité, on citera par exemple : « Netherlands, anthropology in the » in Hilary Callan (ed.), The international encyclopaedia of anthropology 8, Hoboken, New Jersey ; Chichester, West Sussex, Wiley Blackwell, 2018, p. 4291-4312 ; « Anthropology in the Netherlands : past, present, and future » in Aleksandar Boskovic (ed.), Other people’s anthropologies : ethnographic practice on the margins, New York [et al.], Berghahn, 2008, p. 44–69 ; H.F. Vermeulen et J. Kommers, Tales from Academia : History of Anthropology in the Netherlands, 2 parts, Nijmegen, NICCOS/Saarbrücken, Verlag für Entwicklungspolitik, 2002. Pour une bibliographie complète, consulter : http://historyofanthropology.eu/han/index.html.
À lire également : P. E. de Josselin de Jong, « Marcel Mauss et les origines de l’anthropologie structurale », L’Homme, 12-4, 1972, p. 62-84.

[8Cet article a été traduit par Thomas Beaufils in : « La Hollande, l’autre pays du structuralisme », Gradhiva, 21, 1997.

[9Desi Bouterse fut l’instigateur d’un coup d’État militaire au Suriname le 25 février 1980 et prit le contrôle du pays. Il est le président de la république du Suriname depuis 2010.

[10R. Devisch, Belgique. « L’anthropologie belge », in P. Bonte et M. Izard, Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris, PUF, 2010, p. 110-111.

[11Georges Henri Rivière a visité ce musée de plein air en 1950.

[12Page d’accueil de la faculté d’anthropologie sociale et culturelle de la Vrije Universiteit Amsterdam  : https://www.fsw.vu.nl/en/departments/social-and-cultural-anthropology/index.aspx

[13Le Tropenmuseum d’Amsterdam a organisé en 2015 un colloque intitulé « Decolonize the museum » : https://framerframed.nl/blog/conferentie-decolonize-the-museum-conference/

[14À propos des interactions entre les anthropologies françaises et néerlandaises, on pourra consulter : Thomas Beaufils, « Mauss, la Hollande et les Hollandais », in « Correspondances savantes entre la France et les Pays-Bas », Strasbourg, Deshima, 2015.