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Encyclopédie internationale
des histoires de l’anthropologie

« Les leçons du passé africain » : un regard sur la vie et l’œuvre de Boubou Hama

Ana Luiza Oliveira e Silva

Universidade de São Paulo

2017
Pour citer cet article

Silva, Ana Luiza Oliveira e, 2017. «  Les leçons du passé africain ” : un regard sur la vie et l’œuvre de Boubou Hama », in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l'anthropologie, Paris.

URL Bérose : article1078.html

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Boubou Hama est né à Fonéko, un petit village de l’ethnie songhaï, au Niger, en 1906 ou 1909 (les fluctuations de date de naissance étaient communes en Afrique au début de la colonisation) [1]. Selon son autobiographie, intitulée Kotia-Nima, il avait deux sœurs et son père était chef du village, mais son origine est, en fait, controversée. Envoyé pour étudier à l’école régionale de la ville de Téra, Hama a appris à lire et à écrire, ainsi que la langue française. Son apprentissage scolaire qui a lieu dans le système éducatif français, se poursuit dans la ville de Dori, dans l’actuel Burkina Faso. Il rapporte dans ses mémoires que cette période de sa vie fut riche de rencontres, en particulier avec un des plus grands penseurs du continent africain de l’époque coloniale et postcoloniale : « J’ai connu Hampâté Bâ dès ma tendre enfance, pour la première fois à Dori où il était l’ami de notre professeur d’alors, Kola Coulibaly. [...]. Ces jeunes gens ont émerveillé mes yeux d’enfant, particulièrement Hampâté Bâ qui, déjà à cette époque, s’occupait des études sur l’Afrique [2]. »

En 1924 ou 1925, Boubou Hama quitte Dori pour étudier à l’école primaire supérieure de Ouagadougou, située dans la région de Moga, capitale de la colonie de la Haute-Volta, aujourd’hui Burkina Faso. Puis, à l’issue de ce cursus, un télégramme envoyé par l’administration française l’informe qu’il est admis à l’école normale supérieure William Ponty. Celle-ci, implantée entre les années 1913 et 1937 dans l’île de Gorée, à Dakar, au Sénégal, était la plus grande et plus importante institution scolaire de l’Afrique occidentale française (AOF).

Cette école fut le berceau de la formation de la plupart des professeurs et cadres de cette région coloniale africaine. C’est aussi parmi ces hommes qu’ont émergé les grands leaders de la période post-indépendance, comme Félix Houphouët-Boigny, premier président de la Côte-d’Ivoire ; Modibo Keïta, premier président de la République du Mali ; Hubert Maga, président de la République du Dahomey (Bénin actuel) ; Daogo Mathias Sorgho, politicien de la Haute-Volta (Burkina Faso actuel) ; Mamadou Dia, premier Premier ministre du Sénégal ; Diori Hamani, premier président du Niger, de qui Boubou Hama est resté extrêmement proche tout au long de sa carrière politique. Tous sont des Pontins, c’est-à-dire des anciens de William Ponty.

En juin 1929, Hama, diplômé, est dans l’attente qu’un poste lui soit attribué par le gouverneur du Niger. Le premier Pontin nigérien entame sa trajectoire d’enseignant dans sa terre natale, à l’école régionale de Niamey, capitale de la colonie. Dans son autobiographie, Boubou Hama dit avoir commencé sa carrière en donnant des cours à des classes de 90 enfants, à qui il enseignait la lecture, l’écriture et la langue française, tout ce qu’il avait lui-même appris dans ses premières années scolaires. Mais si les professeurs africains avaient reçu la meilleure éducation qui leur était alors offerte, ils ne jouissaient pas de la position sociale prestigieuse sans doute imaginée par Hama à sa sortie de William Ponty. Le système d’enseignement en place dans le système colonial, et spécifiquement en AOF, était marqué par une grande différence de considération à l’égard des professeurs selon qu’ils étaient européens ou africains, ces derniers étant en butte à des privations et humiliations.

En 1936, quand la coalition des partis de gauche rassemblés sous le nom de Front populaire gagne les élections et commence à gouverner la France, Hama, qui à l’époque travaillait à Tillabéry, devient membre du syndicat des professeurs. Toujours dans les années 1930, il a maille à partir avec l’administration coloniale en raison de sa participation à des travaux de recherche portant sur les problèmes sociaux locaux. En 1938, suspecté d’avoir pris la défense de paysans confrontés aux injustices de l’administration coloniale, il est muté dans une école de Niamey. Sept ans plus tard, en 1945, un nouveau conflit l’oppose à l’administration française, cette fois représentée par Jean Toby, alors gouverneur de la colonie du Niger. C’est au cours de ces deux dernières décennies que prend naissance la trajectoire politique de Hama.

Tout au long de sa vie, Boubou Hama a assumé différents rôles sur la scène politique nigérienne, tout en développant sa pensée politique au sein des différents réseaux auxquels il prenait part. Outre le syndicat des professeurs, un autre de ces réseaux a pris forme en 1936 sous le nom d’Association amicale et sportive de Niamey – connue comme l’Amicale –, avec laquelle Hama a collaboré jusqu’à devenir son vice-président en 1939.

Dans les années 1940, un groupe d’hommes, parmi lesquels Diori Hamani et Djibo Bakary, tous deux membres de l’Amicale et très présents dans la trajectoire de Boubou Hama comme dans le cheminement politique du Niger lui-même – Hamani à titre de premier président élu après l’indépendance, Bakary étant son opposant acharné – ont formé l’Amicale des fonctionnaires, sorte d’association secrète qui se rencontrait dans une île du fleuve Niger, à Niamey, pour discuter des prochaines mesures à prendre en faveur de la colonie. Hama est élu à la tête de la nouvelle association, mais très vite, en raison de mutations dans d’autres villes, le trio Hamani-Bakary-Hama est tenu éloigné de ces réunions et n’assiste pas non plus à la naissance du premier parti du Niger – le Parti progressiste nigérien (PPN) –, créé à Niamey le 12 mai 1946. Cependant, informés de la constitution du parti en raison de leur importance dans le nouveau scénario en construction, les trois hommes, s’attachent à en étendre la portée en établissant des sections dans les villes où ils résidaient : Filingué, Agadès et Dori. Quoiqu’absent lors de la fondation du PPN, Hama a fini par en être son principal idéologue, et sa longue activité dans le parti eut un très grand poids.

En septembre 1946, des membres africains du parti, élus pour occuper des postes politiques en France, publient un document intitulé Manifeste du Rassemblement démocratique africain, qui recueille notamment les signatures de Félix Houphouët-Boigny, député de la Côte-d’Ivoire, Lamine Guèye, député du Sénégal et de la Mauritanie, Fily Dabo Sissoko, député du Soudan et du Niger. Les auteurs du manifeste décident de convoquer un congrès qui se tient à Bamako et qui débouche, le 21 octobre 1946, sur la création du Rassemblement démocratique africain (RDA), un parti inter-territorial auquel le PPN est bientôt affilié. L’ascension politique de Boubou Hama doit beaucoup à son engagement dans les activités du RDA ; en 1946, élu représentant du deuxième collège (composé par les indigènes, dont l’éligibilité et le droit de vote étaient conditionnés par certains critères sélectifs) à l’Assemblée locale du Niger, il interrompt sa carrière d’enseignant.

Sa position de professeur et d’érudit a toujours amené Hama à s’engager dans les questions éducatives et culturelles, mais à partir des années 1950 son implication dans la culture prend une dimension politico-administrative, indissociable du scénario politique de l’époque et de quelques défaites électorales. En 1952, Hama, alors conseiller de l’Union française, échoue aux élections territoriales du Niger. En 1953, il se rapproche du parti de l’Union progressiste nigérienne pour essayer de conforter sa position ; cependant, ne bénéficiant que d’un seul suffrage en tant que candidat de la coalition PPN-RDA-UPN, il doit renoncer au poste de conseiller de l’Union française.

Malgré ses obligations politiques, Hama est resté un écrivain prolifique. Pourtant, c’est après sa défaite aux élections que sa production s’épanouit pleinement ; n’étant pas réélu, il s’éloigne de la scène politique et se consacre à des activités spécifiquement culturelles. À partir de 1954, il occupe le poste de directeur intérimaire de l’Institut français de l’Afrique noire (IFAN), une institution dédiée à l’étude de la culture et de la société en AOF. C’est probablement à cette époque qu’il a conçu l’idée de ce qu’il appellera la « vallée de la culture », un ensemble d’institutions diverses, regroupées à Niamey, dont l’axe d’intérêt était, comme l’explicite sa métaphore, la culture.

En dépit des défaites subies par le PPN-RDA, Boubou Hama revient finalement dans l’arène politique. Il est élu président du parti en 1956 et accède à des postes divers, tout en continuant à s’intéresser à ses activités culturelles. Dans la direction de l’IFAN, poste qu’il a occupé jusqu’en 1957, il apporte son soutien à des recherches sur le peuple songhaï et, en 1958, il organise une exposition d’objets qui sera le germe du Musée national du Niger, créé en 1959, institution qui prendra son nom en 2008. Après l’indépendance du pays, proclamée le 3 août 1960, Hama est nommé président de l’Assemblée nationale ; il continue à développer des projets culturels : il est membre du cabinet de coordination du projet « Encyclopédie africaine », mis en place à Accra (Ghana), de 1963 à 1966 ; vice-président du Congrès international des études africaines, qui se tient à Dakar (Sénégal) et à Addis-Abeba (Éthiopie), de 1967 à 1973 ; président du Conseil national de la recherche scientifique et technique et directeur du Centre régional de documentation pour la tradition orale de l’Ouest africain, tous les deux au Niger, entre 1968 et 1974.

Le 15 avril 1974, un coup d’État militaire perpétré par le lieutenant-colonel Seyni Kountché renverse le gouvernement de Diori Hamani. Hama, qui avait toujours été extrêmement proche du président, est emprisonné. Le régime de Hamani avait fait du Niger un État à parti unique, assez critiqué à l’époque pour être trop associé aux Français. Malgré l’atmosphère de méfiance qui règne et tout en étant incarcéré – il ne sera libéré qu’en 1977 –, Hama n’a pas cessé de produire. Un de ses travaux écrits sous le régime militaire se trouve dans le premier volume du recueil renommé et largement traduit Histoire générale de l’Afrique, publié sous l’égide de l’Unesco. Au-delà de ce texte, d’autres œuvres démontrent aussi sa capacité à conserver, y compris dans l’adversité, sa verve productive, toujours vouée au sauvetage et à la préservation de l’héritage culturel et de l’histoire africaine.

La trajectoire de Hama comme homme d’État est intimement liée au processus historique et politique qui se déroule au Niger et dans d’autres territoires africains dans la période antérieure aussi bien que postérieure aux indépendances. Sa forte représentation dans l’espace politique et dans la sphère publique s’achève en 1974 ; est symbolique la dissolution, cette année-là, de l’Amicale, association qui aura réuni quelques personnages fondamentaux de l’histoire politique du Niger, Boubou Hama, Diori Hamani et Djibo Bakary.

Boubou Hama est mort le 29 janvier 1982. Bien que sa figure soit assez controversée, son nom reste encore comme celui d’un des plus grands intellectuels du Niger.




[1Ana Luiza Oliveira e Silva est docteur en histoire sociale du département d’histoire de la faculté de philosophie, lettres et sciences humaines de l’université de São Paulo, Brésil. Période de stage de recherche au département d’études africaines et anthropologie de l’université de Birmingham, Angleterre. Bourse d’études de la Fondation CAPES, ministère de l’Éducation du Brésil, Brasília, DF 70040-020, Procès 3348/2015-06. Email:aluidos@alumni.usp.br

[2HAMA, Boubou. Essai d’analyse de l’éducation africaine. Paris, Présence Africaine, 1968, p. 380.