« J’aime les vauriens et les haschischins, les voleurs, les putes, les rebetes et les homos parce qu’ils se battent contre toute forme de pouvoir, et je les aime d’autant plus qu’ils arrivent à survivre contre la police, contre la loi pénale, contre la morale abominable des petits-bourgeois, contre leur nature ardente. » [1]
Elias Petropoulos, De la prison [Της Φυλακής], 1981
Elias Petropoulos, le plus anthropologue des non-anthropologues grecs, est un moraliste de la Grèce contemporaine, un ethnographe rude, au regard sincère, au discours incisif. Grâce à sa distance avec le monde académique, permise par son indépendance, Elias a brossé un portrait décapant et original de la Grèce contemporaine. Fort de son amour de la pègre, l’inclassable Elias s’est battu contre l’histoire stérilisante d’un nationalisme qui avait commodément infiltré l’université, en particulier la laographie grecque [2]. Des recueils laographiques des objets quotidiens de la Grèce de la seconde moitié du XXe siècle aux essais critiques, en passant par les dictionnaires des idiomes populaires et des enquêtes sur des facettes oubliées de l’histoire de l’hellénisme contemporain, son œuvre et sa documentation gigantesque pourraient le qualifier comme un éminent ethnologue, anthropologue, historien, ou laographe. Pourtant, il ne se reconnaît sous aucune de ces dénominations : « J’aimerais qu’on se rappelle de moi comme d’un écrivain insolite et bosseur. » Auteur d’un des plus vastes corpus anthropologiques sur la Grèce contemporaine, Elias ne s’est pourtant jamais autoproclamé anthropologue, ni n’a jamais été professionnellement admis dans les cercles académiques de la laographie. Il a toujours travaillé en s’affranchissant des nomenclatures épistémiques à la mode ou de l’avis des pairs. Ainsi donc, si l’on pourrait le qualifier d’anthropologue, d’ethnographe ou d’historien, il n’en reste pas moins qu’il rejetait quant à lui toute désignation susceptible d’entamer sa liberté. Voici donc le portrait biographique d’un homme qui a sauvegardé un patrimoine grec, l’enfant maudit de la rectitude politique, le Saint Genet de l’anthropologie grecque, maître incontournable de l’anthropologie de la décadence.
« Cette maison était la maison de mes rêves » (ou : De l’enfance insouciante)
Elias Petropoulos naît à Athènes en Grèce en 1928. Peu après, en 1934, sa famille s’installe à Thessalonique. Comme il l’affirmera plus tard, ce changement lui donnera une autre vision de la Grèce, une vision qu’il n’aurait jamais pu concevoir s’il était resté à Athènes. Dans ses souvenirs d’enfance, il est déjà un étranger – le garçon aux yeux bleus, aux cheveux clairs, et aux tâches de rousseur sur le visage, que les autres enfants prennent pour un Juif. Un souvenir en particulier jaillit de ces années d’enfance insouciante, un héritage qu’il portera en lui et qui marquera profondément son regard sur son pays : la maison turque que sa famille occupe à Thessalonique.
Il se souvient avec vivacité de cette demeure imposante, du grand portique d’entrée, de l’impressionnante enceinte de la cour, et de leurs deux grands jardins – tout semblait démesuré. Il se souvient du puits d’eau dans le jardin, mais aussi des toilettes à la turque, dans un coin de la cour, loin de la maison. Il se souvient dans les moindres détails de cette architecture ottomane en mezzanine, de l’insolite hamam de la maison, du grand hayat central entouré de colonnes de chênes, et de son imposant divan construit et intégré dans l’architecture qui constituait l’andronite, des chambres du gyneconite qui donnaient sur le hayat, comme les petites chambres à l’étage qui ouvraient sur la rue, et d’où les vieilles dames de la maison observaient la vie publique, cachées derrière leurs persiennes en bois. Il se souvient surtout que son père a voulu moderniser cette maison. Il avait fermé le hayat en construisant un mur, aménagé les fenêtres en agrandissant les baies et en installant des volets battants à l’européenne, démolissant « ce splendide divan » et détruisant, entre autres, le hamam de la maison. Sous l’apparence anodine de cette modernisation, s’opérait une européanisation envahissante de sa maison d’enfance dont la mémoire traversera toute son œuvre ethnographique.
Bien plus tard, Elias documentera l’occidentalisation de la Grèce tout au long du XXe siècle, cette européanisation accélérée qui, comme une façade qu’on aurait plaquée, s’emploiera à voiler l’héritage ottoman du pays. Ses minutieuses enquêtes font ressurgir un corpus inédit d’objets laographiques qu’il publie dans des volumes thématiques. Tel un archéologue de la Grèce contemporaine, il recense dans ses monographies des pratiques, des styles, des techniques sur tout le territoire grec concernant « Le kiosque grec » (1976), « La voiture grecque » (1976), les « Chaises et tabourets » (1988), ou notre « Soupe nationale de haricots » (1993). Plusieurs de ces volumes sont consacrés à des éléments architecturaux, documentés dans des catalogues avec un riche matériel photographique, comme « La fenêtre en Grèce » (1981), ses « Portes en bois - Portes en fer » (1981), « Le balcon en Grèce » (1983) et « La cour en Grèce » (1983).
D’autres ouvrages mettront l’accent sur les emprunts dont sont faits certains symboles nationaux. Dans « Le café turc en Grèce » (1979), il refuse de reprendre la dénomination abusivement nationale, dorénavant courante et trompeuse d’un prétendu « café grec ». Au contraire, par un recours au lexique du café et à ses accessoires, Elias célèbre une ode à ce legs turc. La narration nous conduit d’une exploration des nomenclatures propres à la Grèce en cette matière aux visites des cafés et à la fréquentation des buveurs de café, à leurs habitudes. Des recettes vernaculaires, comme le café à l’ouzo, accompagnent la description de l’évolution des mœurs et usages suscités par le café, de l’économie de cette boisson, et un dossier iconographique de dessins et de photographies restitue au lecteur les arômes de l’époque. Plus tard, il publiera « La fustanelle » (1987), en s’en prenant à ce costume devenu national et emblématique du pays, qui habille les Evzones grecs et décore les fêtes nationales, avec sa lourde jupe blanche à 400 plis, chacun pour une année d’occupation ottomane, mais qui n’est jamais qu’un emprunt aux costumes modernes des tribus albanaises qui peuplèrent la Grèce pendant une large partie de la période ottomane.
« Thessalonique était le point de rencontre de la Gauche » (ou : D’une jeunesse engagée)
Elias décrit une enfance libre, insouciante, couplée en réalité à des événements violents et tragiques. D’ailleurs, petit, il n’a jamais compris pourquoi ses parents ne s’assuraient jamais s’il avait fait ses devoirs ou non. À l’école, il se montre plutôt indiscipliné et, au collège, un seul commentaire orne son relevé de notes (qui fluctuait de 1/20 en mathématiques à 16/20 en histoire) : « Seul un changement radical dans l’étude et la diligence pourraient le sauver. » Elias rapporte qu’enfant, il était envoyé par ses parents dans la périphérie de Thessalonique, au mont Kissos, où, à l’image d’un troupeau monté en estive, il passait les trois mois d’été. Logé chez un paysan, dans le village de Chortiati, il développe progressivement une certaine affection pour ce milieu bucolique. Sur la place du village, il y avait un four où il se rendait souvent pour regarder le boulanger déployer son savoir-faire. Il devient son ami jusqu’au jour où quelqu’un lui intime en criant l’ordre de ne plus approcher le boulanger, « un communiste exilé ». De cet événement naîtra selon Elias sa représentation de la Gauche et des communistes comme des proscrits, mais des proscrits très sympathiques.
Mai 1936 voit des grèves prolongées et des vagues d’affrontements sociaux à Thessalonique, consécutifs à la crise mondiale du capitalisme néolibéral de 1929. Enfant, Elias, qui « était toujours dans la rue », est témoin de la répression par les forces royalistes – il se rappelle du carnage causé par la cavalerie cosaque fonçant sur la foule en grève – qui culminera par l’établissement de la dictature de Ioannis Metaxas en août de la même année. « D’une manière purement sentimentale, dès cette époque, s’est plantée en moi la graine de la Gauche. C’était une réaction émotionnelle, et nullement idéologique ! C’est eux qui prennent les baffes, les autres qui les donnent. » Cette identification au faible, au marginal, aux exilés par le pouvoir, va l’inspirer, non pas seulement dans ses études ethnographiques, mais dans toute sa manière d’appréhender l’hypocosme, ces bas-fonds du monde, ce monde caché, qui forme d’après Elias, la classe sociale la plus tenace, la plus stable de l’histoire – celle qui constitue le contrepoids nécessaire à l’existence des autres classes, celle qu’il documente dans toute son œuvre. Quoiqu’indispensable à l’existence de la société elle-même, cette population se trouve toujours en dehors de la société : « L’action de toutes les classes sociales (le cosmos) est équilibrée par la réaction du Peuple de la Famille (l’hypocosme) ».
Adolescent, il quitte l’école pour suivre des cours du soir dans une école de la fraternité chrétienne des jeunes à Thessalonique. En partie à cause de son insouciance, de ses nombreuses absences à l’école et de l’avènement de la Seconde Guerre mondiale en Grèce, Elias ne va pas au bout de sa formation secondaire. Pourtant, à la fin de la guerre, il passe avec succès les examens nationaux et s’inscrit à la faculté de droit de l’université de Thessalonique. Le manque d’assiduité caractérise également ses études universitaires, qu’il poursuit à la faculté de droit et prolonge dans la rue, au contact des manifestations successives auxquelles il assiste. En dépit de son succès aux examens et de l’utilité qu’il reconnaît à l’étude du droit et aux « connaissances essentielles » acquises pendant ces années, il abandonne avant même de passer le diplôme. S’il éprouvait un relatif intérêt pour ces études, il se souciait peu du métier. Aux études, il préfère l’engagement dans les mouvements antifascistes de la jeunesse grecque pendant l’occupation nazie. Elias fait alors partie de EΠΟΝ (Ενιαία Παννελλαδική Οργάνωση Νέων – Organisation panhellénique unie des jeunes), qui œuvre à la libération de la Grèce, aux côtés de l’EAM (Eθνικό Απελευθερωτικό Μέτωπο ‒ Front de libération nationale), le plus important réseau de résistance du pays, dirigé par les communistes grecs. Il consacrera à ses expériences de l’Occupation une collection d’essais (Πτώματα, Πτώματα, Πτώματα – Cadavres, cadavres, cadavres, 2013), dans laquelle il documente de sa façon impartiale et véritablement anthropologique, les violences et les exécutions, les frictions et les lieux de mémoire des affrontements entre, d’une part, les soldats allemands et les collaborateurs et, d’autre part, les anarchistes, communistes et membres de la résistance grecque, ainsi que les massacres de la guerre civile qui éclate dans le prolongement de l’Occupation. Partout les cadavres s’amoncellent. Il a 17 ans quand les soldats de EΛΑΣ (Eλληνικός Λαϊκός Απελευθερωτικός Στρατός – Armée populaire de libération nationale grecque), le bras militaire de l’EAM, entre à Thessalonique, sous les acclamations du peuple. Des moments inoubliables pour Elias, colorés par les chants de résistance qui emplissent les rues : « Ces chansons n’avaient jamais été entendues jusque-là, pas comme cela, en cris, en force, en liberté. »
« Mon désir est d’enregistrer ces mémoires. Pour qu’elles ne s’effacent pas » (ou : Rebetika)
Elias connaissait Vassilis Tsitsanis – une figure iconique de la musique grecque du XXe siècle – depuis sa prime jeunesse ; depuis ces nuits de Salonique, alors qu’il n’avait pas plus de dix ans, et qu’il marchait sur le sable, trempant ses pieds nus dans l’eau bénie de la mer Égée, et qu’il montait sur la jetée située à côté du centre musical où ce mythe de la musique grecque rendait hommage à Apollon. De loin, debout, Elias écoutait. Il avait en lui ces souvenirs profonds, ces étincelles mnémoniques des murmures de son père, les plus beaux chants des kleftika qu’il aura jamais entendus dans sa vie. Dès l’enfance et le début de l’amitié qu’il a nouée avec Tsitsanis, il a voulu sauver ce monde des rebetes de l’oubli de l’histoire. Les rebetika sont un style de musique grecque, qui puise ses sources et références musicales dans les chansons populaires de la Grèce moderne. Le genre se développe à la fin du XIXe siècle, d’abord dans les villes portuaires de la Grèce propre, puis se répand dans tout le pays. Les premiers thèmes abordés par les chansons sont l’amour et la vie paranomique (au-delà de la loi), les drogues et la prison, avant de s’étendre ultérieurement à l’immigration, la mort, la guerre, la pauvreté et d’autres sujets du peuple (démotiques). Après avoir connu une période florissante dans les années 1920-1930, les rebetika sont immédiatement en proie à la censure de la dictature d’Ioannis Metaxas et interdits sous prétexte qu’ils seraient une réminiscence de la culture turco-ottomane. Ce style de musique connaît une première renaissance dans les années 1960, puis une autre dans la Grèce contemporaine. Les rebetika sont la musique d’un autre monde, qui se cache, qui se vit loin du regard curieux de la bourgeoisie. En marginalisant les rebetika, les diverses vagues de censure politique que la Grèce a connues au XXe siècle ont fait de ces chansons le support de la sauvegarde d’une mémoire populaire, des expériences intimes et interdites, et de la vie d’une couche de la population qui devait se protéger des effets de la moralisation accrue de la vie publique. Le père d’Elias, craignant d’être dénoncé auprès les autorités publiques, lui enjoint de fermer les fenêtres de la maison, et de mettre le gramophone assez bas, afin que leurs voisins n’entendent pas ces rythmes interdits qui baignèrent son enfance.
Pendant des années il fréquente le milieu des rebetes, il vit avec eux et collecte leurs mœurs, se livre à des descriptions ethnographiques de leurs conditions, de la prison ou des tekke – ces cafés traditionnels où l’on fume le haschich. Ses écrits comportent à la fois une narration des modes de vie des rebetes – de leur incontestable machisme, de leurs rapports sexuels souvent sodomites avec les femmes ou les homosexuels, de la circulation de leurs chansons illégales dans la pègre, de leurs habits et manières de marcher, de leur argot – mais aussi une documentation fouillée sur les chansons, les paroles, des photographies, des instruments de musique, et de leurs relations avec une Grèce prémoderne et un passé ottoman. Parallèlement, à Thessalonique et après la fin de la guerre à Athènes, il travaille et publie des petites pièces dans des journaux.
En 1949, court la rumeur qu’il est communiste, et jusqu’en 1957, ostracisé comme ses camarades communistes, il échoue à trouver du travail. Un an plus tard, paraît son premier ouvrage, sur l’auteur et artiste grec, Nikos-Gabriel Pentzikis, suivi en 1959 de son Ελύτης, Μοράλης, Τσαρούχης (Elytis, Moralis, Tsarouhis) qui le rend célèbre auprès du monde éditorial athénien, et lui ouvre les portes des magazines littéraires et autres publications quotidiennes. Pourtant, aucune maison éditoriale ne veut se saisir de son magnum opus, sa collection de chansons rebetika, qui ne se jouent dorénavant que clandestinement. La musique rebetika ainsi que la consommation de haschich sont activement réprimées par les forces de l’ordre.
En 1968, hors-la-loi et échappant à la censure du monde éditorial, il publie à compte d’auteur son premier ouvrage sur les rebetes, devenu depuis une référence incontournable, Τα ρεμπέτικα τραγούδια (Les chansons rebetika). Cette immense collection des paroles des chansons et des photographies inédites du monde des rebetes va conduire à son emprisonnement par la junte militaire au pouvoir depuis un an déjà. « Mon livre sur la rebetika m’a coûté un emprisonnement de cinq mois et un beau divorce. La prison et le divorce m’ont donné ma liberté. »
Sous la dictature des colonels, Elias publie en 1972 son lexique de la langue idiomatique inventée par les homosexuels grecs depuis les années 1940 pour se soustraire à un environnement socio-politique hostile. Il publie Καλιαρντά (Kalianta) après une longue enquête au cours de laquelle il gagnera la confiance des homosexuels et transsexuels grecs, qui lui permettront de fréquenter leurs lieux secrets à Athènes et lui apprendront peu à peu leurs codes. Cette publication lui vaudra d’être de nouveau emprisonné pendant cinq mois. Juste après, au cours de la même année, il écope d’une nouvelle peine de prison pour avoir publié son essai Σώμα (Corps) dans le magazine Τραμ (Tram).
« Dans la prison j’ai beaucoup travaillé. Je travaillais constamment » (ou : Un anthropologue contre la laographie)
Pourtant l’emprisonnement de l’homme ne fut pas l’emprisonnement de l’esprit. Ses divers séjours carcéraux, des prisons mythiques d’Athènes aux plus petites geôles du Nord de la Grèce, n’ont fait que redéfinir le cadre de son regard ethnographique. Chaque prison est un nouveau terrain d’enquête, et comme on aimait à le dire, Elias n’a pas fait de prison, il a fait de la recherche. Plus attiré par les prisonniers de droit commun que par les prisonniers politiques, il commence graduellement à les fréquenter, à documenter leurs expériences, découvrir leur vision du monde, sauvegarder leurs mémoires. Il s’empare de la prison comme du microcosme d’une société atypique, avec ses propres mœurs et son propre folklore – une société dont il va décrire les peines mais aussi les joies.
« Les prisonniers ne sont pas des animaux sous surveillance. Pour documenter les affaires de la prison, il faut, avant tout, a i m e r les prisonniers » (Petropoulos, Το Άγιο Χασισάκι, 1987). Elias aborde la prison comme il aborde tout autre sujet, avec sincérité et amour, discernant une taxonomie des espaces de la prison – de la cour commune, et du vestibule couvert, aux cellules collectives, ou cellules individuelles de mise à l’isolement – dont chacun commande une certaine manière d’être, de se comporter, d’agir et de penser. Il vit dans cette société, il s’y immerge, en particulier avec les « enfants de la tribu [παιδιά της φάρας] », les êtres de l’hypocosme – des bas-fonds, de la pègre – observant les codes moraux qui se développent dans ce microcosme.
Ce n’est pas à une sociologie de la prison ou de la domination en milieu pénitentiaire qu’il se voue. Mais bien à une enquête ethnographique sur la société carcérale. Il voit dans le matériel technique foisonnant qui équipe la vie en prison, le support inédit de données anthropologiques, et c’est cela qu’il publie : ce sont autant d’observations sur l’économie des tatouages, les techniques, les stratagèmes ingénieux qu’on y invente et les sujets favoris des images qu’on y trouve ; sur l’artisanat pénitentiaire, le tissage des motifs dans des cadres en bois, les motifs iconographiques que permet l’inclusion de perles pour décorer des portefeuilles ou autres objets, les sculptures en bois allant des gobelets ornés aux cadres des photos, ou les mises en forme créatives des allumettes et de leurs boîtes. Elias documente aussi les jeux de la prison – jeux ludiques de coopération ou compétition, ou jeux d’argent, de cartes, etc. – les règles qu’on se fixe, les objectifs, ces jeux qui font société, qui sont un passe-temps salutaire, une cure contre l’ennui d’une attente infinie, des manières de fabrication de l’être-ensemble. Mais Elias fait aussi des dessins, par dizaines, des croquis de tout ce qu’il voit : les gravures sur les murs des prisons, les plans des bâtiments commentés, des citations de prisonniers – souvent des mots de réticence, des revendications d’innocence, des évocations d’amour envers une figure maternelle, ou poèmes ou figures sexuels lascifs invitant le lecteur à s’en inspirer pour se livrer à ses plaisirs intimes. On entend les voix des détenus par l’entremise de cette collection constituée par Elias en prison, dessins de sa plume ou qu’on lui a offerts. Ils seront en partie publiés dans toute leur immédiateté dans sa monographie Της φυλακής (De la prison) (1981).
Pendant ses années carcérales, il prépare son chef-d’œuvre à venir qu’il achèvera à Paris. Εγχειρίδιον του Καλού Κλέφτη (Manuel du Bon Voleur) est publié en 1979. Ce récit satirique sur la société grecque contemporaine est écrit sous la forme d’une longue allégorie. Elias nous parle d’Antiqua, un ancien pays de l’Europe du Sud-Est, proche de la Grèce et de la Turquie. Il nous guide dans ce pays et ses effarantes contradictions, et trace le portrait des petits-bourgeois qui peuplent cette contrée mythique. Le texte, écrit sous la forme d’un manuel pour les Futurs Voleurs d’Antiqua, a l’ambition de transmettre tous les secrets de l’art du bon voleur. Elias expose sa théorie du vol, ainsi que des portraits de voleurs, de la police, de la justice et de la prison, offrant toute la gamme des expériences possibles qu’un apprenti voleur sera amené à connaître du début à la fin d’une telle carrière. Il détaille en outre d’autres aspects de la vie en prison, notamment les différentes hiérarchies qui prévalent entre détenus, leur goût pour la sodomie, et l’organisation implicite des relations homosexuelles, ainsi que les blagues salaces qui circulent dans le monde pénitentiaire.
Pour ce manuel, qui fait de nouveau l’objet d’une censure en Grèce, Elias, qualifié de pornographe, sera condamné à une amende et à un nouvel emprisonnement de dix-huit mois. Désormais installé à Paris, il n’accomplira jamais cette peine. Nombre d’acteurs nationaux et internationaux protesteront contre cette censure et cette attaque frontale du gouvernement grec envers la liberté d’expression. Des lettres d’Amnesty International, de groupes d’édition, de médias, de juristes, du Pen club, association d’écrivains internationale, et d’autres personnalités de la culture, soutiendront Elias. Jacques Lacarrière dénonce le « retour de la censure en Grèce » dans Le Monde du 14 décembre 1979.
Parallèlement, le travail d’Elias est décrit comme le « prodrome d’une laographie à venir », celui d’un laographe qui échappe aux tendances ethnocentriques de la laographie grecque (Ο Αθηναίος, janvier 1980). En dépit de son ambivalente position envers la laographie – Elias cherche à prendre ses distances avec l’inclination nationaliste de la sphère académique –, on voit déjà dans ses travaux une alternative à la laographie conventionnelle, une véritable anthropologie. Ses enquêtes sont minutieuses, portent une attention aux détails, un intérêt aux expériences et aux discours des gens, et un respect pour tout le spectre de l’expérience humaine. Sans méthode prédéterminée, Elias fait énormément appel à sa mémoire, ses souvenirs et ses observations. Explorateur aventureux, il voyage dans la Grèce entière pour constituer des corpus ethnographiques sur tous les sujets qui l’intéressent. Il prend sans cesse des photos des lieux et des objets, qu’il publie ensuite dans ses études. Quand la photographie se révèle impossible à réaliser, il y supplée par ses propres dessins. Ainsi a t-il pu constituer un ensemble de dessins sur la vie en prison – des calques des dessins des prisonniers eux-mêmes, mais aussi ses propres dessins originaux.
À côté de cette disposition à voyager, collectionner et documenter tout ce qu’il voit, apparaît une tendance philologique dans sa démarche. Amateur du langage, poète, Elias se passionne pour les dictionnaires contemporains et anciens, à la recherche du parcours étymologique des mots, des emprunts entre langues, et des formes d’appropriation des termes étrangers. Surtout, il s’intéresse à la divergence entre le sens que certains lexicologues attribuent à des mots populaires dans leur travail, et celui que lui révèle la pratique qu’il observe dans ses recherches de terrain. Cette discordance entre savoir érudit et académique et les réalités du terrain ethnographique souvent l’amuse, et il ne se prive pas d’en expliciter les contours dans ses écrits.
À la documentation extensive, et à son intérêt pour le langage, s’ajoute une autre méthode implicite dans ses enquêtes, l’observation participante. Ayant vécu avec les rebetes, longuement fréquenté les milieux homosexuels, Elias a vu de ses propres yeux les transformations de Thessalonique, et a été lui-même immergé en milieu carcéral. Quand les ethnologues européens et américains se lancent dans des enquêtes ethnographiques dans des lieux exotiques, Elias quant à lui a déjà tourné son regard ethnographique vers sa propre culture, vers l’Occident, vers la Grèce, dans une tentative d’exoticiser ce qui semble familier. On pourrait même rapprocher le parti qu’il prend de s’aventurer dans le passé pour trouver les clés explicatives du présent, ou pour en complexifier la perception, de l’anthropologie historique. Plusieurs de ses études ont cette dimension historique, Elias s’appliquant à fouiller constamment l’histoire pour y trouver des facettes inconnues, oubliées ou cachées. C’est ainsi par exemple qu’il aborde l’étude des mœurs sexuelles de la Grèce contemporaine (de l’histoire des nouveaux et inventifs modes de contraception dans son histoire de la capote, à celle de l’organisation des bordels).
Elias ose s’aventurer là où les laographes ont échoué à enquêter, et cette diversité des sujets d’enquête le distingue des laographes. Il donne la parole à ceux qui étaient implicitement bannis de l’enquête laographique, ceux que l’académie grecque, encore assez immature dans sa constitution, excluait de ses objets. Il se lance dans l’étude de la prison, des bordels, des homosexuels, des rebetes, ainsi que dans la déconstruction des symboles nationaux comme le costume national grec, ou même le plat national grec. Mais l’étendue de ses objets d’étude n’est pas le seul trait distinctif entre Elias et la laographie d’antan. Dans une perspective inverse à celle de la laographie, Elias a voulu démonter nos préjugés nationalistes, et dévoiler le passé historico-culturel métissé de la Grèce moderne. Là où l’objectif ultime des études laographiques était la constitution de la Nation, Elias œuvre, pour sa part, à la déconstruire, montrant la violence de l’ethnocentrisme, la richesse et la continuité de la culture grecque dans un dialogue inventif avec ses voisines – latines, balkaniques et slaves, ottomanes et moyen-orientales – une culture dont les confins ne pouvaient être nationaux. Son regard sincère, libre des discriminations ethnocentriques et du mépris des déviants dont la laographie grecque faisait encore preuve, confère au travail d’Elias un statut paradigmatique, qui offre une bouffée d’air frais face à une académie saturée de préjugés. Rappelons que la laographie, avec l’histoire, est venue soutenir « la Grande Idée [3] » en Grèce dans les années 1920 – ce fantasme grec moderne d’un hellénisme étendu, à la fois du point de vue des frontières vis-à-vis des pays alentour (Balkans, Italie et Turquie) mais aussi du point de vue de la consolidation d’une conscience ethnique, qui a conduit à un des plus grands traumatismes nationaux avec la Catastrophe de Smyrne [4] en 1922 et marqué l’histoire du pays pour le reste du siècle. Tandis que la tradition laographique se mettait au service de cette Grande Idée, Elias cherchait de son côté à se rapprocher des petits gens, les oubliés de l’académie, les Grecs exilés de l’hellénisme.
Pourtant, même si Elias ne souscrivait pas à la vocation nationaliste de cette laographie grecque, pas plus qu’il n’appartenait au corps professoral de la discipline académique, il lui accordait malgré tout une certaine valeur. Dans un manuscrit inédit sur l’épistémologie des sciences humaines, « Η δύναμη της παράδοσης » (« Le pouvoir de la tradition »), conservé dans ses archives personnelles à la bibliothèque Gennadius de l’École américaine d’Athènes, Elias se positionne plus clairement vis-à-vis des disciplines anthropologiques. En donnant sa vision personnelle du développement de la laographie depuis le XIXe siècle, sur le personnage fondateur de Nikolaos Politis, ainsi que sur la diffraction disciplinaire qui amène à distinguer anthropologie, ethnologie, ethnographie et laographie, Elias s’identifie comme laographe : « Je fus et je reste laographe ». Cette affirmation n’infirme pas son rapport difficile, sinon querelleur avec la tradition laographique établie. Elias loue la laographie pour son objectif original, antérieur au tournant ethnocentrique de la discipline, l’assemblage et la conservation d’un matériel primaire. Il lui oppose l’ethnologie, et les grandes théories qu’elle prétend établir. Pour lui, les laographes travaillent comme des fourmis afin de ramasser leur matériel, quand les ethnologues construisent des théories à partir du matériel que les laographes ont reccueilli. Le respect et l’admiration qu’il a pour la matière première et l’enquête du terrain rapproche Elias de la laographie, et l’éloigne radicalement des tentatives de théorisation des ethnologues. En ceci, et pour son propre compte, il ne se considère que laographe – même s’il rejette le rôle que se donne la laographie grecque pour consolider la singularité de l’ethnie grecque vis-à-vis de toutes les autres.
« C’était mon rêve depuis l’adolescence. Partir de ce maudit pays » (ou : Vers la liberté parisienne)
Elias n’échappe pas seulement au carcan d’une tradition ethnologique universitaire dogmatique et nationaliste, il fuit aussi la Grèce. Dès 1975, fatigué des poursuites judiciaires, des réactions de l’Église contre ce premier citoyen grec officiellement inscrit comme « athée » [5], des multiples attaques publiées par les journaux grecs, il part s’installer à Paris. À l’exception de courts séjours dans des villes qui lui sont chères, Berlin, et plus encore Rome, Elias ne quittera plus Paris jusqu’à sa mort. Il ne retournera plus jamais en Grèce. Cette distance lui permettra de poursuivre son œuvre, et d’utiliser la laographie comme une arme politique, malgré les mesures judiciaires qui continueront d’être prononcées contre lui jusqu’en 1992. « Loin de la Grèce je peux écrire librement et lancer mes livres comme des bombes » (Ένας κόσμος υπόγειος, Un monde souterrain, 2005).
À Paris il travaille plus intensément, avec une plus grande concentration, loin de la chasse aux sorcières dont il est l’objet en Grèce. Elias fréquente des artistes, et surtout les anarchistes de Paris – il se considère lui-même comme anarchiste. Paris lui offre aussi la possibilité de reprendre ses études, d’assouvir sa curiosité à l’égard du passé et de l’héritage ottoman de la Grèce contemporaine. Dès son arrivée en 1975, il s’inscrit à la IVe section de l’École pratique des hautes études (EPHE) où il commence l’apprentissage de la langue turque et des études de turcologie. Il veut découvrir la structure de la langue turque, mais surtout « comprendre la philosophie qui régit ce peuple, qui, qu’on le veuille ou non, nous a influencés ». Depuis lors, dans ses travaux, l’exploration des influences ottomanes sur tout sujet qu’il traite touchant à la Grèce ou aux Balkans, se fait encore plus prononcée.
Les mœurs de l’Orient – les influences de l’Anatolie et de l’Islam qu’on accepte peu dans l’imaginaire grec au profit des influences communément admises de l’Occident et des occupations vénitiennes – figurent dans toute une série de sujets qu’Elias publie à intervalles réguliers. Des collections d’essais qui touchent une large gamme de sujets (Το Άγιο Χασισάκι ‒ Le Saint Haschisch en 1987, Μικρά Κείμενα ‒ Petits Textes 1949-1979 en 1980, ou même ses Άρθρα στην Ελευθεροτυπία ‒ Articles dans Eleytherotypia en 1992), aux enquêtes ethno-historiographiques sur les Juifs de Salonique (Οι Εβραίοι της Θεσσαλονίκης) en 1983, aux essais sur des sujets érotiques dans Ο κουραδοκόφτης (Le coupe-couillon) en 2002, une exploration détaillée de la diversité des techniques de contraception dans son histoire de la capote (Ιστορία της Καπότας) en 1984, ou dans sa monographie sur les bordels grecs (To μπουρδέλο) en 1980, Elias va dévoiler tout un passé jusqu’alors peu connu, parfois même caché, de la Grèce. Ce qui caractérise son œuvre, c’est à la fois la sincérité de l’enquête, mais aussi une critique implicite – quand elle n’est pas très explicite et directe – de l’hypocrisie du monde académique grec, qui ne cesse de taire les contradictions morales de la Grèce contemporaine – cette pluralité des références historiques, et les contradictions ou le brassage de différentes mœurs – au profit d’une image lissée et stérilisée de l’histoire au service de la Nation.
Son essai novateur sur les kocek (Κιουτσέκια [Kioutsekia] dans Ο κουραδοκόφτης [Le coupe-crotte], 2002) commence ainsi : « Il était une fois, dans notre langue le mot kioutseki, qui grâce aux soins vigilants d’universitaires bâtards, a complètement disparu de nos champs de recherche et de nos dictionnaires. » Elias décortique cet idéal de beauté éphèbe qui inspira dans tout l’Orient ces figures soignées de garçons féminisés, qui amusent les hommes dans des lieux publics, comme dans les cafés, avec leurs tenues chamarrées, leurs danses et gestes sensuels, et d’autres artifices plus intimes encore. Le soin du détail, dont toute l’œuvre d’Elias fait preuve, va jusqu’à retracer les évolutions lexicales du concept de kocek, de l’Inde via tout le Moyen-Orient, jusqu’à la Grèce, et il explore ce sujet devenu tabou dans la bibliographie occidentale, ottomane et néo-héllenique. De cette enquête il conclura que « dans notre pays les universités existent pour aveugler les jeunes » et il décrira certains efforts académiques pour voiler une partie de notre héritage.
La place qu’occupe Elias Petropoulos dans l’intelligentsia grecque moderne est unique. C’est un érudit qui œuvre en dehors de l’académie. Un laographe qui méprise la laographie. Un Grec qui rejette l’hellénisme oppressif de la Grèce. Sa réception est tumultueuse. Par son esprit combattant, par ses sujets improbables et ses méthodes intégralement immersives, il enquête aux marges de l’académie – une académie que lui-même n’apprécie guère. De nombreux acteurs gouvernementaux, offensés par ses recherches et son discours incisif, vont le chasser, le censurer, bannir son œuvre, et l’emprisonner. De cette chasse aux sorcières, Elias fait un motif de recherche, et continue à dénoncer la censure et l’hypocrisie de la politique et de l’académie grecques depuis la prison, et ensuite durant son exil à Paris.
Pourtant, une autre Grèce, elle-même affligée par ce régime de censure, accueille Elias à bras ouverts. Dès les années 1980, le succès commercial de ses publications s’accentue. En janvier 1980, son Manuel du Bon Voleur (Eγχειρίδιον του Καλού Κλέφτη) figure à la sixième place dans la liste des livres les plus vendus dans les librairies centrales d’Athènes, de Thessalonique et du Pirée. Un peu plus tard, en mars 1980, un deuxième livre de Petropoulos figure dans les palmarès, son étude laographique sur les poux, les mouches, les cafards, les abeilles et autres insectes (Ψειρολογία [La Science des Poux]) alors que son Manuel du Bon Voleur se vend dorénavant lui aussi dans les librairies de la périphérie grecque (Corinthe, Crète, Patras, Corfou, etc.). En avril 1980, son livre sur les bordels (To μπουρδέλο [Le bordel]) est le livre le mieux vendu dans toutes les librairies centrales d’Athènes, suivi par son Manuel du Bon Voleur. Ensuite, la médiatisation d’Elias va croissant dans les journaux, surtout aux alentours d’octobre 1980 quand Elias est jugé pour ses travaux « obscènes et méprisants à l’égard de la religion, de la justice, de la police et du corps judiciaire ». Sa condamnation pour le Manuel du Bon Voleur le fera figurer dans tous les grands journaux de l’époque qui couvrent l’évènement de près alors qu’Elias séjourne déjà à Paris. Pendant cette étape judiciaire, il recevra le soutien des hommes et femmes de lettres en Grèce, mais aussi des associations d’édition, du Pen Club et d’autres personnalités internationales qui condamnent cette censure.
Avec le XXIe siècle, la vision d’un écrivain vulgaire et offensant tel que le présenta le corps politique, judiciaire et ecclésial du pays lors de ses multiples condamnations s’estompe, comme la longue tradition de censure qui caractérisait ce système. En raison des profonds changements de la société grecque, mais aussi de l’arrivée de nouvelles générations, le travail d’Elias va devenir une manne pour les savoirs anthropologiques du pays. Le documentaire sur sa vie et son œuvre, produit en 2005, sera diffusé par la télévision nationale. Et ses travaux sont aujourd’hui disponibles sur internet, cités dans plusieurs blogs et sites grecs. Profils et biographies d’Elias, devenu une personnalité culte, vont se répandre dans plusieurs magazines numériques qui dressent le portrait de cet auteur audacieux, d’une culture remarquable, et d’un tempérament fougueux, le moraliste d’une Grèce en extinction. Quoiqu’il n’ait jamais réussi à infiltrer les cercles académiques du pays, ses œuvres sont désormais en vente dans les librairies grecques, et ses archives personnelles déposées et conservées à l’American School for Classical Studies à Athènes.
Au-delà des confins du pays, Elias Petropoulos reste largement inconnu. À quelques rares exceptions près, comme son travail sur les chansons rebetika ou le Manuel du Bon Voleur qui ont été traduits et publiés aux États-Unis ou en Allemagne (en France, ce dernier, traduit aussi en français, a été refusé par les éditeurs, et seuls quelques extraits sont parus dans la revue Le Fou Parle), sa vaste œuvre reste inédite en Europe. Mais Elias était un optimiste. « J’écris pour les jeunes, je m’adresse aux jeunes. Mon public était, il est, et j’espère qu’il sera toujours, les jeunes. » C’est ainsi qu’Elias exprimait l’espoir qu’il mettait dans la jeunesse qui lui démontrait l’apport de son travail. Il escomptait qu’en se l’appropriant, ils pourraient découvrir une autre Grèce, et échapper à l’enfermement dans le nationalisme – un nationalisme qui est subtilement normalisé par un enseignement historique biaisé dans les écoles publiques et par un récit embelli dans la plus pure tradition ethnocentrique de la laographie. Les recherches d’Elias offrent un contrepoint de cette histoire, ouvrant sur une autre vision de la Grèce.
Elias est mort en 2003 à Paris sans être jamais retourné en Grèce depuis son exil volontaire, en 1975. Dans son testament, il donna des instructions précises sur le devenir de sa dépouille après sa mort. Son dernier souhait fut respecté : en septembre 2003, ses cendres furent dispersées dans les égouts parisiens par son épouse afin qu’il puisse, enfin, rejoindre l’hypocosme.