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Encyclopédie internationale
des histoires de l’anthropologie

Paul Sébillot, vie et œuvre d’un “prince du folklore”

Claudie Voisenat

IIAC-LAHIC, Ministère de la culture, Paris

2008
Pour citer cet article

Voisenat, Claudie, 2008. « Paul Sébillot, vie et œuvre d’un ‘prince du folklore’ », in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l'anthropologie, Paris.

URL Bérose : article150.html

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Publié dans le cadre du thème de recherche « Réseaux, revues et sociétés savantes en France et en Europe (1870-1920) », dirigé par Claudie Voisenat (Ministère de la Culture, Héritages) et Jean-Christophe Monferran (CNRS, Héritages).

Paul Sébillot est né le 6 février 1843 dans la petite ville de Matignon dans les Côtes-du-Nord. Son père, Pierre Sébillot est médecin, il a quarante-deux ans. Sa mère, Félicité-Désirée Egault en a trente-huit. Ils ont déjà trois garçons. Son père qui l’entraîne dans de longues promenades se plaît à cultiver ses curiosités naturalistes.
À dix ans, l’année de la mort de sa mère, Paul Sébillot rentre au Collège de Dinan. Il découvre aussi le monde de l’érudition provinciale. En 1860, un ami du Collège lui prête Le foyer breton d’Emile Souvestre qui va l’influencer durablement. Il commence alors une collecte de contes, tout d’abord auprès de sa nourrice, Vincente Bequet, puis d’Emile Frostin, fils d’un menuisier et compagnon de jeu de son enfance. Il collectera sporadiquement jusqu’en 1867 où cette préoccupation passera, pour un temps au second plan.
En 1862, à 19 ans, Paul Sébillot quitte le collège après sept ans d’internat pour entamer des études de droit à Rennes. Peu attiré par ces études, il ne fait en fait que se conformer à la tradition d’une famille où l’on est depuis plusieurs générations soit médecin, soit notaire. Au bout de deux ans, en 1864, Sébillot, alors âgé d’un peu plus de vingt ans, vient s’installer à Paris, dans l’intention (bien peu affirmée) de terminer ses études de droit. C’est son premier séjour dans la capitale. En 1865, il perd son père et rencontre le peintre Francis Blin. Deux ans plus tard, Paul Sébillot abandonne le droit pour la peinture.

La peinture de paysage

Très critique vis-à-vis de l’école classique dont il méprise les « arrangements conventionnels » de la nature, Sébillot cherchera dans la peinture - celle des autres d’abord, la sienne ensuite - à saisir l’essence même des émotions paysagères qui ont marqué son enfance. Pourtant il ne choisira pas de suivre l’enseignement d’un paysagiste, comme Emmanuel Lansyer qu’il apprécie, mais étudiera avec son ami Léonce Petit dans l’atelier de Feyen-Perrin dont il apprécie pourtant peu la peinture : des pêcheuses de crevette ou des tricoteuses empreintes d’une élégance un peu maniérée, mais qui a le mérite d’enseigner à deux pas de chez lui.
Il expose une première toile, les Rochers à marée basse, au Salon de 1870. Entre 1870 et 1883, date à laquelle il abandonne la peinture, il exposera quatorze tableaux dans les Salons nationaux dont quelques-uns remportèrent, semble-t-il, un certain succès.
On ne sait rien aujourd’hui de ce qui poussa Sébillot, en 1883, à abandonner la peinture [1]. Mais cette rupture semble être dans sa vie tout aussi totale que celle qu’il avait introduite au moment où il cessa ses études de droit. Contrairement à un artiste comme Gaston Vuillier [2] qui alliera dans son œuvre de journaliste description ethnographique et dessin ou aquarelles, Sébillot n’illustrera aucun de ses ouvrages de folkloriste. Lorsqu’il voudra le faire, il demandera à Léonce Petit de s’en charger. Publiquement du moins, Sébillot a coupé les ponts entre le peintre et le folkloriste. Et pourtant, au moins au départ, le noyau dur de ses relations sociales va rester le même, celui des artistes bretons, peintres ou littérateurs, venus s’installer à Paris.

Des Bretons à Paris

Cette sociabilité de Bretons à Paris remonte à ses premières années d’étudiant. Après avoir fréquenté pendant quelques mois le restaurant Ober, rue Monsieur-le-Prince, où il lui arrive de dîner seul - ce qu’il supporte mal -, Sébillot apprend que plusieurs de ses anciens camarades de Dinan et de Rennes se retrouvent tous les soirs vers sept heures au bouillon Porrel, sur le boulevard Saint-Michel. Il se joint à eux avec enthousiasme. Au bout d’environ six mois, le groupe s’installe à la pension Hanicle, où il forme le noyau d’une table d’hôte qui sera, surtout dans les premières années, essentiellement formée de Bretons.
C’est donc dans le cadre de cette sociabilité étudiante, qu’il pratiquera assidûment entre vingt-deux et trente-deux ans, que le jeune Sébillot va forger ses premiers choix intellectuels et professionnels. Il choisira d’abandonner le droit pour la peinture, il s’engagera politiquement dans les rangs des républicains, voire dans un premier temps à l’extrême-gauche républicaine et, à partir de 1868, il pratiquera le journalisme par le biais de la critique artistique. Il fait ainsi paraître une série d’articles dans divers journaux de gauche dont le Bien Public, la Réforme, l’Art Libre... et publie en 1878 une étude de 32 pages intitulée La réorganisation des Salons, dans laquelle il réclame un certain nombre de réformes qui seront d’ailleurs réalisées. À partir de 1877, il fait partie de l’Association des journalistes républicains (1877).

En fait, une grande partie des pensionnaires sont des étudiants en médecine ou en droit. Leurs études finies, la plupart repartiront en province où ils deviendront médecins, avocats, employés de préfecture... Mais la table d’hôte est aussi ouverte à d’autres horizons. On y voit des peintres comme Léon Joubert qui deviendra un orientaliste assez connu ou des dessinateurs comme Léonce Petit qui, sans être haniclien, fréquente régulièrement la pension en tant qu’invité et y amène le Cigalier Paul Arène.
Les journalistes y sont aussi nombreux, tous républicains, farouchement opposés à l’Empire. Certains se contenteront d’une incursion dans le journalisme mais d’autres y feront carrière, comme Louis Jezieski, rédacteur à l’Opinion nationale qui deviendra plus tard directeur du Journal Officiel, tandis que deux autres Hanicliens sont, quant à eux, promis à un brillant avenir politique : Calvinhac, le plus bohême de tous, qui deviendra conseiller municipal de Paris puis député de Toulouse et surtout Yves Guyot, futur ministre et beau-frère de Sébillot, qui commence alors sa carrière de journaliste.

Si la pension Hanicle constitue une sorte de réseau embryonnaire, Sébillot ne va pas tarder à lui donner une forme beaucoup plus aboutie, plus institutionnelle aussi, avec « La Pomme , Société artistique et littéraire, entre Bretons et Normands », qu’il fonde en 1877 avec Elphège Boursin. E. Boursin est normand, Paul Sébillot breton ; cumulant leurs deux réseaux d’interconnaissance, ils décident de fonder une Société bretonne-normande qu’ils appellent « La Pomme », comme une sorte de trait d’union entre les deux provinces, et dont les membres se réuniraient régulièrement au cours d’un dîner mensuel. L’Annuaire de la Pomme, publié en 1887, relate la fondation de l’Association et le premier dîner qu’elle se chargea d’organiser.
La Pomme est la seconde en date des sociétés provinciales fondées à Paris. Dans son numéro du 29 janvier 1877, le Bien Public, annonçait en ces termes la prochaine fondation de cette société : « On nous assure que les Bretons et les Normands habitant Paris vont prochainement fonder « La Pomme » qui sera pour les compatriotes de Du Guesclin et de Corneille ce qu’est la Cigale pour les gens du Midi ».
Le 27 mars de la même année eut lieu, 20 rue Mazarine, chez M. Paul Sébillot, un déjeuner intime, auquel assistèrent MM. E. Boursin, H. du Cleuziou, Etienne Leroux et Léonce Petit. La fondation de La Pomme y fut décidée, et MM. E. Boursin et Paul Sébillot furent chargés de convoquer leurs compatriotes pour le 12 avril.
Il en est nommé président en 1878. À son initiative, l’association publie à partir de 1889 un bulletin mensuel également nommé La Pomme et fait paraître en 1894 les deux Annuaires de la Pomme.

S’il nous semble important d’insister sur la constitution de cette société mais aussi sur sa composition et les actions qu’elle a menées, c’est qu’elle va assurer, du fait de son caractère à la fois littéraire et régionaliste, la transition entre les activités de peintre et de journaliste de Paul Sébillot et son travail de folkloriste. Par ailleurs, on retrouve dans La Pomme, supposée être une association artistique et littéraire, le même mélange, que nous avions déjà noté chez les Hanicliens, d’activités politiques et artistiques au sein d’un réseau où sont largement représentés les tenants de la bourgeoisie de province (médecins, avocats...) ou ceux que leurs études (de droit le plus souvent) ont amené à détenir des postes clés dans l’administration centrale ou régionale. Derrière la façade bretonne-normande, ou peut-être grâce à elle, c’est un réseau d’influence qui se dessine, celui-là même qui, dans l’ombre d’Yves Guyot, portera Sébillot au ministère des Travaux publics.

Le journalisme et la politique ou l’ombre d’Yves Guyot

Yves Guyot, est le personnage-clé de la vie de Paul Sébillot. Journaliste, il terminera directeur du Siècle, qui, sous son influence, deviendra la tribune des dreyfusards contre la Libre parole de Drumond ; économiste, il se fera le défenseur du libre-échange contre les théories socialistes ; député puis ministre, on le verra progressivement passer du radicalisme à une position plus modérée de républicain du gouvernement, ce qui finira d’ailleurs par lui coûter son siège à l’Assemblée ; homme d’affaire, il semble être un familier du baron de Reinach et surtout de Cornélius Herz, tous deux au cœur du scandale de Panama, bien que son nom ne soit jamais prononcé au cours des procès qui ont suivi et où nombre de parlementaires - les fameux « chéquarts » - ont été impliqués.

Yves Guyot est l’exact contemporain de Paul Sébillot, né, comme lui, en 1843, à Dinan. Ils fréquentent tous deux la pension Hanicle à Paris. En 1875, Paul Sébillot, âgé de trente-deux ans, épouse la jeune sœur d’Yves Guyot qui en a vingt. Il s’est enfin constitué une famille, le mariage venant heureusement prolonger le compagnonnage intellectuel des deux jeunes gens, tout en ancrant encore Sébillot dans la bourgeoisie provinciale dont la famille Guyot est une parfaite représentation. La proximité des deux amis se retrouvera jusque dans le nom du fils aîné de Sébillot, baptisé Paul-Yves, des prénoms conjoints de son père et de son oncle. Enfin, en 1918, Sébillot se fera incinérer, fidèle jusqu’au bout à ses opinions politiques et à son beau-frère qui, membre de la Société d’autopsie mutuelle et de la Société d’anthropologie, avait lutté dès 1886 pour la légalisation de la crémation (Dias 1991).
Car Sébillot est aussi militant, un homme engagé, à la fois dans la vie associative et dans la vie politique, un fervent républicain. En 1869, il s’occupe activement de l’élection de Jules Ferry, en 1870, il est membre du Comité anti-plébiscitaire de la rive gauche. En 1875, il soutient la candidature du colonel Denfert-Rochereau et fait paraître à la librairie du Suffrage universel une brochure La République c’est la tranquillité qui connut en une seule année trois tirages de 20 000 exemplaires et qui fut également tirée en très grand nombre après le 16 mai 1876. C’est Luzel qui se chargera de traduire l’opuscule en breton, et c’est ainsi que les deux hommes rentreront en contact. En 1876, il écrit Le nouveau manuel des Électeurs, soit 80 pages d’informations pratiques.
En 1889, il devient chef de cabinet de son beau-frère, Yves Guyot, devenu ministre des Travaux publics - il y restera jusqu’en 1893 - et il est décoré de la Légion d’honneur le 14 juillet de la même année. Peu après, il est, au même ministère chargé de la direction du personnel et du secrétariat, poste qu’il conserve jusqu’en 1892.

Son intérêt pour les traditions populaires, nous l’avons vu, remonte aux années 1860. Mais c’est à partir des années 1880 qu’il va s’y consacrer à plein temps et que les publications vont se succéder.

L’entrée en folklore

En 1875, le folkloriste breton François-Marie Luzel, qui était alors rédacteur en chef de l’Écho de Morlaix, demande à Sébillot l’autorisation de traduire en breton sa brochure La république c’est la tranquillité. Sébillot lui explique que lui aussi a collecté quelques contes et légendes de Basse-Bretagne et en reçoit d’utiles conseils. Il reprend contact avec lui en 1878. Il est alors entré à la Société d’anthropologie de Paris et travaille à la constitution, pour l’exposition universelle, d’une carte linguistique sur les limites du breton et du gallo [3]. Au début de l’année 1879, Luzel le met en contact avec Henri Gaidoz. Les deux hommes sympathisent et collaborent pour produire une Bibliographie des traditions et de la littérature populaire de la Francequi sera publiée par morceaux dans divers organes au cours des années suivantes. Paul Sébillot est de tous les projets de Gaidoz et de son ami Eugène Rolland. Il participe à l’Almanach des traditions populaires, se charge de l’organisation des dîners de Ma Mère l’Oye dont Rolland, l’initiateur, temporairement exilé en province, ne pouvait assurer les aspects matériels. Il rencontre dans les dîners celtiques de Gaidoz la fine fleur des folkloristes du moment..
Dès 1880, Sébillot, profitant de ses relations au sein de la Société d’anthropologie de Paris et de ses amitiés littéraires, crée chez Maisonneuve et Leclerc la collection « Littérature populaire de toutes les nations » tandis que son premier ouvrage Contes populaires de la Haute-Bretagne sort chez Charpentier, l’éditeur prestigieux et attitré de Zola, Flaubert, Théophile Gautier, des frères Goncourt… vraisemblablement par l’entremise de Charles Monselet, membre fondateur de La Pomme, qui le parraine également, la même année, auprès de la Société des gens de lettres [4]. Il publiera ainsi six livres chez Charpentier, entre 1880 et 1887.
Henri Gaidoz et Paul Sébillot ont aussi le projet de rédiger ensemble une collection de treize ouvrages, intitulée « La France merveilleuse et légendaire ». Seuls deux livres seront effectivement publiés, Le blason populaire de la France signé par les deux hommes et Les contes des provinces de France par P. Sébillot seul. En 1884, au moment où Sébillot commence à collaborer à la revue L’Homme de Gabriel de Mortillet, une brouille sépare les deux hommes et vient définitivement interrompre leur collaboration. Leur relation sera désormais teintée d’agressivité et de rancoeur, et cette tension prendra en 1912, à quelques années de la mort de Sébillot la forme d’un règlement de compte à travers leurs revues respectives [5].

Vers un folklore matérialiste

Au fil des années, Paul Sébillot va intégrer au noyau initial des mythographes de Rolland, son propre réseau issu des amitiés littéraires qu’il fait fructifier à La Pomme et des complicités politiques et scientifiques nouées au sein de la Société d’anthropologie de Paris et du groupe du matérialisme scientifique. Ses liens avec les archéologues qui sont alors en train de découvrir la préhistoire, Mortillet en particulier, et qui doivent étudier une civilisation dont ils ne possèdent aucune trace écrite ou orale et ne peuvent donc se baser que sur des vestiges de la vie matérielle, l’amènent à une conception du folklore élargie aux objets et aux pratiques [6]. Il rompt ainsi avec une longue tradition qui fait de ce domaine un des secteurs de la philologie, centré autour de l’étude de la littérature orale et populaire : contes, légendes, chansons, proverbes, dictons, comptines, formulettes... et lui adjoint l’étude de ce qu’il appelle l’ethnographie traditionnelle et qui comprend l’ensemble des productions matérielles : maisons, ustensiles, costumes et objets personnels, objets en relation avec les métiers... et des idées et pratiques qui s’y rapportent : croyances, coutumes, superstitions.
Si les ouvrages qui ont fait sa réputation de folkloriste ne portent pratiquement aucune trace de ce changement et restent centrés sur la littérature orale, ses contributions plus théoriques et surtout les outils méthodologiques, guides et questionnaires, qu’il rédigeait pour la communauté des collecteurs et contributeurs de son réseau revendiquent pleinement cet élargissement de la perspective [7].

En 1885, Sébillot, sur la base du réseau élargi qu’il anime grâce aux dîners de Ma Mère l’Oye où se côtoient philologues, archéologues, anthropologues et littérateurs, fonde la Société des traditions populaires, qui se dotera, dès l’année suivante, d’un organe spécifique, la Revue des traditions populaires (RTP). Il devient dès lors le chef de file d’un mouvement qui va monter en puissance pendant une quinzaine d’années. Il collabore avec Armand Landrin à la constitution des collections de la salle de France du Musée d’ethnographie, il organise à Paris, à l’occasion des expositions universelles de 1889 et 1900 un Congrès international des traditions populaires. Le premier, dont Charles Ploix, membre de la Société d’anthropologie et alors président de la Société des traditions populaires, fait l’allocution d’ouverture comprendra une visite du Musée d’ethnographie et de l’exposition qui y a été organisée par la Société des traditions populaires [8]. Le second, qui se tient du 10 au 12 septembre 1900, est ouvert par un grand nom de la philologie, Gaston Paris, mais affiche clairement l’impulsion nouvelle donnée par Sébillot en se divisant en deux sections générales : littérature orale et art populaire d’une part, ethnographie traditionnelle d’autre part. Il se termine d’ailleurs, de façon significative, par une visite du musée d’archéologie de Saint-Germain-en-Laye [9].

À partir de cette date, le mouvement marque le pas, et à l’exception d’Arnold Van Gennep, nulle relève ne se dessine susceptible de poursuivre l’œuvre de ce réseau vieillissant. Dans la RTP, la part des nécrologies augmente insensiblement. Entre 1904 et 1907, Paul Sébillot publie les quatre volumes de son Folklore de France, vaste synthèse de l’oeuvre collective qu’il avait organisée autour de la société et de la revue. En 1904 et 1905 il sera vice-président puis président de la Société d’anthropologie de Paris qui salue ainsi un long compagnonnage. C’est d’ailleurs au sein de la SAP qu’il publiera en 1913 son dernier ouvrage d’importance et, en quelque sorte son testament intellectuel : Le Folk-lore. Littérature orale et ethnographie traditionnelle, 1913, un ouvrage commandé par le Dr Papillaut pour sa collection "Bibliothèque d’anthropologie".
Arnold Van Gennep poursuivra un temps et amplifiera l’œuvre de Sébillot. Il reprendra à son compte son intérêt pour les bibliographies et les questionnaires. Il portera son intérêt sur les domaines du berceau à la tombe et des fêtes calendaires que Sébillot prônait toujours sans le prendre en charge. Il tentera de faire vivre un organe périodique national dont il précisait : "Certes, une revue centrale peut vivre, mais à la condition de reprendre le système de Sébillot, avec fascicules mensuels bien pleins, contenant un tableau aussi complet que possible des activités folkloriques provinciales, et avec des articles de fond, soit comparatifs, soit théoriques généraux, vraiment scientifiques" [10]. Mais il ne poursuivra pas le compagnonnage avec une Société d’anthropologie de Paris sur le déclin et, par ailleurs, construira son œuvre en marge des développements muséographiques qui mèneront à la création du Musée de l’homme puis du Musée des arts et traditions populaires [11]. Ce faisant, il ne retrouvera jamais les bases d’un réseau national.

Paul Sébillot meurt en 1918 et, dans les fracas de la guerre, sa mort est passée sous silence. Fidèle jusqu’au bout à ses engagements républicains, il est incinéré sans que, lors de la cérémonie, un seul folkloriste prononce son éloge. Les seuls discours seront ceux d’un représentant de la Société des gens de lettres, du secrétaire général de la Société d’anthropologie de Paris, Léonce Manouvrier, et du Dr. Papillaut, lui aussi sociétaire et directeur de la Bibliothèque d’anthropologie de l’Encyclopédie scientifique. Il résume parfaitement ce qui fut l’activité d’une vie tout entière tournée vers cette sociabilité savante caractéristique de l’époque :
“ Les sympathies de bon aloi ne vous ont pas manqué dans votre vie si remplie et si active. La Société d’Anthropologie vous a appelé à sa présidence et a demandé votre concours dans une foule de ses commissions. Des collaborateurs nombreux vous entouraient dans cette Revue des traditions populaires que vous aviez créée. Vous trouviez dans cette société littéraire et artistique que vous aviez fondée, La Pomme, des amitiés précieuses de Bretagne et de Normandie. Au Dîner Celtique, vous vous rencontriez avec Renan. Au dîner de la Mère l’Oye, organisé par vous, vous vous retrouviez au milieu des Folk-loristes dont une grande partie étaient vos élèves, et vous saviez avec quelles marques d’estime l’École d’Anthropologie vous recevait à son dîner mensuel. Une foule de sociétés de Folk-Lore vous ont décerné le titre de membre honoraire ; la commission des monuments mégalithiques vous avait demandé votre concours ; la Société des Gens de Lettres, la Société linguistique vous avaient parmi leurs membres ; vos contes bretons sont traduits dans les Anthologies Anglaises ; les musées de votre Bretagne gardent quelques-unes de vos toiles et des musiciens ont désiré ajouter le rythme de leur art à l’harmonie naturelle de vos vers. Vous avez donc eu toutes les preuves d’estime de la part des indépendants et des compétents : que pouviez-vous désirer de plus ? ”.




[1« Les Mémoires d’un Breton de Paris », publiés dans Le Breton de Paris de novembre 1913 à août 1914 sont notre principale source d’information sur les années de jeunesse de Sébillot et le début de son activité de peintre. La guerre interrompt leur publication alors qu’il aborde l’année 1870. Accéder à leur retranscription

[2Vuillier est né à Gincla (Aude), le 7 octobre 1845. C’est à Aix-en-Provence pendant ses études de droit qu’il commence à s’intéresser aux beaux-arts. En 1870, Gambetta, le fait engager comme officier d’ordonnance auprès de Charles de Freycinet. Il est ensuite nommé en Algérie chef de cabinet du préfet d’Oran. Il expose pour la première fois au Salon en 1878 et fait partie de l’atelier d’Emmanuel Lansyer. Journaliste, il publiera des récits de voyages à forte connotation ethnographique au Tour du Monde. Curieusement, alors que leurs parcours sont assez proches, il semble que Vuillier et Sébillot ne se soient jamais rencontrés.

[4Archives nationales, 454 AP 391, dossier n° 1276. Sur Georges Charpentier, voir la thèse de Virginie Serrepuy, « Éditeur de romans, roman d’un éditeur », à l’École des chartes, 2005.

[5Voir le dossier Les relations Gaidoz-Sébillot

[6Claudie Voisenat, « Paul Sébillot et l’invention du folklore matérialiste », in Bérose, Encyclopédie en ligne sur l’histoire des savoirs ethnographiques, Paris, Lahic-iiac, UMR 8177, 2010.

[7Voir en particulier Le Folk-lore. Littérature orale et ethnographie traditionnelle, 1913 ou Coutumes populaires de la Haute-Bretagne, Maisonneuve, 1886 (collection Littérature populaire de toutes les nations) et les « Instructions et questionnaires » publiés dans le volume II de l’Annuaire des traditions populaires, 1887.

[8Paul Sébillot, Procès-verbaux sommaires du Congrès international des traditions populaires, Paris, Imprimerie nationale, 1889.

[9Paul Sébillot, Procès-verbaux sommaires du Congrès international des traditions populaires, Paris, Imprimerie nationale, 1901.

[10Manuel de folklore français contemporain, Bibliographies, questionnaires, provinces et pays, Éditions Robert Laffont, 1999, p. 95.

[11Daniel Fabre, « Le Manuel de folklore français d’Arnold Van Gennep », Les Lieux de mémoire, P. Nora (dir.), tome III, vol. 2, 1992, p. 672.

Portfolio
  • Sébillot au dîner celtique de Tréguier.
    Sébillot au dîner celtique de Tréguier.

    Photographie prise à l’occasion du Dîner celtique de Tréguier, le 2 août 1884.
    Ernest Renan est au premier rang à gauche. Derrière lui, à droite, François-Marie Luzel, à gauche, Paul Sébillot. Coll. Particulière ©.

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    Roc’h-Hir, marée basse à l’embouchure du Trieux.

    Huile sur toile de Paul Sébillot, 1879, 160 x 230 cm, collection Musée de Saint-Brieux (inv. 140) ©. Don de l’auteur en 1887.

  • Revue des Traditions populaires
    Revue des Traditions populaires

    Premier numéro de la Revue des Traditions populaires, fondée en 1886 par Paul Sébillot.

  • Yves Guyot
    Yves Guyot

    Portrait d’Yves Guyot par Nadar.
    NYPL catalog ID (B-number) : b11652251

  • Paul Sébillot, vers 1900.
    Paul Sébillot, vers 1900.

    Portrait publié dans le Dictionnaire international des folkloristes contemporains de Carnoy en 1903.

  • Henri Gaidoz
    Henri Gaidoz

    Photographie de juillet 1884. Source Gallica

  • Roc'h-Hir, marée basse à l'embouchure du Trieux.
    Roc’h-Hir, marée basse à l’embouchure du Trieux.

    Huile sur toile de Paul Sébillot, 1879, 160 x 230 cm, collection Musée de Saint-Brieux (inv. 140) ©. Don de l’auteur en 1887.