Portée sur les fonts baptismaux par une hypothèse sensationnelle qui laissait augurer la découverte d’une écriture néolithique, la mission franco-belge Métraux-Lavachery à l’île de Pâques tint toutes ses promesses, mais d’une façon inattendue qui mit en déroute ses parrains en ce qu’elle les désavoua. Alfred Métraux et Henri Lavachery accostèrent fin juillet 1934 dans un lieu lourdement chargé d’histoires, indigène, coloniale, scientifique, qui s’enchevêtraient étroitement pour conférer à l’île de Pâques le statut de paradis perdu, a fortiori pour des ethnologues avides de pureté culturelle, d’authenticité inviolée. En 1934, les deux savants eurent affaire à une société déjà très ethnologisée, un « vieil os rongé » (Métraux) qui mettait au défi l’impératif de sauvetage ethnographique à la racine de toute mission ethnographique dans ces premières décennies du XXe siècle. C’est peu de dire que les conséquences des terribles exactions perpétrées dans les années 1860, la situation coloniale de l’île de Pâques, son statut de lieu mystérieux qui aimante explorateurs et savants, affectaient puissamment la façon dont le savoir ethnographique était recueilli auprès des informateurs indigènes - tout autant que la nature même de ce savoir.
Valorisant de nombreuses archives inédites, cet ouvrage fait une large place à la restitution du déroulement pratique de la mission, insistant tout particulièrement sur la qualité de la relation ethnographique nouée avec Juan Tepano et Victoria Rapahongo. Il rappelle l’importance des recherches archéologiques et ethnologiques menées par Alfred Métraux et Henri Lavachery en les resituant dans leur contexte, la vigueur de la polémique sur la nature du rongorongo, et le statut ambigu accordé à la production contemporaine d’objets d’art pascuan.
Comptant parmi les missions ethnographiques françaises des années 1930 effectuées hors du pré colonial français, la mission Métraux-Lavachery propulsa définitivement les études rapanui sur une orbite scientifique internationale.
Cet ouvrage est le troisième volume des Carnets de Bérose, une collection éditée électroniquement par le Lahic et le département du Pilotage de la recherche et de la politique scientifique de la Direction générale des patrimoines (ministère de la Culture). Il fait partie d’une série consacrée aux missions, enquêtes et terrains des années 1930.
Anthropologue, chargée de recherche au CNRS, membre de l’Institut interdisciplinaire de l’anthropologie du contemporain (équipe Lahic), Christine LAURIÈRE enseigne à l’EHESS. Spécialiste de l’histoire de l’anthropologie, elle est l’auteur de Paul Rivet (1876-1958), le savant et le politique, Paris, Publications scientifiques du MNHN, 2008, et participe activement à l’encyclopédie en ligne Bérose.