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Encyclopédie internationale
des histoires de l’anthropologie

Correspondance d’Eugène Rolland à Giuseppe Pitrè (1879-s.d.)

Transcrite et annotée par
Claudie Voisenat (IIAC-LAHIC, Ministère de la culture, Paris)

Référence complète

Correspondance d’Eugène Rolland à Giuseppe Pitrè (1879-s.d.), transcrite et annotée par Claudie Voisenat, 2010, in Bérose - Encyclopédie internationale des histoires de l’anthropologie, Paris.

La correspondance d’Eugène Rolland à Giuseppe Pitrè, le folkloriste palermitain directeur de la revue Archivio per lo studio delle tradizioni popolari comprend 10 lettres, de 1879 à 1884, concernant essentiellement les échanges entre leurs publications respectives. On y apprend cependant que G. Pitrè a aidé Rolland pour l’établissement de la liste des folkloristes italiens dans l’Almanach des traditions populaires. Eugène Rolland y annonce également la publication des Kryptadia et la reprise en 1884 de Mélusine qu’il qualifie de « restauration monarchique contre l’anarchie folklorique ». Il fait ainsi référence à la montée en puissance dans ce milieu savant de Paul Sébillot, proche de la Société d’anthropologie de Paris et du courant de la linguistique naturaliste, très marqués à gauche, tandis qu’Eugène Rolland et Henri Gaidoz sont proches de la Société de linguistique aux sympathies plutôt monarchistes et catholiques. Les lettres de Gaidoz à Pitrè d’un côté, de Sébillot à Pitrè de l’autre, viennent compléter cette correspondance et apporter de nouvelles précisions sur les tensions qui animent le milieu des folkloristes français au milieu des années 1880.

Lettre 1

Aunay sous Auneau
26 août 1879

Monsieur,

J’ai l’honneur de vous proposer l’échange suivant :
1° Je vous enverrai le 2e volume de ma Faune populaire (prix 10 francs) et les volumes suivants qui paraîtront annuellement (de 10 à 12 francs chaque).
2° En échange vous m’enverriez Bibliotheca delle Tradizioni vol. VIII et les suivants à mesure de leur apparition.
Je n’ai pas les 7 premiers volumes de votre collection mais je n’ose vous les demander, si vous vouliez me les envoyer je vous enverrais 2 exemplaires de Mélusine en échange.
Enfin pour compléter l’échange je vous demanderais les tirages à part des futurs articles des Nuove Effemeride qui concerneraient les langues ou dialectes et les traditions populaires de l’Italie.
Agréez, Monsieur, l’assurance de ma profonde considération.

Eugène Rolland

Mon adresse est :
Château de Grandmont
à Aunay sous Auneau,
par Auneau
(Eure et Loir)


Lettre 2

Aunay par Auneau (Eure et Loir)
12 février 1881

Mon cher Monsieur,

Je prépare [pour (barré)] un almanach mythographique pour 1882 (qui paraîtra en août 1881) [1]. Cet almanach donnera les adresses de tous les mythographes du monde : je vous prie de vouloir me donner les adresses des mythographes italiens en les faisant suivre de la spécialité dont ils s’occupent.
Ainsi [votre (barré)] les adresses serait (sic) ainsi données :
M. G. Pitrè, à Palerme, Sicile
(Mythographie sicilienne)
M. R. Köhler, Bibl. à Weimar, Allemagne
(Mythographie générale)
M. Luzel, à Daoulas (Bretagne)
(contact chansons de la Basse-Bretagne)
Monsieur Bourgault Ducoudray, à Paris
(Musique populaire)
etc. etc. etc.

Vous serez bien aimable de m’aider pour ma tâche en ce qui concerne l’Italie.
— Une bibliographie mythographique suivra, donnant la liste des ouvrages publiés en 1880.
— Enfin un dîner mensuel aura lieu à Paris et si jamais vous venez à Paris et si vous vous trouvez ce jour-là, on serait heureux de vous y voir prendre part [2].
Agréez, mon cher Monsieur, l’assurance de ma haute considération.

Eug. Rolland

Lettre 3

Non datée

Je vous remercie de l’envoi de l’Archivio que je viens de lire avec beaucoup d’attention et d’intérêt.
Le papier qui servait à envelopper votre Archivio m’est arrivé tout déchiré ; il est de l’intérêt de votre éditeur de mieux envelopper ses envois car il arrivera souvent que les exemplaires seront perdus en route.
Un certain nombre de fautes d’impression se sont glissées passim en particulier dans les Dayemans [3]. Ce n’est pas une critique que je vous fais c’est un [conseil (barré)] avertissement amical fait par quelqu’un qui a eu, en son temps, à diriger une Revue analogue à la vôtre. Je sais parfaitement combien il est difficile de faire un premier fascicule parfait. – Si vous voulez avoir la complaisance de m’annoter l’almanach des traditions populaires et d’ajouter en marge les noms et les adresses qui manquent, je vous prierai de me renvoyer cet exemplaire annoté, en échange duquel je vous en enverrai un autre, tout neuf.
Agréez mes remerciements

Eug. Rolland

Lettre 4

1882

Cher Monsieur,

Je vous envoie enfin l’almanach. Je vous remercie de la part que vous y avez prise en me donnant les noms des folkloristes italiens.
Je souhaite bonne prospérité à votre nouvelle revue.
Votre tout dévoué

Eugène Rolland

Ps : p.112 de l’almanach, ajoutez en bas de la page : Eug. Rolland. Mon nom a été omis à tort à la suite de ma collection de chansons de la Bretagne.

Lettre 5

Non datée

Cher Monsieur,

Je reçois à l’instant le fasc. III de l’Archivio et j’envoie à l’éditeur un exemplaire de Mélusine en échange de l’année de l’Archivio. Mais je n’ai pas reçu le fascicule II de l’Archivio. Je vous prie de me le faire envoyer, d’autant plus que j’en ai besoin pour faire la bibliographie de l’almanach.
Je vous remercie pour les additions et les corrections à la liste des folkloristes.
Ci-joint une formulette de cloches dont vous ferez ce que vous voudrez [4].
Votre tout dévoué.

Eug. Rolland

Lettre 6

Aunay par Auneau (Eure et Loir)
15 novembre 1882

Monsieur,

J’ai l’honneur de vous annoncer la publication prochaine des Kryptadia, recueil de volumes consacrés aux Erotica et aux scatologica du Folklore et accessoirement de la Mythologie et de la Linguistique [5].
Cette collection est polyglotte et anonyme. Les articles publiés sont anonymes. Il paraît chaque année un ou deux volumes. Chaque volume est tiré à 10 exemplaires numérotés à la presse. Le prix de chaque volume est, pour les souscripteurs de 12 francs 50. (10 marks, 10 shillings).
Les volumes sont envoyés aux souscripteurs par la poste et recommandés (mot illisible, bon).

Si vous voulez souscrire à cette collection, vous êtes prié d’écrire, sans retard, à M.M. Henninger frères, Editeurs à Heilbronn, Würtemberg, Allemagne.
Nous demandons à ce que l’on ne nous fasse aucune publicité imprimée, mais nous vous serons obligés si vous voulez annoncer la publication aux Folkloristes de votre connaissance, d’une manière confidentielle.
Agréez, Monsieur, l’assurance de ma haute considération.

Pour la direction
Eugène Rolland

P.s. : Les éditeurs avertiront par lettre les souscripteurs quand le premier volume aura paru et quand ils devront payer. Le premier volume paraîtra en avril 1883.

Lettre 7

Non datée

Cher Monsieur,

Le plan primitif des Kryptadia qui était de tirer à cent exemplaires a été modifié. Nous avons eu la bonne fortune de trouver un éditeur sérieux et honnête dans la personne de M. Henninger et il a bien fallu rendre la publication pratique car M. Henninger est un commerçant avant tout. D’abord il a fallu faire la publication à bas marché de manière à la rendre accessible aux savants qui ne sont pas riches ordinairement. C’est pour cela que nous tirons à 200 au lieu de 100.
Henninger voulait faire de la publicité dans son journal et ailleurs. Nous nous sommes refusés à le permettre. J’ai seulement consenti à envoyer des prospectus manuscrits à un certain nombre de folkloristes dont les adresses se trouvent dans l’almanach. Cette publicité est terminée.
Ne craignez pas que la publication ait beaucoup de retentissement en Italie, car nous n’y comptons pas plus de trois ou quatre souscripteurs en tout.
Si vous persistez dans ces conditions à souscrire à la publication, veuillez écrire directement à MM. Henninger.
Le 1er volume sera remarquablement curieux. Nous y avons plus de cent contes russes commentés par M. L… que vous connaissez aussi bien que moi.
Nous avons de nombreuses souscriptions en Allemagne, en Russie, à Londres et à Paris, presque aucune en Italie, Espagne, Portugal, Grèce.
Je compte sur vous pour les erotica de l’Italie.
Le second volume sera en grande partie consacré aux erotica de la Grèce moderne, texte et traduction.
En résumé sans MM. Henninger cette publication eût été impossible, et nous ne l’aurions certes pas faite en France ; toute la responsabilité de même que tout le bénéfice seront pour MM. Henninger.
Je demeure pour l’hiver à Paris, rue des fossés Saint Bernard, 6.
Je lirai avec plaisir vos Jeux de l’enfance d’autant plus que je vais bientôt faire paraître les Rimes et jeux de l’enfance de la France.
Ce travail est bien incomplet, mais il est destiné à attirer l’attention des folkloristes français sur cette partie du Folklore très négligée jusqu’aujourd’hui.
Connaissez-vous le recueil de Chants populaires napolitains avec musique publié à Paris par Cottreau vers 1853 ? Je l’ai eu entre les mains, mais je ne le vois cité nulle part. Je le crois très important au point de vue musical [à ce propos pourquoi l’Archivio (comme la Romania) dédaigne-t-il la musique des chants populaires ? ]
— J’ai encore à l’impression un recueil de chansons populaires de la France ; avec les airs notés.
Veuillez agréer mes souhaits de nouvelle année.

E. Rolland.

Lettre 8

Paris, 27 rue Vital
8 nov. 1883

Cher Monsieur,

Je vous écris pour vous dire que désormais je demeure à Paris, rue Vital, 27 et que j’ai complètement quitté le département d’Eure et Loir.
— Je n’ai pas reçu votre volume Ginochi fanciulleschi. Si vous me l’avez envoyé, il s’est égaré en route.
— J’ai une fois reçu quatre exemplaires de l’Archivio adressés à différentes personnes en France. A la poste à cause du papier des bandes qui est mauvais, on avait mis les 4 exemplaires ensemble attachés par une ficelle et on m’avait adressé le tout.
J’ai renvoyé les exemplaires à leurs adresses.
Le second volume des Kryptadia sera tiré à 195 exemplaires – le 1er a été tiré à 210. Peut-être diminuerons-nous le tirage au 3e volume et si nous tirons à moins de 100 exemplaires je vous en avertirai.
Agréez, Cher Monsieur, l’assurance de ma cordiale sympathie.

Eug. Rolland

Lettre 9

Non daté, 6 rue des Fossés St Bernard, Paris [6]

Cher Monsieur

Je trouve chez un libraire :
Die Sizilianische Vesper, ein Travelspiel, nach dem französische des Casimir Delavigne metrisch verdentsch von Benjamin Diatz, Strasbourg, 1830 in 8.
Prix : 1fr50
Faut-il vous l’acheter s’il en est temps encore ?

Je vois par le journal que vous m’avez envoyé que vous vous transformez en Société italienne.
Quant à nous, nous préférons le gouvernement monarchique et nous faisons Mélusine. C’est une Restauration monarchique destinée à combattre l’anarchie folklorique [7].
Tout à vous

E.R.

Lettre 10

Non datée

Cher Monsieur,

M. Pedone Lauriel a refusé de continuer l’envoi qu’il me faisait de l’Archivio contre en échange de l’année I de Mélusine.
Aujourd’hui je viens vous proposer l’échange régulier avec Mélusine. Si vous acceptez la proposition, veuillez me faire envoyer l’Archivio, 1er fascicule de 1884 que je n’ai pas.
Je regrette de ne pouvoir faire partie de votre nouvelle société, mais si je donne tout mon temps à la science, en revanche je ne lui consacre pas un sou.
Veuillez agréer mes meilleurs souhaits de réussite pour votre nouvelle entreprise.

Eug. Rolland
6 rue des Fossés St Bernard

(rajouté en marge : en cas d’acceptation d’échange veuillez transmettre à l’éditeur mon adresse exacte).

Origine/Localisation de la ressource

La correspondance adressée à Giuseppe Pitrè est déposée à la Biblioteca Giuseppe Pitrè, partenaire de Bérose, qui a accepté qu’elle soit transcrite et mise en ligne.

Biblioteca Giuseppe Pitrè. Palazzo Tarallo, Via delle Pergole, 74. 90139 Palermo.
Ouvert de 9h à 13h30

Direttore : Mme Eliana Calandra
Mail : archivispazietno@comune.palermo.it
Tél : 091 6161076.

Cote : Epistolari Pitrè, Carpetta P-C-20, Rolland




[1Il s’agit du premier volume de l’Almanach des traditions populaires.

[2Ces rencontres régulières qui devaient s’appeler les « dîners mythographiques » prendront finalement le nom de « dîners de ma Mère l’Oye ». Le premier aura lieu le 14 février 1882 et sera présidé par Gaston Paris. Organisés par Paul Sébillot et Loys Brueyre, ils deviendront, à partir de 1885, le lieu de réunion des membres de la Société des traditions populaires fondée par Paul Sébillot.

[3Il s’agit de l’article du Comte de Puymaigre, « Les Dayemans », Archivio per lo studio delle tradizioni popolari, tome 1, 1882 : 94-98.

[4La formulette est publiée dans le tome 1 de l’Archivio, 1882, p.599.

[5Le premier volume de Kryptadia : recueil de documents pour servir à l’étude des traditions populaires est publié en 1883. Eugène Rolland a quitté la co-direction de Mélusine pour pouvoir se consacrer à ce travail qu’il mène avec Loys Brueyre, sous le patronage de Gaston Paris. La collaboration avec Brueyre cesse dès ce premier volume et les suivants seront publiés avec Henri Gaidoz. Il y en aura douze au total, entre 1883 et 1911 qui réuniront des contributions des plus grands folkloristes européens.

[6La lettre date vraisemblablement de 1884, année où Mélusine, la revue d’Eugène Rolland et d’Henri Gaidoz, dont la parution avait été interrompue après son unique numéro de 1877, est à nouveau publiée.

[7La reprise de Mélusine se fait dans le cadre d’une rivalité grandissante avec Paul Sébillot et d’une scission toujours plus affirmée entre un folklore philologique (que défendent Eugène Rolland et Henri Gaidoz) placé sous l’égide de la Société de Philologie et un folklore plus matérialiste et tourné vers les objets développé par Paul Sébillot dans le cadre de ses relations avec la Société d’anthropologie de Paris et le Musée d’ethnographie du Trocadéro. Ces postures scientifiques recouvrent également un certain nombre de différences de positionnement politique. Voir à ce propos l’article Les relations Gaidoz-Sébillot : Chronique.