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Encyclopédie internationale
des histoires de l’anthropologie

Un Communard parmi les américanistes : biographie de Théodore Ber

Pascal Riviale

Archives nationales (DECAS), EREA (LESC), IFEA

2018
Pour citer cet article

Riviale, Pascal, 2018. « Un Communard parmi les américanistes : biographie de Théodore Ber », in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l'anthropologie, Paris.

URL Bérose : article1413.html

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Théodore Ber était-il un américaniste ?

Qu’est-ce qu’un américaniste ? On pourrait le définir succinctement comme un individu dédiant ses travaux de recherche (dans leur intégralité ou en grande majorité) aux sociétés humaines s’étant développées au Nouveau Monde – qu’il s’agisse de cultures autochtones ou bien issues d’un métissage avec d’autres populations exogènes. Dans le cadre de cet essai, nous nous démarquons ici bien entendu de l’américanisme littéraire, sociétal ou politique, qui relève de tout autres champs d’études. L’américanisme a émergé au milieu du XIXe siècle, pour se formaliser et s’institutionnaliser en France dans le dernier quart du siècle [1], notamment à travers les écrits de Léon de Rosny et de son cercle et, surtout, par la tenue régulière à partir de 1875 (à Nancy) de congrès réunissant les chercheurs du monde entier se déclarant « américanistes ». Un individu pouvait bien entendu s’autoproclamer « américaniste », mais il était peut-être avant tout reconnu comme tel, de son vivant par ses pairs, ou bien a posteriori par ses successeurs.

Durant cette période initiale certains, sans être des professionnels à plein temps de l’américanisme, étaient parvenus à se faire une place dans un paysage académique alors en pleine formation. Léon de Rosny peut ainsi être considéré comme un pionnier et un acteur essentiel de la constitution et de la reconnaissance institutionnelle du champ d’étude américaniste (Fabre-Muller, et al. 2014), mais il représente quasiment une exception. En fait jusqu’au début du XXe siècle la plupart des acteurs de ce proto-américanisme n’étaient pas des chercheurs professionnalisés : ils œuvraient dans ce champ d’étude en marge de leurs activité principale, ou bien disposaient de moyens économiques leur permettant de s’adonner à leurs chères études (archéologiques, ethnographiques, linguistiques) sans se préoccuper de la matérialité du quotidien. Des personnalités telles que Brasseur de Bourbourg (Prévost 2007), Léonce Angrand (Riviale 2001), Ferdinand Denis ou Henri Ternaux-Compans (Billé 2007, Chassin 1994), qui ne vivaient pas de leurs travaux archéologiques ou ethnographiques, peuvent néanmoins être considérés comme des américanistes et étaient reconnus comme tels par leurs contemporains.

Quantité d’autres individus, qui ne sont pas passés à la postérité, ont également œuvré dans le domaine de l’américanisme, apportant leur pierre – parfois un peu bancale, il est vrai – à l’édifice scientifique alors en construction. Théodore Ber fut de ceux-là. Mais doit-on pour autant parler de lui comme d’un américaniste ? Son parcours, comme sa personnalité, illustrent la particularité d’un individu qui aurait probablement apprécié d’être perçu comme tel mais qui s’est heurté à divers obstacles s’opposant à son insertion durable dans cette communauté.

Une vie éloignée de la science

Dans sa jeunesse, rien ne prédisposait Théodore Ber à prétendre jouer un quelconque rôle dans la recherche américaniste. Né en 1820 à Figeac (Lot), fils d’humbles artisans tailleurs, Théodore reçoit une courte formation scolaire avant de partir à Bordeaux chez un oncle pour faire son apprentissage en tant que tailleur. Ses premières années en qu’en artisan le font passer d’un atelier à l’autre pour monter jusqu’à Paris ; elles sont sans doute doublement formatrices pour lui : tout en parfaisant son apprentissage, il semble y avoir été initié aux idées socialistes, discutant avec ses camarades d’atelier et leur faisant la lecture. Ceci est un point qui nous paraît crucial dans sa personnalité : bien qu’ayant eu une scolarité minimale, Ber se distingue de nombre de ses homologues en sachant lire. C’est donc souvent lui qui lit les journaux à haute voix pour ses camarades pendant que ceux-ci travaillent (et exécutent sa propre part de travail) ; on imagine qu’ils commentent ensuite ce qui vient d’être lu et débattent d’idées progressistes voire révolutionnaires. À son arrivée à Paris, il est d’ailleurs rapidement intégré à des cercles socialistes protestataires (ce qui lui vaut d’être arrêté non sans être relâché quelques jours plus tard). Son activisme l’a alors amené à aborder diverses facettes du militantisme : le débat public, le journalisme (en écrivant dans des périodiques tels que L’Humanitaire ou La Fraternité), puis l’action violente (lors de la révolution de 1848). Certaines de ces expériences lui ont vraisemblablement donné une aisance d’expression en public qu’il n’avait pas initialement, mais aussi une certaine propension à la polémique. Les désillusions au contact du monde politicien l’amènent à se « ranger » socialement, en devenant gérant d’un négoce d’exportation à Paris. Mais des soucis professionnels et personnels (la séparation d’avec son épouse) le poussent à émigrer au Chili en 1860, puis au Pérou en 1863. Constatant son manque de sens des affaires, Théodore Ber abandonne le commerce pour se consacrer à l’enseignement (essentiellement de la langue française, mais aussi les mathématiques, l’histoire, la géographie – quand une offre se présente !). Républicain convaincu, Ber interprète la nouvelle de la chute du Second Empire (apprise par les journaux venus d’Europe) comme un appel irrépressible : il décide de tout abandonner à Lima pour rentrer en France et y offrir ses services à la future république. Son passé militant et ses expériences d’enseignant lui donnent sans doute une audace inattendue : on le voit ainsi (par le biais de son journal intime tenu pendant près de 40 ans) se rendre à Bordeaux pour y rencontrer le gouvernement provisoire, puis à Paris assiégé par les troupes versaillaises pour prendre la parole devant le grand rassemblement maçonnique du 26 avril 1871, avant de devenir durant quelques jours l’un des secrétaires de Charles Delescluze (chargé des affaires militaires dans le gouvernement de la Commune de Paris). Bien que n’ayant pris part aux événements de la Commune que durant une très courte période, l’étiquette de « communard » contribuera d’abord à le discréditer auprès du ministère français de l’Instruction publique, puis lui collera à la peau jusqu’à la fin de ses jours : il finira par s’en amuser puis à s’en vanter auprès de certains de ses compatriotes du Pérou, là aussi plus par provocation que par conviction réelle.

Après son retour calamiteux au Pérou dans le courant de l’année 1871, Ber ressent de nouveau le besoin de passer à autre chose et se consacre à l’archéologie. Cette nouvelle page de sa vie – qui en définitive ne durera que quatre ou cinq ans –, dédiée à une science qu’il ne dominait pas véritablement mais qui l’a vraisemblablement passionné, le marquera durablement et lui laissera une blessure inguérissable. En 1879, en effet, constatant qu’il est devenu persona non grata aux yeux du gouvernement français et des cercles académiques officiels, il part s’exiler dans une petite colonie aux abords de la forêt amazonienne du Pérou, puis retourne à Lima en 1884, pour y finir ses jours en 1900.

Un pas dans la sphère académique

Ber a très tôt rêvé d’avoir une activité scientifique qui donnerait un sens à sa vie et lui donnerait une reconnaissance publique à laquelle il aspirait. Ce n’est d’ailleurs pas nécessairement l’archéologie qui l’intéresse le plus, mais plutôt les sciences naturelles, l’anthropologie. On sait par son journal intime qu’il était abonné à La Revue des cours scientifiques de la France et de l’étranger, dans laquelle il découvre des textes de Paul Broca, d’Armand de Quatrefages. Divers événements (par exemple une épidémie de fièvre jaune, puis un terrible tremblement de terre, tous deux survenus au Pérou en 1868) suscitent en lui des réflexions qui attestent de son esprit critique et de son recours systématique aux données de la science – pour maigres que soient ses connaissances réelles. Ber aime écrire et faire connaître ses observations et ses impressions : depuis sans doute le début de son séjour en Amérique du Sud, il tient régulièrement un journal, qu’il espère voir un jour lu par ses descendants [2] ; il collabore au Pérou à divers périodiques tant hispanophones que francophones ; il envisage même d’écrire un livre basé sur son séjour en Amérique du Sud : « J’ai depuis longtemps formé le projet de publier une relation de mon séjour au Pérou, à plusieurs reprises j’ai tenté d’ordonner les nombreux faits que je recueille et la besogne me paraît au-dessus de mes forces [3]. »

C’est finalement un peu le hasard qui va l’orienter vers l’archéologie. Comme d’autres résidents étrangers, Ber pratique des fouilles dans les environs de la capitale péruvienne, peut-être plus comme un dérivatif que mû par un véritable intérêt scientifique. Il se rend en particulier à Ancón, station balnéaire située à quelques kilomètres au nord de Lima où avaient été découvertes de manière fortuite en 1869 de nombreuses tombes préhispaniques. Il effectue ses fouilles en complet néophyte, recourant probablement à des huaqueros, des habitants des environs qui, eux, ont l’expérience et savent où rechercher les tombes et comment les localiser (au moyen d’une longue sonde en bois ou en métal). Cependant, à la différence de la plupart de ses homologues archéologues amateurs qui cherchent avant tout à recueillir des curiosités qui viendront enrichir leur collection ou agrémenter leur intérieur, Ber s’attache à noter ses observations, à faire des croquis des structures architecturales exhumées, à coucher par écrit ses interprétations. Il dispose pour cela de peu d’éléments de référence ou de comparaison : seulement quelques articles lus dans les revues de vulgarisation qu’il reçoit par abonnement ou qu’il se procure peut-être dans les cabinets de lecture de la capitale. Vers 1874, il envoie le produit de ses fouilles à Paris, à l’attention de Paul Broca, fondateur de la Société d’anthropologie de Paris et directeur du Laboratoire d’anthropologie de l’École pratique des hautes études. Il ne le connaît pas personnellement, il a simplement lu son nom dans une revue. Voici comment il relate cet épisode dans son journal :

« Un jour que j’étais aux bains de mer d’Ancón près de Lima, il me prit l’envie de fouiller les ruines d’une ancienne population : si je pouvais y découvrir pour nos musées de France quelque merveille que n’auraient pas les Allemands ! Cette idée fut la cause de mon intrusion dans la science. Je recueillis des crânes, divers autres objets, restes de l’industrie incasique ; j’en fis deux caisses que j’adressais à M. Broca après en avoir payé le port jusqu’en France ; j’étais abonné à la Revue des cours scientifiques et j’y avais lu le nom de Broca [4]. »

Non seulement Broca a bien réceptionné les caisses, mais il en a grandement apprécié le contenu, ainsi que les notes jointes. À tel point que ce dernier les publie telles quelles dans sa Revue d’anthropologie (auxquelles il adjoint toutefois les mesures effectuées sur les crânes par Paul Topinard, son assistant). En outre, Broca, qui est très écouté au ministère de l’Instruction publique, souffle son nom au service de missions scientifiques et littéraires afin que cette administration confie à Ber une mission officielle au Pérou. De fait, le dossier de Théodore Ber conservé aux Archives nationales présente une anomalie que – faute des sources adéquates (avant de lire son journal) – je n’avais pu interpréter. La procédure habituelle observable de manière récurrente dans ces dossiers est la suivante : un individu soumet au ministère un projet d’étude (parfois accompagné d’une lettre de recommandation d’une personnalité), le projet est alors transmis pour évaluation avant d’être présenté devant la commission des missions qui siège tous les deux ou trois mois. Dans le cas de Ber, l’on trouve simplement dans son dossier une note anonyme indiquant :

« Commission des missions. Porter à l’ordre de la prochaine séance. M. Ber (Th.), résidant à Lima. A fait de nombreux envois ; aurait besoin d’une subvention pour continuer ses fouilles. Il envoie ses trouvailles anthropologiques au musée du Laboratoire d’Anthropologie à l’École de Médecine, archéologiques et ethnographiques au Musée de Saint-Germain. Il fait des fouilles surtout à Ancón, station antérieure aux Incas. Sa demande de subvention est recommandée par MM. Broca et Bertrand [5]. »

La commission, réunie en juin 1875, approuve la proposition, puis son arrêté de mission est signé le 9 juillet 1875. Voici comment Ber relate cette nouvelle tout à fait inattendue :

« Un an s’était écoulé depuis le départ de mes caisses ; je les avais presque oubliées lorsque je reçus une lettre de M. Broca me remerciant dans les termes les plus flatteurs de mon envoi – précieux, me disait-il. Les notes qui accompagnaient les objets étaient d’un tel intérêt qu’on les publiait dans la Revue d’anthropologie [6]. On m’envoya 25 exemplaires de cette publication, on me nommait membre de la Société d’Anthropologie et finalement on obtenait pour moi une mission du ministère avec une subvention de 1 000 francs, on me montrait les palmes de l’Académie dans un avenir prochain. Cette lettre mit le feu à mes étoupes : je partis à l’instant pour reprendre mes recherches. Cette fois-ci je travaillais en grand, j’employais mes économies à payer des ouvriers ; je formais deux grandes caisses renfermant deux momies, une soixantaine de crânes et une riche collection de tissus, de vases trouvés dans les tombes [7]. »

Ces objets, envoyés au ministère de l’Instruction publique en octobre 1875, seront attribués au Musée des antiquités nationales, à Saint-Germain-en-Laye.

Dans le courant de l’année 1876, Théodore Ber forme le projet d’aller explorer les ruines de Tiahuanaco, en Bolivie. Ce site archéologique jouit déjà d’une aura particulière auprès des américanistes, car il est réputé être d’une très grande ancienneté – une ancienneté qui sera d’ailleurs parfois grandement exagérée par certains auteurs. La tradition, recueillie par quelques chroniqueurs espagnols, rapportait que le site, fondé par des êtres plus ou moins mythiques, était déjà en ruine à l’époque de la domination inca. Ber avait lu dans un des exemplaires de la Revue d’anthropologie envoyés par Broca, un article sur Tiahuanaco qui lui avait donné envie de se rendre sur place pour étudier le site. Cependant il ne dispose pas des fonds nécessaires à cette ambitieuse expédition qui promet d’être fort coûteuse : il se propose en effet avec un compagnon de faire le voyage jusqu’à l’Altiplano bolivien et d’entreprendre des fouilles à Tiahuanaco durant plusieurs semaines (et donc d’avoir de quoi rétribuer la main-d’œuvre recrutée localement). Il se décide alors à solliciter Henry Meiggs, un entrepreneur américain qui a fait fortune en construisant quasiment toutes les lignes de chemin de fer du Chili, de Pérou et de Bolivie. Celui-ci accepte de le financer ; en contrepartie Ber s’engage à réserver la moitié du produit de ses fouilles et à l’envoyer au nom de Meiggs à deux grands musées américains (le musée d’Histoire naturelle de la Smithsonian Institution et le Natural History Museum de New York). Ce n’est pas une première dans ce domaine, d’autres explorateurs ont eux aussi eu recours à des mécènes privés : Alcide d’Orbigny avait pu compter sur le soutien du comte de Rivoli pour son expédition en Amérique du Sud entre 1826 et 1833 ; Désiré Charnay bénéficiera de l’aide financière de l’entrepreneur franco-américain Pierre Lorillard pour son expédition au Mexique entre 1880 et 1882. Néanmoins la démarche n’était pas évidente et elle illustre à mes yeux le ressort qui animait Ber afin de poursuivre ses recherches archéologiques pour le compte du gouvernement français.

Ber va rester deux mois à Tiahuanaco (entre décembre 1876 et janvier 1877). Il avait envisagé d’y faire de larges fouilles mais le manque de moyens limitant ses ambitions, il a dû se contenter de faire creuser quelques tranchées pour tenter de sonder les niveaux inférieurs du site et de dégager quelques monuments. Son travail n’y a sans doute pas été très méthodique. Le géologue allemand Alphons Stübel, qui est passé juste après lui sur place, a légendé un portrait photographique de Ber posant au pied d’une stèle qu’il venait de dégager : « Monsieur Ber, un destructeur d’antiquités sous le prétexte de la recherche scientifique » [8] . Il convient cependant de souligner deux initiatives intéressantes prises dans le cadre de ses recherches sur place : tenter de retrouver sur le lac Titicaca les carrières d’où auraient pu être extraites les pierres ayant servi à l’édification du site, et engager un photographe plus ou moins amateur, Georg von Grumbkow, afin de réaliser une couverture photographique de son travail archéologique. Cela lui a permis de produire parmi les plus anciens clichés de Tiahuanaco et les plus diffusés à leur époque [9].

Ber ne se limite pas à un travail de terrain, il entreprend également de s’inscrire dans un mouvement international en plein essor. Alors qu’il pense entamer une nouvelle vie tournée vers l’anthropologie et l’archéologie, il entend vraisemblablement parler d’un congrès international devant se tenir à Nancy dans le courant de l’année 1875 visant à réunir les spécialistes du monde entier dans le domaine des études américanistes. Ce congrès, dont l’idée avait été émise par Léon de Rosny et son cercle a pris une ampleur sans doute inattendue pour les organisateurs eux-mêmes (Logie et Riviale 2009). Afin de financer l’événement, ces derniers avaient lancé une souscription internationale qui reçoit en retour un soutien notable. L’annonce avait-elle été relayée par la légation de France à Lima, ou bien via d’autres canaux (la presse notamment) ? On l’ignore. Toujours est-il que quelques personnalités péruviennes et qu’un certain nombre de notables de la communauté française de Lima apportent leur soutien à l’entreprise. Les appels à la générosité publique sont fréquents au sein de cette communauté : souscription pour l’ouverture de la Maison de santé (1870), pour la libération du territoire français occupé par les Allemands (1872), ou pour l’aide aux sinistrés d’une inondation dans le Midi de la France. Ce sont souvent les mêmes personnalités qui y contribuent de la façon la plus marquante. Dans le cas du congrès de Nancy, la démarche pour un certain nombre de ces souscripteurs est sans doute la même : montrer que l’on soutient une entreprise savante, internationale et par conséquent que l’on s’inscrit dans cette dynamique civilisatrice qui a pu motiver certains membres de la « délégation péruvienne » du congrès (Riviale 1989). Mais au-delà de la sociabilité et du souci de représentation, on peut être tenté d’y voir la marque d’une initiative de Théodore Ber auprès de ses concitoyens : on peut l’imaginer faisant la publicité pour l’événement auprès de ses amis, de ses connaissances plus ou moins lointaines, lui qui pensait incarner d’une certaine manière l’archéologie française au Pérou ? On sait qu’il connaît personnellement certains de ces souscripteurs (par exemple Yvan Guétat, entrepreneur des mines au Cerro de Pasco) ; il retrouvera plusieurs d’entre eux quelques années plus tard dans le cadre de la colonisation de la vallée de Chanchamayo (Maudet, Martinet, Maillard, Prugues) [10]. Rien ne permet d’affirmer qu’il les connaissait déjà, néanmoins la coïncidence est intéressante à souligner. En fait, Ber sera le seul à participer activement à l’événement, en envoyant une communication ; celle-ci ne sera vraisemblablement pas lue au congrès, mais sera publiée dans les actes [11].

Plus tard, alors même qu’il sait qu’il n’est plus en odeur de sainteté auprès des instances officielles françaises, Ber continuera de se rendre en France pour participer à des manifestations scientifiques : l’Exposition universelle de 1878 ; le congrès international des sciences ethnographiques (organisé dans le cadre de l’Exposition de 1878) ; le congrès international des américanistes en 1890. Dans ce dernier cas, il s’agit peut-être pour lui d’un « baroud d’honneur », car cela fait trop longtemps qu’il n’a plus d’activités scientifiques notables pour espérer être considéré comme un archéologue qui compte au sein de la communauté savante. Néanmoins, il est intéressant de noter qu’il fait la démarche de s’inscrire au congrès, prépare une communication sur ses fouilles effectuées en Bolivie quatorze ans auparavant et fait le voyage jusqu’à Paris (même si l’on peut supposer que ce n’était sans doute pas le seul but de ce voyage).

Avant tout un franc-tireur

En dépit de ses quelques tentatives d’intégration à la communauté américaniste, Théodore Ber a surtout fait preuve d’un esprit frondeur qui a certainement contribué à ruiner ses espoirs de reconnaissance. En définitive, hormis dans sa jeunesse ouvrière et socialiste, au cours de laquelle il semble avoir agi dans le cadre sans doute un peu contraignant de groupes d’activistes plus ou moins organisés, il a le plus souvent manifesté un irrépressible souci d’indépendance. À Lima, il s’est très vite écarté des associations qu’il avait intégrées (la loge maçonnique « Progreso y Libertad » ; la compagnie française des pompiers de Lima). De même, lorsqu’il vit à La Merced, dans le piémont amazonien des Andes, bien qu’il ait fait à diverses reprises la démarche de participer aux activités civiques de la colonie (comme juge de paix, comme membre du conseil municipal), Ber ne peut s’empêcher de se démarquer de la communauté et d’entretenir sa réputation d’esprit frondeur. Il semble s’être comporté de façon similaire auprès de la communauté américaniste. En premier lieu, il apparaît clairement qu’il ne maîtrisait pas les codes en vigueur dans la sphère académique et encore moins vis-à-vis de l’administration. Qu’il ait agi délibérément dans un esprit de provocation ou bien de manière inconsciente, les lettres incendiaires envoyées au ministère de l’Instruction publique lorsqu’éclata son contentieux avec Charles Wiener [12], ne pouvaient que le desservir et aiguiser la suspicion de l’administration à son égard. Voici ce que Ber écrivit au chef du service des missions scientifiques et littéraires à ce propos :

« S’il vous arrivait encore, Monsieur, de m’adresser quelqu’un de vos recommandes [sic], je vous prierai de vous assurer que ce ne soit ni un Allemand ni un juif, bien moins encore un faiseur. La conduite de M. Wiener a été telle que j’en suis venu à me demander si, au lieu d’avoir à faire [sic] à un savant, je ne me suis pas trouvé en présence d’un de vos émissaires envoyé en Amérique dans un tout autre but que la science [13]. »

Sa propension – pas toujours consciente ? – à la polémique a certainement joué en sa défaveur dans nombre de situations. Je serai tenté d’interpréter à cette aune la cause de son départ précipité de Tiahuanaco début 1877 (manquant d’être lynché par les habitants du village montés contre lui par le prêtre local), puis l’hostilité manifestée par la plupart des érudits locaux à son retour à La Paz quelques jours plus tard [14].

Après cela, en 1878, constatant qu’il demeure cantonné en marge des milieux académiques, Ber développe une réaction de rejet et de défiance. Dans son journal intime, il revient souvent sur ce sentiment de ne pas avoir été reconnu pour ce qu’il a fait et d’avoir été exploité. Il manifeste peu d’estime pour Broca et Topinard [15]. Pas tant du fait des théories anthropologiques qu’ils défendent – et qu’il semble finalement partager globalement –, que du fait que Broca et son cercle agissent avant tout de manière à maintenir leur position privilégiée. Dans son journal, Ber relate avec humour et une bonne dose de causticité ses démarches visant à faire acquérir ses collections archéologiques et anthropologiques par la Société d’anthropologie de Paris :

« Je demandai à M. Broca si le musée d’Anthropologie ne pourrait pas en faire l’acquisition : « Ah non certes, la confrérie est si pauvre, elle ne vit que d’aumônes, elle reçoit tout au plus une vingtaine de mille francs par an du gouvernement, la ville lui donne le logement et fait les frais de l’entretien, les souscripteurs sont nombreux il est vrai, mais qu’est-ce que c’est pour faire vivre les sept à huit savants qui prennent soin d’entretenir l’autel ? C’est à peine si on peut leur payer cent francs pour les cours d’une heure qu’ils font ou ne font pas. Non on ne peut rien vous donner, d’autant plus que nous sommes accoutumés à recevoir de vous, un jour nous mettrons votre nom dans notre musée, ce serait donc un mauvais précédent. Je verrai un naturaliste de mes amis et je vous recommanderai à lui, c’est un brocanteur de la rue Sommerard [16], lui vous achètera j’en suis sûr [17]. »

Quant à la Société américaine de France et son fondateur Léon de Rosny, il la juge tout aussi durement ; il l’évoque de façon implacable lorsqu’il se remémore ses retrouvailles avec Madier de Montjau, « une vieille connaissance » du temps de sa jeunesse révolutionnaire :

« J’ai parlé de Madier de Montjau. C’est une vieille connaissance que je fis au journal La Fraternité en 1846. Nous nous sommes revus après trente ans, pauvres l’un et l’autre. Je l’ai trouvé mêlé au mouvement scientifique satellite de Rosny, ce savant en japonais ; ils m’ont fait membre de leur société des américanistes. Hélas je n’en suis pas plus fier : j’ai payé mon admission, cela m’a valu de voir de près les agissements de ces savants officiels en herbe. Leur but est des plus simples : ils marchent sur les traces des anthropologistes, ils s’agitent pour se paraître utiles, pour arriver à la subvention de l’État, c’est la part du gâteau qu’ils réclament, quoi de plus naturel de la part des affamés ? Ah ce voyage de Paris m’a ôté mes dernières illusions. J’ai laissé dans les mains de Madier de Montjau un petit manuscrit sur les Indiens Aymaras, une scène de carnaval à laquelle je me suis trouvé mêlé dans l’hacienda de Chilillay sur les bords du lac [Titicaca], entre les mains d’un autre dont le nom a fui de ma mémoire, un petit essai sur la langue aymara [18]. »

Conclusion

Ber manifeste tout au long de son journal, tenu pendant plus de trente ans, un goût certain pour les sciences : astronomie, géographie, histoire naturelle, anthropologie, archéologie, sciences médicales (n’a-t-il pas exercé – de manière tout à fait illégale et sans doute très personnelle – les fonctions de pharmacien et de médecin lorsqu’il vivait dans cet îlot isolé qu’était la vallée de Chanchamayo ?) ; il y exprime aussi fréquemment l’envie de « faire quelque chose » de ses connaissances. Un concours de circonstances l’a brutalement jeté dans l’arène de la science officielle en le faisant nommer chargé de mission du gouvernement français en 1875 (puis en 1879 et 1890 – mais de manière plus théorique qu’effective), et il ne s’en est jamais vraiment remis, gardant un souvenir amer de cette expérience qui l’avait pourtant vivement enthousiasmé dans les premiers temps. En dépit de ce fort ressentiment et de la défiance qu’il développe vis-à-vis de la science académique, force est de constater à travers son journal et diverses initiatives, que Théodore Ber est resté jusqu’à la fin de sa vie intéressé par les études américanistes et s’est toujours montré disposé à collaborer avec les institutions en place, pour peu qu’on lui manifeste un peu de reconnaissance. Ber a été l’un de ces si nombreux collaborateurs bénévoles de ce « proto américanisme » qui s’est développé au cours du XIXe siècle et qui grâce à leurs actions ont permis à ce champ d’étude de se construire. À la différence de beaucoup de ses congénères qui ne prétendaient pas être autre chose que de simples amateurs ou de humbles collaborateurs, Ber a cru pouvoir accéder à un niveau supérieur et être officiellement reconnu pour ses activités archéologiques et anthropologiques. Cet échec – après bien d’autres survenus auparavant dans sa vie personnelle, professionnelle et sociale – a contribué à entretenir chez lui un sentiment chronique de désillusion. Si ses écrits scientifiques – il est vrai d’un contenu parfois assez faible –, ne peuvent prétendre à une hypothétique postérité, ses activités dans le domaine de l’américanisme n’en demeurent pas moins réelles : les collections qu’il a réunies (plus d’un millier d’objets – sans prendre en compte ses collections naturalistes) se trouvent actuellement conservées dans plusieurs grands musées français et américains ; les photographies de Tiahuanaco qu’il a eu l’idée de commanditer sont parmi les plus célèbres de leur temps, etc. Les archives de l’archéologue Henry Reichlen (conservées au musée du quai Branly) montrent d’ailleurs que celui-ci a été l’un des tout premiers à s’intéresser aux travaux méconnus de Théodore Ber, pressentant qu’il y avait là sans doute des matériaux d’étude susceptibles d’être exploités, pour peu que l’on puisse lever le voile sur le mystère de leur production. Le journal intime tenu par Théodore Ber, qui a été partiellement édité (Riviale et Galinon 2013), permet aujourd’hui de contextualiser la contribution de cet américaniste méconnu. Il me semble que d’une certaine manière, l’évocation du parcours de ce personnage un peu atypique illustre la position précaire de nombre de ces acteurs anonymes qui ont contribué à l’édification de l’américanisme scientifique mais qui étaient cantonnés – de gré ou de force – dans l’ombre. Bien d’autres se sont brûlé les ailes de la même manière, pour ne pas avoir su respecter les codes en vigueur dans le monde académique, ou pour ne pas avoir su trouver les appuis nécessaires à leur réussite.

Références bibliographiques

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Fabre-Muller, Bénédicte, Pierre Leboulleux et Philippe Rothstein (dir.). 2014. Léon de Rosny, 1837-1914. De l’Orient à l’Amérique. Villeneuve d’Ascq : Septentrion Presses universitaires.

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Prévost, Nadia. 2009. « El americanismo francés de 1875 entre corpus escrito y datos de campo, o las modalidades de una ciencia en búsqueda de su cientificidad », in Fermín del Pino Díaz, Pascal Riviale y Juan J. R. Villarías-Robles (eds), Entre textos e Imágenes. Representaciones antropológicas de la América indígena. Madrid : CSIC, p. 24-48.

Riviale, Pascal. 1989. « Archéologie et sociabilité. La délégation du Pérou au premier Congrès international des américanistes, Nancy, 1875 », Lima, Bulletin de l’Institut français d’études andines, 18 (1), p. 55-64.

Riviale, Pascal. 1995. « L’américanisme français à la veille de la fondation de la Société des Américanistes », Journal de la Société des américanistes, 81, p. 207-229.

Riviale, Pascal. 1996. Un siècle d’archéologie française au Pérou (1821-1914). Paris, L’Harmattan.

Riviale, Pascal. 2001. « Léonce Angrand. Le charme discret d’un collectionneur américaniste », Alma, 2, p. 28-34.

Riviale, Pascal et Christophe Galinon. 2013. Une vie dans les Andes : le journal de Théodore Ber (1864-1896). Paris : Ville de Figeac-Gingko éditeur.

Wiener, Charles. 2010. Voyage au Pérou et en Bolivie (1875-1877), par Charles Wiener. Introduction et notes par Pascal Riviale. Paris, Gingko éditeur.




[1L’historiographie des débuts de l’américanisme français a été discutée par divers auteurs, notamment Laurière 2009, Prévost 2007 et 2009, Riviale 1995 et 1996.

[2Il s’adresse ainsi régulièrement dans son journal à ses « arrière-petits-neveux » ou bien aux « historiens du XXXe siècle ». Sa démarche visant à faire parvenir l’ensemble de ses papiers (son journal intime – dont pas moins de treize volumes ont été à ce jour retrouvés par Christophe Galinon, archiviste de la ville de Figeac – plus divers autres volumes, dont un réunissant l’intégralité des numéros du périodique L’Étoile du Sud, dirigé à Lima par Ber) à sa ville natale de Figeac n’est en ce sens pas anodin. De larges extraits de ce journal ont été transcrits et réunis pour une publication (Riviale et Galinon 2013) ; ce journal et son auteur ont également été le thème d’une exposition organisée au musée Champollion à Figeac (40 ans dans les Andes...)

[3Archives municipales de Figeac, fonds Théodore Ber, 1Z5, cité dans Riviale et Galinon 2013 : 32.

[4Archives municipales de Figeac, 1Z7, Journal de Théodore Ber, 1880-1882. Cité dans Riviale et Galinon 2013 : 105.

[5Archives nationales, F/17/2938, dossier Ber (22 mai 1875). La référence aux dons au Musée des Antiquités nationales n’est encore qu’une possibilité plus qu’un fait accompli : ce n’est que quelques mois plus tard que ses envois entreront effectivement au musée.

[6Théodore Ber « Les populations préhistoriques d’Ancon », Revue d’anthropologie, 1875, p. 52-62.

[7Archives municipales de Figeac, 1Z7. Cité dans Riviale et Galion 2013 : 106.

[8La collection photographique rapportée par Alphons Stübel de son grand voyage en Amérique du Sud est conservée au Länderkunde Institut à Leipzig.

[9Ces clichés furent présentés à son insu (par Wiener) à l’Exposition universelle de 1878 et repris sous forme de gravures ou de reproductions photographiques dans La Ilustración Española y Americana, 43 (22 novembre 1877) et par Charles Wiener (Pérou et Bolivie, Paris, Hachette, 1880), puis par Stübel et Uhle (Die Ruinenstätte von Tiahuanaco im Hochlande des alten Peru : eine kulturegeschichtliche Studie. Leipzig, Karl Hiersemann, 1892).

[10Il évoque à diverses reprises dans son journal intime ces personnages qu’il avait fréquemment l’occasion de côtoyer à La Merced entre 1879 et 1884. Voir le chapitre « Le séjour de Théodore Ber dans la vallée de Chanchamayo », dans Riviale et Galinon 2013, p. 377-482.

[11« M. Léon de Rosny dépose une note de M. T. Ber de Lima, sur « Les Indiens du Pérou », Compte-rendu du Congrès internationale des américanistes. Première session, Nancy – 1875. Nancy, Crépin-Leblond, Paris, Maisonneuve et cie, 1875, tome I, p. 449-462. Le fonds Théodore Ber aux Archives municipales de Figeac comprend l’exemplaire des actes du congrès qu’il avait reçu en tant que participant.

[12Charles Wiener (1851-1914). Ce jeune professeur dans un lycée parisien obtint une mission « archéologique et ethnographique » pour le Pérou et la Bolivie le même jour que Ber. Ils entrèrent dans un violent conflit peu après leur rencontre à Lima au début de l’année 1876 (Riviale 1996 : 127 et suivantes). S’il était très certainement un jeune homme brillant, Wiener semble avoir été aussi un grand manipulateur, dont les trucages scientifiques n’ont été révélés qu’assez récemment (Krauskopf 2002, Riviale 1996, Wiener 2010).

[13Archives nationales, F/17/2938. Lettre de Ber au ministère de l’Instruction publique (Lima, 26 juillet 1877).

[14Dès son arrivée à La Paz, il aurait publié dans un journal local un article dans lequel il rendait compte de ses fouilles à Tiahuanaco ; l’une de ses conclusions était que le site aurait été édifié par les Incas puis détruits par des envahisseurs aymaras, ce qui bien entendu allait totalement à l’encontre de l’historiographie non seulement traditionnelle mais aussi patriotique des élites locales. En émettant cette hypothèse – en outre très légère sur le plan scientifique – Ber était certain de se mettre à dos l’ensemble de la communauté savante bolivienne.

[15Armand de Quatrefages est le seul pour lequel Ber conserva de l’estime : il en parle toujours avec respect et bienveillance dans son journal.

[16Ber veut parler d’Eugène Boban, l’un des rares antiquaires de son temps spécialisés dans l’archéologie et l’ethnographie extra-européennes.

[17Cité dans Riviale et Galinon 2013 : 116.

[18Cité dans ibid : 118. Édouard Madier de Montjau était membre de la Société d’ethnographie (fondée par Léon de Rosny) et président de la Société américaine de France.