L’anthropologie à l’ère du doute

À la suite du naufrage du navire où ils avaient embarqué, trois savants, un Allemand, un Français et un Juif, échouent sur une île déserte, peuplée d’éléphants. Désœuvrés, ils s’attèlent à l’étude des pachydermes. Six mois plus tard, l’Allemand met la dernière main à son ouvrage, L’organisation du travail chez les éléphants. Le Français, après deux années, présente à ses compagnons d’infortune le fruit de ses recherches, La vie sexuelle des éléphants. Le Juif, quant à lui, poursuit encore longtemps sa tâche. Finalement, de cinq années d’intense labeur émerge un traité, en trois volumes : Les éléphants et la question juive.
Cette histoire typique de l’humour juif et de son goût pour l’autodérision l’est aussi des emprunts entre « cultures ». Elle est vraisemblablement adaptée d’une autre, sur les dispositions intellectuelles nationales, en vogue dans l’Europe de l’entre-deux-guerres, dont Albert Thibaudet se faisait l’écho (Thibaudet 2007 : 987). On pourrait la compléter en racontant qu’un anthropologue ayant partagé la mésaventure il en résulte un essai intitulé Si différents, si proches. Ce que les éléphants nous apprennent sur la culture. Et que, selon l’époque où le séjour sur l’île se déroule, avant ou après les années 1970, l’orientation et la tonalité de l’essai changent sensiblement, d’une tentative pour définir en quoi consiste la « culture » à une charge carabinée contre le recours à la notion ou, à l’inverse, un plaidoyer vibrant en sa faveur.
Tous les anthropologues d’avant les années 1970 n’accordaient pas la même place à la notion de culture dans leur réflexion (...)

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