En 1881, Antonio Machado y Álvarez (1846-1893) s’inspire des modèles européens, en particulier des postulats théoriques et de l’organisation institutionnelle de la Folk-Lore Society, pour promouvoir l’institutionnalisation des savoirs ethnographiques en Espagne. Élevé au sein d’une famille marquée par le patriotisme libéral, l’engagement progressiste et scientifique ‒ il est le fils de l’introducteur de Darwin en Espagne ‒, ce double héritage façonne sa conception de la discipline folklorique et de son approche. Ses convictions républicaines de teinte fédéraliste l’incitent non pas à choisir le modèle de société centralisée des Britanniques, mais à constituer un réseau fédéral de sociétés régionales de folklore, mieux adapté, selon lui, à la réalité culturelle et territoriale espagnole. Son amour du peuple ‒ son premier nom de plume était Demófilo (l’ami du peuple) ‒ imprègne également sa démarche méthodologique. Son outil emblématique est la constitution de cartes topographiques traditionnelles qui présentent, à ses yeux, un double avantage : rechercher dans la mémoire traditionnelle les sources d’une histoire plus démocratique, mettre en relation territoire et histoire afin de faire émerger la diversité culturelle territoriale, entendue comme source de cohésion et de régénération. Son ambition fédératrice se traduit aussi sur le front européen, puisqu’il propose à ses condisciples Giuseppe Pitrè, Teófilo Braga et Paul Sébillot le projet de fonder une confédération des sociétés folkloriques des pays latins, envisagée comme contrepoids progressiste et démocratique à la conception de la discipline des Britanniques.
Cet ouvrage replace ainsi l’homme, sa trajectoire intellectuelle et son modèle folklorique populaire et idéaliste, tant dans l’histoire culturelle de l’Espagne du XIXe que dans l’histoire des savoirs ethnographiques en Europe.
Cet ouvrage est le dixième volume des Carnets de Bérose, une collection éditée électroniquement par le Lahic et le département du Pilotage de la recherche et de la politique scientifique de la Direction générale des patrimoines (ministère de la Culture).
Hispaniste, Mercedes GARCÍA PLATA-GÓMEZ est maître de conférences habilitée à diriger des recherches à l’Université de la Sorbonne Nouvelle (USPC) et membre du Centre de recherche sur l’Espagne contemporaine (EA 2292). Elle participe aussi activement à l’encyclopédie en ligne Bérose depuis 2015. Ses derniers travaux portent sur la circulation des idées scientifiques et leur adaptation à de nouveaux contextes, en Espagne au XIXe siècle, en s’intéressant plus particulièrement aux questions de l’institutionnalisation des savoirs ethnographiques et de leur mobilisation au service de la construction d’un imaginaire national, ainsi qu’aux débats et aux enjeux liés à l’introduction du paradigme évolutionniste.